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LIVRE IV L’ILLUMINATION - Partie 2

La seconde grande ligne de pensée que comporte le sutra 15 est plus difficile à comprendre. Elle donne du ton et une certaine véracité à la controverse dans laquelle s'engagent maints penseurs qui soutiennent que les choses n'existent, et n'ont de forme et d'activités, que pour autant que le mental du penseur les formule. En d'autres termes, que nous créons notre propre entourage et construisons notre propre monde en vertu des modifications de notre propre principe pensant ; la conclusion en est (compte tenu de la substance de base : l'esprit-matière) que nous en tissons des formes par les impulsions de notre propre pensée. Les autres gens perçoivent ce que nous voyons, car quelques-unes des modifications de leur mental sont analogues aux nôtres et leurs réactions et impulsions [404] sont à certains égards similaires. Cependant, jamais deux personnes ne voient un objet exactement de la même façon. En vérité, les "choses" ou formes de matière existent ; elles sont ou créées ou en voie de création et sont le fait d'un ou plusieurs esprits. La question consiste à savoir qui porte la responsabilité des formes-pensées dont nous sommes environnés. Le commentaire et la traduction de Dvidedi penchent vers cette seconde ligne de pensée plus que ne le fait la paraphrase du Tibétain, et il est utile de l'étudier, car le nombre des esprits qui abordent un problème peut en faire apprécier l'ampleur. Des conclusions oiseuses et légères sont évitées et il devient alors possible de se rapprocher de la vérité. Le point de vue synthétique est plus près de la vérité universelle que le point de vue spécialisé. Dvidedi écrit :

"Bien que les choses soient semblables, la cause du mental et des choses diffère en raison de la différence des esprits."

Les considérations précédentes établissent de façon indirecte l'existence des choses en tant qu'objets extérieurs au mental. Les Vijnanavadi-Bouddhas, qui maintiennent que les choses ne sont que des reflets de notre principe pensant, ne seraient pas d'accord avec cette prise de position. Mais leurs objections ne supporteraient pas l'examen, car l'existence des choses indépendamment du principe pensant est indubitable. Bien qu'il y ait, en vérité, une complète similitude entre les objets de la même catégorie, il n'en reste pas moins que la façon dont les objets affectent le mental et la façon dont le mental est affecté par eux, sont deux choses entièrement distinctes. Les objets existent donc en dehors du principe pensant. Bien que les objets soient semblables, ils ne se présentent pas à des esprits différents sous la même lumière, ce qui démontre qu'ils existent indépendamment du mental. De plus, [405] nous entendons maintes personnes dire qu'elles ont vu un objet donné tel qu'il est vu par une autre personne. Ceci prouverait que, bien que l'objet soit unique, ceux qui le connaissent sont nombreux. Ce fait donne la preuve de la différence existant entre l'objet et le mental. Or, celui qui voit et la vue, c'est à dire le mental et l'objet, ou l'instrument de la connaissance et l'objet de la connaissance, ne peuvent être une seule et même chose, car alors toute connaissance sélective serait impossible, ce qui d'ailleurs est absurde. Tenter de trouver une solution à cette difficulté en disant que le vasana éternel de la forme des objets extérieurs est la cause de toute notre connaissance sélective, est sans objet, car ce qui s'est déjà dissipé ne peut devenir une cause. Il ressort de ceci qu'il faut accorder à l'objet une existence indépendante du sujet. Il ne faut pas non plus imaginer que la substance (Prakriti) pourrait, dans ce cas, être la cause des multiples différences de notre vie expérimentale, car les trois gunas et leurs combinaisons diverses à différents niveaux suffisent à expliquer ce fait. Dans le cas de yogis assez éclairés pour que la connaissance ait provoqué en eux le suprême Vairagya, il n'est que juste qu'ils ne se soucient pas des gunas, qui comportent aussi un état d'équilibre et n'engendrent pas d'effets.

La troisième ligne de pensée traite plus particulièrement de l'aspect prise de conscience, ou de l'état de connaissance consciente du penseur, l'habitant intérieur ; elle a donc une valeur pratique immédiate pour l'étudiant en Raja Yoga. Elle provoque certaines questions, qui peuvent s'exprimer comme suit : [406]

1. Quel est le niveau de l'être ou de la prise de conscience, (car l'idée est la même pour l'étudiant en occultisme) sur lequel je fonctionne ?

2. Est-ce avec la forme ou avec l'âme que je m'identifie ?

3. Quel est le sentier que je foule, la voie élevée de l'âme, ou le bas chemin de la matière ?

4. Suis-je en une période de transition, dans laquelle ma connaissance consciente se trouve transférée de la conscience inférieure à la conscience supérieure ?

5. Quoique étant dans le corps, celui-ci n'est-il pour moi qu'un instrument, et suis-je éveillé sur un autre plan de conscience ?

Ces questions, ainsi que d'autres similaires, ont une profonde valeur pour l'aspirant, s'il les pose avec sincérité et y répond avec véracité, comme en présence de Dieu et du Maître.

16. Les nombreuses modifications du mental unique produisent les formes diverses, dont l'existence dépend de ces nombreuses impulsions mentales.

Dans ces mots, le concept tout entier passe du domaine du particulier dans le royaume de l'universel. Nous sommes mis en face d'impulsions cosmiques et solaires ; et la petitesse et la mesquinerie de notre problème individuel deviennent apparentes. Toute forme en manifestation est le résultat de la pensée de Dieu ; tout véhicule objectif à travers lequel afflue l'impulsion vitale de l'univers, est produit et maintenu en manifestation objective par le flux régulier des courants de pensée émanant d'un unique et prodigieux penseur cosmique. Ses voies mystérieuses, Son plan secret et caché, le grand dessein [407] à l'accomplissement duquel Il travaille dans ce système solaire, ne sont pas encore apparents pour l'homme. Cependant, la volonté de Dieu (basée sur une activité aimante) apparaîtra clairement au fur et à mesure que croîtront chez l'homme la capacité de penser avec ampleur, le pouvoir de visualiser le passé comme un tout et d'unifier la connaissance qu'il peut avoir de la vie de Dieu œuvrant à travers les règnes de la nature, ainsi que la compréhension de la nature de la conscience.

La clé du "comment" et du "pourquoi" se trouve, pour l'homme, dans la compréhension qu'il a de ses propres activités mentales. Une juste notion de ce que représente cette grandiose forme-pensée de Dieu qu'est un système solaire et le maintien de sa cohésion, se développera chez l'homme au fur et à mesure qu'il comprendra ses propres formes-pensées et la façon dont il crée lui-même son entourage et colore lui-même sa vie. Il se construit son propre monde par la puissance de ses processus mentaux et les modifications du fragment du principe pensant universel qu'il s'est approprié pour son usage personnel.

Qu'on se souvienne que Dieu, le Logos solaire, constitue la somme de tout état de conscience ou de connaissance. L'homme – l'humanité dans son ensemble comme l'unité individuelle – fait partie de cette somme. Les diverses unités mentales, depuis le mental de l'atome (reconnu par la science) jusqu'au mental de Dieu Lui-même, en passant par tous les degrés de penseurs et tous les niveaux de conscience, sont à l'origine de toutes les formes pouvant se trouver dans notre système. Tandis que nous travaillons en allant de l'infiniment petit à l'infiniment grand, du microcosme au macrocosme, un état de conscience s'élargissant graduellement et une condition de connaissance consciente croissante deviennent manifestes.

À ce degré de développement, on trouve trois types de [408] formes prédominants, lesquels résultent du mental :

1. La forme de l'atome, le véritable microcosme.

2. La forme humaine, le macrocosme pour tous les règnes infra-humaine.

3. La forme de Dieu, un système solaire, qui est macrocosme pour l'homme et pour tout ce qui se trouve aux niveaux supra-humains.

Toutes ces formes, en même temps que toutes les formes intermédiaires, dépendent de quelque vie douée de la capacité de penser, et en vertu de l'impulsion de la pensée de modifier la substance sensible, de l'influencer et d'en construire des formes.

17. Ces formes sont connues ou non, selon les qualités latentes de la conscience qui les perçoit.

Ceci a été remarquablement traduit par Charles Johnston, en ces termes : "Un objet est perçu ou n'est pas perçu, selon que le mental est, ou n'est pas, teinté par la couleur de l'objet."

Nous voyons ce que nous sommes nous-mêmes ; nous prenons conscience de ce qui, en d'autres formes, est également développé en nous-mêmes. Certains aspects de la vie échappent à notre vue, car en nous-mêmes ces aspects sont encore non développés et latents. Nous pouvons en trouver une illustration dans le fait que le divin qui est en notre frère nous échappe ; car, comme nous n'avons pas encore établi un contact avec le divin en nous, il nous reste inconnu. C'est l'aspect forme et ses limitations qui est développé en nous, et l'âme y est tellement cachée que nous ne sommes conscients que de la forme de notre frère, et ne voyons pas son âme. Du moment où nous prenons contact avec notre propre âme et vivons dans sa lumière, nous voyons l'âme de notre frère, nous sommes conscients [409] de sa lumière et notre attitude à son égard est entièrement transformée.

Là se trouve la clé de nos limitations et la clé de nos succès. La faculté latente, une fois développée, nous révélera un monde nouveau. Les pouvoirs cachés de l'âme, lorsqu'ils seront amenés à leur pleine expression, nous feront connaître un monde nouveau et nous révélerons un ordre de vie et un domaine de l'être dont nous avions jusqu'alors, faute de les voir, nié l'existence. De là résulte, pour tout investigateur des mystères de l'existence, l'obligation de consacrer à sa recherche tous les moyens dont il dispose, de poursuivre ce processus d'épanouissement de l'âme et de développer ses facultés potentielles, s'il veut prendre conscience de la vérité dans toute sa plénitude.

18. Le seigneur du mental, celui qui perçoit, est toujours conscient de la substance mentale constamment active, la cause productrice d'effets.

Nous avons dans ce sutra un énoncé qui nous montre la voie conduisant à un travail de méditation efficace et sûr. Celui qui médite est l'âme, l'égo, et son travail est une activité positive, non un état et une condition négatifs. Une grande partie du travail accompli sous le nom de méditation, est dangereux et inutile, car c'est alors l'homme sur le plan physique qui recherche la maîtrise, son effet se concentrant sur l'obtention de la tranquillité du cerveau. Il cherche à apaiser les cellules cérébrales, à les rendre négatives, calmes et réceptives. Or, la véritable méditation concerne l'âme et le mental ; la réceptivité du cerveau est la réaction automatique à une condition supérieure. En Raja Yoga, le contact avec [410] l'homme réel, l'égo, et le pouvoir de "tranquilliser les modifications du principe pensant", doivent précéder toutes activités et réactions cérébrales. Le Seigneur du mental est toujours éveillé, toujours conscient de la tendance qu'a le mental à réagir aux courants de force produits par la pensée ou le désir ; en conséquence, il est attentif à toute émanation de force provenant de lui-même et contrôle chaque pensée et chaque impulsion, afin que ne prennent naissance en lui que des courants d'énergie et des impulsions qui soient dans la ligne du dessein qu'il a constamment en vue, et qui concordent avec le plan du groupe.

Il ne faut jamais oublier que tous les égos travaillent en formation de groupe et sous le contrôle direct des Penseurs qui incarnent la divine pensée logoïque. Le travail que tout aspirant cherche à accomplir consiste donc à aligner la conscience cérébrale sur la pensée qui vient à lui par le truchement de la conscience de sa propre âme ; ceci se parachève sur le plan physique par la manifestation graduelle du plan divin.

Le plan des âges sera réalisé lorsque chaque fils de Dieu aura mis la substance mentale active qui lui est propre en une condition telle qu'elle devienne capable de réagir à la pensée divine. Nul homme ne doit se désespérer du fait de son incompétence présumée ou de son apparente petitesse, car chacun de nous a la charge d'une certaine partie du plan que nous devons mener à bien ; si notre coopération faisait défaut, il se produirait du retard et de la confusion. Quand un élément minime d'un mécanisme important refuse de fonctionner normalement, il en résulte parfois de gros ennuis. Une longue mise au point est souvent nécessaire avant que la machine [411] réparée puisse poursuivre son travail comme il se doit. Or, dans le domaine de la collaboration humaine, une situation analogue est susceptible de se présenter.

La substance mentale constamment active peut réagir à la vibration inférieure émanant de l'homme inférieur triple et à l'impulsion supérieure provenant de l'âme en tant qu'intermédiaire entre l'esprit et la matière. L'âme est toujours consciente de cette condition ; l'homme sur le plan physique y reste aveugle ou s'éveille à peine à cette double possibilité. Le travail de celui qui aspire à l'union consiste à faire osciller graduellement et sans discontinuer la substance mentale en l'amenant sous l'impulsion supérieure et l'éloignant de la vibration inférieure jusqu'à ce que la réaction à la vibration supérieure devienne une condition stable et que l'activité vibratoire de l'homme inférieur s'atténue et s'éteigne.

19. Comme il peut être vu ou connu, il est évident que le mental n'est pas la source de l'illumination.

Ce sutra et les deux suivants nous présentent une attitude typiquement orientale à l'égard d'un problème très ardu, et cette méthode de raisonnement n'est pas facile à saisir pour des esprits occidentaux. Dans les six écoles de philosophie hindoue, tout le problème concernant la source de la création et la nature du mental est disséqué, discuté et si complètement épuisé, que presque toutes les écoles modernes peuvent être considérées comme des excroissances ou résultats constituant la suite logique des diverses positions hindoues. La clé de la diversité des opinions sur ces deux points se trouve peut-être dans les six types entre lesquels se répartissent tous [412] les êtres humains, le septième n'étant que la synthèse de tous, et cela inclusivement, mais non exclusivement.

Dans les Yoga Sutras, le mental est tout simplement relégué à l'état d'instrument, d'intermédiaire, de plaque sensible enregistrant soit ce qui se déverse en lui d'en haut, soit ce qui l'atteint d'en bas. Il n'a pas de personnalité à lui, ni vie ni lumière propres, sauf celles qui sont inhérentes à toute substance et se trouvent en conséquence dans tous les atomes qui constituent la substance mentale. Ceux-ci étant sur la même ligne évolutive que le reste de la nature inférieure, viennent grossir le flot des forces matérielles qui cherchent à retenir l'âme captive, et ils constituent la grande illusion.

Le mental peut donc être connu dans deux directions ; premièrement, il peut être connu, reconnu et vu par le penseur, l'âme sur son propre plan ; et secondement il peut être vu et connu en tant qu'un des véhicules de l'homme sur le plan physique. Pendant un temps très long l'homme devint ce avec quoi il s'identifiait, à l'exclusion de l'homme spirituel véritable, qui peut être connu, obéi et avec qui un contact peut être établi, une fois que le mental a été relégué à sa place normale en tant qu'instrument de connaissance.

On peut s'aider ici d'une analogie se rapportant au plan physique. L'œil est l'un des plus importants de nos sens, celui par lequel nous acquérons la connaissance, l'agent grâce auquel nous voyons. Cependant, nous ne commettons pas l'erreur de considérer que l'œil lui-même soit la source de la lumière et ce qui produit la révélation. Nous savons qu'il est un instrument réagissant à certaines vibrations lumineuses au [413] moyen desquelles certaines informations concernant le plan physique sont transmises à notre cerveau, qui est la grande plaque sensible. À l'égard de l'âme, le mental fonctionne aussi comme un œil, ou une fenêtre par laquelle viennent les informations ; mais il n'est pas lui-même la source de la lumière ou de l'illumination.

Il est intéressant de noter ici que, lorsque le cerveau et le mental se coordonnèrent (comme ce fut le cas pour la première fois aux temps lémuriens), le sens de la vue se développa simultanément. Avec le cours de l'évolution, une coordination plus élevée intervint ; l'âme et le mental se mirent à l'unisson. Puis l'organe de la vision subtile (le troisième œil) commença à fonctionner ; au mental, au cerveau et aux yeux se substitua une autre triade : l'âme, le mental et le troisième œil. En conséquence, le cerveau n'est pas la source de l'illumination, mais devient conscient de la lumière de l'âme et de ce qu'elle révèle du domaine de l'âme. Le troisième œil, se développant simultanément, initie son possesseur aux secrets des domaines subtils des trois mondes, de sorte que l'illumination, l'information et la connaissance parviennent au cerveau de deux directions : de l'âme par la voie du mental, et des plans subtils des trois mondes par la voie du troisième œil. Il faut se souvenir ici que le troisième œil révèle en premier lieu la lumière qui se trouve au cœur de chaque forme de la manifestation divine.

20. Il ne peut pas non plus connaître simultanément deux objets : lui- même et ce qui est extérieur à lui-même.

 Aucune des enveloppes à travers lesquelles l'âme fonctionne ne possède la connaissance de soi ; elles ne sont que les canaux [414] grâce auxquels s'acquiert la connaissance et se poursuit l'expérience de la vie. Le mental ne se connaît pas lui-même, car cela présupposerait la conscience de soi ; or, n'ayant pas de conscience individuelle, il ne peut dire "ceci est moi, mon moi-même", ou "ceci, étant extérieur à moi, est par conséquent le non moi". Le mental est tout simplement un sens de plus, par lequel s'acquièrent les informations et se révèle un nouveau champ de connaissance. Il n'est, comme on l'a déjà dit, rien d'autre qu'un instrument apte à exercer une double fonction, enregistrant les contacts provenant d'une ou deux directions et transmettant, de l'âme, cette connaissance au cerveau, ou de l'homme inférieur à l'âme. Ceci doit être médité et notre effort tout entier doit tendre à mettre cet instrument en une condition telle qu'il puisse être utilisé avec le plus grand avantage possible. C'est ce que cherchent à réaliser les trois moyens de yoga. Ceci ayant été exposé plus haut, il est inutile d'y revenir ici.

21. S'il est dit que la connaissance du mental (chitta) peut être le fait d'un mental se tenant à l'écart, ce postulat implique un nombre infini de "connaissants" ; l'enchaînement des réactions du souvenir irait ainsi vers une confusion sans fin.

Une des explications données au sujet des fonctions du mental consiste à postuler son aptitude à se détacher de lui-même et à se considérer comme une chose distincte. Il devient par là un enchevêtrement de parties détachées, distantes les unes des autres et conduisant (lorsque cette idée est portée jusqu'à sa conclusion logique) à une condition chaotique.

À L'origine de tout cela il y a, de la part des penseurs [415] travaillant selon la ligne orthodoxe de la philosophie et de la pensée, le refus d'admettre qu'il soit possible pour eux d'être une entité détachée et distincte du mental et cherchant simplement à utiliser celui-ci en tant que moyen de connaissance. Le problème provient en grande partie du fait que ce penseur ne peut être connu avant que le mental soit développé ; il peut être pressenti et ressenti par le mystique et le dévot, mais la connaissance de ce qu'il est (dans le sens usuel du mot connaissance) n'est pas accessible avant que l'instrument de la connaissance, le mental, ait été développé. C'est ici que la connaissance orientale entre en jeu et clarifie le travail merveilleux accompli par les adhérents de la Science chrétienne et de la Science mentale. Ils ont mis l'accent sur le fait de l'individualité et l'universalité du mental, et notre dette envers eux est grande. La nature du mental, son objectif, sa maîtrise, ses problèmes et ses processus sont aujourd'hui des sujets courants de discussion, alors que ce n'était pas le cas il y a cent ans. Mais il demeure en tout cela une grande confusion, résultant de notre tendance moderne à déifier le mental et à le considérer comme le seul facteur important. La science orientale vient à la rescousse et nous dit que derrière le mental il y a le penseur, que derrière la perception on trouve celui qui perçoit et qu'à l'arrière plan de l'objet observé se tient l'observateur. Ce sujet percevant, ce penseur et cet observateur sont en fait l'égo immortel et impérissable, l'âme en contemplation.

22. Quand l'intelligence spirituelle, qui se tient seule et libérée des objets, se reflète dans la substance mentale, il s'ensuit alors la connaissance consciente du soi.

L'intelligence spirituelle, qui est l'homme réel, le Fils de [416] Dieu, éternel dans les Cieux, est connue sous des noms divers et variés, selon les écoles de pensée. La liste de synonymes donnée ci-dessous sera utile à l'étudiant, car elle lui donnera une vision plus large et une compréhension plus générale, en lui dévoilant le fait que les Fils de Dieu, révélés ou non, peuvent être trouvés partout.

L'Intelligence spirituelle

Le Souverain intérieur

La Parole faite chair.

L'Âme

Le second aspect

Le AUM.

L'Entité auto-consciente

La seconde Personne

Le Penseur.

Le Christ

Dieu en incarnation

L'Observateur.

Le Soi

Le Fils du Mental

Le constructeur de la Forme.

Le Soi supérieur

Les divins Manasaputra

La Force.

Le Fils de Dieu

L'Agnishvattva

L'Habitant du corps.

On trouvera ces termes et plusieurs autres disséminés dans toutes les écritures et dans toute la littérature du monde. Cependant, aucun livre ne dépeint la nature de l'âme, qu'elle soit macrocosmique (le Christ cosmique) ou microcosmique (le Christ individuel), aussi magnifiquement que la Bhagavad Gîta, ces trois livres suivants : La Bhagavad Gîta, le Nouveau Testament et les Yoga Sutras, contiennent un tableau complet de l'âme et de son développement.

23. Alors la substance mentale, reflétant à la fois le connaissant et le connaissable, devient omnisciente.

Ce sutra a le caractère d'une somme et met l'accent sur le fait que, le mental étant apaisé et calme grâce à la pratique [417] de la concentration et de la méditation, devient le réflecteur de "ce qui est en haut et de ce qui est en bas". Il transmet la connaissance du soi au cerveau physique de l'homme en incarnation et lui communique également tout ce que le soi connaît et perçoit. Le champ de la connaissance est vu et connu. Celui qui connaît est aussi perçu et la "perception de tous les objets" devient possible. Il s'avère littéralement vrai, en conséquence, que rien, pour le yogi, ne demeure inconnu ou caché. Il lui devient possible d'être informé de tous les sujets, car il possède un instrument dont il peut faire usage pour s'assurer de ce que l'âme sait concernant le Royaume de Dieu, domaine de la vérité spirituelle. Il peut aussi entrer en communication avec l'âme et lui transmettre ce que sait l'homme en incarnation physique. Ainsi, celui qui connaît, le champ de connaissance et la connaissance elle-même, en arrivent à être conjugués et le terrain de cette union est le mental.

C'est là un stade grandiose sur le sentier du retour ; et bien qu'en temps voulu l'intuition se substitue au mental, et que la perception spirituelle directe remplace la perception mentale, ce stade est cependant avancé et important et il ouvre la porte à l'illumination directe. Rien maintenant n'a plus de raison de gêner la descente dans le cerveau de l'influx de force spirituelle et de sagesse ; car, l'homme inférieur triple tout entier ayant été purifié et dominé, les corps physique, émotif et mental forment simplement un canal pour la lumière divine et constituent le véhicule à travers lequel la vie et l'amour de Dieu peuvent se manifester. [418]

24. La substance mentale également, reflétant, comme elle le fait, une infinité d'impressions mentales, devient l'instrument du soi et agit en tant qu'agent unificateur.

Pour l'homme spirituel, rien ne reste plus à faire en ce qui concerne ce soi inférieur purifié, si ce n'est à apprendre à employer son instrument, le mental ; par son entremise les autres corps sont alors dirigés, contrôlés et utilisés. Grâce aux huit moyens de yoga, son instrument a été découvert, développé, maîtrisé et doit maintenant être mis en service actif et employé de trois manières :

1. En tant que véhicule pour la vie de l'âme.

2. Au service de la Hiérarchie.

3. En coopération avec le plan de l'évolution.

Dans le livre I, Sutra 41, nous trouvons ces mots : "Celui dont les Vrittis (modifications de la substance mentale) sont entièrement maîtrisés aboutit à un état d'identité et de similitude avec ce dont il est pris conscience. Le connaissant, la connaissance et le champ de la connaissance deviennent un ; tout comme le cristal absorbe en lui les couleurs de ce qui s'y reflète." Ceci nous donne un tableau de ce qu'il advient à l'homme qui a maîtrisé son instrument. Il enregistre dans son cerveau, par la voie du mental, ce qui est vrai et réel ; il devient conscient de la nature de l'idéal et rassemble toutes les forces qu'il possède en vue du travail consistant à faire de cet idéal une manifestation objective ; il a la vision du royaume de Dieu tel qu'il sera en des temps à venir et il renonce à tout ce qu'il [419] a et à tout ce qu'il est, afin que la vision puisse être vue par tous ; il connaît le plan, car celui-ci se révèle à lui dans le "lieu secret sur la Montagne de Dieu", et il y coopère intelligemment sur le plan physique ; il entend la Voix du Silence et obéit à ses injonctions, travaillant sans relâche à l'œuvre de la vie spirituelle, en un monde se consacrant aux choses matérielles.

Tout cela est possible à l'homme qui a stabilisé la nature psychique versatile et maîtrisé la science royale du Raja Yoga.

Dans la littérature cachée des adeptes, les stances suivantes résument l'état de l'homme qui, arrivé au but, est le maître et non le valet, le conquérant et non l'esclave.

"Celui qui est quintuple est entré dans la paix et cependant parcourt notre sphère. Ce qui est dense et sombre brille maintenant d'une lumière pure et claire et, des sept lotus sacrés, découle une radieuse clarté. Il illumine le monde et irradie le feu divin jusqu'au lieu le plus bas."

"Ce qui fut jusqu'ici sans repos, sauvage comme l'océan et démonté comme une mer tempétueuse, repose, calme et silencieux. Limpides sont les eaux de la vie inférieure, et prêtes à l'offrande aux assoiffés qui, errant comme des aveugles, crient de soif."

"Ce qui a tué et voilé le Réel au cours d'interminables æons est tué à son tour, et par sa mort, la vie séparée a cessé d'être. Le Un est vu. La Voix est entendue. Le Réel est connu et la vision perçue. Le feu de Dieu s'élève en un jaillissement de flamme."

"Le lieu le plus sombre reçoit la lumière. L'aube se lève sur la terre. L'aurore déverse des hauteurs ses rayons radieux jusque dans l'enfer même, et tout est lumière et vie."

Le yogi libéré se trouve alors devant un choix. En face de lui se dresse un problème spirituel dont la nature nous a été transmise dans le fragment suivant d'un ancien catéchisme ésotérique : [420]

"Que vois tu, ô libéré ? De nombreux êtres qui souffrent, Maître ; qui pleurent et crient à l'aide.

Que feras tu, ô homme de paix ? Je retournerai au lieu d'où je suis venu.

D'où viens-tu, divin Pèlerin ? Des plus grandes profondeurs des ténèbres ; puis d'en haut, dans la lumière.

Où vas-tu, ô Voyageur sur le chemin montant ? Je retourne aux profondeurs des ténèbres, loin de la lumière du jour.

Pourquoi ce geste, ô Fils de Dieu ? Afin de rassembler ceux qui trébuchent dans les ténèbres et éclairer leur pas sur le sentier.

Quand ton service prendra-t-il fin, ô Sauveur des hommes ? Je ne sais, sinon que tant qu'un seul être souffre, je reste en arrière, et je sers.".

25. L'état d'unité isolée (retirée en la vraie nature du soi) constitue la récompense de l'homme qui peut faire une distinction entre la substance mentale et le soi, ou homme spirituel.

Cet état d'unité isolée doit être considéré comme un résultat de la réalisation d'un état d'esprit particulier plutôt que comme une réaction (associée à l'idée, N.d.l.t.) de séparation.

Tout le travail de méditation, tous les moments de réflexion, tous les exercices d'affirmation, toutes les heures consacrées au rappel de ce qu'est notre vraie nature, sont des moyens employés pour détacher le mental des réactions et tendances inférieures et instaurer en lui l'habitude d'une prise de conscience continuelle de notre nature divine. Quand cette prise de conscience est devenue une réalité, ces exercices ne sont plus nécessaires ; nous entrons en possession de notre héritage. L'isolement dont il est question ici est le détachement du soi à l'égard du champ de la connaissance ; la résolution, de la part du soi, de se refuser à rechercher les expériences [421] sensorielles dirigées vers l'extérieur et de rester fermement fixé dans l'état d'être spirituel.

L'homme prend conscience de lui-même en tant que celui qui connaît ; le champ de la connaissance n'est plus son principal souci, comme aux premiers stades de son développement ; pas plus qu'il n'est accaparé par la connaissance elle-même, comme au cours de son stade de développement mental en tant qu'homme avancé ou en tant que disciple. Il peut faire une distinction entre les trois ; il ne s'identifie désormais ni avec le champ de connaissance – la vie dans les trois monde au moyen de ses trois véhicules, des cinq sens et du mental – ni avec la connaissance acquise ou l'expérience subie. Il connaît le soi ; il s'identifie avec le véritable "connaissant" et voit ainsi les choses telles qu'elles sont, lui-même se dissociant totalement du monde de la perception sensorielle.

Il accomplit ceci, cependant, tout en fonctionnant sur la terre en tant qu'être humain. Il participe à l'expérience terrestre. Il s'intègre à l'activité humaine ; il marche parmi les hommes, mangeant et dormant, travaillant et vivant. Cependant, il est constamment "dans le monde, mais non du monde" et on peut dire de lui comme ce fut dit du Christ :

"Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.

Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes.

Il s'humilia plus encore ; obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix." (Phil. II. 6, 7, 8) [1][422]

Il est à l'unisson avec l'âme de tous, mais à l'écart, séparé de tout ce qui concerne la forme ou la nature matérielle.

Les trois sutras suivants devraient être lus comme n'en formant qu'un seul, car ils présentent un tableau de la croissance graduelle de la nature spirituelle, chez l'homme qui a atteint l'état de détachement et de discrimination et qui, grâce à une totale absence de passion, sait ce que signifie l'unité isolée.

26, 27, 28. Le mental est alors enclin à la discrimination et à une illumination croissante considérée comme la véritable nature du soi unique. Cependant, par la force de l'habitude, le mental percevra des objets ressortissant à la perception sensorielle. Ces reflets sont par nature des obstacles et la méthode à employer pour les surmonter est la même.

Les tendances et le rythme corrects ayant été établis, ce n'est plus qu'une question de persévérance soutenue, de bon sens et d'endurance. À moins qu'il ne soit fait usage d'une extrême vigilance, les anciennes habitudes mentales s'imposeront à nouveau sans difficulté, aussi l'aspirant doit-il "veiller et prier" jusqu'à l'initiation finale elle-même.

Les règles commandant la victoire et les pratiques conduisant au succès sont, pour le guerrier expert et avancé et pour l'initié, les mêmes que pour l'humble néophyte. Dans le livre II, les méthodes grâce auxquelles les entraves et les obstacles peuvent être surmontés et annulés, sont soigneusement exposées. Dès l'instant où les premiers pas sont faits sur le sentier [423] de probation, jusqu'au moment sublime où la dernière grande initiation fait l'objet de l'expérience et où l'homme libéré se dresse dans la pleine lumière du jour, ces méthodes et modes de vie disciplinée doivent être observées strictement et sans défaillance. Ceci implique une grande patience, l'aptitude à aller de l'avant après un échec et à persévérer quand le succès semble lointain. Paul, le grand initié, le savait bien et ce fut ce qui l'incita à donner aux disciples qu'il cherchait à aider, l'injonction suivante : "Donc, tenez bon... et ayant tout accompli, tenez bon." Jacques émet la même idée lorsqu'il dit : "Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment." Jacques V, 11.

Ne pas s'arrêter lorsque le point d'extrême fatigue a été atteint ; faire un pas de plus lorsque la force semble faire défaut ; tenir bon lorsqu'on ne voit devant soi que la défaite et être résolu à tout endurer quoi qu'il arrive, même si la limite de l'endurance semble être atteinte. Tout cela constitue la marque distinctive des disciples de tous les degrés. C'est pour eux que retentit l'appel claironnant de Paul :

"Tenez-vous debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse, et pour chaussures le Zèle à propager l'Évangile de la paix ; ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais ; enfin recevez le casque du salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu." (Éph. VI.14, 15, 16, 17) [2]

L'injonction tout aussi claire de Krishna à Arjuna résonne aussi : [424]

"En outre, considérant ta propre loi d'action tu ne dois pas trembler ; il n'est pas de plus grand bien pour le kshatrya qu'une juste bataille.

Quand une telle bataille leur vient d'elle-même comme la porte ouverte des cieux, heureux alors sont les kshatryas. Lève-toi donc, ô fils de Kunti, résolu à te battre. Fais que l'affliction et le bonheur, la perte et le gain, la victoire et la défaite soient égaux pour ton âme, puis jette-toi dans la bataille." [3]

29. L'homme qui développe le non-attachement, même en ce qui concerne son aspiration après l'illumination et l'état d'unité isolée, devient finalement conscient du nuage adombrant de la connaissance spirituelle.

Il est difficile, pour le néophyte, d'être impersonnel lorsque son propre développement spirituel est en cause. Cependant, le sérieux même de son aspiration peut constituer une entrave, et l'une des premières choses qu'il doive apprendre consiste à poursuivre sa route sur le sentier, en observant les règles, en suivant les pratiques, en employant les moyens, en accomplissant sans défaillance la loi et en se préoccupant en même temps, non de lui-même, mais de la vision et du service. Il est si facile de succomber à un désir élevé et d'être si occupé par les réactions et émotions inhérentes à l'aspiration de l'homme inférieur, qu'on peut se trouver rapidement pris à nouveau dans les rets de la nature psychique versatile.

Le non-attachement à l'égard de toutes les formes de la perception sensorielle, qu'elles soient d'en haut ou d'en bas, doit être développé.

Bien des gens, lorsqu'ils passent du sentier du sentiment et de la méthode de contact dévotionnel du cœur (la ligne mystique), au sentier de la maîtrise intellectuelle – le contact par la voie de la tête, qui est la méthode occulte – se plaignent de la disparition des moments de joie et de béatitude dont [425] ils faisaient naguère l'expérience au cours de la méditation. Le système actuellement suivi leur parait aride et sec et ne les satisfait point. Mais la joie et la paix sont des impressions reçues par la nature émotive ; elles n'affectent en rien la réalité. Du point de vue de l'âme, il est indifférent que son reflet, l'homme en incarnation, soit ou non heureux, triste ou rempli de félicité, satisfait ou affligé. Une seule chose compte, la réalisation du contact avec l'âme, l'obtention de l'union (consciente et intelligente) avec L'Un. Cette union peut s'élaborer dans la conscience du plan physique, en tant que sentiment de paix et de joie ; elle doit se développer en une capacité toujours plus grande à servir la race et à la servir plus efficacement. Les sentiments du disciple importent peu ; sa compréhension et son utilité en tant que canal pour la force spirituelle ont beaucoup d'importance. Il faudrait se souvenir que, sur le sentier, ni nos vertus ni nos vices ne comptent (sauf dans la mesure où nous nous libérons des couples de contraires). Seul compte ce qui nous pousse en avant sur ce sentier qui "brille de plus en plus jusqu'à ce que le jour soit avec nous".

Lorsque l'homme peut détourner les yeux de tout ce qui est physique, émotif et mental ; lorsqu'il peut lever les yeux et les diriger vers ce qui n'est pas lui, il prend conscience du "nuage adombrant de la connaissance spirituelle" ou, selon une autre traduction, du "nuage de pluie des choses connaissables".

Nous trouvons ici, indiqué ésotériquement et présenté symboliquement, le fait que devant l'initié (quelque avancé qu'il soit) se trouve un progrès nouveau à accomplir, un autre [426] voile à percer. Il a réalisé une grandiose unification, celle de l'âme et du corps. Il en est (à l'égard des trois mondes) au stade dit de l'unité isolée. Mais une autre union devient possible ; celle de l'âme avec l'esprit. Le Maître doit devenir le Christ et il faut pour cela que le nuage de pluie de la connaissance spirituelle soit atteint, utilisé et traversé. Il est inutile pour nous de considérer ce qui est de l'autre côté du voile et qui dissimule le Père. Dans notre Nouveau Testament, lorsque le Père communiquait avec le Christ la voix sortait d'un nuage. (Voir Matthieu XVII)

30. Quand ce stade est atteint, les obstacles et le karma sont alors surmontés.

Les deux stances que nous venons d'étudier ont conduit l'aspirant du stade de l'adepte à celui du Christ.

Tout ce qui entravait, voilait ou empêchait la pleine expression de la vie divine a été surmonté ; toutes les barrières sont jetées bas ; tous les obstacles éliminés. La roue de la renaissance a servi son dessein et l'unité spirituelle qui est entrée en une forme apportant avec elle des pouvoirs potentiels et des possibilités latentes, les a développés jusqu'à leur plus haut point et a fait s'épanouir pleinement la fleur de l'âme. La loi de cause à effets, telle qu'elle fonctionne dans les trois mondes, n'exerce plus de contrôle sur l'âme libérée ; son karma individuel arrive à sa fin et, bien qu'un karma de groupe (planétaire ou solaire) puisse persister, l'aspirant n'a lui-même [427] rien à liquider et n'entreprend plus rien qui puisse servir à le lier aux trois mondes par les chaînes du désir. Le sutra suivant résume pour nous sa condition.

31. Quand, par l'élimination des obstacles et la purification des enveloppes, la totalité de la connaissance est devenue accessible, il ne reste à l'homme rien de plus à faire.

L'œuvre à deux fins est achevée. Les entraves provenant de l'ignorance, de l'aveuglement, de l'entourage et des activités, ont été rejetées ; la grossièreté des enveloppes a été amendée ; grâce à cela et à l'observation des moyens de yoga, toute connaissance devient disponible. Le yogi a maintenant pris conscience de son omniprésence essentielle ou du fait que son âme est une avec toutes les âmes et fait partie, en conséquence, de la seule unité essentielle, l'unique vie imprégnant tout, le principe immuable et illimité, cause de toute manifestation. Il est également omniscient, car toute connaissance est sienne et toutes les voies de connaissance lui sont ouvertes. Il se dresse, libéré du champ de la connaissance, mais peut cependant y fonctionner ; il peut utiliser l'instrument de la connaissance et être informé de tout ce qu'il cherche à savoir ; mais il est lui-même centré en la conscience de celui qui connaît. Ni l'espace ni le temps ne peuvent le retenir, pas plus que la forme matérielle ne peut l'emprisonner. C'est pour lui le grandiose parachèvement que Patanjali nous présente en conclusion dans ses trois derniers sutras : [428]

32. Les modifications de la substance mentale (ou qualités de la matière) ont pris fin au moyen de la nature inhérente aux trois gunas, car elles ont réalisé leur dessein.

33. Le temps, qui est la succession des modifications du mental, prend fin également pour faire place à l'éternel maintenant.

34. L'état d'unité isolée devient possible lorsque les trois qualités de la matière (les trois gunas ou pouvoirs de la nature, A.A.B.) abandonnent leur emprise sur le soi. La pure conscience spirituelle se retire dans l'"Un".

FIN DU LIVRE

 

[1] Texte français de la Bible de Jérusalem. (N.d.l.t.)

[2] Texte français de la Bible de Jérusalem. (N.d.l.t.)

[3] Texte français de M. Jean Herbert, La Bhagavad-Gîta (Albin Michel), d'après le texte anglais de Sri Aurobindo. (N.d.l.t.)