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CHAPITRE II LE PROBLEME DES ENFANTS DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI - Partie 1

CHAPITRE II

LE PROBLEME DES ENFANTS DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI

Ce problème est certainement le plus important de tous ceux qui se posent aujourd'hui à l'humanité. L'avenir de la race repose entre les mains de la jeunesse. Sans elle, un nouvel ordre mondial, si vivement désiré et auquel référence est si constamment faite, n'aurait absolument aucun sens. À elle incombe l'éducation de la génération future et la mise en œuvre de la civilisation nouvelle. Ce que nous ferons de la jeunesse et pour elle aura des conséquences importantes dans ses implications. Notre responsabilité est grande et l'occasion est unique. Je voudrais m'occuper ici des enfants et des adolescents de moins de seize ans, sans essayer de parler du groupe plus âgé. Les deux groupes plus jeunes constituent l'élément dont on peut le plus attendre dans le monde qui s'est écroulé sous nos yeux. Ils représentent la garantie que notre monde peut et doit se reconstruire, et, si les terribles répercussions de l'histoire ont pu nous enseigner la moindre chose, il s'agit de reconstruire sur un plan différent, avec des objectifs et des motifs autres, des buts bien définis et des idéaux sûrement étudiés.

Souvenons-nous pourtant que les espoirs et les rêves visionnaires et mystiques, les projets nés de désirs et les épures méticuleuses, ne sont utiles que dans la mesure où ils dénotent de l'intérêt, le sens des responsabilités et visent des objectifs qu'il est possible d'atteindre. Leur importance demeure pourtant minime dans les mesures effectives de transition à prendre, s'ils n'envisagent pas le problème immédiat et les possibilités immédiates, avec la volonté d'accepter des compromis pour préparer le terrain à une action ultérieure réussie. Cette action concerne principalement l'éducation dans l'après-guerre. Jusqu'à présent, peu d'efforts ont été réalisés soit dans cette direction, [53] soit pour établir des ponts entre les formes actuelles de l'éducation. Ces formes ont apparemment failli à préparer l'humanité à vivre en bonne intelligence et selon les récents aspects de la discipline mentale ; aucune coordination scientifique n'a été tentée et les efforts sont demeurés faibles pour relier les meilleures des méthodes actuelles (qui ne sont pas toutes mauvaises) avec les futurs systèmes pour développer la jeunesse mondiale et lui permettre d'être à la hauteur de la nouvelle civilisation qui monte inévitablement. Les idéalistes visionnaires ont jusqu'ici mené la lutte contre les modes d'enseignement classiques, mais leur manque de sens pratique et leur refus des compromis ont ralenti le processus et l'humanité en a fait les frais. Le moment est maintenant venu où le mystique pratique, d'une intelligence supérieure, doué aussi de vision spirituelle, doit le remplacer et donner ainsi, à la jeunesse de toute nation, une formation propre à l'intégrer avec succès dans le monde actuel.

Je commencerai par ce lieu commun que nos systèmes d'éducation n'ont pas été adéquats. Ils n'ont pas réussi à préparer les enfants à bien vivre ; ils ne leur ont point inculqué les méthodes de penser et d'agir qui conduisent aux justes relations humaines, relations tellement essentielles au bonheur, au succès et à la plénitude de l'expérience dans toute sphère de l'activité humaine.

Les meilleurs esprits et les penseurs aux idées les plus claires dans le domaine pédagogique ne cessent de souscrire à ces principes. Les mouvements des éducateurs progressistes ont contribué à supprimer les anciens abus et à inaugurer de nouvelles techniques, mais ils constituent une si petite minorité qu'ils demeurent pratiquement sans effet. Les horreurs de la guerre s'abattirent sur nous et, dans de nombreux pays, toutes les possibilités de s'instruire furent balayées. Peut-être était-ce une bénédiction cachée offrant l'occasion d'instituer des méthodes nouvelles, basées sur un idéalisme supérieur. Les pays soustraits à l'ouragan du désastre et au renversement de leur ancien système éducatif le regretteront peut-être un jour et devront apprendre plus tard auprès de ceux que les circonstances ont forcés à reconstruire et à assimiler les leçons du désastre. Il ne faut pas oublier qu'un enseignement différent, reçu par la jeunesse au cours des derniers siècles, aurait pu prévenir la dernière guerre.

La guerre totale, où nous avons sombré, a été expliquée par des motifs nombreux et variés. Cela soulève la question de [54] savoir si la faillite de nos systèmes d'éducation ou l'inertie des églises n'en constituent pas les causes fondamentales. Quoi qu'il en soit, la guerre est venue, emportant notre ancienne civilisation. Certains souhaitent le retour de cette dernière et le redressement des vieilles structures. Ils languissent après un paisible retour à la situation d'avant-guerre. Même si nous sommes bien obligés de reconstruire sur les vieilles assises, il ne faut pas leur permettre de rebâtir selon les anciens plans, ni d'utiliser les épures périmées. C'est la tâche des éducateurs d'empêcher cela.

Je diviserai ce que j'ai à dire en trois parties ; ce chapitre sera donc plus volumineux que ceux qui traitent d'autres problèmes. Celui-ci les surpasse de beaucoup en importance et ne peut se résoudre en quelques paragraphes. Étudions d'abord le problème actuel des enfants dans le monde, pour nous efforcer de comprendre les circonstances existantes. Ne reculons pas devant les faits et ne détournons pas notre regard des détails affreux. Tâchons de comprendre un peu ce qu'ont dû endurer les enfants en Europe, en Asie et en Grande-Bretagne. Consentons aussi à admettre que les pays où se pratique encore paisiblement aujourd'hui l'enseignement à la vieille mode se mettent par là même en danger, car ils perpétuent les mauvaises méthodes. Ils constituent aussi une menace pour les pays qui, devant les ruines de leurs anciennes institutions, se sont heureusement vus en mesure de changer leur système d'éducation et d'inaugurer par là une meilleure méthode de préparer leur jeunesse à une vie complète.

Nous étudierons ensuite les mesures à prendre dans un avenir immédiat pour réhabiliter les enfants dans le monde et aussi les adolescents, qui pendant des années n'ont reçu aucun enseignement systématique, sinon clandestin, ou celui que leurs parents pouvaient leur donner. Ne passons pas sous silence la vile éducation donnée à la jeunesse dans les nations fascistes, vile parce qu'elle nie les droits de l'individu et exalte l'État au lieu de la liberté de l'esprit humain. L'éducation est une entreprise profondément spirituelle. Elle affecte, nous le verrons plus loin, l'homme tout entier, y compris son étincelle divine.

Disons tout de suite que je suis opposé à remettre l'instruction aux mains d'une  Église quelle qu'elle soit. Ce serait préparer le désastre. Cela encouragerait l'esprit sectaire, engendrerait les attitudes conservatrices et réactionnaires si puissamment encouragées dans l’Église catholique, par exemple, [55] ou dans la secte protestante des fondamentalistes [1]. Cela formerait des bigots (en cas de réussite), élèverait des barrières entre individus et causerait enfin une réaction violente et inévitable contre toute religion chez ceux qui apprendraient finalement à penser, en atteignant à la maturité. Qu'on ne voie là aucune condamnation de la religion ! C'est une condamnation des méthodes anciennes des  Églises et des vieilles théologies, qui ont échoué à présenter le Christ tel qu'Il est réellement, qui ont voulu acquérir richesses, prestige et pouvoir politique. Elles se sont efforcées par tous les moyens d'accroître le nombre de leurs fidèles et d'emprisonner l'esprit libre de l'homme.

Il existe aujourd'hui de bons et sages ecclésiastiques qui le comprennent et qui œuvrent avec patience en faveur de la nouvelle attitude envers Dieu dans l'ère nouvelle, mais ils sont relativement peu nombreux. Néanmoins, ils mènent bonne guerre contre la cristallisation théologique et les déclarations académiques. Leur victoire est immanquable et ils sauveront ainsi l'esprit religieux.

Essayons ensuite de discerner les buts que devrait se proposer le nouveau mouvement éducatif et ce qui doit le guider sur la voie. Essayons de formuler un plan à longue portée, qui ne rencontrera point d'obstacle dans les méthodes immédiatement employées, plan destiné à relier le passé au futur en utilisant tous les éléments vrais, beaux et bons, hérités du passé, mais qui insistera sur certains objectifs de base, trop négligés jusqu'à présent. Ces techniques et ces méthodes plus récentes doivent se développer graduellement et hâteront le processus d'intégration de l'homme complet.

Enfin, pour conclure sur une note spirituelle, le monde futur n'a d'autre espoir qu'en une humanité qui accepte le Fait de la divinité, même si elle répudie la théologie, qui reconnaisse la présence du Christ vivant, tout en rejetant les interprétations qu'ont données les hommes de Lui, et de Son message, et enfin qui accentue l'autorité de l'âme humaine.

Dans tout cela, veillons à demeurer résolument optimistes. L'avenir s'ouvre à nous, plein de promesses. Fondons notre optimisme sur l'humanité même. Reconnaissons le fait éprouvé qu'en chacun existe une qualité particulière, une caractéristique innée, inhérente, qu'on pourrait appeler la "perception mystique". Cette caractéristique donne un sens immortel du divin, demeuré souvent inconscient ; elle implique la constante [56] possibilité d'obtenir la vision et le contact avec l'âme, celle de saisir la nature de l'univers avec une aptitude sans cesse croissante. Elle permet au philosophe d'apprécier le monde intelligible et, à travers cette perception, de toucher à la Réalité. C'est par- dessus tout la faculté d'aimer et d'aller vers ce qui est différent de soi. Cela confère la capacité de saisir les idées. L'histoire de l'humanité est au fond l'histoire du développement des idées, comprises peu à peu et de la détermination de l'homme d'y conformer sa vie. Cette faculté s'accompagne de la capacité de pressentir l'inconnu, de croire à ce qu'on ne peut prouver, de chercher, de s'informer et d'exiger la révélation de ce qui est caché et voilé et qui se révèle, siècle après siècle, grâce à l'exigence de cet esprit d'investigation. C'est le pouvoir de reconnaître le beau, le vrai, le bien, et de prouver leur existence au moyen des arts créateurs. C'est cette faculté spirituelle inhérente qui a produit tous les grands Fils de Dieu, toutes les grandes individualités spirituelles, les artistes, les savants, les philanthropes, les philosophes et tous ceux qui aiment leurs semblables et se sacrifient pour eux.

Telles sont les raisons qui donnent optimisme et courage à tous les vrais éducateurs, c'est aussi la source dont s'inspirent leurs efforts.

LE PROBLEME ACTUEL DE LA JEUNESSE

Le monde familier aux gens au-delà de la quarantaine s'est écroulé et disparaît rapidement. Les valeurs anciennes s'effacent et ce que nous appelons "civilisation" (et que nous trouvions si admirable) s'est, en fait, évanoui. Certains, dont je suis, s'en félicitent ; d'autres estiment cela désastreux ; tous nous sommes désolés que l'instrument de sa destruction ait causé tant de douleur et de souffrance à l'humanité, en tous lieux. La culture (quel que soit le sens attaché a ce terme) demeure encore entre les mains de quelques privilégiés, mais le produit de cette culture – héritage de tous les temps – est en voie de se déplacer d'un lieu à l'autre, de pays à pays, il se désagrège et disparaît en cours de route. Notre civilisation moderne et notre culture se fondaient sur les divers systèmes d'éducation des pays qui constituent aujourd'hui le monde moderne. Il pourrait être utile d'examiner ce que nous entendons par ces mots. Il est utile aussi de savoir si notre civilisation vaut la peine d'être sauvée ou s'il serait préférable d'en [57] édifier une nouvelle et meilleure sur ses ruines, en utilisant quelques-uns des éléments anciens.

La civilisation peut se définir comme la réaction de l'humanité aux buts et aux activités d'une époque donnée et à sa façon de penser. Durant chaque période, une idée agit et s'exprime à travers les idéalismes raciaux et nationaux. Sa tendance de base a produit à travers les siècles notre monde moderne et cette tendance a été strictement matérialiste. Elle visait au confort physique ; la science et les arts se sont prostitués à procurer à l'homme ses aises et, si possible, un milieu de beauté ; tous les produits naturels ont été employés à donner à l'humanité des objets, des maisons, des possessions, des moyens de transport, des radios, des téléphones, des automobiles, des aliments de toutes sortes, des colifichets et des joyaux. L'ambition de l'enseignement a été, en somme, d'équiper l'enfant pour rivaliser avec ses concitoyens afin de "se faire une position", accumuler des richesses et atteindre la plus grande mesure possible de confort et de succès.

Cet enseignement exalte en premier lieu les rivalités et les tendances nationalistes, donc la séparativité. Elle a formé l'enfant à considérer les valeurs matérielles comme les plus importantes, à attribuer aussi à sa propre patrie une importance suprême, et toutes les autres n'ont qu'une importance secondaire. Elle a encouragé l'orgueil et engendré l'opinion que soi-même, son groupe et sa nation sont infiniment supérieurs à tout et tous. L'enfant acquiert ainsi des préjugés, ses idées sur le monde sont mal ajustées et ses attitudes devant la vie dictées par des partis pris. Les rudiments des arts qui lui sont enseignés doivent le rendre capable d'agir avec l'efficacité requise au milieu de rivalités et dans les circonstances particulières à sa vocation. Lire, écrire et savoir compter sont considérés comme le bagage minimum, outre certaines notions d'histoire et de géographie. L'attention est aussi attirée sur certaines œuvres de la littérature mondiale ; le niveau général culturel est relativement élevé, mais il est déformé et influencé par les préjugés nationaux et religieux, inculqués à l'enfant dès son plus jeune âge, sans être innés. On ne s'efforce pas d'en faire un citoyen du monde, sa responsabilité à l'égard du prochain est systématiquement passée sous silence. On développe sa mémoire en lui faisant enregistrer des faits isolés et souvent sans rapports avec la vie quotidienne.

Notre civilisation présente sera considérée dans l'histoire comme grossièrement matérialiste. Bien des époques historiques [58] l'ont été, mais jamais au point où l'est celle-ci, mais surtout elles n'affectaient point d'innombrables millions d'êtres. On répète constamment que la guerre fut déclenchée par des facteurs économiques ; certes, mais la raison en est que nous exigeons trop de "choses" pour vivre dans "un confort fort raisonnable". Nos besoins dépassent tellement ceux de nos ancêtres. Nous préférons une existence douce et relativement facile ; l'esprit des pionniers (qui est le fondement de toute nation) a disparu, faisant place dans la plupart des cas à une civilisation efféminée. Ceci s'applique particulièrement à l'hémisphère occidental. Nous avions besoin de la guerre pour nous endurcir et nous fortifier, recouvrant ainsi un sens plus juste des valeurs.

Aujourd'hui, dans une bonne partie du monde civilisé, le confort a disparu complètement. Les pays agresseurs avaient emporté à leur profit les "choses" qui signifiaient la civilisation et les avaient amassées chez eux. Là, elles y furent également détruites. Notre niveau de vie civilisée est bien trop haut du point de vue des possessions et bien trop bas quant aux valeurs spirituelles ou même considéré avec un intelligent sens des proportions. Notre civilisation moderne NE résiste PAS à l'épreuve de valeur. Aujourd'hui, une nation est tenue pour civilisée quand elle attache de la valeur au développement intellectuel, qu'elle donne la primauté à l'analyse et à la critique et lorsque toutes ses ressources sont consacrées à satisfaire les désirs, à produire des objets et à accomplir des buts matériels, à essayer de prédominer dans la compétition mondiale, à amasser des richesses, à acquérir des possessions, à atteindre à un niveau de vie élevé et à s'assurer le contrôle des produits de la terre, au profit surtout de quelques hommes riches et ambitieux.

Je sais bien que cette généralisation est outrancière, quoique essentiellement correcte dans ses principales implications, même si elle ne l'est pas dans des cas individuels. Car cette triste et affreuse situation, dont l'humanité est elle-même l'auteur, nous a coûté la guerre ; ni les églises ni les systèmes d'éducation n'ont été assez sains dans leur enseignement de la vérité pour compenser cette tendance matérialiste. Le drame est que l'enfance du monde entier, par-dessus tout, a payé et paie le prix de nos fautes. Peut-être que j'exagère, mais peut-être que non. De l'opinion de tous, l'origine de la dernière guerre était due à la convoitise, l'ambition matérielle, communes à toutes les nations, sans exception. Tous nos plans [59] s'établissaient pour organiser la vie nationale et la diriger vers les biens matériels, la suprématie sur la concurrence, et enfin vers les intérêts égoïstes des individus et de la nation. Tous les pays, à leur manière et selon leurs possibilités, ont participé à cela ; nul n'a les mains nettes et de là est venue la guerre. L'humanité souffre d'un égoïsme invétéré et d'un amour inhérent des biens matériels. De là est issue notre civilisation, aussi s'est-elle écroulée en ruines sur nos têtes.

Dans toute civilisation, le facteur culturel tend à préserver et respecter le meilleur de son passé et ses valeurs artistiques, littéraires, musicales et tous les éléments créateurs des nations passées et présentes. Il consiste en l'influence civilisatrice de tels éléments sur la nation et sur les individus de cette nation qui sont en situation (habituellement financière) d'en bénéficier et de les apprécier. La connaissance et le goût ainsi obtenus permettent à l'homme cultivé d'établir un rapport entre le monde de la signification (hérité du passé) et le monde des apparences, où il vit, et de les considérer comme un monde unique, existant cependant en premier lieu à son profit personnel. Si toutefois, il ajoute à son appréciation de notre héritage planétaire et racial, à la fois créateur et historique, la compréhension des valeurs spirituelles et morales, alors il s'approche du type idéal de l'homme vraiment spirituel. Par rapport à la population de la planète, des hommes de ce genre sont rares, mais ils constituent pour le reste de l'humanité un témoignage de ses vraies possibilités.

Les hommes et les femmes cultivés, ou doués de perception spirituelle, n'ont pourtant pas été assez forts pour empêcher la guerre ou pour mettre en œuvre les conditions qui l'auraient rendue impossible. L'héritage matériel du passé, les monuments et les édifices historiques, les peintures et les sculptures, les cathédrales et les précieuses structures qui incarnaient symboliquement l'histoire de l'humanité, ont été emportés par la vague destructrice qui a déferlé sur nous. C'est comme si une main géante avait effacé tout ce qui était inscrit sur l'ardoise humaine, pour nous donner l'occasion de créer du nouveau. Les peuples possédant, une culture vont-ils saisir leur chance ? Nous, citoyens civilisés, profiterons-nous de l'occasion de bâtir du neuf, non une civilisation matérielle, cette fois, mais un monde de beauté et de justes relations humaines, un monde où les enfants pourront, en vérité, croître à l'image du Père Unique et où l'homme pourra revenir à la simplicité des valeurs spirituelles : beauté, vérité et bonté ? [60]

Pourtant, devant la reconstruction à l'échelle mondiale que notre temps exige et la tâche presque surhumaine de sauver les enfants et la jeunesse du globe, certains recueillent aujourd'hui des fonds pour restaurer les anciens édifices, rebâtir des églises de pierre et recueillent ainsi l'argent tellement nécessaire pour panser les blessures morales et répandre la chaleur de l'amour et de la compréhension parmi ceux qui ne croient plus à l'existence de ces vertus. Sûrement Dieu pourra être trouvé plus facilement dans un foyer rebâti et au sein d'une famille réunie que dans n'importe quelle cathédrale de pierre, si intéressante soit-elle au point de vue historique, et ses serviteurs peuvent accomplir leur travail d'illumination spirituelle dans un champ en plein air, plutôt que dans un soi-disant "temple de Dieu" somptueux, rempli de statues, de joyaux et de riches habits sacerdotaux ! Que ceux qui cherchent à rétablir l'ancien mode de vie prennent garde de n'oublier, en restaurant ce décor périmé, la misère cruelle des enfants actuels, qui jamais n'eut sa pareille.

Considérons maintenant le problème. En termes généraux, les enfants d'aujourd'hui se rangent parmi les groupes suivants :

1. Ceux que les effets de la guerre ont empêché de jamais connaître un foyer, dont les parents ont été tués sous leurs yeux, lors de la destruction de leurs maisons, ignorants parfois même leurs noms ou leurs nationalités ils n'ont survécu, tels de petits animaux, que protégés par la seule force de l'instinct de préservation. Ceux-ci étaient des bébés quand la guerre éclata, ou ils naquirent par la suite. Comment ils ont survécu demeure un grand mystère.

2. Les enfants un peu plus âgés, qui se souviennent d'un foyer et de leurs parents, mais qui ont vu des spectacles que jamais un enfant ne devrait contempler, cruels bombardements, horreurs de la guerre, du sang versé, de la brutalité, des tortures et de la haine. Ils ont survécu, parfois avec des parents ou des amis, parfois seuls, parfois par leur propre ingéniosité. L'un comme l'autre, ces groupes ignoraient la bonne nourriture, tous deux étaient victimes de la malnutrition et tous, normalement, à la suite de pareilles expériences, souffraient de psychoses et présentaient un problème difficile.

3. Ces enfants bizarres et sauvages, nombreux en Europe et [61] en Chine, qui n'ont jamais connu l'autorité des parents ; ils étaient plus âgés que les deux premiers groupes, ils se formaient en bandes, comme de jeunes loups, ne songeaient qu'à survivre et à manger. Ils étaient naturellement dépourvus de tout sens moral et ne connaissaient ni valeurs culturelles ni restrictions sexuelles. La bonté leur était demeurée étrangère, brutalisés par les circonstances et les gens auxquels ils cherchaient toujours à échapper, ils ne connaissaient point d'autre loi que l'instinct de préservation.

4. Vient ensuite un groupe de garçons et de filles plus grands, réunis par leurs aînés en unités de combat. On leur apprenait à se servir d'un fusil, à poursuivre l'ennemi et à tuer pour leur pays. On les exerçait à un minimum de discipline, pour en faire de bons soldats, experts à la technique de la guerre. Mais ils ne recevaient aucune instruction et durant les années où la jeunesse se développe le plus intensément, ils étaient submergés par la marée montante de la guerre et tout ce qu'elle implique. Ils ont joué courageusement le rôle imposé.

5. En outre, il y a les enfants qui ont été mieux protégés, malgré les circonstances de la guerre. Pourtant, nombre d'entre eux n'ont connu autre chose que la guerre dès leur naissance. Les bombardements furent pour eux l'état normal et la mort leur était familière. Malgré cela, on s'était bien occupé d'eux. C'était le cas des enfants en Grande- Bretagne et en France, dans certaines régions épargnées par les pires horreurs de la guerre. Ils ont souffert, mais leur misère était un peu différente, car l'atmosphère psychologique de leur entourage était autre et ils connaissaient la possibilité d'être entourés d'affection et de sécurité.

6. D'autres enfants vivaient en parfaite sécurité, dans des pays comme le Canada et les États-Unis, ou d'autres pays, dont les territoires n'appartenaient pas à la zone de guerre. Qu'exige leur éducation ? Ne présente-t-elle pas aussi un problème caractérisé, s'ils doivent assumer leur rôle comme des égaux, intégrés dans le monde nouveau ? Ils n'ont point souffert, ils n'ont point vu la mort en face ; ils n'ont pas eu à lutter pour l'existence tout simplement. Vu de haut, cela est-il un bien ou un mal pour eux ? Ont-ils manqué une occasion ? Peut-on leur enseigner à s'adapter au monde, que les enfants dont nous avons parlé plus [62] haut, édifieront inévitablement ? Ces enfants bien nourris, tranquilles, indépendants et dépendants à la fois, trouveront-ils leur place dans le monde qui vient ? Serait-ce plutôt à eux de le construire et de déterminer son orientation ? Certes non ! Ils n'ont pas le vrai sens des proportions, ils ne sauraient comprendre les valeurs relatives qui conditionneront ce monde ; ils ont été éduqués selon le vieil ordre égoïste, avec trop de confort et trop de besoins ; ils n'ont pas été éprouvés au feu de la souffrance et de la douleur ; ils n'ont pas dû se tirer seuls d'affaire. Certains diront que c'est mieux ainsi, d'autres peuvent penser exactement l'inverse. Aux éducateurs de ces pays épargnés s'offre un choix et une épreuve aux lourdes conséquences et il va leur falloir changer de méthodes d'éducation, de programmes et de buts, s'ils veulent préparer ces enfants aux conditions à venir.

Tels sont les faits que parents et pédagogues du monde entier doivent affronter avec plus de réalisme. Il leur faut s'efforcer de comprendre avec sympathie le problème des enfants qui furent plongés dans la guerre et les graves situations où ils s'étaient trouvés. Il incombe particulièrement aux peuples des Amériques et des pays neutres de le comprendre car ils ont échappé, ou furent soustraits, à beaucoup de souffrances. À part la perte d'êtres aimés (subie en commun avec tant d'autres nations !) ils ont échappé aux privations de nourriture, aux bombardements, à la mort subite, à la torture, aux meurtres, aux migrations forcées, à la disparition de leurs enfants et à toutes les horreurs indicibles qui se déchaînaient sur le monde !

Saisissons-nous clairement que des millions d'enfants n'ont jamais connu la sécurité, ni jamais su comment se procurer leur prochain repas ? Peut-on s'imaginer l'état d'esprit d'un enfant, qui, après avoir vu ses parents déchiquetés par l'explosion d'une bombe sous ses yeux, ou qui, caché dans l'espoir de n'être pas découvert, a assisté aux tortures qu'ils subissaient ? Pouvons-nous imaginer ce que pense un enfant qui a vu les affamés pratiquer le cannibalisme, ou qui a rampé avec d'autres petits, de place en place, évitant d'être vus, marchant de nuit et se terrant dans des trous, ou sous les arbres, durant le jour ? Pouvons- nous comprendre ce que représente le manque de chaleur en hiver, sans jamais être suffisamment couvert et la psychologie d'enfants, forcés de mener pareille [63] vie et automatiquement et instinctivement amenés à mentir, ou même à tuer, pour obtenir les premières nécessités de l'existence ? Nous est-il possible d'imaginer la mentalité d'enfants blessés, jamais soignés, et qui se sont remis, mais demeurent estropiés et amoindris pour la vie entière, qui ne connaissent que la loi de la jungle, après avoir vu, jour après jour, la mort sous ses pires aspects. Ils ont toujours eu peur. Je vous prie de vous représenter ce que cela signifie.

En écrivant ces lignes, je n'exagère rien. Tout ce que j'énumère est sérieusement appuyé sur des témoignages dignes de foi. On a caché bien des choses au public, de crainte de blesser sa sensibilité, ou de le mettre mal à l'aise. Mais nous sommes quelques-uns à penser qu'il faut savoir et faute d'avoir le courage de regarder en face la vie quotidienne que mènent les gens en diverses parties du monde, nous n'avons aucune contribution valable à apporter au monde qu'il s'agit de construire.

Ce tableau comporte un autre côté. Il offre de la beauté, comme du drame, de l'amour, comme de la haine. Des familles sont demeurées ensemble, se sont enfuies ensemble, ont souffert ensemble, et prouvé leur affection commune, au milieu de toutes les horreurs et incertitudes. Toujours, elles ont eu peur. La jeunesse a fait preuve d'une sagesse étonnante, d'amour et d'un esprit de sacrifice extraordinaire ; les récits qui sont parvenus d'Europe l'ont révélé. La beauté de l'âme humaine brille toujours d'un vif éclat dans les désastres, et plus encore dans les pays affligés par la guerre. Des enfants sont morts pour en défendre d'autres. Ils sont restés affamés pour que d'autres mangent et ils ont tout traversé avec un courage supérieur ; sous la contrainte, et mis en jugement, ils sont demeurés fidèles à la vérité et à la bonté inculquées par leurs parents et que les calamités n'avaient pu détruire.

La catastrophe, où des enfants par millions ont été atteints, doit être prise en considération pour y remédier. Ces enfants, par centaines de mille, présentent des problèmes psychologiques, des milliers sont fous, ou au bord de la folie, d'autres sont aliénés, et tous sont victimes de leurs expériences de guerre. Que ferons-nous pour ces adolescents, cette jeunesse ? Quel avenir les attend, à moins que leurs compatriotes et nous-mêmes ne nous attaquions à ce problème, déterminés à construire un monde, où les valeurs morales et spirituelles soient si différentes qu'avec l'aide de Dieu, jamais plus la guerre ne sévira sur notre planète ? [64]

BESOINS IMMEDIATS DES ENFANTS

Nous venons d'essayer de comprendre un peu l'état des enfants dans les pays ravagés par la guerre : Europe, Chine et îles du Pacifique. Nous nous sommes rendus compte de l'extrême difficulté de la tâche qui nous attend, mais aussi de sa grandeur et de son importance vitale. L'immensité des problèmes à résoudre peut bien nous laisser désemparés et incapables de répondre à la multitude des questions qui nous viennent aussitôt à l'esprit. Que faut-il faire ?

Quelles démarches entreprendre et comment agir ? Quelles sont les erreurs à éviter ? Comment poser les fondements d'un programme étendu de reconstruction, d'enseignement et de développement de la jeunesse, susceptible de garantir un monde neuf et meilleur ? Qu'est-ce que, de toute évidence, il ne faut pas faire ? Quels plans de base établir pour convenir à tant de races et de nationalités ? Comment agir devant tant de haines compréhensibles et de préjugés enracinés ? Comment aller de l'avant sur des bases saines.

Les peuples des divers pays ne sont pas restés oisifs et n'ont pas attendu simplement que les étrangers se chargent de tout l'effort de sauvetage et de reconstruction. Certaines nations ont souffert plus que d'autres. Certaines, comme l'Allemagne n'ont senti que tardivement tout le poids de la guerre précipitée par elle, et pourtant la détresse psychologique de sa jeunesse est peut-être pire que celle de n'importe quel autre pays. Certains pays ont peut- être moins besoin d'assistance elle que présumé au début, et d'autres, au contraire, exigent une plus grande mesure de secours. Le problème principal est celui de la réhabilitation physique, du rétablissement du sentiment de sécurité, et de conditions d'existence salubres et décentes.

L'état psychologique est peut-être pire encore. Des milliers d'enfants et de jeunes gens avaient vu trop d'horreurs, trop longtemps. Ils avaient perdu toute espérance ; ils étaient victimes du choc, certains d'entre eux étaient à la limite de la folie. Ébranlés par la terreur, ils ne pouvaient attendre que des horreurs sans cesse croissantes. Ils n'avaient rien connu d'autre.

Chez les enfants, surtout les adolescents, garçons et filles, les valeurs morales et éthiques se sont détériorées et il faut les éveiller aux valeurs spirituelles. Toutefois, des preuves certaines [65] existent de cet éveil spirituel, qui se manifeste déjà en Europe, et peut-être ce continent infortuné sera-t-il recouvert de cette nouvelle marée spirituelle qui dirigera le monde entier vers un avenir meilleur et garantira que notre civilisation matérialiste a disparu sans retour. Une renaissance spirituelle est inévitable et nulle part le besoin ne s'en fait sentir davantage que dans les pays ayant échappé aux pires aspects de la guerre. Nous devons prévoir cette renaissance et la préparer.

Le temps est venu, où les pires résultats matériels de la guerre se sont effacés. Les villages, les cités ont été reconstruits, les familles sont réunies sous leur propre toit. Les nations fonctionnent plus normalement et les enfants sont nourris, vêtus et en sûreté. Le problème le plus urgent est ensuite certainement la réhabilitation psychologique de la jeunesse en ces pays. Il est douteux que les enfants d'Europe, de Chine, du Japon, de la Grande-Bretagne ne se remettent jamais complètement des effets de la guerre. Leurs premières années, celles de leur formation, ont coïncidé avec l'état de guerre et, adaptables comme le sont les enfants, ils n'en garderont pas moins des traces de ce qu'ils ont vu, souffert et entendu. Je généralise, bien sûr. Il s'y trouvera des exceptions, particulièrement en Grande-Bretagne et en France. Seul, le temps permettra de mesurer les dommages accomplis. Mais en bonne partie, ils ont été compensés par la sage intervention des parents, des médecins, des infirmières et des instituteurs, au cours des dernières années.

Il faut nécessairement tenir compte aussi, dans nos plans et nos bonnes intentions, du fait que les diverses nations participantes à la guerre et celles qui subissaient l'occupation, ont conçu leurs propres projets. Elles savent ce qu'elles veulent, décidées, dans la mesure du possible, à s'occuper de leur propre peuple, à sauver leurs enfants et à restaurer leur culture et leurs terres. La tâche des Grandes Puissances, avec leurs vastes ressources, celle des philanthropes et des organisations humanitaires du monde entier devraient consister à collaborer à cet effort. Leur rôle n'est pas d'imposer ce qu'ils croient bon, de leur point de vue, à ces gens, qui souhaitent de la compréhension dans la coopération. Certes, ils ne souhaitent nullement qu'une horde bien intentionnée se précipite pour réformer chez eux l'enseignement et l'hygiène ou leur imposer une quelconque idéologie, démocratique ou communiste. Naturellement, les principes du nazisme et du fascisme doivent être [66] supprimés, mais les nations demeurent libres d'élaborer leur propre destin. Chacune a ses traditions, sa culture, son ambiance particulière. Elles sont forcées de rebâtir, mais ce qu'elles construisent doit leur être propre, caractéristique de l'expression de leur vie intérieure. Sûrement, le rôle des nations plus riches et plus libres est d'aider à cette construction, afin que naisse le monde nouveau. Mais chaque nation doit s'attaquer au problème de sa restauration à sa manière particulière.

Loin de signifier la désunion, cela donnera un monde plus riche et plus varié. Cela ne doit pas entraîner la séparation, ni des barrières ou des murs de préjugés et d'orgueil de races. Il existe deux liens principaux pour les unir, qui doivent être mis en pratique et amènent une compréhension meilleure dans le monde des hommes. Ce sont la religion et l'enseignement. Nous étudierons le facteur religieux plus loin dans cet article, examinons d'abord celui de l'enseignement, qui a subi une telle faillite dans le passé (la guerre en fut la preuve), mais qui pourrait influencer si favorablement l'avenir.

Nous assistons aujourd'hui à la formation lente, mais sûre, de groupes internationaux, destinés à veiller sur la sécurité mondiale pour protéger le travail, régir l'économie du globe et préserver l'intégrité et la souveraineté des nations, chacun assumant dans l'ensemble un rôle déterminé dans la tâche d'assurer de justes relations humaines sur toute la planète. Que nous soyons ou non d'accord avec les détails de ces contrats particuliers, des conférences comme celles de Dumbarton Oaks, Bretton Woods, celle de San Francisco, la formation de conseils internationaux et surtout des Nations unies apportent des raisons d'espérer que l'humanité s'avance vers un monde où les justes relations humaines seront considérées comme essentielles à la paix mondiale, où la bonne volonté sera admise et qui veillera à mettre en œuvre les mesures supprimant la guerre et l'agression.

Dans le domaine de l'enseignement, une action commune pareille est certes aussi essentielle. L'unité fondamentale des objectifs devra guider les systèmes d'éducation des nations, même si une méthode et des techniques unifiées ne sont point réalisables. Des différences de langues, de milieu et de culture existent et continueront toujours. Elles forment la magnifique tapisserie de l'humanité vivante à travers les âges. Mais bien des éléments contrarient jusqu'à présent les justes relations humaines et devront être, et seront, éliminés. [67]

En enseignant l'histoire, par exemple, faut-il revenir aux anciennes et funestes méthodes, où chaque pays se glorifiait, souvent aux dépens des autres, où les faits sont systématiquement déguisés, où à travers les siècles diverses guerres sont mises en vedette ? Cette histoire prônant l'agression, la grandeur des civilisations matérielles et égoïstes, développe l'esprit nationaliste et donc séparatiste, encourage les haines de races et stimule les orgueils nationaux. La première date dont se souvienne un enfant britannique est habituellement "Guillaume le Conquérant, 1066". L'enfant américain se souvient du débarquement des pèlerins, les premiers colons, suivi du dépouillement graduel des habitants, légitimes propriétaires des terres, peut-être encore de la révolte de Boston[2].Les héros de l'histoire sont tous des guerriers ; Alexandre le Grand, Jules César, Attila, roi des Huns, Richard Cœur de Lion, Napoléon, Georges Washington et tant d'autres. La géographie est surtout une histoire, présentée sous une autre forme, mais dans le même esprit – l'histoire des découvertes, des explorations et de la prise de possession, souvent suivie par le cruel traitement des indigènes des pays conquis. La convoitise, l'ambition, la cruauté et l'orgueil sont les notes dominantes de notre enseignement de l'histoire et de la géographie.

Les guerres, les agressions et les vols, caractéristiques de toutes les grandes nations, sans exception, sont des faits qu'il serait vain de nier. Il est non moins vrai, toutefois, que les leçons à tirer des maux ainsi causés, aboutissant à la guerre de 1914-1945, peuvent en être déduites et l'on peut faire ressortir les causes anciennes des préjugés et des inimitiés actuelles en insistant sur leur futilité. Ne serait-il pas possible d'édifier notre théorie de l'histoire sur les grandes et généreuses idées qui, en conditionnant les nations, en ont fait ce qu'elles sont ? De mettre en relief les dons d'invention qui les ont toutes distinguées ? Ne pourrions-nous présenter, de façon plus impressionnante, les grandes époques de culture, qui, en se manifestant soudain dans tel ou tel pays, ont enrichi le monde entier et donné à l'humanité sa littérature, son art, sa vision ?

La guerre a causé de grandes migrations. Les armées ont défilé dans toutes les parties du monde et s'y sont battues. Les peuples persécutés se sont échappés d'un pays vers un autre. Leur action sociale a mené quantité de gens de lieu en lieu, au service des soldats, ou des malades, pour soulager les [68] affamés et étudier les conditions. Le monde d'aujourd'hui est très petit et les hommes découvrent, souvent, pour la première fois de leur vie, que l'humanité est une et que tous les hommes se ressemblent, quelle que soit la couleur de leur peau et où qu'ils vivent. Nous sommes tous intimement mêlés, actuellement. Les États-Unis sont peuplés de gens de toutes provenances ; l'U.R.S.S. comprend plus de cinquante races ou nations différentes. Le Royaume-Uni est un Commonwealth de nations indépendantes liées en un seul groupe. L'Inde se compose de peuples multiples, aux religions et aux langues innombrables, et cela constitue son problème. Le monde lui-même est une grande marmite en fusion et dont l'Humanité Une est en voie d'émerger. Cela exige un changement radical dans nos méthodes d'enseigner l'histoire et la géographie. La science a toujours été universelle. Le grand art et la grande littérature ont toujours contribué au patrimoine mondial. Sur de tels faits doit être assise l'instruction qu'il convient de donner aux enfants du monde entier, sur nos ressemblances, sur nos chefs d'œuvres, nos idéaux spirituels et nos points de contact. Sinon, les blessures des nations ne guériront jamais et les barrières vieilles de plusieurs siècles ne seront pas abattues.

Les éducateurs, auxquels s'ouvre cette perspective mondiale, devraient veiller à établir la civilisation à venir sur un fondement sain. Les bases de celui- ci doivent être générales et universelles dans leurs visées, et présentées sous un jour véridique et dans un esprit constructif. Les mesures prises par les éducateurs des différents pays détermineront inévitablement la nature de la civilisation future. Ils doivent préparer une renaissance de tous les arts et donner le champ libre à un nouvel élan créateur chez l'homme. Ils doivent attacher une importance majeure aux grands moments de l'histoire humaine, où la divinité en l'homme lançait des étincelles et frayait à la pensée de nouvelles voies, suscitait de nouveaux projets et modifiait ainsi à demeure toute l'orientation des affaires du monde. En de telles circonstances la Magna Charta anglaise fut accordée, la Révolution française donna l'essor aux concepts de liberté, d'égalité et de fraternité. Ainsi fut formulée la Déclaration des droits américains ; ainsi, en haute mer, furent proclamées de nos jours la Charte de l'Atlantique et les Quatre Libertés. Ces vastes conceptions doivent régir l'Âge nouveau, sa naissante civilisation et sa culture à venir. Si les enfants d'aujourd'hui apprennent le sens réel de ces [69] cinq grandes déclarations et que la futilité de la haine et de la guerre leur est enseignée en même temps, il y a lieu d'espérer en un monde meilleur et plus heureux et en une plus grande sécurité mondiale.

Deux idées principales devraient être inculquées incessamment aux enfants de tous pays. Ce sont : la valeur de l'individu et le fait que l'humanité forme un tout. Ces filles et ces garçons nés pendant la guerre ont appris, parce qu'ils ont vu, que la vie humaine n'a guère de prix ; les pays fascistes enseignaient que la seule valeur de l'individu est la mise à exécution des desseins d'un dictateur : Mussolini ou Hitler. Ailleurs, on accorde de l'importance à certaines gens et à certains groupes, du fait de leur position héréditaire ou de leur situation financière, tandis que le reste de la nation n'est pas considéré. Dans d'autres pays encore, l'individu se tient pour si important et attache tant de prix à satisfaire ses fantaisies qu'il néglige complètement ses liens avec l'ensemble. Pourtant, la valeur de l'individu et l'existence de ce tout, que nous appelons Humanité sont en rapport étroit. Il faut y insister. Ces deux principes, correctement enseignés et compris, mèneront à la culture intense de l'individu et lui feront reconnaître ses responsabilités, comme partie intégrante du corps entier de l'humanité.

En touchant à la réhabilitation psychologique des enfants et de la jeunesse du monde, j'ai suggéré que les manuels soient refaits dans l'esprit des justes relations humaines et non pas selon l'actuel point de vue nationaliste et séparatiste. J'ai aussi indiqué certaines idées de base, qu'il faudrait inculquer immédiatement : la valeur unique de l'individu, la beauté de l'humanité, les rapports de l'individu avec le tout et la responsabilité qui lui incombe de s'intégrer à l'ensemble de façon constructive et de bonne grâce. J'ai essayé d'insister sur la futilité de la guerre, de la convoitise et de l'agression et de préparer le grand éveil de la faculté créatrice chez l'homme, une fois sa sécurité assurée. J'ai noté l'imminence de la future renaissance spirituelle. À tout cela, je voudrais encore ajouter que, pour l'éducation, nos objectifs immédiats doivent tendre à éliminer l'esprit de compétition pour y substituer celui de coopération. Ici se pose aussitôt la question : comment y arriver, tout en maintenant un niveau élevé d'accomplissement individuel ? La concurrence n'est-elle pas le plus puissant levier de tout effort ? C'était ainsi jusqu'à présent, mais cela ne doit pas nécessairement continuer. En développant une atmosphère [70] propre à encourager chez l'enfant le sens de ses responsabilités et en le délivrant des refoulements engendrés par la peur, cela lui permettra d'atteindre à des résultats même supérieurs. De la part de l'éducateur, cela exigera la création, autour de l'enfant, d'une atmosphère propice, où certaines qualités fleuriront, caractérisées par le sens des responsabilités et la bonne volonté. Quelle est la nature de cette atmosphère ?

1. Une atmosphère d'affection, d'où toute crainte est bannie et où l'enfant comprend qu'il n'a pas lieu d'avoir peur. Dans cette atmosphère il sera traité avec courtoisie et pareille courtoisie envers autrui sera attendue de lui. Elle se rencontre rarement dans les classes ou au foyer. Cette atmosphère d'affection n'est ni émotive ni sentimentale, mais se base sur la réalisation des potentialités de l'enfant, considéré comme individu, sur une absence d'antagonismes raciaux et de préjugés et sur une véritable tendresse compatissante. Cette attitude de compassion se fonde sur la perception des difficultés de la vie quotidienne, qui, en ce moment et pour bien des années encore agissent sur la sensibilité d'un enfant à l'affectivité normale, et sur la conviction que l'amour tire toujours le meilleur de chacun.

2. Une atmosphère de patience – C'est en pareille atmosphère que l'enfant peut apprendre les premiers rudiments de la responsabilité. Partout les enfants nés au cours de la présente période, atteignent un haut degré d'intelligence ; sans le savoir, ils sont éveillés spirituellement et le premier signe de cet éveil spirituel est leur sens des responsabilités. Ils sont conscients d'être gardiens de leurs frères. Inculquer patiemment cette qualité, s'efforcer de leur faire assumer de petits  devoirs et partager les responsabilités exigeront du maître beaucoup de patience, mais c'est essentiel pour tremper définitivement le caractère de l'enfant et sa future utilité dans le monde.

3. Une atmosphère compréhensive – Si peu d'instituteurs ou de parents expliquent à un enfant les raisons de ses activités et des exigences qu'on a envers lui. Pareille explication produit pourtant toujours de l'effet, car l'enfant réfléchit plus qu'on ne pense et ce processus l'induira à considérer ses mobiles. Souvent ce que fait l'enfant n'est pas mal en soi, il est guidé par son esprit contradictoire et curieux, par l'impulsion de se venger de quelque injustice [71] (causée par le manque de compréhension du motif chez l'adulte), par son incapacité d'utiliser correctement son temps et par le désir d'attirer l'attention. Ce sont simplement là des gestes de l'individu en croissance. Les grandes personnes sont susceptibles d'engendrer très tôt chez l'enfant un sentiment inutile de culpabilité. Ils insistent sur de petits détails, qu'il faudrait passer sous silence bien qu'ils soient agaçants. Un juste sens de mal faire, basé sur l'incapacité d'entretenir de correctes relations de groupe, n'est pas développé, mais si un enfant est traité avec compréhension, alors les actes vraiment mauvais, comme d'empiéter sur les droits d'autrui, porter atteinte par le désir individuel et pour son avantage personnel, aux nécessités du groupe, seront envisagés sous leur jour correct et au bon moment. Les éducateurs feront bien de se souvenir que des milliers d'enfants ont assisté pendant la guerre, à de constantes mauvaises actions, commises par les grandes personnes. Cela a perverti leur mentalité, en leur donnant des normes fausses et miné simultanément la juste autorité des gens plus âgés. Un enfant peut devenir asocial, faute de compréhension ou si les circonstances ont des exigences au-dessus de ses forces.

Une atmosphère qui convienne, l'enseignement de quelques principes corrects et une grande compréhension affectueuse, voilà ce qu'exige la difficile période de transition que nous devons traverser. Les éducateurs et les maîtres auront besoin de s'imposer une discipline de patience, de compréhension et d'affection, qui ne sera pas aisée, car elle sera accompagnée d'un sens aigu des difficultés à surmonter et des problèmes à affronter. Dans tous les pays les hommes et les femmes doués de vision devront se manifester et œuvrer. Ils existent ; il leur faut l'équipement requis et l'appui de ceux à qui ils peuvent se fier. Alors, et alors seulement, il sera possible de s'attaquer aux moyens plus précis qui rendront possible le plan à longue portée que certains d'entre nous ont entrevu.

LE PLAN A LONGUE PORTEE

Formulons maintenant un plan plus vaste pour l'éducation future des enfants du monde. Nous avons remarqué que, malgré les méthodes universelles d'éducation et les nombreux [72] centres d'études de chaque pays, nous n'avons pas encore réussi à donner à notre jeunesse une éducation qui lui permette de mener une existence complète et constructive. Le développement de l'éducation mondiale s'est poursuivi dans trois directions surtout, d'abord en Orient et qui atteignent aujourd'hui leur point culminant en Occident. Naturellement je ne parle ici que des deux ou trois derniers millénaires. En Asie, certains individus sélectionnés ont été éduqués à travers les siècles, mais les masses demeuraient complètement négligées. L'Asie, et l'Asie seule, a produit les grandes figures faisant, aujourd'hui encore, l'objet de la vénération universelle, telles Lao-Tseu, Confucius, Bouddha, Shri Krishna et Christ. Ils ont marqué des millions d'hommes et continuent à les influencer.

En Europe, plus tard, l'attention des éducateurs s'est concentrée sur certains groupes privilégiés, leur donnant une formation et une culture soigneusement établies, mais n'enseignant aux masses que des rudiments de culture. Cela a produit périodiquement des époques de haute culture, comme la Renaissance, la période élisabéthaine, l'ère victorienne, le Romantisme, avec ses poètes et ses musiciens en Allemagne, et les diverses Écoles de peinture qui font la gloire de l'Italie, de la Hollande et de l'Espagne.

Enfin, dans les pays plus neufs, tels que les États-Unis, l'Australie et le Canada, l'instruction des masses fut instituée et copiée largement dans la totalité du monde civilisé. Le niveau général de la culture baissa considérablement, mais le niveau d'information et de compétence de la masse s'accrut beaucoup. La question se pose maintenant de savoir quel sera le prochain développement dans l'évolution du système éducatif. Qu'arrivera-t-il après cette faillite complète du monde et l'incapacité reconnue des méthodes éducatives à l'empêcher ?

Rappelons-nous un fait important. Les excès regrettables où peut mener l'éducation se sont nettement montrés en Allemagne, par la suppression de l'idéalisme, l'imposition de fausses relations humaines et d'attitudes déplorables, avec la glorification de l'égoïsme, de la brutalité et de l'agression. Le nazisme a prouvé combien le conditionnement par l'éducation, correctement organisé, surveillé, monté en système et promu au rang d'idéologie, peut être puissant et efficace, surtout si l'enfant est pris tout jeune et isolé de tout enseignement contraire pendant assez longtemps. Rappelons-nous aussi que [73] cette puissance démontrée peut agir dans les deux sens et que ce qui s'est manifesté à rebours peut aussi agir dans le bon sens.

Il faut comprendre que deux mesures s'imposent : d'abord consacrer les plus grands soins à l'éducation des moins de seize ans ; plus on commencera jeune, mieux cela vaudra, et deuxièmement, commencer avec les moyens dont on dispose, tout en reconnaissant les limitations des systèmes actuels. Nous devons en renforcer les aspects bons et désirables, mais en éliminer ceux qui se sont avérés inadéquats à préparer les hommes à faire face à leur milieu ambiant. Il nous faut cultiver des attitudes et des techniques nouvelles, préparant l'enfant à une vie complète et qui le rendront ainsi vraiment humain, membre créateur et constructif de la famille humaine. Le meilleur du passé doit être conservé, mais comme base d'un système meilleur et plus sage pour atteindre le but visé : former des citoyens du monde.

Le moment est peut-être favorable pour définir une éducation inspirée d'une vision fidèle correspondant aux besoins du monde et aux exigences des temps, tels qu'on les pressent.

L'éducation consiste à former la jeunesse du monde, de façon intelligente, pour lui permettre de prendre contact avec son milieu, munie d'un bon sens avisé et sachant s'adapter aux conditions existantes. C'est aujourd'hui d'une importance primordiale et un des poteaux indicateurs qui émergent d'un monde écroulé. Il n'y reste pas grand-chose sur quoi bâtir, ou, du moins, où des gens éclairés veuillent bâtir.

L'instruction est un processus durant lequel l'enfant est équipé des connaissances qui le rendront capable de se conduire en bon citoyen et de bien remplir son rôle de parent. Elle doit prendre en considération les tendances héréditaires du sujet, ses qualités nationales et raciales et s'efforcer d'y ajouter un savoir qui l'amènera à travailler de façon constructive dans les circonstances où il se trouve placé et de s'y montrer un citoyen utile. La tendance générale de son éducation doit être plus psychologique que par le passé, et le savoir ainsi acquis doit être adapté à sa situation particulière. Tous les enfants possèdent certains talents, qu'il faudrait leur enseigner à utiliser. Ils partagent ces talents avec l'humanité entière, sans égard aux races ou aux nationalités. Les pédagogues devraient donc insister à l'avenir sur :

1. Le développement de la maîtrise mentale de la nature affective.

[74]

2. La vision, ou capacité de voir ce qui pourrait être au-delà de ce qui est.

3. L'héritage de faits connus, auquel viendra s'ajouter la sagesse future.

4. La capacité d'ajuster sagement ses rapports, d'admettre et d'assumer ses responsabilités.

5. La faculté d'user doublement de son intelligence :

a. par le "bon sens" (au sens ancien du terme), pour l'analyse et la synthèse des données apportées par les cinq sens ;

b. par la pénétration, comme avec le faisceau lumineux d'un phare, dans le monde des idées et de la vérité abstraite.

Le savoir vient par deux voies. Il résulte de l'usage intelligent des cinq sens et s'acquiert aussi en essayant de saisir et d'assimiler des idées. On s'engage dans les deux voies par curiosité et par amour de la recherche.

L'éducation devrait être de trois sortes, toutes trois nécessaires pour amener l'humanité au point voulu de son développement.

D'abord, le procédé pour amasser des faits, passés ou actuels et l'art d'apprendre à tirer des informations recueillies et graduellement accumulées ce qu'on peut utiliser pratiquement dans telle ou telle circonstance. Ce procédé est impliqué dans les fondements de nos présents systèmes pédagogiques.

En second lieu vient le procédé de décanter la sagesse du savoir et de comprendre, en l'assimilant, le sens caché derrière les faits appris. C'est la faculté de mettre en pratique ce savoir, de manière à ce qu'une vie saine, un esprit compréhensif et des règles intelligentes de conduite en soient les conséquences naturelles. Cela implique aussi la préparation à certaines activités, selon les tendances innées, les talents ou le génie.

Enfin, un procédé destiné à cultiver l'unité ou le sens de la synthèse. La jeunesse future apprendra à considérer son propre rapport à celui du groupe, à l'unité familiale et à la nation où le destin l'a faite naître. On lui apprendra aussi à raisonner en termes de relations mondiales et, pour chaque pays, en termes de ses relations avec les autres pays. Cela comprend la formation du citoyen, du futur parent et une compréhension du monde. La base en est de nature psychologique et devrait amener à la compréhension de l'humanité. En donnant ce genre d'éducation, on formera des hommes et des femmes à la [75] fois civilisés et cultivés, doués aussi de la faculté à progresser en avançant dans la vie, vers le monde de la signification, sous-jacent au monde des phénomènes. Ces jeunes commenceront à considérer les événements humains sous l'angle des plus profondes valeurs spirituelles et universelles.

L'éducation devrait être un procédé permettant d'enseigner à la jeunesse de raisonner de cause à effet, afin de savoir pourquoi certaines actions produisent forcément certains résultats, et pourquoi, moyennant un certain conditionnement affectif et mental et avec une qualification psychologique déterminée, on peut nettement orienter la vie vers des professions ou des carrières favorables au développement, offrant ainsi un champ d'expériences utiles et profitables. Des tentatives de ce genre ont été faites dans des universités et des écoles, en vue de connaître les aptitudes psychologiques d'un garçon ou d'une fille à certaines vocations, mais ce sont encore des efforts isolés. Lorsque ces efforts deviendront plus scientifiques, ils ouvriront la porte aux disciplines des sciences. Ils donneront valeur et signification à l'histoire, la biographie et l'érudition, évitant ainsi la simple accumulation des faits par le grossier procédé de la mémoire, qui caractérise les méthodes anciennes.

L'instruction nouvelle envisagera l'enfant compte tenu de son hérédité, de sa position sociale, de son conditionnement national, de son milieu, enfin de ses propres ressources mentales et affectives, pour chercher à lui ouvrir entièrement le monde de l'effort, en lui expliquant que les barrières apparentes au progrès sont seulement destinées à le stimuler pour faire mieux. On cherchera donc à le "mener hors" (ce qui est le sens étymologique du mot "éduquer") de toute limitation et à l'entraîner à penser en termes de citoyen constructif du monde. Toujours grandir sera le motif réitéré.

Le futur éducateur attaquera le problème de la jeunesse du point de vue de la réaction instinctive de l'enfant, de sa capacité intellectuelle et de ses potentialités intuitionnelles. Dans la petite enfance et dans les premières classes à l'école, on surveillera le développement de réactions instinctives correctes en les encourageant ; dans les classes plus avancées, dans les écoles secondaires, l'attention se portera sur le développement intellectuel et la maîtrise des processus mentaux, tandis que dans les universités et les grandes écoles, on cultivera l'intuition, l'importance des idées et des idéaux, la faculté de la pensée et de la perception abstraite. Cette dernière phase s'appuiera [76] solidement sur une base intellectuelle bien établie. Ces trois facteurs, instinct, intellect et intuition, fourniront la note dominante des trois institutions pédagogiques que devra fréquenter chaque individu jeune, comme font aujourd'hui des milliers de gens.

Les écoles modernes (écoles primaires, secondaires, universités) présentent une image imparfaite, mais symbolique, du triple objectif de l'éducation future : la civilisation, la culture et l'unité des citoyens du monde.

Les écoles primaires peuvent être considérées comme gardiennes de la civilisation, elles doivent commencer à discipliner l'enfant, selon la nature du monde où il devra jouer son rôle, en lui apprenant quelle est sa place dans le groupe et en le préparant à vivre intelligemment dans de justes relations sociales. La lecture, l'écriture, l'arithmétique et des notions d'histoire en insistant sur l'histoire mondiale, de géographie et de poésie lui seront enseignées ; il sera informé de certains faits importants de la vie et la maîtrise de soi lui sera inculquée.

Les écoles secondaires se considéreront comme gardiennes de la culture.

Elles doivent insister sur les valeurs principales de l'histoire et de la littérature et donner quelques notions d'art. Elles devraient commencer à former le garçon ou la fillette pour la progression future ou le mode de vie qui les conditionnera évidemment. L'instruction civique leur sera donnée en termes plus larges et ils seront initiés au monde des valeurs véritables en cultivant l'idéal de façon consciente et définie. L'accent sera mis sur l'application pratique des idéaux.

Nos collèges et nos universités devraient être une extension plus élevée de ce qui a déjà été fait. Ils devraient embellir et compléter la structure érigée en traitant plus directement du monde de la signification. Les problèmes internationaux, économiques, sociaux, politiques et religieux, devraient être pris en considération et les rapports de l'être humain avec le monde, comme un tout, mis plus clairement en évidence. Cela n'entraînerait nullement la négligence à l'égard des problèmes ou des entreprises individuelles ou nationales, mais on s'efforcerait, au contraire, de les incorporer au tout, dont ils font partie intégrante et effective. Ainsi évitera-t-on les attitudes séparatistes, cause de l'effondrement de notre monde moderne.

Plus tard, avec la véritable religion restaurée, il s'avérera que cette formation sera fondamentalement spirituelle, dans [77] le sens où ce terme signifie compréhension, obligeance, fraternité, justes relations humaines et la foi en la réalité du monde caché derrière le cadre des phénomènes. Préparer un homme à être citoyen du royaume de Dieu ne constitue pas une activité religieuse, réservée aux églises et consistant en un enseignement théologique. Cela peut néanmoins y contribuer puissamment. C'est sans nul doute la tâche de l'éducation supérieure de donner à la matière enseignée un but et une valeur réels.

L'ordre suivant est suggéré par l'étude du programme à établir pour les jeunes générations actuelles

Instruction primaire

Civilisation

Âges 4-12 ans

Instruction secondaire

Culture

Âges : 12-18 ans

Instruction supérieure

Civisme mondial

Âges : 18-25 ans

À l'avenir, l'éducation utilisera davantage la psychologie. Cette tendance se remarque déjà. La nature des garçons ou des filles – physique, vitale, affective et mentale – sera étudiée avec soin et leur existence incohérente sera di