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CHAPITRE IV LA TROISIEME INITIATION LA TRANSFIGURATION SUR UNE HAUTE MONTAGNE - Partie 1

CHAPITRE IV

LA TROISIEME INITIATION

LA TRANSFIGURATION SUR UNE HAUTE MONTAGNE

PENSEE-CLE : "Arjuna dit :

Le suprême mystère que pour mon bien tu m'as communiqué, la doctrine de l'Atman, a banni de moi toute erreur.

De ta bouche, ô héros aux yeux de lotus, j'ai appris en détail l'origine et la fin des êtres et la grandeur impérissable.

Il en est comme tu l'as dit en t'affirmant toi-même le Dieu souverain. Je désire, ô suprême Purusha, te voir dans ta forme divine.

Si tu estimes, ô Maître, que je la puisse contempler, ô Dieu du Yoga, montre-toi à moi comme l'impérissable."

Bhagavad Gitâ, XI, 1, 4. [135]

PREMIERE PARTIE

Une période de service est terminée. Le Christ eut alors à affronter une nouvelle crise intérieure, et cette fois-ci, conformément à l'histoire, il la partagea avec Ses trois disciples favoris, avec les trois êtres qui Lui étaient les plus proches. Il avait fourni la preuve de Son emprise sur Lui-même, et Son immunité à l'égard de la tentation fut suivie, comme on nous le dit, par une période d'activité intense. Il avait aussi posé les premières fondations du royaume de Dieu, que Sa mission était de fonder, et dont la structure intérieure et la charpente étaient constituées par les douze apôtres, les soixante-dix disciples qu'Il choisit et forma, et les groupes d'hommes et de femmes qui répondirent un peu partout à Son message. Jusque-là, Son activité avait été couronnée de succès. À présent, Il se trouvait à la veille d'une nouvelle initiation et d'une nouvelle expansion de Sa conscience. Ces initiations qu'Il traversa pour nous, et auxquelles nous pourrons tous aspirer avec le temps, constituent en elles-mêmes une synthèse vivante de la révélation, et il peut nous être profitable de les étudier dans leur ensemble, avant d'examiner en détail la révélation prodigieuse qui fut accordée aux trois apôtres sur le sommet de la montagne. Trois de ces crises ont peut-être une signification plus grande que l'humanité ne l'a cru jusqu'à présent, car nous avons eu tendance à concentrer toute notre attention, sur une seule d'entre elles, la Crucifixion.

On se demande parfois si les autres immenses expériences que traversa le Christ auraient été aussi négligées qu'elles l'ont été, en [136] faveur de la Crucifixion, si les Épîtres n'avaient jamais été écrites et si les Évangiles avaient été la seule base de la religion chrétienne. C'est là un point auquel il faut nous arrêter, car il mérite un examen sérieux. Le gauchissement apporté par saint Paul à la théologie chrétienne a peut-être faussé la présentation du Christ, telle qu'elle devait nous être transmise. En dernière analyse, les trois initiations qui signifient peut-être le plus, pour celui qui cherche la vérité, sont la naissance du royaume, ce moment auguste où toute la nature inférieure est transfigurée et où l'on comprend que les fils de Dieu sont capables de devenir citoyens de ce royaume, et la crise finale, où l'immortalité de l'âme est reconnue et démontrée. Le Baptême et la Crucifixion ont une valeur différente : ils symbolisent la purification et le sacrifice de soi-même. Ceci pourra surprendre le lecteur, et peut sembler diminuer la figure du Christ, mais il est indispensable que nous voyions les choses telles que nous les dépeint l'Évangile, sans les colorer par les interprétations ultérieures d'un fils de Dieu, même aussi remarquable et aussi sincère que saint Paul. En étudiant le problème de la Divinité, on nous a toujours dit que nous connaissons Dieu par sa nature et que cette nature est Esprit ou Vie, Âme ou Amour conscient, et la Forme, intelligemment mise en œuvre La vie, la qualité et l'apparence – tels sont les aspects majeurs de la divinité, et nous n'en connaissons pas d'autres. Mais cela ne signifie nullement que nous n'entrerons pas en contact avec d'autres aspects, le jour où nous serons doués des mécanismes de connaissance et d'intuition susceptibles de pénétrer plus profondément la nature divine. Nous ne connaissons pas encore le Père Le Christ nous a révélé son existence, mais le Père Lui-même demeure encore hors de notre vue, inscrutable, invisible et inconnu. Nous ne Le connaissons que tel qu'Il se révèle à travers la vie de Ses Fils, et plus particulièrement par la révélation apportée par Jésus-Christ à l'Occident.

Lorsque nous considérons les initiations dans leur ensemble, les trois grandes crises mentionnées ci-dessus se dégagent clairement des autres. Lors de la naissance à Bethléem, nous avons eu l'apparence de Dieu, c'est-à-dire que Dieu a été rendu manifeste dans la chair. Lors de la Transfiguration, nous avons la qualité de Dieu, révélée dans sa beauté transcendante, tandis que dans l'initiation de la Résurrection, ce qui devient perceptible, c'est l'aspect de la vie dans la divinité. [137]

Au cours de Sa vie terrestre, le Christ a donc accompli deux choses :

1. Il révéla la triple nature de la Divinité, lors de la première, de la troisième et de la cinquième initiation ;

2. Il démontra les expansions de la conscience qui ont lieu lorsque les conditions préalables sont convenablement remplies par la purification et le sacrifice de soi-même.

Toute l'histoire de l'initiation se trouve racontée dans ces cinq épisodes : la naissance, la purification qui lui succède afin que puissent avoir lieu la manifestation correcte de la divinité, la révélation de la nature de Dieu au moyen d'une personnalité transfigurée, et enfin le but – la vie éternelle et infinie, parce que décentralisée et libérée des limitations que lui impose la forme.

Les trois initiations majeures – la première, la troisième et la cinquième – constituent les trois syllabes du Verbe fait chair ; elles constituent l'accord parfait de la vie du Christ comme de la vie de tous ceux qui suivront Ses pas. Elles nous réorientent vers de nouveaux modes de vie et d'être ; par elles, nous traversons les stades d'adaptation nécessaire des véhicules de la vie, et nous montons vers le sommet de la montagne, où le divin nous est révélé dans toute sa beauté. Puis, nous passons à une "joyeuse Résurrection" et à cette éternelle identification à Dieu qui est, à perpétuité, l'expérience de tous ceux qui sont devenus parfaits. Nous pourrions schématiser ce processus de la façon suivante :

1ère initiation

3ème initiation

5ème initiation

Nouvelle naissance

Transfiguration

Résurrection

Initiation

Révélation

Achèvement

Commencement

Transition

Consommation

Apparence

Qualité

Vie

C'est la première des expériences ayant lieu sur une montagne. Nous avons déjà eu l'expérience de la grotte, et l'initiation de la rivière. Chacune d'elles a accompli sa tâche particulière, chacune d'elles révélant de plus en plus la divinité dans l'homme, Jésus-Christ. L'expérience du Christ, comme nous l'avons vu, consistait à passer d'un processus [138] d'unification à l'autre. Un des objectifs principaux de Sa mission était de résoudre les dualités qui existaient en Lui-même, produisant, à leur place, l'unité et la synthèse. Quelles sont ces dualités qui doivent être transformées en unité, avant que l'esprit de l'homme puisse rayonner dans toute sa splendeur ? Nous pourrions en noter cinq, afin d'acquérir une idée de ce qui doit être fait ; cela nous permettra également de mieux comprendre la grandeur de l'œuvre accomplie par le Christ. La Transfiguration n'est pas possible, avant que ces unifications aient été faites.

Tout d'abord, l'homme et Dieu doivent fusionner en un tout opérant. Dieu, fait chair, doit contrôler et dominer la chair d'une façon si absolue, que celle-ci ne constitue plus un obstacle à la pleine expression de la divinité. Tel n'est pas le cas, en ce qui concerne l'homme moyen. La divinité peut être présente en lui, mais elle est profondément cachée. Quoi qu'il en soit, grâce à nos recherches psychologiques, nous sommes en train de découvrir, aujourd'hui, bien des choses concernant le soi supérieur et le soi inférieur, et la nature de ce que l'on appelle parfois le "soi subliminal" nous apparaît peu à peu, grâce à l'étude des réactions du soi actif et extérieur, à l'égard de cette direction subjective et intérieure. Il a été partout reconnu que l'homme était double, et ceci présente, en soi-même, un problème que les psychologues rencontrent fréquemment. Les personnalités semblent fonctionner d'une façon "brisée". Les êtres humains sont déchirés par cette rupture. Nous entendons parler de personnalités multiples et de la nécessité d'intégrer et de coordonner les différents aspects de l'homme. La fusion de sa nature en un tout opérant devient une nécessité de plus en plus urgente. La reconnaissance de l' "étendue" intérieure de l'homme et l'attraction constante qu'exercent sur lui les valeurs transcendantes nous posent aujourd'hui un problème aigu. Le primitif et le transcendant, l'homme à conscience extravertie et l'homme intérieur, subjectif et subliminal, le soi inférieur et le soi supérieur, la personnalité et l'individualité, le corps et l'âme : comment réconcilier toutes ces dualités antagonistes ? L'homme est sans cesse conscient des valeurs les plus hautes. Tous les saints portent témoignage sur l'homme qui veut faire le bien et sur la nature qui, par opposition, l'amène à faire le mal.

Toute la famille humaine est scindée, aujourd'hui, par le roc [139] tranchant de la dualité. Tantôt la personnalité est double, et par conséquent incontrôlable ; tantôt les groupes et les nations sont divisés en camps ennemis, et, ici encore, la dualité apparaît sous forme de conflits, animés d'un dynamisme intense.

C'est de l'intégration que le Christ nous donna si pleinement l'exemple, résolvant ainsi les dualités existant entre le soi inférieur et le soi supérieur. Il fit des deux "un homme nouveau"[1], et ce fut cet "homme nouveau" qui rayonna, lors de la Transfiguration, devant le regard ébloui des trois apôtres. C'est cette intégration ou unification fondamentale, que la religion doit s'efforcer de produire, et l'effet de l'éducation religieuse devrait être la coordination des deux aspects fondamentaux de la nature humaine – le naturel et le divin.

Ce problème des deux "soi" que le Christ synthétisa en Lui d'une façon si saisissante, est le problème humain par excellence. Le soi secondaire, entièrement distinct du soi divin, est une donnée de la nature, quels que soient nos efforts pour nous y soustraire et refuser de reconnaître son existence. "L'homme naturel" existe, tout comme "l'homme spirituel", et le foyer du problème humain réside dans l'action qu'ils exercent l'un sur l'autre. L'homme lui-même nous le prouve clairement. Parlant de l'homme, le Dr Bosanquet dit que :

"Son auto-transcendance innée et sa passion indéracinable du Tout rend inévitable le fait que l'homme forgera toujours, avec tout le superflu qu'il ne peut systématiser sous la catégorie du bien, un soi secondaire et négatif, un soi déshérité, hostile à la domination impérative du bien qui n'est – ex hypothesis que partielle. Et cette discorde est effectivement nécessaire au bien, car elle lui assigne sa tâche caractéristique, qui est la conquête du mal. Et le bien est nécessaire au mal, car la totalité du soi déshérité qui existe en puissance ne peut trouver aucune unité au-delà de la rébellion contre le bien." [2]

Ici réside le problème de l'homme, et ici réside son triomphe et l'expression de sa divinité essentielle. Le soi supérieur existe et doit inévitablement remporter la victoire finale sur le soi inférieur Une [140] des choses qui ont lieu aujourd'hui est la découverte de l'existence de ce moi supérieur, et nous avons d'innombrables témoignages sur sa nature et ses qualités. Nous nous rapprochons progressivement de la compréhension de la divinité par la considération du supérieur qui réside en chaque homme.

Des éons d'expérience se trouvent derrière la manifestation de Jésus- Christ. Au fur et à mesure que les siècles se sont écoulés, Dieu s'est exprimé à travers des processus humains, à travers l'humanité tout entière et à travers certains individus. Puis le Christ vint, et à travers les temps, en tant qu'accomplissement du passé et garantie du futur, Il synthétisa en Lui-même, en une Personnalité transcendante, tout ce qui avait été accompli jusque-là et tout ce qui était immédiat dans l'expérience humaine. Il fut à la fois, une personnalité et une individualité divine. Sa vie, avec Sa qualité et Son dessein, a mis Son sceau sur notre civilisation, et la synthèse dont Il nous démontre la possibilité est devenue l'inspiration du présent. Cette personnalité consommée, synthétisant en elle tout ce qui L'avait précédée au cours de l'évolution humaine, et exprimant tout ce qui peut être immédiatement réalisé, est le grand don de Dieu aux hommes.

Le Christ, en tant que personnalité qui guérit la division de la nature humaine, et le Christ, en tant que synthèse des aspects supérieurs et inférieurs de la divinité, sont l'héritage glorieux de l'humanité d'aujourd'hui. C'est là ce qui fut révélé lors de la Transfiguration.

Il est utile de nous rappeler, néanmoins, que l'expression de la vie et de la conscience du Christ immanent ne devient possible qu'à un certain stade du développement humain. Le cours de l'évolution, avec ses distinctions et ses différences nécessaires, est irréversible. Tous les hommes ne sont pas pareils. Ils varient dans leur façon de présenter la Divinité. Certains d'entre eux sont encore, à vrai dire, des êtres subhumains. D'autres sont simplement humains. D'autres encore, commencent à manifester des qualités et des caractéristiques qui sont déjà surhumaines. La question que l'on pourrait légitimement se poser est celle-ci – quand la possibilité vient-elle à l'homme de transcender l'homme et de devenir divin ? Deux facteurs sont alors déterminants. L'homme transcende les natures émotionnelle et physique lorsque, entrant dans le règne de la pensée, il répond, de façon ou d'autre, aux [141] idéaux qui lui sont proposés par les penseurs du monde. Un moment vient, dans l'évolution de tout être humain, où le développement de la triple nature humaine – physique, émotionnelle et mentale – atteint un point où leur synthèse devient possible. L'homme devient alors une personnalité. Il pense, il décide, il veut. Il exerce un contrôle sur sa vie et n'est plus simplement un foyer d'activité, mais une influence agissante dans le monde. C'est la puissante entrée en scène de la qualité de l'esprit et de la capacité de penser, qui rend cette transformation possible.

C'est cette façon de mettre la pensée au premier plan et la volonté de considérer la vie sous l'angle du mental – et non de l'émotion – qui distingue une "personnalité" de la grande masse des êtres humains. L'homme qui pense et qui agit conformément à des directives qui découlent des réalités de la pensée et de la réflexion consciente devient, avec le temps, une "personnalité" et commence à exercer une influence sur les autres. Cependant, l'homme spirituel intérieur que nous pourrions appeler l' "individu", domine la personnalité. Ici encore, le Christ remporta la victoire, et la seconde dualité, qu'Il résolut d'une façon significative, est celle du "soi" personnel et de "l'individualité". Le fini et l'infini doivent être mis en relation étroite l'un avec l'autre. C'est ce que le Christ a accompli lors de la Transfiguration, où il manifesta la nature et la qualité de Dieu, par l'entremise d'une personnalité purifiée et élargie. La nature finie avait été transcendée et ne pouvait plus imposer son contrôle à Ses activités. Il était parvenu, dans Sa conscience, au règne de la réalisation inclusive, et les règles ordinaires qui s'appliquent à l'individu fini – avec ses problèmes étroits et ses réactions mesquines à l'égard des évènements et des personnes – ne pouvaient plus L'influencer, ni déterminer Sa conduite. Il avait opéré le contact avec le règne de l'être où l'homme ne trouve pas seulement la connaissance, mais la paix, par l'unité. Ce sont ces règles, ces disciplines et ces considérations que le Christ surmonta, et c'est [142] pourquoi Il agit en tant qu'individu, et non plus en tant que personnalité. Il était gouverné par les règles qui contrôlent les choses dans le règne de l'esprit. C'est ce que reconnurent les trois apôtres au moment de la Transfiguration, et c'est ce qui leur inspira une soumission absolue envers Lui, car, désormais, Il représentait pour eux la Divinité.

Donc le Christ, lors de la Transfiguration, unifia en Lui Dieu et l'homme. Sa personnalité développée fusionna avec Son individualité. Il apparut comme l'expression parfaite de la possibilité suprême à laquelle l'humanité puisse aspirer. Les dualités, dont le genre humain est la si triste expression, se rencontrèrent en Lui et se transmuèrent en une synthèse d'une telle perfection, qu'elle devint, pour tous les temps, le but de notre race.

Il existe aussi une synthèse plus haute encore, et le Christ la réalisa également en Lui-même. C'est la synthèse de la partie avec le Tout, de l'humanité avec la réalité ultime. L'histoire de l'homme a consisté à passer des réactions collectives inconscientes à la responsabilité du groupe, lentement reconnue. L'être humain du type inférieur ou individu non-pensant, possède une conscience collective. Il peut se considérer comme une personne, mais il n'a aucune notion claire des relations humaines, ni de la place qu'occupe l'humanité dans l'échelle des êtres. Il est facilement influencé par la pensée de la masse et subit aveuglément la psychologie collective. Il se meut au même rythme que la masse des hommes. Il pense comme elle (à supposer qu'il pense) ; il sent ce que sent la masse, et n'est pas différencié par rapport à l'espèce. C'est là-dessus que les orateurs et les dictateurs fondent leur succès. Ils subjuguent les masses par leur éloquence dorée ou par le magnétisme qui se dégage de leurs personnalités dominatrices, et leur imposent leur volonté parce qu'ils exercent leur pouvoir sur la conscience collective, même peu développée.

Après ce stade, nous passons à celui de la personnalité naissante qui pense par elle-même, dresse ses propres plans, et ne se laisse pas enrégimenter ou séduire par des mots. L'homme devient alors un individu pensant, et, ni la conscience collective, ni l'esprit de la masse ne peuvent l'asservir. Ces hommes-là s'avancent vers la libération et, [143] progressant d'une expansion de conscience à une autre, deviennent peu à peu des parties consciemment intégrées au Tout. Pour finir, le groupe et sa volonté (non la masse et son sentiment) acquièrent une importance suprême parce qu'ils voient le groupe comme Dieu le voit ; ils deviennent les gardiens du Plan divin et des membres intelligents et intégralement conscients du Tout. Ils savent ce qu'ils font et pourquoi ils le font. Le Christ mêla et fusionna en Lui-même la partie et le Tout et réalisa l'unification entre la volonté de Dieu, qui est synthétique et compréhensive, et la volonté individuelle, qui est personnelle et limitée. Dans un commentaire de la "Bhagavad Gitâ" – ce suprême plaidoyer pour la vie du Tout, fondue et noyée dans la divinité – Charles Johnston fait remarquer :

"La vérité semble être, qu'à un certain point de son évolution spirituelle, le disciple ardent, qui a cherché en toutes choses à mettre son âme à l'unisson de la Grande Âme, et à apparier sa volonté à la Volonté Divine, traverse une expérience spirituelle dans laquelle la Grande Âme le tire vers en haut, et où la Volonté Divine élève sa conscience et l'unit à la Conscience Divine. Pendant un court instant, il ne sent et ne perçoit plus les choses comme une personne, mais comme un "Atman". Il acquiert alors une vision profonde des voies divines de la vie, et s'identifie à la Puissance infinie qui agit à travers la vie et la mort, la peine et la joie, l'union et la séparation, la création, la destruction et la re-création. La terreur et le mystère qui entourent ce grand dévoilement mettent le sceau sur tous ceux qui le traversent." [3]

Cet état de conscience ne peut être ressenti par l'homme moyen et moins encore par l'homme non développé.

Le divin est le Tout, informé et animé par la vie et la volonté de Dieu ; grâce à sa complète renonciation à Lui-même et au Pouvoir que lui conférait Sa nature purifiée, Sa compréhension et Sa sagesse divines, le Christ opéra en Lui- même la fusion de la conscience collective, de la compréhension humaine et de la Totalité divine. Un jour viendra où nous comprendrons ces choses plus clairement. Pour le moment, elles restent encore confuses pour nous, à moins que la Transfiguration ne nous apparaisse comme une réalité, et non comme un but. [144]

Il est également intéressant de nous souvenir d'une autre unification opérée par le Christ. Il unifia en Lui le passé et l'avenir, en ce qui concerne l'humanité. Ceci est symbolisé, d'une façon significative, par le fait que Moïse et Elie – les représentants respectifs de la Loi et des Prophètes – apparurent aux côtés de Jésus sur le Mont de la Transfiguration. Dans l'une de ces figures, nous trouvons symbolisé le passé de l'homme, culminant dans la loi de Moïse, qui assigne à l'homme les limites qu'il ne doit pas transgresser, définie les règles qu'il doit imposer à sa nature inférieure (la nature du désir) et souligne les restrictions que la race, considérée dans son ensemble, doit imposer à ses actions. Une étude attentive de ces lois nous montrera qu'elles concernent tout le gouvernement et le contrôle de la nature du désir, c'est-à-dire du corps émotionnel et sensible, auquel nous nous sommes déjà référés plus haut. Il est curieux, en effet, de constater que le nom de "Moïse" signifie, selon les Concordances de Cruden : "sauvé des eaux". Nous avons déjà vu que l'eau est le symbole de la nature du désir, fluide et émotionnelle, au sein de laquelle l'homme vit habituellement. Moïse apparaît donc à côté du Christ comme symbolisant le passé émotionnel de l'homme et la technique de son contrôle sera remplacée par une autre, le jour où le message de la vie du Christ sera pleinement compris, s'épanchant à travers la conscience de l'homme en flots toujours plus abondants. Le Christ énonça le nouveau commandement synthétique qui est de "s'aimer les uns les autres". Celui-ci rendra superflus toutes les Lois et tous les Prophètes, et relèguera les dix commandements à l'arrière-plan de la vie, parce que l'amour, s'épanchant alors de l'homme à Dieu et de Dieu à l'homme produira automatiquement et positivement cette action juste qui rendra impossible toute transgression des commandements. Le "Tu ne tueras point", prononcé par Dieu à travers Moïse sur le Mont Sinaï, avec son sens négatif et son interprétation punitive, cèdera la place au rayonnement de l'Amour et à la compréhension de cette bonne volonté et de cette lumière, qui émanèrent du Christ sur la Montagne de la Transfiguration. Le passé aboutit à Lui et fut remplacé par un présent vivant. [145]

Elie, dont le nom signifie "la force du Seigneur", se tenait également aux côtés de Jésus, comme le représentant de toutes les écoles de prophètes qui avaient prédit, à travers les siècles, la venue de Celui qui représenterait la justice parfaite, et qui, dans Sa propre personne, incarnerait, comme Il le fait aujourd'hui, la perfection future et le but de la race humaine. Il est très possible que l'avenir contienne des domaines de conscience et des modèles de perfection aussi supérieurs à ceux du Christ, que les Siens sont supérieurs aux nôtres. La nature du Père reste encore à connaître. Quelques-uns de ses aspects, tels l'Amour et la Sagesse, nous ont été révélés par le Christ. Pour nous, aujourd'hui et en ce qui concerne notre but immédiat, le Christ représente le Prophète éternel, auquel Elie et tous les Prophètes portent témoignage. C'est pourquoi, lorsque le Christ se tint sur le sommet de la montagne, le passé et l'avenir de l'humanité se rejoignirent en Lui.

Il est manifeste que le Christ a unifié en Lui certains antagonismes humains fondamentaux, et nous pouvons ajouter à ceux que nous avons mentionnés plus haut, la fusion, opérée en Lui-même, des deux grands royaumes de la nature, l'humain et le divin, rendant possible la manifestation d'un nouveau royaume sur terre, – le royaume de Dieu ou cinquième règne de la nature.

Quand nous considérons la Transfiguration, il est nécessaire de comprendre que celle-ci ne fut pas simplement une grande initiation, dans laquelle Dieu se révéla à l'homme dans Son rayonnement et dans Sa gloire ; la Transfiguration possède en outre une relation précise avec l'instrument de la révélation – la nature matérielle et physique que nous appelons "l'aspect de la Mère". Lorsque nous avons étudié l'initiation de la naissance, nous avons vu que la Vierge Marie (même lorsque nous reconnaissons, comme c'est notre cas, l'authenticité de l'existence historique du Christ) est le symbole de la nature des formes, de la nature matérielle de Dieu. Elle personnifie ce qui préserve la vie de Dieu, latente, bien que douée de potentialités infinies. Le Christ révéla la nature de l'amour dans le Père. Par sa personne, Il révéla le dessein et l'objet de la vie de la forme de l'homme. [146]

Nous voyons, dans cette expérience sur la montagne, la glorification de la matière, en tant qu'instrument de la révélation et expression du Christ divin, et intérieur. La matière, la Vierge Marie, révèle Dieu. La Forme, ce résultat des processus matériels actifs, doit exprimer la divinité, et sa révélation est le présent que Dieu nous accorde au moment de la Transfiguration. Le Christ était le "vrai Dieu de vrai Dieu", mais Il était aussi "la chair de notre chair", et, par la fusion des deux, Dieu fut révélé dans toute Sa gloire magnétique et rayonnante.

Lorsqu'en tant qu'êtres humains, nous comprendrons le dessein divin et arriverons à considérer nos corps physiques simplement comme les moyens par lesquels le Christ divin et intérieur doit être révélé, nous acquerrons une vision nouvelle de la vie physique et des directives renouvelées pour le soin et le traitement concret du corps physique. Nous chérirons ces corps, à travers lesquels nous opérons temporairement, comme étant les gardiens de la révélation divine. Chacun de nous les considèrera comme la Vierge Marie considérait son corps, c'est-à-dire comme le reposoir du Christ cachée, et nous attendrons avec impatience ce jour capital où nous nous tiendrons, nous aussi, sur la Montagne de la Transfiguration, révélant la gloire du Seigneur par le moyen de nos corps. Browning l'a compris et l'a exprimé dans ces vers bien connus :

"La vérité est en nous ; elle ne prend pas son essor Des choses extérieures quoique vous puissiez croire. Il existe un centre, enfoui au plus profond de nous, Où la vérité réside dans sa plénitude ; et, tout autour,

La chair grossière, en murailles superposées, l'enserre. Et savoir, consiste à ouvrir une brèche

Par laquelle puisse s'échapper la splendeur captive Plutôt que de creuser une entrée, pour une lumière Que l'on suppose être au dehors." [4]

Ainsi, pour l'humanité, le Christ se tint révélé comme l'expression de Dieu. Il n'existe pour nous aucun autre but. Cependant, il faut nous souvenir, avec humilité et respect, que les mots sublimes prononcés [147] par Krishna dans la Bhagavad Gitâ demeurent vrais, eux aussi, comme une affirmation ultime de la Transfiguration du monde dans sa totalité :

"Innombrables, ô héros, sont Mes manifestations divines ; cette énumération n'est qu'une manière d'exemple. Entends que toute manifestation, toute vie, toute beauté et toute énergie ont pour origine une parcelle de Ma puissance. Mais à quoi bon, Arjuna, tout ce détail ?"

"Un seul mot suffit : d'une seule parcelle de Moi, je porte éternellement tout cet univers." [5]

Sous la pression de la poussée évolutionnaire, Dieu avance vers une reconnaissance plus pleine de Lui-même. "Purification", tel est le mot employé habituellement pour désigner le processus par lequel l'instrument de l'expression divine est préparé à sa mission. L'expérience de Galilée et l'effort quotidien pour vivre et surmonter les vicissitudes de l'existence humaine (qui semblent devenir plus dures et plus tyranniques au fur et à mesure que tourne la roue de la vie, qui, par sa rotation, fait progresser l'humanité) mènent l'homme jusqu'au point où cette purification n'est pas simplement le résultat de la vie elle-même, mais devient une chose précise imposée par l'homme à sa propre nature. Quand ce processus s'accomplit d'une façon consciente et volontaire, alors le travail progresse avec une rapidité beaucoup plus grande. Il se produit alors une transformation de l'homme extérieur, d'une grande signification. La chenille se mue en papillon. Cette beauté cachée, non encore réalisée, mais luttant pour sa libération, gît au plus profond de l'homme.

La vie du Christ intérieur provoque la transformation du corps physique mais, plus profondément encore, cette vie opère sur la nature émotionnelle et convertit les désirs et les sentiments, les plaisirs et les peines en leurs valeurs correspondantes plus hautes, par un processus de transmutation. On a défini la transmutation comme étant "le passage d'un état d'existence à un autre, par le moyen du feu." [6]Il est inutile, à ce propos, de se rappeler que le triple homme inférieur, [148] dont nous avons déjà souvent parlé au cours de ces pages, est un pâle reflet de la Divinité Elle-même. Le corps physique est lié au troisième aspect de la divinité, l'aspect du Saint-Esprit, et l'exactitude de cette affirmation est confirmée par la conception chrétienne de la Vierge Marie, qui est adombrée par le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est cet aspect de la divinité qui est le principe actif au sein de la matière, et dont le corps physique est la correspondance. La nature émotionnelle et sensible est un reflet pâle et déformé de la nature de l'amour de Dieu, que le Christ cosmique, la deuxième personne de la Trinité, est en train de nous révéler. Et cet aspect (transmué par le moyen du feu, qui est la Volonté ou Esprit de Dieu) provoque la transformation du corps physique. Le mental, à son tour, est le reflet de l'aspect le plus haut de la Divinité, le Père ou Esprit, dont on nous dit que "notre Dieu est un feu dévorant"[7].

L'activité libératrice de cette forme de l'esprit de Dieu produit, pour finir, cette radiation rayonnante (résultant de la transformation et de la transmutation) qui est le trait caractéristique de l'initiation de la Transfiguration. "Toute radiation est une transmutation en voie d'accomplissement. La transmutation étant la libération de l'essence, qui permet à celle-ci de chercher un centre nouveau, ce processus peut être assimilé à la "radioactivité", en ce qui concerne l'humanité"[8].

Ce furent ces processus, effectués dans la nature des formes, qui aboutirent, finalement, à la révélation donnée aux apôtres, de la nature essentielle du Maître qu'ils suivaient et aimaient ; et c'est de cet aspect du Christ – c'est-à-dire Sa réalité intérieure rayonnante – dont témoignent les mystiques de tous les temps, non seulement à Son sujet, mais aussi, quoique à un degré moindre, au sujet les uns des autres. Une fois que le monde des sens est transcendé et que les correspondances les plus hautes sont entrées en activité, le mystique accède à la compréhension d'un monde subjectif dont les caractères distinctifs sont : la lumière, le rayonnement, la beauté, et d'indescriptibles merveilles. Tous les écrits des mystiques sont des tentatives pour décrire [149] ce monde auquel ils semblent avoir accès, et dont les formes varient suivant l'époque, la race et le degré de développement du voyant. Tout ce que nous en savons est que le divin s'y trouve révélé, tandis que la forme extérieure qui le voilait et le cachait jusque-là se dissout ou se transforme, permettant à la réalité intérieure d'être perçue. Le tempérament et les tendances du mystique, sa propre qualité innée, sont étroitement apparentés à la nature de ce qu'il voit, et se reflètent dans la description qu'il nous en donne. Tous sont d'accord, néanmoins, pour affirmer le caractère essentiellement transcendant de cette expérience, et sont convaincus de la nature divine de la personne en question.

Grands, en effet, furent le pouvoir et le mystère de la divinité que le Christ révéla au regard étonné de Ses trois amis, sur la montagne de la Transfiguration. Dans l'un des anciens écrits de l'Inde, cité par le Dr Otto, on trouve une tentative pour exprimer ou révéler cet Esprit divin essentiel, qui se manifesta au moment de la Transfiguration :

"Supérieur au Suprême, je suis pourtant le plus grand, je suis le Tout, dans sa plénitude totale ;

Moi, le plus ancien, l'Esprit, le Seigneur Dieu. Je suis le rayonnement doré de la forme divine.

Sans mains ni pieds, riche d'une puissance inconcevable, je vois sans yeux, j'entends sans oreilles,

Libre de toutes formes je connais. Mais Moi,

Nul ne me connaît. Car je suis l'Esprit, je suis l'Être." [9]

La quantité énorme de livres qui ont été écrits pour essayer de décrire le prodige de la Transfiguration et de la Vision de Dieu est un phénomène saillant de la vie religieuse et l'un des témoignages les plus probants en faveur de la réalité de ces révélations.

La simplicité même du récit qui retrace l'épisode de la Transfiguration, dans les Évangiles, a une majesté et un pouvoir de conviction incomparable. Les apôtres eurent une vision et participèrent à une expérience dans laquelle Jésus se tint devant eux tel l'homme parfait, parce que pleinement divin. Ils avaient partagé avec Lui Son service ; ils L'avaient suivi de lieu en lieu, L'aidant dans Son œuvre ; ils furent [150] autorisés à voir la Transfiguration, en récompense de leur fidélité et de leur reconnaissance.

"Quand le mental", dit saint Augustin, "a été imprégné par la foi qui opère par l'amour, il parvient à la vision en laquelle réside l'indicible beauté, connue des cœurs saints et exaltés, et dont la suprême révélation est la béatitude." [10]

DEUXIEME PARTIE

"Six jours après, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean son frère, et les mena sur une haute montagne, à part

"Et il fut transfiguré, en leur présence, son visage devint resplendissant comme le soleil et ses habits devinrent éclatants comme la lumière.

"En même temps, Moïse et Elie apparurent, qui s'entretenaient avec lui.

"Alors, Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur ! Il est bon que nous demeurions ici ; si tu veux, faisons-y trois tentes, une pour toi, une pour Moïse une pour Elie.

"Comme il parlait encore, une nuée resplendissante les couvrit ; et, d'un seul coup, une voix sortit de la nuée qui dit : Ceci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection. Écoutez- le !

"Quand les disciples entendirent ceci, ils tombèrent le visage contre terre et furent saisis d'une très grande crainte.

"Mais Jésus, s'approchant, les toucha et leur dit : Levez-vous et n'ayez point peur.

"Alors, élevant leurs yeux, ils ne virent plus que Jésus seul." [11]

 

L'étude des diverses unifications opérées par le Christ en Lui-même nous a préparés au phénomène stupéfiant de la révélation qui força les disciples à tomber "le visage contre terre". Trois rois ou mages assistèrent, agenouillés, à l'initiation de la naissance. Lors de cette crise-ci, trois disciples, prostrés sur le sol, furent incapables de regarder en face la gloire qui venait de leur être révélée. Ils croyaient connaître leur Maître, mais la présence familière avait été transformée, [151] et ils se tenaient devant la Présence. Le sentiment du respect, de l'émerveillement et de l'humilité est toujours une réaction caractéristique des mystiques devant la révélation de la lumière. Cet épisode est le premier dans lequel nous entrons en contact avec le rayonnement et la lumière qui émanaient du Sauveur, et qui Lui permirent de dire, en vérité : "Je suis la lumière du monde." Le contact avec Dieu provoque toujours une explosion de lumière. Quand Moïse descendit du Mont Sinaï, il était entouré d'un tel rayonnement que les hommes ne purent le regarder, et l'histoire nous dit qu'il dut se servir d'un voile pour masquer ce rayonnement aux autres. Mais la lumière qui était dans le Christ brillait dans toute sa splendeur et émanait de toute Sa personne. Je crois qu'au fur et à mesure que se développera le processus de l'évolution, nous acquerrons une compréhension de plus en plus profonde de la signification de la lumière et de ses rapports avec l'humanité. Nous parlons de la lumière de la connaissance et c'est au développement de cette lumière que tendent toutes nos méthodes et nos instituts d'éducation. Nous désirons profondément la lumière de la compréhension, qui s'exprime sous forme de Sagesse et qui caractérise les Sages sur terre ; cette lumière les distingue des personnes simplement intelligentes ; elle confère de l'importance à leurs paroles et de la valeur à leurs conseils. Nous sommes portés à croire qu'il existe, dans le monde, des "illuminati" travaillant en silence derrière la scène des affaires mondiales, répandant la lumière nécessaire dans les endroits ténébreux, élucidant des problèmes et mettant en lumière ce qui doit être supprimé et ce dont on a besoin Nous avons aussi appris à reconnaître les porte-lumière de tous les temps, et nous sentons que la lumière de tous les siècles se trouve concentrée dans le Christ, car Il sert de foyer à la lumière de Dieu. Les disciples entrèrent pour la première fois dans le rayon de cette lumière, au sommet de la montagne, après six jours de labeur – c'est ce que nous raconte l'histoire – et ils ne purent supporter la vue d'une clarté aussi éblouissante.

Néanmoins, ils sentirent "qu'il était bon qu'ils demeurassent là." Cependant, lorsque nous étudions la lumière qui était dans le Christ et le ravissement des apôtres devant sa révélation, n'oublions pas qu'en [152] chacun de nous il y a aussi une lumière, et celle-ci doit resplendir pour le secours du monde et la glorification de notre Père qui est aux cieux[12]. C'est cette lumière dont témoignent les mystiques, c'est cette lumière dans laquelle ils entrent et qui entre en eux, révélant la lumière qui s'y trouve à l'état latent et la poussant à se manifester dans toute sa splendeur.

"Dans la lumière, nous verrons la lumière". C'est là le fait essentiel du mysticisme scientifique. Dieu est à la fois lumière et vie. Chaque mystique l'a prouvé, et en témoigne pour l'éternité.

C'est la reconnaissance du prodige latent en chaque être humain qui établit dans notre conscience cette perception du fait de la Divinité. L'homme qui ne trouve rien de bon chez les autres n'est pas non plus conscient de sa propre bonté ; l'homme qui voit le mal chez tous ceux qui l'entourent, les regarde à travers la lentille déformée de sa propre nature pervertie. Mais ceux qui s'éveillent au monde de la réalité sont constamment sensibles à la divinité de l'homme, telle qu'elle se manifeste à travers ses actes de désintéressement, sa bonté, son esprit de recherche, son insouciance devant l'adversité, et sa bonté essentielle et foncière. Cette certitude s'approfondit dans la mesure où l'homme étudie l'histoire de la race humaine, l'héritage religieux des siècles, et, par- dessus tout, lorsqu'il se trouve en présence de la bonté et du prodige transcendant que révéla le Christ. De là, il passe à la découverte du divin qui est en lui-même et entreprend cette longue lutte qui le mène à travers les différentes étapes qui jalonnent la perception croissante de ses possibilités et l'intuitive perception de la vérité, vers cette illumination qui est la prérogative et le don de tous les fils parfaits de Dieu. Le corps intérieur rayonnant est présent, à la fois dans l'individu et dans la race, invisible et non révélé, mais émergeant lentement et sûrement. Un grand nombre d'êtres humains sont actuellement engagés dans l'activité des six jours qui précède l'expérience de la Transfiguration.

Il est important, à présent, d'étudier brièvement la place assignée aux disciples dans l'histoire de cette expérience. A travers toute l'histoire biblique, nous rencontrons cette même trinité ; Moïse Aaron et [153] Josué ; Job et ses trois amis ; Shadrach, Meschach et Abednego, les trois amis de Daniel ; les trois rois mages autour du berceau à Bethléem ; les trois disciples lors de la Transfiguration ; les trois croix sur le calvaire. Que signifie ce retour perpétuel du chiffre trois ? Toute question de réalité historique mise à part, y a-t-il derrière ces faits un symbole particulier qui, si nous le déchiffrons, peut nous éclairer sur les circonstances dans lesquelles ces personnages jouèrent leur rôle ? L'étude de leurs noms et leur interprétation, telle qu'elle nous est fournie par les Concordances de Cruden, peuvent déjà nous en donner un indice. Prenez, par exemple, la signification des noms des amis de Job. Il y avait Eliphaz le Témanite, Bildad le Shuhite, et Zophar le Naamathite. Eliphaz le Témanite signifie "mon Dieu est l'or", et aussi le "quartier du Sud", c'est-à-dire le pôle opposé au Nord. L'or est le symbole du bien-être matériel, et le pôle opposé à l'esprit est la matière ; par conséquent nous trouvons, symbolisée dans ce nom, la forme extérieure et tangible de l'homme animé par le désir de possessions matérielles et du confort physique. Zophar le Naamathite signifie "celui qui parle", et son thème est l'agrément, lequel est l'interprétation donnée au mot "Naamathite". Ici nous avons un symbole du corps du désir, avec sa soif de bonheur et de plaisir, et un indice de l'appel incessant de la nature émotionnelle, dont nous pouvons tous témoigner. Bildad le Shuhite représente la nature mentale. Son nom signifie "la contrition", laquelle ne devient possible que lorsque le mental (y compris la conscience) entre en activité. Shuhite signifie "prostration" ou "impuissance", ce qui veut dire que, seul et sans aide, l'esprit peut révéler, mais non secourir. Le remords et le chagrin, découlant de la mémoire, sont le résultat de l'activité mentale. Ainsi les trois amis de Job symbolisent les trois aspects de la nature inférieure de l'homme. Nous retrouvons la même concordance lorsque nous étudions les noms des trois amis de Daniel. Abednego signifie "le serviteur du soleil", le servant de la lumière ; ce sens résume tout le devoir et le dessein de l'homme physique extérieur. Le nom de Schadrach a un [154] sens émotionnel précis car il signifie "la réjouissance dans la route", et, partout où nous rencontrons une allusion aux dualités fondamentales du plaisir et de la peine, nous sommes en présence de la nature émotionnelle. Meschach signifie "agile", "qui se meut rapidement", ce qui est, en soi, une excellente description de la nature mentale. Arjuna, dans la Bhagavad Gitâ, souligne ce point dans ces mots à Krishna : "Cette union par l'unité que tu enseignes ( ) j'ai peine à comprendre, étant donné notre mobilité, comment elle se peut asseoir fermement ; car le mental, ô Krishna, est mobile, impérieux, violent, tenace ; autant que le vent, il est difficile à enchaîner." [13]

Ainsi, dans les trois amis et les diverses trinités que nous rencontrons dans la Bible, nous découvrons un symbolisme qui nous illumine d'une façon vitale. Les trois aspects à travers lesquels l'âme doit s'exprimer et à travers lesquels elle doit briller, se trouvent dépeints ici. On retrouve la même relation entre les trois amis du Christ. Je ne puis parler ici des amitiés de Jésus-Christ. Ces relations sont très profondes, très réelles et d'une inclusivité absolue. Elles sont situées hors du temps et sont éternelles car on trouve des amis du Christ dans toutes les races (chrétiennes ou autres), sous tous les climats et dans les deux hémisphères. Et, que l'on se souvienne bien que, seuls les amis du Christ ont le droit de parler de Lui d'une façon dogmatique, et ont une autorité quelconque pour L'étudier, Lui et Ses idées, parce que leur autorité découle de la compréhension et de l'amour.

Nous retrouvons cette trinité fondamentale dans les personnes de Pierre, de Jacques et de Jean, et nous voyons opérer, dans leurs noms, le même symbolisme que celui auquel nous faisions allusion plus haut, et qui nous fournit la clé de cette merveilleuse histoire. Pierre, comme nous le savons bien, signifie "rocher". Nous avons ici la fondation, l'aspect le plus concret, la forme physique extérieure qui est transfigurée par la gloire de Dieu au moment de la Transfiguration, faisant disparaître l'image extérieure, et faisant resplendir Dieu Lui-même. Jacques, nous dit-on, signifie "illusion", déformation. Ici, nous [155] avons une référence au corps émotionnel, avec son pouvoir de représenter faussement les choses, de tromper, d'égarer et de décevoir. Là où l'émotion intervient, et où le foyer de l'attention est centré sur les réactions sensitives et sensuelles, le faux prend rapidement le dessus, et l'homme devient la victime d'un mirage. C'est ce corps de l'illusion qui est finalement transmué et si profondément transformé et stabilisé, qu'il devient alors un élément limpide, à travers lequel la divinité peut se révéler Jean veut dire "le Seigneur a parlé", et personnifie la nature mentale, parce que c'est seulement lorsque l'aspect mental commence à se manifester que nous assistons à l'apparition du langage et de cet être pensant et parlant que nous appelons "l'homme". De sorte que, dans le symbolisme de l'Évangile, les trois amis du Christ représentent les trois aspects de Sa nature humaine, et c'est cette personnalité intégrée, centrée et consacrée, qui fut frappée par le choc de la Transfiguration, provoquant ainsi la révélation. De même que la dualité essentielle de l'humanité nous est révélée par le Christ, Sa triple personnalité et Sa divinité essentielle se trouvent dessinées pour nous en traits si lumineux, que la leçon qui s'en dégage et la possibilité qu'elle comporte ne peuvent plus être ignorées. Les apôtres reconnurent Dieu dans leur Maître et prirent leur appui sur Sa divinité, comme l'ont fait tous les mystiques, à travers les siècles.

Ils "savent en qui ils ont cru." [14]Ils ont vu la lumière qui brillait dans la personne de Jésus-Christ, et, pour eux, Il devint plus que la personne qu'ils avaient connue auparavant. Par cette expérience, Dieu devint une réalité.

Dans cette synthèse du passé, du présent et de l'avenir, le Christ et ceux qui furent Ses amis immédiats rejoignirent Dieu et, si puissante fut cette combinaison, qu'elle provoqua une réponse immédiate de Dieu Lui-même. Quand le sentiment et la pensée se rejoignent dans un moment de clarté, il en résulte un tel dégagement d'énergie que la vie devient différente de ce qu'elle était auparavant. Ce que l'on croyait est devenu désormais un fait, de sorte que la croyance n'est plus nécessaire.

[156]

TROISIEME PARTIE

La scène de la Transfiguration a servi de terrain de rencontre à plusieurs facteurs significatifs et, depuis ce moment, la vie de l'humanité s'en est trouvée radicalement changée. C'est dans l'histoire de la race, un moment aussi important que la Crucifixion, peut-être même encore plus important que ce grand évènement tragique. De pareils moments sont très rares. En général, nous n'obtenons que des aperçus fugitifs de la possibilité, des éclairs rapides d'illumination, et nous ne vivons que des instants éphémères où s'accomplit une synthèse qui nous laisse un sentiment de bien-être, d'intégration, de dessein et de réalité sous-jacente. Mais de tels moments sont d'une extrême rareté. Nous savons que Dieu est. Nous savons que la réalité existe. Mais la vie, avec l'accent qu'elle met sur les phénomènes, avec ses angoisses et ses incertitudes, nous absorbe tellement que nous n'avons pas le temps, au terme des six jours de labeur, de monter au sommet de la montagne de la vision.

Une certaine intimité avec la nature de Dieu doit certainement précéder la révélation de Dieu Lui-même, cette révélation qu'Il peut nous accorder, et nous accorde parfois. Les trois amis du Christ étaient parvenus à un degré d'intimité avec Lui qui justifiait le fait d'avoir été choisis comme Ses compagnons et leur permit d'être présents sur le lieu de Son expérience. Et cette expérience était d'autant plus importante pour l'humanité, qu'elle n'était pas seulement un évènement symbolique, mais encore une expérience précise, en vue de laquelle les préparatifs avaient été faits au préalable, et les protagonistes dûment éduqués et choisis, afin que les symboles dont ils étaient la personnification pussent apparaître clairement et que leurs réactions intuitives fussent correctement orientées. Il était nécessaire que le Christ eût auprès de Lui des amis dont Il pouvait être certain qu'ils reconnaîtraient la divinité lorsqu'elle ferait son apparition, des disciples dont la perception intuitive et spirituelle serait suffisamment élevée pour qu'ils pussent transmettre, à travers les siècles, le sens intérieur de cette expérience à ceux qui devaient suivre ultérieurement Ses pas. Ceci est un point que l'on oublie quelquefois.

Inévitablement "nous serons comme Lui, car nous Le verrons tel qu'Il est." [15]

Mais, pour acquérir cette ressemblance, deux choses sont exigées [157] du disciple consacré et dédié. Il doit être capable de voir clairement, tandis qu'il se tient dans l'illumination qui rayonne du Christ, et son intuition doit rester en éveil, de façon qu'il puisse interpréter correctement ce qu'il a vu. Il aime son Maître, et le sert avec tout le dévouement dont il est capable ; mais il faut plus encore que le dévouement et le service. Il doit être capable de regarder l'illumination en face, et, en même temps, il doit posséder cette perception spirituelle qui voit et touche la réalité, atteignant ainsi un point situé au-delà de celui où l'intellect peut le conduire. Qu'est, au juste, cette perception spirituelle ? Elle est l'amour et l'intellect combinés, auxquels vient s'ajouter le pouvoir de connaître, inhérent à l'âme, qui reconnaît ce qui est saint, universel et réel, tout en étant spécifiquement vrai pour tout le monde et à toutes les époques.

Le Christ révéla la qualité de la nature divine, par l'entremise de la matière, de la forme, et fut "transfiguré devant elles."

"Le mot grec employé ici, est "métamorphose", le mot même employé par saint Paul pour décrire la transmutation du corps mortel en corps ressuscité ; car, au jour de l'accomplissement, quand le disciple parfait a atteint la Maîtrise, la "Robe de Gloire" brille avec une telle splendeur à travers le vêtement de chair, que tous les assistants la perçoivent et, ayant des yeux et des oreilles accordés à une vibration plus subtile, ils voient leur Maître dans toute Sa divine humanité." [16]

 

[1] Eph. II, 15.

[2] The Value and Destiny of the Individual, par B. Bosanquet, p. 210.

[3] La Bhagavad Gitâ, traduite par Charles Johnston, p. 128

[4] Paracelsus, par Robert Browning, Édition d'Oxford, p. 444.

[5] La Bhagavad Gitâ, Livre X, 40, 41, 42.

[6] A treatise on cosmic Fire, par A.A. Bailey, p. 476.

[7] Deutéronome, IV, 24.

[8] A treatise on cosmic Fire, par A.A. Bailey, p. 478.

[9] Kaivalya II, 9. Extrait de Mysticism, East and Test, par Rudolph Otto, p.98-99.

[10] Psychology and God, par le Dr. Grensted, p. 202, 203.

[11] Saint Mathieu XVII, 1, 8.

[12] Saint Mathieu V, 16.

[13] La Bhagavad Gitâ, VI, 33, 34.

[14] Tim. 1, 12.

[15] Saint Jean, III, 2.

[16] The Mystery Teaching in the Test, par Jean Delaire, p. 121.