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CHAPITRE V LA QUATRIEME INITIATION LA CRUCIFIXION - Partie 1

CHAPITRE V

LA QUATRIEME INITIATION LA CRUCIFIXION

PENSEE-CLE :

"Une nébuleuse et une planète,

Un cristal et une cellule

Une méduse et un saurien

Et les grottes des troglodytes ;

Puis un sens de la Voie et de la Beauté

Une face tournée vers le Ciel Les uns l'appellent Évolution, Et d'autres l'appellent Dieu,

Comme les marées sur une plage courbe

Quand la lune est mince et nouvelle, De hauts désirs s'enflent et montent Comme des vagues dans nos cœurs Elles viennent de l'océan mystique Dont aucun pied n'a foulé le bord Les uns l'appellent nostalgie

Et d'autres l'appellent Dieu.

Une sentinelle montant la garde Gelée par le froid de l'hiver, Une mère mourant de faim

Pour nourrir ses enfants, Socrate buvant la ciguë Et Jésus sur son gibet ;

Et des millions d'êtres, humbles et anonymes Qui avancent, pas à pas, sur le droit chemin, Les uns l'appellent Consécration

Et d'autres l'appellent Dieu."

William Herbert Carruth. [175]

PREMIERE PARTIE

Nous arrivons maintenant au mystère central du christianisme et à l'initiation suprême à laquelle les hommes puissent aspirer, en tant qu'êtres humains. Nous ne savons pratiquement rien de l'initiation suivante, la Résurrection, ni de l'Ascension qui s'y rattache. Nous savons seulement que le Christ ressuscita d'entre les morts. L'initiation de la Résurrection est voilée de silence. Tout ce que l'on nous dit est la réaction de ceux qui connurent et aimèrent le Seigneur, et les effets qu'elle eut plus tard sur l'histoire de l'Église chrétienne. La Crucifixion, par contre, a toujours été l'épisode marquant et dramatique sur lequel a été fondé l'édifice entier de la théologie chrétienne. C'est sur lui que l'accent principal a été mis. On a écrit sur ce sujet des millions de mots ; on s'est efforcé, dans des milliers de livres et de commentaires, d'élucider son sens et d'expliquer la signification de son mystère. Une myriade de points de vue ont été proposés, à travers les âges, à la considération des hommes. Il y a eu beaucoup d'interprétations fausses, mais beaucoup de ce qui est divinement réel y a été exprimé. Dieu a été maintes fois représenté d'une façon déformée, et l'interprétation de l'œuvre du Christ a été travestie, pour la rendre conforme aux vues mesquines de l'homme. Mais le prodige qui eut lieu sur le mont du Calvaire a été dévoilé par les expériences illuminées de ceux qui savent et qui croient.

La venue du Christ sur terre inaugura un nouvel ordre du monde et, depuis lors, nous avons progressé d'une façon continue et régulière vers un âge nouveau, dans lequel les hommes vivront inévitablement en tant que frères, parce que le Christ mourut pour eux. Ce jour-là la vraie nature du royaume de Dieu trouvera son expression sur terre. [176] Ceci nous est garanti par les progrès accomplis au cours du passé. L'imminence de cet évènement est déjà perçue, quoique encore faiblement, par ceux qui ont, comme l'a dit le Christ, des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Nous avançons irrésistiblement vers la grandeur, et le Christ l'a confirmé par Sa vie et par Son œuvre. Cette grandeur, nous ne l'avons pas encore atteinte, mais nous pouvons déjà en apercevoir les signes. Nous avons déjà des indices de la venue de cet âge nouveau et nous pouvons discerner les contours, encore imprécis, d'une nouvelle structure sociale, plus proche de l'idéal et basée sur l'humanité parfaite. C'est cette perfection qui importe avant tout.

Une des premières choses qu'il semble essentiel de reconnaître est ce fait précis, à savoir que la crucifixion du Christ doit être dégagée du domaine de son application purement individuelle et haussée vers celui de l'universel et du Tout. Peut-être provoquerons-nous une certaine consternation en soulignant que la mort du Christ historique sur la croix n'eut pas lieu, à l'origine, pour sauver chaque homme qui en revendique le bénéfice. Ce fut un grand événement cosmique. Ses implications et ses résultats concernent les masses de l'humanité, non tel ou tel individu spécifique. Nous n'avons que trop tendance à accaparer pour nous seuls, et à considérer comme une affaire personnelle, les nombreuses implications contenues dans le sacrifice du Christ. L'égoïsme de l'aspirant spirituel est souvent très réel.

Lorsque l'on aborde ce sujet avec intelligence, il devient évident que le Christ n'est pas mort pour que vous et moi puissions monter au ciel. Il mourut par suite de la nature même de Son service et de la note qu'Il fit retentir ; il mourut parce qu'Il inaugura un âge nouveau et dit aux hommes comment ils devaient vivre, en tant que fils de Dieu.

Lorsque nous considérons l'histoire de Jésus sur la croix, il est par conséquent essentiel de la voir en termes plus généraux et plus larges que ceux qu'on lui attribue habituellement. La plupart des traités et des écrits consacrés à ce sujet sont des controverses ou des exégèses, dont l'objet principal est d'attaquer ou de défendre les faits ou les doctrines théologiques échafaudées sur ce thème. Ou encore, leur ton et leur but présentent un caractère exclusivement sentimental et mystique ; ils ont trait aux relations existantes entre l'individu et la [177] vérité ou son salut personnel dans le Christ. Il est possible que l'on ait oublié, de ce fait, les éléments véritables de cet épisode, et que leur signification la plus haute soit passée inaperçue. Deux choses, cependant, ressortent des enquêtes et des recherches du siècle passé. L'une est que le récit de l'Évangile n'est pas unique ; on trouve des épisodes parallèles dans les vies des autres Fils de Dieu. La seconde est que le Christ, Lui, est unique, tant dans Sa personne que dans Sa mission particulière, et que, sous cet angle spécifique, Son apparition dans le monde n'a pas eu de précédent. Aucun de ceux qui étudient les religions ne peut mettre en doute le parallélisme qui existe entre la religion chrétienne et certains cultes plus anciens. Aucun de ceux qui ont abordé ces questions avec un esprit non-prévenu ne niera que le Christ ait fait partie intégrante d'une grande révélation continue. Dieu "ne s'est jamais laissé Lui-même sans témoin." [1]Et le salut de l'humanité a toujours préoccupé le cœur du Père. Nous citerons ici un auteur qui cherche à prouver la continuité de la révélation :

"À l'époque où parut Jésus de Nazareth, et pendant les quelques siècles qui la précédèrent, la Méditerranée et les régions riveraines avaient servi de berceau à un grand nombre de croyances et de rituels païens. Il existait des temples innombrables dédiés aux dieux comme Apollon ou Dionysos chez les Grecs, à Hercule chez les Romains, à Mithra chez les Perses, à Adonis et à Attis en Syrie et en Phrygie, à Osiris et à Isis en Égypte, à Baal et à Astarté chez les Babyloniens et les Carthaginois, et ainsi de suite. Il existait des communautés religieuses, grandes et petites, formées de croyants unis par le service ou le cérémonial de leurs déités respectives et par les croyances qu'ils professaient à l'égard de chacune d'elles. Et le fait suprêmement intéressant qui s'en dégage est que, malgré les grandes distances qui les séparaient et les différences raciales qui se reflétaient dans les détails du culte, la ligne générale de leurs croyances et de leurs cérémonials était, sinon identique, du moins d'une ressemblance frappante. Il m'est évidemment impossible d'entrer dans le détail de ces différents cultes, mais je dirai, d'une façon générale, que les traits communs à presque tous les dieux mentionnés ci-dessus sont les suivants :

1. Ils naquirent soit le jour où nous célébrons la Noël, soit à une date très rapprochée ; [178]

2. Ils naquirent d'une Vierge Mère ;

3. Dans une grotte ou chambre souterraine

4. Ils menèrent une vie de labeur ardu, accompli pour le bien de l'humanité ;

5. Ils portèrent les noms de "Porte-Lumière", "Guérisseur", "Médiateur", "Sauveur" ou "Libérateur" ;

6. Ils furent néanmoins vaincus par les puissances des Ténèbres

7. Ils descendirent aux enfers et aux royaumes souterrains ;

8. Ils ressuscitèrent d'entre les morts et devinrent les pionniers du genre humain dans le monde céleste ;

9. Ils fondèrent des Communions de Saints et des Églises, où leurs disciples reçurent le baptême ;

10. Leur souvenir fut commémoré par des repas eucharistiques." [2]

Ces faits peuvent être contrôlés par tous ceux qui en prendront la peine et qui sont assez intéressés par ces questions pour vouloir suivre à la trace la croissance de la doctrine des Sauveurs du monde dans l'idéalisme universel. Edward Carpenter, dans ce même livre, ajoute encore ceci :

"Le nombre des divinités païennes (nées, pour la plupart, d'une vierge mère, et condamnées à mort, de façons diverses, pour avoir voulu sauver le genre humain) est si grand qu'il est difficile d'en faire le compte. Le dieu Krishna aux Indes, le dieu Indra, dans le Népal et le Tibet ont répandu leur sang pour le salut des hommes ; Bouddha a dit, selon Max Muller : "Que tous les péchés du monde retombent sur moi, pour que le monde en soit délivré" ; le chinois Tien, l'homme saint – "un avec Dieu et existant de toute éternité" – mourut pour sauver le monde ; L'Égyptien Osiris fut appelé le Sauveur, ainsi que Horus ; Ainsi que le Perse Mithra ; Ainsi que le Grec Hercule qui vainquit la mort bien que son corps fût consumé dans la tunique brûlante de la mortalité, d'où il surgit pour monter au ciel. De même, le Phrygien Attis fut appelé le Sauveur, ainsi que les Syriens Tammuz et Adonis, qui furent tous deux cloués à un arbre et ressuscitèrent ensuite de leurs sarcophages. Prométhée, le plus ancien et le plus grand bienfaiteur de la race humaine, fut cloué par les mains et les pieds, et les bras en croix aux rochers du Caucase. Bacchus ou Dionysos, né de la vierge Sémélé, pour être le libérateur du genre humain (c'est pourquoi on l'appelait Dionysos Eleutherios) fut dépecé, à peu près comme Osiris. Même dans le lointain Mexique, Quetzalcoatl, le Sauveur, naquit d'une [179] vierge, fut tenté, jeûna quarante jours, fut condamné à mort, et sa seconde venue était si ardemment attendue que lorsque Cortez vint, Les Mexicains (les pauvres !) le saluèrent comme étant le Dieu revenant à son peuple ! On trouve des légendes semblables au Pérou, parmi les Indiens d'Amérique, au nord et au sud de l'équateur." [3]

Le but de ce livre n'est pas de prendre parti pour ou contre ces idées. La seule question qui importe vraiment ici, est de savoir quel rôle joua vraiment Jésus en tant que Sauveur du monde, et en quoi consiste le caractère unique de Sa mission. Qu'était ce monde où Il vint ? Quelle est la signification de Sa mort pour l'être humain d'aujourd'hui ? Les faits de Sa vie sont-ils historiquement vrais ? Y eut-il vraiment, dans l'histoire de notre race, une période où Il marcha, parla et mena une existence humaine semblable à la nôtre ? Servit-Il Sa race et retourna-t-Il à la source d'où Il était venu ?

Le fait du Christ n'est pas un problème pour ceux qui le connaissent. Ceux- là savent, sans discussion possible, qu'Il existe. Ils "savent en quoi ils croient." [4]Pour eux, la réalité ne peut être contestée. Leur opinion peut différer quant à l'importance qu'il faut accorder à telle ou telle interprétation théologique de l'histoire de Sa vie, mais le Christ Lui-même, ils le connaissent, et ils foulent avec Lui le sentier de la vie. Ils peuvent discuter pour savoir s'Il était Dieu ou homme, ou Homme-dieu, ou Dieu-homme. Mais il y a un point sur lequel ils sont tous d'accord, c'est qu'Il fut à la fois Dieu et homme, manifestés en un seul corps. Ils peuvent lutter pour perpétuer la mémoire du Christ mort sur la croix ou celle du Christ vivant, ressuscité à la Vie, mais leur témoignage concorde sur le Christ Lui-même, et ce fait est invinciblement : établi par une multitude de témoins. Celui qui sait ne peut douter.

Le Christianisme est la réaffirmation d'une très vieille doctrine. Elle n'est pas un système nouveau. Elle est si essentielle au salut et au bonheur du monde que Dieu n'a cessé de la proclamer à travers les [180] siècles. Les récits évangéliques sont vrais, et nous pouvons les croire, justement parce qu'ils sont intégrés à la révélation spirituelle du passé, et ils sont en train d'être réinterprétés, aujourd'hui, dans les termes du Christ. C'est pourquoi, le genre humain étant plus évolué et plus intelligent, cette ré-interprétation doit satisfaire les besoins de l'humanité d'une façon plus rapide et plus adéquate. Mais le Christianisme n'est pas une chose nouvelle, et le Christ Lui-même ne l'a jamais affirmé. Il a prédit la venue d'un nouvel âge, et l'avènement du royaume de Dieu. Hors du vaste déroulement des temps et de l'ampleur éonienne de la conscience de Dieu, le genre humain commence aujourd'hui seulement à découvrir un univers et une humanité prêts à recevoir la nouvelle révélation – une révélation basée sur la morale vraiment chrétienne et sur les vérités vitales du christianisme. Ce que représente le Christ, la vérité qu'Il personnifie, est si ancienne qu'il n'y a jamais eu d'époque où elle n'ait pas été présente, comme un besoin pressant, au fond de la conscience humaine ; et, pourtant, elle est si neuve qu'il n'y aura jamais de siècle où la naissance et la mort du Sauveur ne seront d'une suprême importance pour l'homme. Edward Carpenter souligne ce fait et éclaire la convergence incessante et immémoriale de l'Amour de Dieu et du désir de l'homme, se rencontrant dans la Personne d'un fils de Dieu :

"Si le caractère historique du personnage de Jésus pouvait être éprouvé, à quelque degré que ce soit, il nous fournirait des raisons de supposer – ce que, pour ma part, j'ai toujours été enclin à croire – que des personnages comme Osiris, Mithra, Krishna, Hercule, Apollon et d'autres divinités similaires, possèdent eux aussi un royaume historique réel. La question, en somme, se ramène à ceci : Y a-t-il eu, au cours de l'évolution humaine, certains points pour ainsi dire nodaux, où les courants psychologiques ont convergé et se sont contractés avant de prendre un nouvel essor, et chacun de ces nodes, ou points de condensation, a-t-il été marqué par l'apparition d'un homme (ou d'une femme) actuel et héroïque, fournissant l'impulsion nécessaire au nouveau départ, et donnant son nom au mouvement qui en résulta ? Ou bien, est-il suffisant de supposer que la formation de ces nodes ou points de départ, s'est effectuée d'une façon automatique, sans l'intervention d'aucun héros ou génie spécial, et d'imaginer que, dans chaque cas, la tendance mythologique du genre humain créa une figure légendaire, qu'elle adora ensuite comme un dieu, pendant une longue période ultérieure ? [181]

"Comme je l'ai dit plus haut, cette question, quoique intéressante, n'a qu'une importance relative. La chose essentielle, c'est que le génie prophétique et créateur du genre humain a effectivement fait surgir, de loin en loin, ces figures, où il a vu une idéalisation des "désirs de son cœur" et il a placé une auréole sur leurs têtes. Leur procession devient, de ce fait, une partie réelle de l'histoire, – de l'histoire de l'évolution du cœur humain et de la conscience humaine." [5]

La Crucifixion et la croix du Christ sont aussi vieilles que l'humanité elle- même. Toutes deux sont des symboles du sacrifice éternel de Dieu, s'immergeant Lui-même dans cet aspect de la nature qui est celui des formes, et devenant ainsi un Dieu à la fois immanent et transcendant.

Nous avons vu qu'il importe, avant tout, de reconnaître la signification cosmique du Christ. Le Christ cosmique a existé de toute éternité. Ce Christ cosmique est la divinité ou l'esprit, crucifié dans l'espace. Il personnifie l'immolation de l'Esprit sur la croix de la matière ou de la forme, ou de la substance, afin que toutes les formes divines, y compris la forme humaine, puissent vivre. Ceci a toujours été reconnu par les cultes dits païens. Si l'on cherche l'origine du symbolisme de la croix, on verra que celui-ci remonte à plusieurs milliers d'années avant le christianisme et que, pour finir, les quatre bras de la croix disparaîtront, ne laissant subsister que l'image de l'Homme céleste vivant, avec ses deux bras tendus à travers l'espace. Le Christ cosmique se tient étendu au Nord, au Sud, à l'Est et à l'Ouest, sur ce que l'on appelle "la croix fixe des cieux". Sur cette croix, Dieu est éternellement crucifié :

"Au point de vue mystique, le Ciel est appelé le Temple et la Conscience éternelle de Dieu. Son autel est le Soleil, dont les quatre bras ou rayons, représentent les quatre coins ou la croix cardinale de l'univers, qui sont devenus les quatre signes fixes du Zodiaque. Ceux-ci, en tant qu'animaux puissants et sacrés, sont à la fois cosmiques et spirituels ( ) Ces quatre signes sont connus sous les noms d'animaux consacrés du Zodiaque, et les signes eux-mêmes représentent les quatre éléments fondamentaux de la vie : le Feu, la Terre, l'Air et l'Eau." [6][182]

Ces quatre signes sont le Taureau, le Lion, le Scorpion et le Verseau, et ils constituent, d'une façon prééminente, la croix de l'âme, la croix sur laquelle est crucifiée la deuxième personne de la Trinité. Le Christ personnifia ces quatre aspects dans Sa mission, et, en tant que Christ cosmique, il donna en exemple, par Sa personne, les qualités que représente chacun de ces signes. Même l'homme primitif, ignorant et non évolué, avait conscience de ce que signifiait l'esprit cosmique, immolé dans la matière et crucifié sur la croix à quatre bras.

 

On retrouve ces quatre signes dans la Bible, d'une façon non équivoque, et notre croyance chrétienne les considère comme les quatre animaux sacrés. Le prophète Ézéchiel les évoque dans le passage suivant :

"Quant à la forme de leurs faces, ils avaient tous quatre une face d'homme, une face de lion du côté droit ; tous quatre une face de bœuf du côté gauche, et tous quatre une face d'aigle."[7]

Nous retrouvons également la même symbolique dans l'Apocalypse :

"Il y avait aussi devant le trône une mer de verre semblable à du cristal et au milieu du trône et autour du trône, il y avait quatre animaux pleins d'yeux, devant et derrière.

"Le premier animal ressemblait à un lion : le second ressemblait à un veau ; le troisième avait un visage d'homme ; et le quatrième ressemblait à un aigle qui vole." [8]

Le "visage d'homme" est le signe ancien du Verseau, de l'homme portant la cruche d'eau, auquel le Christ fit allusion lorsqu'Il envoya Ses, disciples dans la ville, disant : "Lorsque vous entrerez dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau ; suivez-le dans la maison où il entrera." [9]Ceci est le signe du Zodiaque dans lequel nous entrons. Il serait bon de faire remarquer que ceci est [183] astronomiquement vrai et n'est pas simplement une affirmation des astrologues. Le symbole qui représente le signe zodiacal Leo, est le Lion. Ce signe est le symbole de l'individualité ; sous son influence, la race parvient à la conscience d'elle-même et les hommes agissent en tant qu'individus. Le Christ souligna, dans Son enseignement, l'importance de l'individu et en démontra dans Sa vie la valeur suprême, son service et son sacrifice final au Tout. La constellation de l'Aigle (Aguilla) est toujours considérée comme interchangeable avec le signe du Scorpion, le serpent, et elle est, par conséquent, souvent utilisée dans ce sens, quand on considère la croix fixe du Sauveur cosmique. Le scorpion est le serpent de l'illusion, dont la nature du Christ nous libère finalement, et c'est aux séductions fallacieuses de ce serpent Scorpion qu'Adam succomba dans le jardin d'Éden. La "face du Taureau", symbolise la religion immédiatement antérieure à la révélation juive, qui trouva ses adeptes en Égypte, et dans les mystères mithraïques. Sur cette croix fixe, tous les Sauveurs du monde, sans en excepter le Christ de l'Occident, ont été éternellement crucifiés, pour rappeler à l'homme l'intention divine basée sur le sacrifice divin.

Les premiers Pères de l'Église reconnurent cette vérité et comprirent que l'histoire inscrite dans les cieux avait une relation bien définie avec l'humanité et l'évolution des âmes humaines. Clément d'Alexandrie nous dit que "le sentier de l'ascension des âmes traverse les douze signes du Zodiaque", et les fêtes de l'Église ne sont pas basées, aujourd'hui, sur des dates historiques se rapportant aux personnages historiques auxquels elles se réfèrent, mais sur les dates zodiacales et les saisons. Nous avons vu, en ce qui concerne la naissance à Bethléem, que la date en fut fixée astronomiquement, près de quatre siècles après la nativité du Christ. La combinaison de la constellation Virgo avec l'Étoile de l'Est (Sirius) et les trois rois (symbolisés par la ceinture d'Orion) fut le facteur déterminant de ce choix. On vit la Vierge à l'Est, avec la ligne de l'horizon passant à travers son centre, et c'est là un des facteurs qui détermina la doctrine selon laquelle le Sauveur naquit d'une Vierge. [184]

Nous pouvons donner ici un autre exemple pour illustrer l'arrière plan astronomique de nos festivités chrétiennes. On célèbre deux fêtes, dans les églises catholiques romaine et anglicane, appelées l'Assomption et la Nativité de la Vierge. L'une se célèbre le 15 août, l'autre le 8 septembre. Chaque année, on peut voir le soleil entrer dans le signe de la Vierge à l'époque de l'Assomption, et la constellation entière est enveloppée et rendue invisible par la gloire rayonnante du Soleil. Vers le 8 septembre, la constellation de la Vierge redevient visible, émergeant peu à peu des rayons du soleil. On en parle comme étant la "naissance de la Vierge".

Le jour de Pâques est toujours fixé suivant les règles astronomiques. Ces faits méritent un examen approfondi et devraient être connus de tous les chrétiens, parce que c'est seulement ainsi qu'ils parviendront à la connaissance claire et complète de ce que le Christ, dans Sa nature cosmique, est venu faire sur terre. Cet évènement fut d'une importance infiniment plus grande que le fait d'assurer le salut de n'importe quel individu humain. Il signifie beaucoup plus que ce qui sert de base à la croyance de plusieurs millions d'êtres en leur avenir céleste. L'incarnation du Christ (Sa valeur historique et la note fondamentale qu'il fit résonner mises à part) marqua la fin d'un grand cycle cosmique, mais elle marqua aussi l'ouverture de cette porte menant au Royaume, qui ne s'était ouverte qu'occasionnellement auparavant, afin d'y laisser entrer tous les Fils de Dieu qui avaient triomphé de la matière. Après la venue du Christ, la porte s'ouvrit toute grande pour tous les temps, et le royaume de Dieu commença à se former sur terre. Dans le long déroulement du temps, quatre formes du Dieu immanent à la nature sont apparues sur notre planète. Nous les appelons les quatre règnes de la nature. Ils constituent, symboliquement, la réflexion planétaire des quatre bras de la Croix zodiacale sur laquelle le Christ cosmique est crucifié. A travers les âges, des êtres humains ont symbolisé le Christ cosmique immolé sur la [185] croix de la matière et ont ainsi perpétué la connaissance de cet évènement dans la conscience de la race ; de sorte que, dans un sens planétaire, les quatre règnes de la nature en font de même, dépeignant l'esprit de Dieu étendu sur une croix de forme matérielle, afin de rendre possible, pour finir, l'apparition du royaume de Dieu sur la Terre Ceci signifie la spiritualisation de la matière et de la forme, l'Assomption de la matière dans les cieux, et la libération de Dieu de la crucifixion cosmique. Le poète joseph Plunkett rend ceci d'une façon admirablement claire dans les vers suivants :

"Je vois Son sang sur la rose

Et, dans les astres, la gloire de Ses yeux,

Son corps resplendit parmi les neiges éternelles, Ses larmes s'épanchent du ciel.

Je vois Sa face dans chaque fleur, Le tonnerre et le chant des oiseaux

Ne sont que Sa voix – et, gravés par Sa toute-puissance, Les rochers sont Ses mots écrits

Tous les sentiers sont usés par Ses pieds,

Son cœur fort meut la mer toujours battante,

Sa couronne d'épines s'entrelace à toutes les épines, Et chaque arbre est Sa croix." [10]

Le prodige de la mission du Christ consista dans le fait que, bien qu'il fût un chaînon dans une longue lignée d'hommes parfaits, une fonction unique Lui était assignée. Il résuma en Lui-même et mena à sa conclusion la présentation symbolique du sacrifice éternel de Dieu sur la croix fixe des cieux, dont les étoiles portent témoignage, mais que l'histoire de la religion a voilé avec tant de succès, et qu'elle refuse de reconnaître aujourd'hui. L'Homme céleste est suspendu aujourd'hui dans les cieux comme il y est suspendu depuis la création du système solaire, et comme le Christ l'a dit : "Et Moi, lorsque j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi" [11] – et pas seulement tous les hommes, mais encore toutes les formes de vie dans tous les règnes. Car celles- ci renonceront alors à leur [186] vie, non comme un sacrifice imposé, mais comme une offrande volontaire, offerte à la gloire de Dieu. "Celui qui tentera de conserver sa vie la perdra ; mais celui qui aura perdu sa vie, à cause de moi, la retrouvera." [12]C'est là un fait que l'on oublie souvent, et qui a un rapport précis avec l'histoire de la crucifixion, prise dans son acception la plus large. C'est toutefois, par l'achèvement du dernier des règnes manifestés, le règne humain, que la Croix et son dessein se trouvent accomplis, et c'est ce dont témoigne la mort du Christ.

Mais le point important n'est pas Sa mort, bien qu'elle soit un moment culminant dans le processus évolutionnaire, mais la résurrection qui la suivit, symbolisant, comme elle le fit, la formation et la précipitation sur terre d'un nouveau règne dans lequel tous les hommes et toutes les formes seront libérés de la mort, – un règne dont l'homme libéré de la croix devra être le symbole. Nous achevons le cercle complet, depuis l'homme dans l'espace, les bras étendus sur la forme de la croix, en passant par la succession des Sauveurs crucifiés qui nous répètent sans cesse ce que Dieu a fait pour l'univers, jusqu'à ce Fils culminant de Dieu qui fit descendre ce symbolisme jusque sur les plans physiques, à travers tous ses stades. Il ressuscita alors d'entre les morts, pour nous dire que la longue tâche de l'évolution avait enfin atteint sa phase finale si nous le voulons et si nous sommes prêts à faire comme Lui c'est-à-dire à en payer le prix, et si, franchissant les portes de la mort, nous atteignons une résurrection joyeuse. Saint Paul a cherché à nous familiariser avec cette vérité, bien que ses mots aient été souvent déformés par les traductions infidèles et les fausses interprétations théologiques :

"J'aspire à connaître le Christ et le pouvoir qui est dans sa résurrection, et à partager ses souffrances et même à mourir comme il est mort ; dans l'espoir d'atteindre la résurrection d'entre les morts. Je ne dis pas que j'aie déjà acquis cette connaissance, ni déjà atteint la perfection, mais je fais tous mes efforts pour y parvenir." [13]

Il ne semble pas, quand on lit ce passage, que saint Paul ait considéré qu'il soit suffisant, pour atteindre le salut, de croire simplement que le Christ est mort pour racheter nos péchés. [187]

Qu'il me soit permis de dire ici, d'une façon brève et succincte, ce qui semble être vraiment arrivé quand le Christ mourut sur la croix. Il se dépouilla de l'aspect de la forme et s'identifia, en tant qu'homme, à l'aspect de la vie de la Divinité. Il nous libéra ainsi de l'aspect de la forme de la vie, de la religion et de la matière, et nous démontra la possibilité d'être au monde, sans être cependant "dans le monde"[14], et de vivre comme des âmes libérées des entraves et des limitations de la chair, quoique marchant sur la terre jusqu'au tréfonds d'elle-même, l'humanité est lasse de la mort. Son seul repos réside dans la croyance en la victoire ultime sur la mort, et dans la conviction qu'un jour viendra où la mort sera abolie. Nous examinerons ceci plus en détail dans le prochain chapitre, mais nous pouvons dire, en passant, que l'humanité est si pénétrée par l'idée de la mort, que la ligne de moindre résistance, pour la théologie, a consisté à mettre l'accent sur la mort du Christ, plutôt que sur le renouveau de vie, dont Sa mort ne fut que le prélude. Cette pratique cessera parce qu'aujourd'hui le monde demande plutôt un Christ vivant qu'un Rédempteur mort. Il demande un idéal si universel dans ses implications – si inclusif du temps et de l'espace – que les explications perpétuelles et les tentatives sans cesse renouvelées pour rendre la théologie conforme aux exigences d'une vérité vitale profondément ressentie, deviendront superflues. Le monde a dépassé le moment où il croyait en un Dieu coléreux qui exigeait des sacrifices sanglants. Les gens intelligents d'aujourd'hui doivent admettre que  "la pensée moderne ne se heurte pas brutalement aux idées chrétiennes primitives " Nous ne pouvons plus accepter l'affreuse doctrine théologique qui prétend qu'un sacrifice propitiatoire était nécessaire, pour une raison mystique ignorée. Cette conception blesse, soit notre idée d'un Dieu tout-puissant, soit celle d'un Dieu tout aimant "[15]. "L'humanité, par contre, accepte volontiers la pensée d'un Dieu qui aima tellement le monde, qu'Il nous envoya Son Fils pour nous apporter l'expression finale du sacrifice cosmique, [188] et pour nous dire, comme Il le fit sur la croix : "Tout est accompli." [16]Nous pouvons entrer, à présent, dans "la joie du Seigneur"[17]. Les hommes sont en train d'apprendre à aimer, et ils répudieront de plus en plus une théologie qui fait de Dieu une force de dureté et de cruauté dans le monde, infiniment plus grande que la cruauté humaine.

Toute la tendance de la vie tend à répudier ces anciennes doctrines fondées sur la peur, et cherche, au contraire, à affronter courageusement les faits et les responsabilités qui découlent de son droit d'aînesse spirituel.

DEUXIEME PARTIE

Lorsque l'Église mettra l'accent sur le Christ vivant et reconnaîtra que ses formes et ses cérémonies, ses festivités et ses rituels sont hérités d'un très ancien passé, nous verrons alors émerger une nouvelle religion, qui diffèrera autant de la forme et du passé que le royaume de Dieu diffère de la matière et de la nature du corps. La religion orthodoxe peut être considérée, dans son ensemble, comme une croix sur laquelle nous avons crucifié le Christ ; elle a servi de gardienne aux âges écoulés et de préservatrice aux formes anciennes, mais elle doit entrer dans une vie nouvelle et traverser la résurrection, si elle doit satisfaire les besoins de l'humanité profondément spirituelle d'aujourd'hui. "Les nations, comme les individus", nous dit-on, "sont faits, non seulement de ce qu'ils acquièrent, mais de ce à quoi ils renoncent, et ceci est également vrai, en ce moment, de la religion"[18]. Sa forme doit être sacrifiée sur la croix du Christ, afin qu'elle puisse ressusciter et se transformer en vie réelle, pour la satisfaction des besoins du peuple. Il faut que son thème soit un Christ vivant, et non pas un Sauveur mourant. Le Christ mourut. Il ne doit y avoir sur ce point aucune équivoque. Le Christ de l'histoire a franchi pour nous les [189] portes de la mort. Le Christ cosmique est toujours en train d'agoniser sur la croix de la matière. Il y demeure suspendu, jusqu'à ce que le dernier pèlerin exténué ait trouvé le chemin du bercail [19]. Le Christ planétaire, c'est-à-dire la vie des quatre règnes de la nature, a été crucifié à travers les âges sur les quatre bras de la croix planétaire. Mais la fin de la période de crucifixion est proche. Le genre humain peut descendre de la Croix, comme le fit le Christ, et entrer dans le royaume de Dieu, tel un esprit vivant. Les fils de Dieu sont prêts à se manifester aujourd'hui, comme jamais auparavant :

"L'Esprit Lui-même rend témoignage, par nos esprits, que nous sommes les enfants de Dieu ; et si nous sommes Ses enfants, nous sommes aussi héritiers – héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, si toutefois nous partageons les souffrances du Christ afin de partager aussi Sa gloire

"Toute la création attend, avec un désir ardent, que les enfants de Dieu se manifestent. Car toute la création fut assujettie à la vanité, pas de son propre choix, mais par la volonté de Celui qui l'assujettit ; cependant la création espère être enfin délivrée de la servitude de la corruption, pour jouir de la liberté qui vient avec la gloire des enfants de Dieu.

Car nous savons que la création entière gémit jusqu'à cette heure dans les travaux de l'enfantement Et, plus encore nous- mêmes, qui possédons l'Esprit comme un avant-goût de la béatitude ; nous-mêmes qui gémissons en attendant notre filiation entière dans la rédemption de nos corps." [20]

Nous sommes tous en train d'avancer vers la glorification de Dieu. Quelques-uns des fils des hommes ont déjà atteint ce stade, par la réalisation de leur divinité.

Il est intéressant de noter que les deux grands rameaux du Christianisme, le rameau oriental représenté par l'Église grecque, et le rameau occidental représenté par les Églises, catholique, romaine et protestante, ont préservé les deux grands concepts dont l'esprit de la race humaine avait besoin, au cours de son grand voyage évolutionnaire, qui s'éloigna de Dieu pour revenir à Dieu.

L'Église grecque a toujours mis l'accent sur le Christ ressuscité. L'Ouest a insisté davantage [190] sur le Sauveur crucifié. Le christianisme oriental voit le pivot de son enseignement dans la Résurrection.

Le besoin de mourir aux choses matérielles, la dénonciation de la tendance de l'homme à pécher et à oublier Dieu, enfin la nécessité de transformer les cœurs et les intentions, telle a été la contribution du christianisme occidental aux croyances religieuses du monde. Mais nous nous sommes tellement préoccupés du problème du péché que nous en avons oublié notre divinité. Nous avons été si intensément individualistes dans notre conscience, que nous nous sommes représenté Jésus comme un Sauveur qui vint donner Sa vie pour nous autres individus, croyant que, s'Il n'était pas mort, nous n'aurions pas pu aller au ciel. L'Église chrétienne orientale a peu insisté sur ces vérités et s'est davantage préoccupée de mettre l'accent sur le Christ vivant et la nature divine de l'homme. Ce n'est, assurément, que lorsque le meilleur de ces deux lignes de vérité aura été fusionné et interprété, que nous arriverons au concept fondamental sur lequel nous pourrons nous appuyer en toute confiance et avec la certitude d'avoir affaire à un enseignement suffisamment inclusif pour être divin. Le péché existe et le processus qui consiste à ajuster nos natures pécheresses comporte le sacrifice. Il existe une mort à la vie et un besoin de "mourir journellement"[21], comme le dit saint Paul, afin que nous puissions naître à la vérité Le Christ mourut à tout ce qui n'avait d'existence que dans la forme, nous laissant un exemple qui nous incite à suivre Ses pas. Mais, dans l'Ouest, nous avons oublié la Transfiguration ; Nous avons perdu contact avec la divinité, et nous devrions accepter, à présent, ce à quoi le chrétien oriental croit depuis déjà si longtemps.

Cette gnose a toujours existé dans le monde. Bien avant la venue du Christ, la divinité de l'homme fut affirmée et des incarnations divines reconnues.

Les gnostiques eux-mêmes se proclamaient ouvertement les gardiens d'une révélation qui n'était pas uniquement la leur, mais qui avait toujours été présente dans le monde. G.R. Mead, dont les travaux font autorité dans ce domaine, remarque : "L'affirmation des Gnostiques était, en somme, que la bonne nouvelle du Christ (le Christos) [191] représentait la consommation de la doctrine intérieure des Mystères de toutes les nations, leur fin commune étant la révélation du mystère de l'Homme. Dans le Christ, le mystère de l'Homme fut dévoilé." [22]

Étant donné que la continuité de la révélation est un fait prouvé, et que le Christ fut un chaînon dans une longue lignée de Fils de Dieu manifestés, en quoi Sa mission et Sa personne diffèrent-elles de celles de ses prédécesseurs ? Nous devons être d'accord avec Pfleger lorsqu'il écrit : "L'incarnation de Dieu dans le Christ n'est qu'une Théophanie plus parfaite, dans une série de Théophanies moins parfaites, mais qui lui préparèrent la voie, en façonnant la nature humaine ( ) L'Incarnation n'est pas un miracle, dans le sens strict et brutal du mot, de même que la Résurrection, qui est l'union intérieure de la matière et de l'esprit, n'est pas étrangère à l'ordre universel de l'existence." [23]

En quoi, alors, la mission du Christ diffère-t-elle des autres ?

Cette différence réside dans le point d'évolution que l'humanité elle-même avait atteint, au moment de Sa venue. Le cycle inauguré par le Christ fut un cycle dans lequel les hommes sont devenus strictement humains. Jusqu'à l'Incarnation, il y avait toujours eu ceux qui, ayant achevé leur humanité, avaient commencé à manifester la divinité. Mais, à présent, toute la race est sur le point d'en faire autant. Bien que la plupart des hommes actuels réagissent encore d'une façon surtout animale et émotionnelle, cependant, grâce au succès du processus évolutionnaire – produisant, comme il l'a fait, nos systèmes éducatifs très répandus, et un niveau général élevé de conscience mentale – les hommes ont atteint le point où les masses elles-mêmes peuvent "entrer dans le royaume de Dieu", si on les y encourage intelligemment. Qui peut affirmer que ce n'est pas la perception de ce fait, aussi confus et incertain soit-il, qui provoque les troubles que nous voyons aujourd'hui dans le monde et la volonté très répandue d'accéder à de meilleures conditions d'existence ? Que nous interprétions le royaume de Dieu en termes matériels est inévitable, pour commencer, mais c'est un symptôme plein d'espoir et un signe spirituel indiscutable de voir combien nous sommes occupés aujourd'hui à nettoyer notre maison, [192] nous efforçant ainsi d'élever le niveau de notre civilisation. Le Christ s'incarna quand, pour la première fois, l'humanité fut un tout complet, en ce qui concerne le côté forme de sa nature, et manifesta toutes les qualités – physiques, psychiques et mentales – qui caractérisent l'animal humain. Il nous fournit une image de ce que pouvait être l'homme parfait qui, considérant cette forme comme le temple de Dieu, mais conscient aussi de sa divinité innée, s'efforce d'amener cette dernière au premier plan, d'abord dans sa propre conscience, puis dans l'univers. C'est ce que fit le Christ. Les mystères avaient toujours été révélés à l'individu qui s'était appliqué à pénétrer les arcanes secrètes du Temple, mais le Christ les révéla à l'humanité tout entière, et joua tout le drame du Dieu-homme devant la race. Tel fut son apport essentiel, et c'est là ce que nous avons oublié – le Christ vivant – à force de mettre l'accent sur l'homme, dans ses relations avec lui-même en tant que pécheur, et dans ses relations avec Dieu, c'est-à-dire Celui envers qui il a péché.

Il faut insister, une fois de plus, sur ce fait : chaque grande organisation, chaque religion collective et chaque culte ont eu leur origine dans une seule personne, et c'est en partant de cette personne que l'idée qu'elle incarnait s'est répandue dans le monde, recueillant, avec le temps, des adhérents de plus en plus nombreux. C'est de cette façon que le Christ précipita le royaume de Dieu sur la terre. Ce royaume avait toujours existé dans les lieux célestes. Mais le Christ provoqua sa matérialisation et en fit un fait dans la conscience des hommes.

Cette préparation au royaume et la venue du moment où les hommes purent être initiés, en grand nombre, aux mystères, suscitèrent chez eux la reconnaissance d'une indignité et d'un état de pêché, que seul pouvait leur conférer le développement de l'esprit. L'ère chrétienne a été une période de développement mental. Elle a aussi été un âge où l'on a beaucoup insisté sur le péché et sur le mal. Il n'existe aucune conscience du péché chez les animaux, bien qu'il puisse y avoir des rudiments de conscience chez les animaux domestiques, par suite de leur association avec l'homme. L'esprit engendre la faculté d'analyser et d'observer, de différencier et de distinguer ; de sorte que les [193] progrès de développement mental ont provoqué, avec le temps, un sens croissant du péché, de la contrition et une attitude presque de défection à l'égard du Créateur, dont le fruit est cette humanité fortement marquée par le complexe d'infériorité que cherchent à vaincre les psychologues contemporains. Nous nous révoltons aujourd'hui contre ce sens du péché, avec ses formes concomitantes de propitiation, d'expiation, et d'immolation du Christ, et il y a, dans cette réaction profondément saine, une tendance normale à dépasser la mesure.

Heureusement, nous ne pouvons jamais nous écarter beaucoup de la Divinité, et, en tant que race, nous reviendrons avec une force redoublée à un état de spiritualité accrue – telle est du moins la croyance sincère de ceux qui savent. La théologie a poussé trop loin le complexe du "misérable pécheur", et a trop insisté sur la nécessité d'une purification par le sang. Cette doctrine de la purification par le sang des taureaux (ou des agneaux) faisait partie des anciens mystères et nous a été léguée principalement par le culte de Mithra. Ces mystères, eux-mêmes, avaient hérité cet enseignement, et basèrent sur lui leurs doctrines, qui furent absorbées ensuite par le christianisme. Lorsque le soleil se trouva dans le signe zodiacal du Taureau, on sacrifia des taureaux, comme une préfiguration de ce que le Christ viendrait révéler plus tard. Quand (par suite de la précession des équinoxes) le soleil passa dans le signe suivant, celui d'Ariès ou du Bélier, on sacrifia des agneaux, et le bouc émissaire fut envoyé dans le désert. Le Christ naquit dans le signe suivant, celui des Poissons, et c'est pour cette raison que nous mangeons du poisson le jour du vendredi Saint. C'est notre façon de commémorer Sa venue. Tertullien, l'un des plus anciens Pères de l'Église appelle Jésus-Christ "le grand poisson", et, nous qui Le suivons, les "petits poissons". Ces faits sont bien connus, comme l'indique la citation suivante :

"Les cérémonies de purification, par l'aspersion ou l'immersion du novice dans le sang de taureaux ou de béliers, étaient très répandues, et on les trouve fréquemment dans les rites mithraïques. Par cette purification, l'homme était "re-né", et l'expression chrétienne "lavé dans le sang de l'agneau" est sans doute un reflet de cette idée, ce qui éclaire l'allusion contenue dans ce passage de [194] l'Épître aux Hébreux : "Il n'est pas possible que le sang des taureaux et des agneaux efface les péchés." Dans ce même passage, l'auteur nous dit ensuite : "Ayant la hardiesse d'entrer dans le Très Saint par le sang de Jésus, par un chemin nouveau et vivant qu'Il a consacré pour nous à travers le voile, c'est à dire sa chair  approchons-nous donc  nos cœurs étant purifiés de la mauvaise conscience, et nos corps lavés par l'eau pure." Mais quand nous apprenons que la cérémonie d'initiation mithraïque consistait à entrer hardiment dans une chambre mystérieuse et souterraine appelée "le Saint des Saints", les yeux bandés, pour y être aspergé de sang et lavé avec de l'eau, il est clair que l'auteur de l'Épître pensait à ces rites mithraïques qui devaient être familiers à tous à cette époque." [24]

Le Christ vint pour abolir ces sacrifices, en nous montrant leur vraie signification, et Il mourut sur la Croix, en tant qu'homme parfait, pour nous montrer (d'une façon à la fois actuelle et figurative) que la Divinité ne peut se manifester et s'exprimer dans l'homme que lorsque celui-ci est mort, en tant qu'homme, pour que le Christ caché puisse vivre. La nature charnelle inférieure (comme saint Paul aimait à l'appeler) doit mourir pour que la nature divine supérieure puisse apparaître dans toute sa beauté. Le soi inférieur doit mourir pour que le soi supérieur puisse se manifester sur terre. Il fallait que le Christ mourût pour que l'humanité pût apprendre, une fois pour toutes, la leçon suivante, à savoir que l'aspect divin pouvait être "sauvé" par le sacrifice de la nature humaine. Ainsi le Christ totalisa en Lui-même la signification de tous les sacrifices qui avaient précédé le Sien. Cette vérité mystérieuse, qui n'avait été révélée jusque-là qu'à l'initié instruit et consacré, au moment où il se préparait à recevoir la quatrième initiation, fut donnée par le Christ au monde des hommes. Il mourut pour tous, afin que tous pussent vivre. Mais ceci n'a rien à voir avec la doctrine de l'expiation par la substitution, qui fut l'interprétation que saint Paul nous donna de la Crucifixion. C'est la doctrine que le Christ Lui- même nous enseigna – la doctrine de l'immanence divine (voyez Saint Jean, XVII) – et celle du Dieu-homme.

Bien des interprétations du christianisme ont été héritées, et les docteurs et les interprètes des temps chrétiens primitifs n'étaient pas plus affranchis de l'emprise des croyances anciennes que nous ne le [195] sommes de celle des interprétations que l'on nous a données depuis deux mille ans. Le Christ nous a enseigné à mourir pour que nous puissions vivre comme des dieux, et c'est pour cela qu'Il mourut. Il résuma en Lui toutes les traditions du passé car "Il n'accomplit pas seulement les Écritures judaïques, mais aussi celles du monde païen et c'est en cela que résida la grande séduction du christianisme primitif. En Lui, une douzaine de dieux qui étaient restés à l'état d'ombres, furent condensés en une réalité tangible ; et par Sa crucifixion, les vieilles légendes de leurs terribles souffrances expiatoires et de leurs morts sacrificielles, furent rendues actuelles et prirent une signification directe"[25]. Mais Sa mort fut aussi le couronnement d'une vie de sacrifice et de service, ainsi que l'aboutissement logique de son enseignement. Les pionniers, c'est-à- dire tous ceux qui révèlent aux hommes la prochaine étape qu'ils doivent accomplir, et ceux qui viennent pour interpréter le Plan divin, sont immanquablement répudiés, et meurent généralement par suite de leurs affirmations courageuses. Le Christ ne fit pas exception à cette règle. "Les penseurs chrétiens avancés considèrent aujourd'hui la crucifixion de Notre Seigneur comme le suprême sacrifice accompli par Lui pour défendre les principes de Son enseignement. Elle fut le couronnement de Sa vie si héroïque, et elle donna un exemple si sublime au genre humain, qu'on peut dire que le seul fait de méditer sur elle provoque un état d'unification avec la Source de toute bonté." [26]

Comment se fait-il, alors, que nous ayons si constamment mis l'accent sur le sacrifice du sang du Christ et sur l'idée de péché. Il semble y avoir à cela deux raisons :

1. L'idée d'un sacrifice du sang, que nous avons héritée. Le Dr Rashdall nous dit :

"Les divers auteurs des livres canoniques étaient, en fait, si accoutumés aux idées pré-chrétiennes d'un sacrifice expiatoire, qu'ils l'acceptèrent sans aller jusqu'au fond de la question. Mais le vague de cette conception déplut aux premiers Pères de L'Église chrétienne. Dès le second siècle après J.C., Irénée et après lui d'autres auteurs, exposèrent la doctrine que l'on a appelée "la théorie de la rançon", (ou du rachat), selon laquelle, le diable était le maître légitime [196] du genre humain par suite de la chute d'Adam, et Dieu, étant incapable, en toute justice, de ravir à Satan ses sujets, sans acquitter le prix de leur rançon, lui offrit, en échange, Son propre Fils incarné." [27]

Nous voyons, dans cette pensée, comment toutes les idées (qui commencent par être absolument justes, tant qu'on les perçoit intuitivement) sont déformées par la suite. L'esprit des hommes et leurs notions déformées déteignent sur elles. L'idée devient l'idéal ; elle sert un but utile et guide les hommes en avant (car l'idée de sacrifice a toujours rapproché les hommes de Dieu), jusqu'au jour où elle devient une idole, limitée dans ses effets, et par conséquent fausse.

2. La croissance de la conscience du péché dans la race, due à la sensibilité croissante de celle-ci à l'égard de la Divinité et à sa reconnaissance parallèle des insuffisances et du caractère relativement mauvais de la nature humaine inférieure.

 

[1] Actes, XIV, 1.

[2] Pagan and Christian Creeds, par Edward Carpenter, pp. 20, 21.

[3] Pagan and Christian Creeds, par Edward Carpenter, p. 129, 130.

[4] Tim, 1, 12.

[5] Pagan and Christian Creeds, par Edward Carpenter, p. 217, 218.

[6] The celestral Ship of the North, par E.V. Straiton, vol. 1, p. 104.

[7] Ézéchiel, I, 10.

[8] Apocalypse, IV, 6, 7.

[9] Saint Luc, XXII, 10.

[10] Extrait de the Testament of Man, d'Arthur Stanley, p. 498.

[11] Saint Jean, XII, 32.

[12] Saint Mathieu, X, 39.

[13] Phil, III, 10, Texte de Weymouth.

[14] Saint Jean, XVII, 16.

[15] The Paganism in our Christianity, par Arthur WeigalI, p. 152.

[16] Saint Jean, XIX, 30.

[17] Saint Mathieu, XXV, 21.

[18] The Suprême Spiritual Ideal, par Sir Radhakrishnan, Hibbert journal, octobre 1936.

[19] The Secret Doctrine, Vol. 1, p. 229

[20] Romains, VIII, 16, 24.

[21] Cor. XV, 31.

[22] Thrice-Greatest Hermès, par G.R.S. Mead, Vol. I, p. 141.

[23] Trestlers with Christ, par Karl Pfleger, p. 242.

[24] The Paganism in Our Christianity, par Arthur Weigall, pp. 132, 133.

[25] The Paganism in our Christianity, par Arthur Weigall, p. 158.

[26] The Paganism in our Christianity, par Arthur Weigall, p. 166.

[27] The Idea of Atonement, par H. Rashdall, p. 248.