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CHAPITRE III LA SECONDE INITIATION LE BAPTEME DANS LE JOURDAIN - Partie 1

CHAPITRE III

LA SECONDE INITIATION

LE BAPTEME DANS LE JOURDAIN

PENSEE-CLE :

"C'est actuellement un moment propice pour mettre en pratique la vie chrétienne ( ) Au moment de la catastrophe, un processus de purification ascétique a lieu, en l'absence duquel il ne peut y avoir de vie spirituelle, ni pour la société, ni pour l'individu "

[87]

Freedom of the Spirit, par Nicholas Berdyaev, p. 46

PREMIERE PARTIE

"Partout où une chose est à la fois perçue et sentie, il y a une expérience de l'âme ; et chaque fois qu'une pensée et un sentiment deviennent impossibles à distinguer l'un de l'autre, il y a l'âme. L'âme veut dire unité, unicité, union entre le désir intérieur et la réalité extérieure. Au fur et à mesure qu'un homme avance vers l'acceptation de l'univers, vers la compatibilité entre ce qu'il sent comme étant un vœu du dedans et ce qu'il perçoit comme étant un arrangement du dehors, et au fur et à mesure que ces deux éléments se déploient, L'âme progresse vers la grandeur." [1] (Les italiques sont de moi, A.A.B.)

La première initiation a eu lieu. Le Christ est né à Bethléem. L'âme est parvenue à l'expression extérieure, et maintenant cette âme – le Christ – (comme peut l'être le représentant historique de toute âme) L'individu initié – progresse vers la grandeur. C'est à ce moment précis que commence la mission du Sauveur, mais, pour le bien de ceux qui viendront plus tard, Il doit faire entendre la note de la purification ; Il doit se conformer aux exigences rituelles et aux coutumes de son temps. L'initié qui a accompli le premier pas doit souligner l'importance de la purification de la nature inférieure, car il est essentiel qu'elle précède la deuxième initiation.

Le symbole de cette purification fut le baptême de Jean. Le Christ se soumit Lui aussi au baptême, faisant taire les protestations de l'Évangéliste par ces mots : "Ne t'y oppose pas pour le présent ; car c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir tout ce qui est juste." [2][88]

 

Le Christ avait atteint l'âge mûr. La tradition nous dit qu'Il avait trente ans lorsqu'Il fut baptisé et commença sa carrière publique, courte et spectaculaire. Qui peut dire la part de vérité que contiennent ces affirmations ? Cette question, au fond, n'a pas grande importance. Le Christ fut, est et sera toujours. Au point de vue symbolique, il était nécessaire qu'Il eut trente ans, car ce chiffre a un sens profond, quand il s'applique à l'humanité. Trente signifie que les trois aspects de la personnalité – le corps physique, la nature émotionnelle, et le mental – on atteint leur plein développement. Ces trois aspects constituent la "forme" de l'homme. Ils voilent ou cachent l'âme. Ils sont, en fait, son mécanisme de contact avec le monde extérieur, l'équipement grâce auquel sa conscience se déploie et s'éveille. Ils constituent, dans leur totalité, son "appareil responsif", comme l'appellent les psychologues. Nous savons que l'homme est à la fois un appareil physique, un être émotionnel et sensitif, et une entité pensante. Quand ces trois éléments de la nature inférieure de l'homme fonctionnent harmonieusement, et forment une unité au service de l'homme intérieur, il en résulte une personnalité intégrée ou un "soi" inférieur agissant. C'est ce que symbolise le nombre trente. Dix est le nombre de la perfection, et trente signifie la perfection atteinte dans chacune des trois parties qui constituent l'équipement de l'âme.

Il est intéressant de se rappeler qu'à travers ces trois aspects (ou réflexions de l'être divin) l'homme est mis en rapport avec l'univers existant, et par conséquent avec Dieu, immanent à la nature Le corps physique nous met en contact avec le monde tangible et visible. La nature émotionnelle et sensible nous permet de dire : "Je lève mon cœur vers le Seigneur." La plupart des gens vivent dans la nature du cœur et dans le corps sensible. Or, c'est par le cœur que nous trouvons le chemin du cœur de Dieu. C'est seulement par l'amour, que l'Amour peut se révéler. Quand, par un usage et une compréhension correcte, le mental est finalement dirigé et convenablement orienté, il entre en rapport avec le Mental de Dieu, le Mental Universel, le Dessein, le Plan et la Volonté de Dieu. Le Mental de la Divinité se révèle à travers le mental illuminé de l'homme. C'est ainsi que l'homme est "fait à l'image de Dieu." [3][89]

Lors de la seconde initiation, le Christ se tint devant Dieu, l'Initiateur, avec tous Ses aspects purifiés et portés à leur suprême degré de maturité ; Son mécanisme était ajusté et prêt pour la tâche qui Lui était dévolue. Il était ainsi mis à même de fournir la preuve de cette purification et de cette tension intérieure qui allaient Lui permettre d'accomplir Sa mission, jusqu'à son terme. Mais, cette preuve, Il devait encore la fournir à Dieu et aux hommes, en acquérant la purification que pouvait lui conférer le baptême et en surmontant victorieusement les épreuves auxquelles il fut ultérieurement soumis dans le désert. Prêt à accomplir Sa tâche, Il possédait ce que le Dr Sheldon appelle "les trois éléments cardinaux d'un grand esprit, à savoir l'enthousiasme, la perception intuitive et un équipement factuel systématisé" et cet auteur souligne que, parmi ces trois éléments "les plus importants sont les deux premiers, car on ne peut les acquérir par la suite, si l'on a atteint l'âge adulte sans les posséder." [4]

Le Christ se trouvait donc admirablement équipé.

Il peut être utile d'étudier brièvement le but en vue duquel il se tenait ainsi équipé. Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que cette planète que nous appelons la terre est considérée par beaucoup de savants éminents comme étant probablement unique dans sa constitution et dans son dessein. Elle fournit, semble-t-il, des conditions que l'on ne trouve sur aucune autre planète. Que cette hypothèse soit vraie ou non, seul le déploiement de la conscience de l'homme permettra de l'infirmer ou de la confirmer ultérieurement. De nos jours, si nous jetons un regard sur notre vie planétaire, dans tous ses règnes, le spectacle que nous apercevons est décourageant. Nous trouvons, dans tous les règnes, la maladie et la mort ; dans le règne animal et humain, nous trouvons, en outre, des violences de toutes sortes. Le tableau que nous offre la famille humaine est particulièrement attristant, tant nous avons peu compris la raison pour laquelle le Christ est venu, et tant nous avons peu profité des processus de purification contenus dans les modes de vie modernes. On constate une volonté d'amélioration dans beaucoup de domaines qui relèvent de l'action individuelle, mais cette impulsion est encore très faible quand nous considérons l'humanité dans son ensemble. On peut toutefois la réveiller, et quand nous aurons approfondi le message d'amour apporté par le Christ, nous saisirons mieux les responsabilités qui nous incombent. [90]

Il est probablement exact que le Christ vint à nous avec un message plus large et plus profond que tous les messages émis antérieurement du Centre, mais ceci ne diminue en rien la valeur ni l'importance de ceux qui Le précédèrent. Il vint à un moment crucial, et dans une période de crise mondiale. Il s'identifia à un principe cosmique – le principe de l'amour – qui est la qualité essentielle de Dieu. D'autres aspects, d'autres qualités et d'autres desseins de la nature divine avaient été révélés aux hommes par des incarnations antérieures de Dieu, et avaient été manifestés au moment où le développement de la race avait atteint le stade où elle pouvait y répondre d'une façon fructueuse. Zoroastre, pour citer l'un de ces messagers, avait attiré l'attention de l'humanité sur le fait qu'il existe dans le monde deux principes fondamentaux – le bien et le mal – et avait mis ainsi en lumière la dualité foncière de l'existence. Moïse révéla la Loi ; il invita les hommes à reconnaître en Dieu le principe de la Justice, quoique celle-ci puisse paraître une justice sans amour à tous ceux qui ont vécu postérieurement à la révélation apportée par le Christ. Bouddha incarna le principe de la Sagesse divine ; doué d'une vision très claire du monde des causes, il vit l'existence mortelle sous son jour véritable et indiqua le moyen de s'en affranchir. Mais le principe de l'Amour, ce principe fondamental de l'univers – n'avait pas été révélé avant la venue du Christ. Dieu est amour, et ce caractère essentiel de la nature divine devait être révélé dans la plénitude des temps, avec une clarté suffisante pour que l'homme puisse le comprendre. C'est ainsi que le Christ personnifia le plus grand de tous les principes cosmiques. Cette Loi de l'Amour, on peut la voir à l'œuvre dans l'Univers sous la forme de la loi de l'attraction, avec tout ce que comporte ce terme – la cohérence, l'intégration, la position, la direction, et la course rythmique du système solaire on peut aussi la déceler dans les dispositions de Dieu à l'égard de l'humanité, telles qu'elles nous sont révélées par le Christ. Cette fonction unique du Christ en tant que gardien et révélateur d'un principe cosmique sert de toile de fond à chacun de Ses actes ; elle fut la base et le résultat de Sa perfection achevée ; elle fut le motif central et l'impulsion directrice de Sa vie de service ; elle est le principe sur lequel est fondé le royaume de Dieu. [91]

Dire que le paganisme ne connaissait ni but, ni dessein, est aujourd'hui, pour beaucoup d'entre nous, une affirmation qui ne résiste pas à l'examen. Tout ce qui est arrivé, dans le passé, avait pour objet de préparer l'avènement du Christ ; le paganisme prépara l'humanité à comprendre la possibilité qui lui fut alors offerte, et il établit les fondations sur lesquelles repose l'édifice actuel. De même, la révélation imminente du siècle qui vient constituera la fondation sur laquelle reposera l'avenir ; c'est pourquoi tout ce qui arrive en ce moment est d'une importance suprême.

Non seulement le Christ lança un pont entre l'Orient et l'Occident, synthétisant en Lui-même les contributions précieuses qu'avait à nous apporter l'Orient, mais il donna à notre civilisation occidentale (alors non encore née) ces grands idéaux et cet exemple de sacrifice et de service qui sont en train de devenir aujourd'hui (deux mille ans après Son passage sur terre) le thème fondamental des meilleurs esprits de ce temps. L'évolution des idées, la façon dont elles naissent et se gravent dans la conscience humaine, modifiant ainsi le cours des évènements, est la substance de l'histoire ; mais, fort curieusement, ces idées constituent l'élément le plus imprévisible de l'avenir. De temps à autre, un individu, doué d'une personnalité puissante, sort du rang, s'élève au- dessus du niveau moyen de la race et enfante, par sa pensée quelque grande idée dynamique, fondée sur la vérité. Il la formule en des termes que ses contemporains peuvent comprendre, et dont ils peuvent même faire une règle de vie. De nouvelles tendances et de nouvelles impulsions surgissent alors, et c'est ainsi que se fait l'histoire. On pourrait dire, en vérité que sans les idées, il n'y aurait pas d'histoire. Le Christ apparaît comme un phénomène unique par Sa capacité d'énoncer une idée cosmique et de faire de cette idée un idéal doué d'une force dynamique intense. Par l'exemple de Sa vie, Il nous donna une idée qui devint avec le temps l'idéal du service, de sorte qu'aujourd'hui l'attention de beaucoup de penseurs et d'hommes de gouvernement est préoccupée par le bien-être des nations et des individus. Bien que les méthodes employées pour réaliser l'idéal entrevu soient souvent erronées et nuisibles et aboutissent à des résultats cruels et séparatifs, il n'en est pas moins vrai que, derrière toutes ces expériences idéalistes [92] de la race, on trouve ce grand idéal, divinement inspiré et résumé pour nous par le Christ dans Sa vie et Son enseignement.

Le Christ nous a apporté la plus grande de toutes les idées – à savoir que Dieu est amour, que cet amour peut se manifester sous une forme humaine et représente, ainsi manifesté, une possibilité immense pour tous les hommes. Sa vie fut la démonstration d'une perfection si grande, que le monde n'en avait jamais vu de semblable auparavant.

L'âme, qui est le Christ caché en tous, sert de médiatrice entre l'Esprit (le Père) et l'être humain. C'est ce que le Christ a mis en lumière lorsqu'Il a attiré notre attention sur la divinité essentielle de l'homme et a parlé de Dieu comme étant "Notre Père", de même qu'Il était le Père du Christ. C'est cette lumière qu'Il vint montrer et qu'Il vit aussi (cachée et voilée) en tous, nous exhortant "à la laisser briller"[5]. Il nous exhorta à la montrer et nous ordonna de manifester la perfection dont Il était l'incarnation. Il nous prouva ce qui était possible et nous enjoignit de l'exprimer. Par le caractère unique de cette révélation, le Christ occupe une position dominante, parce qu'Il fut le plus grand, le plus élevé et le plus véridique de tous ceux qui ont paru, mais non pas – oserai-je le dire ? – parce qu'Il fut le plus grand de tous ceux qui puissent paraître. Il n'est pas permis de limiter ainsi Dieu. Sous l'angle de la révélation évolutionnaire de la nature de la divinité, le Christ porta le passé à son point culminant et indiqua l'avenir. Mais n'est-il pas possible qu'il existe des aspects et des caractères de la Nature divine dont nous ne puissions nous faire encore la moindre idée ? N'est- il pas possible que notre appareil perceptif soit encore incapable de saisir la plénitude de Dieu ? Notre mécanisme de perception ne peut-il avoir encore besoin de s'épanouir évolutionnairement, avant que d'autres caractères divins et spirituels puissent être révélés avec certitude en nous et par nous ? Il peut exister des révélations futures d'un caractère si prodigieux et d'une beauté si stupéfiante, que nous ne pouvons encore nous faire aucune idée d'elles. S'il en était autrement, Dieu serait limité, statique et incapable de faire plus qu'Il n'a déjà fait. Oserions-nous dire qu'il nous est possible d'assigner des limites à la nature de la divinité ? Comment l'intellect humain pourrait-il croire, avec arrogance, qu'il peut reconnaître, même à travers le Christ, les buts ultimes de la Volonté de Dieu ? L'histoire du déploiement [93] de la conscience humaine nous prouve que la vérité a été formulée progressivement et que la galaxie brillante des Maîtres du monde a donné une interprétation toujours accrue de la divinité, touchant, avec le temps, un nombre toujours croissant d'êtres humains. Le Christ nous a donné la révélation la plus haute et la plus inclusive à laquelle la conscience humaine puisse répondre jusqu'ici. Mais comment oserions-nous dire que Dieu ne pourra rien de plus, le jour où nous serons prêts à recevoir davantage ? C'est justement à cela que nous nous préparons rapidement. Même le Christ a dit à Ses disciples : "Celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes que celles-ci." [6]Ou bien ces mots expriment une vérité ou bien tout l'édifice de notre foi s'écroule. Ou bien, il y a plus encore à révéler ou bien l'histoire du passé est dénuée de sens, les anciennes croyances perdent toute signification ; Et nous nous débattons dans une impasse que Dieu Lui-même semblerait incapable de transcender. Or, ceci, nous ne pouvons l'admettre.

Le Christ cosmique, le Christ mystique et le Christ historique, existant de toute éternité, la révélation peut donc être graduelle. Si nous croyons que Dieu contient toutes les formes et tout ce que ces formes révèlent, il est certain que, dans la proportion où notre équipement se développera et où notre mécanisme de contact se perfectionnera nous serons capables de voir une plus grande partie de la divinité que nous n'en voyons à présent, et nous serons considérés comme dignes de recevoir, à une date ultérieure, une plus grande révélation. C'est seulement notre limitation en tant qu'êtres humains, qui nous empêche de voir tout ce qui doit être vu.

La naissance nouvelle nous a menés au point où nous sommes devenus conscients d'un monde nouveau de lumière et d'être. Par le moyen de cette initiation, nous sommes devenus citoyens du royaume de Dieu, ce royaume que le Christ vint pour établir comme un fait dans la conscience des hommes ; nous entrons, grâce à la nouvelle naissance, dans un monde gouverné par des lois plus hautes : les lois spirituelles ; de nouveaux objectifs se proposent à nous, de nouveaux aspects de notre nature spirituelle cachée émergent, et nous commençons à découvrir [94] en nous-mêmes les contours d'un être nouveau, doué d'un nouveau registre de vœux, de désirs, d'idéaux et de moyens d'action dans le monde.

Nous parlons beaucoup de l'unification que le Christ réalisa à l'intérieur de Lui-même. Nous reconnaissons l'unité dans laquelle il se sentait à l'égard du Père, et nous savons qu'il nous a encouragés à réaliser une unité semblable. Mais n'est-il pas possible qu'il ait établi une synthèse plus vaste que celle de l'individu et de Dieu – la synthèse du royaume de Dieu ?

Que veulent dire ces mots ? Nous avons parlé du royaume de Dieu en termes qui semblent indiquer qu'il est distinct de nous. Nous avons dit que nous étions, soit dans ce royaume, soit en dehors de lui.

On nous a dit que nous devions quitter le royaume des hommes (gouverné par le monde, la chair et le mal), pour entrer dans un autre royaume qu'on nous dépeint comme étant radicalement différent. Mais en est-il bien ainsi ? Tous les aspects des trois règnes subhumains – les règnes animal, végétal et minéral – se trouvent dans l'homme. Leur synthèse, à laquelle vient s'ajouter un facteur nouveau, L'intellect divin, constitue ce que nous appelons le règne humain. L'homme unifie en lui-même ce que l'on appelle les manifestations inférieures de la divinité. Nous trouvons, dans les règnes subhumains de la nature, trois grands types de conscience : le règne minéral, avec son pouvoir de discrimination subjective, sa capacité de croissance et, pour finir sa radioactivité ; le règne végétal, avec sa sensibilité ou sensorialité et son appareil responsif en train de se développer, qui réagit au soleil, à la chaleur et au froid, ainsi qu'aux autres conditions climatiques environnantes ; le règne animal, avec sa conscience considérablement accrue, sa liberté de mouvement et sa capacité d'établir des contacts plus larges par l'entremise de sa nature instinctive. Le règne humain est l'intégration de ces trois types de conscience – la conscience proprement dite, la sensibilité et l'instinct – plus cette mystérieuse faculté que nous appelons "mentale", et nous totalisons toutes ces qualités, dans le mot "conscience de soi".

Cependant, il arrive un moment au cours de son expérience où l'être humain intelligent pressent, d'une façon de plus en plus claire, qu'il existe en dehors de lui une chose qui a une valeur plus grande et plus profonde encore. Il appréhende un registre de contacts plus subtil et réagit à des impressions qu'il appelle spirituelles, idéales ou [95] mystiques. Un nouveau type de conscience s'ébauche en lui, et, lors de la naissance à Bethléem, cette conscience se manifeste et devient reconnaissable. De même que l'être humain synthétise en lui tout ce qui a été, en y ajoutant sa constitution et ses qualités spécifiques, de même des qualités qui ne sont pas humaines commencent à émerger et à se manifester en lui.

Les membres du royaume de Dieu intègreront sûrement en eux l'héritage des quatre règnes, de même que l'homme intègre l'héritage des trois règnes qui l'ont précédé. Ce statut plus élevé comporte l'expression de la conscience du Christ, qui est la conscience du groupe, c'est-à-dire de la relation qui existe entre la partie et le tout (que le Christ ne cessa de souligner), entre le divin et l'humain. Suivant les principes du Plan évolutionnaire le résultat de cette réalisation doit être, immanquablement, l'apparition d'un nouveau règne de la nature. C'est en quoi consiste la grande tâche du Christ. Par la puissance de la divinité réalisée, il produisit l'homme qui opéra en lui-même la fusion de ce qu'il y avait de meilleur dans ce qui existait, et Il révéla en même temps ce qui pourrait être. Il riva, en une unité agissante, le supérieur à l'inférieur, et fit des deux "un homme nouveau". Il fonda le royaume de Dieu sur la terre et opéra la synthèse de tous les règnes de la nature, provoquant ainsi l'apparition d'un cinquième règne. Nous pourrions résumer de la façon suivante toutes les unifications qu'il réalisa :

1. Il unifia en Lui-même, d'une façon parfaite, les aspects physiques, émotionnels et mentaux de l'homme, et démontra ainsi l'Individu parfait ;

2. Il unifia en Lui-même l'âme et le corps, ces aspects supérieur et inférieur, produisant ainsi une incarnation divine ;

3. Il unifia en Lui-même le meilleur de tous les règnes de la nature, c'est- à-dire des règnes minéral, végétal et animal, dont la synthèse engendre l'humain doué de fonctions intellectuelles ;

4. Il fusionna ensuite cette synthèse avec un facteur spirituel plus élevé et enfanta un nouveau règne de la nature, le cinquième.

Le Christ, ayant opéré en Lui-même toutes ces unifications successives, pour le bienfait de l'humanité, se présenta alors devant saint Jean-Baptiste et traversa la seconde initiation, celle de la purification [96] par les eaux du Jourdain. Par le processus du baptême et par les tentations qui suivirent, Il fournit la preuve de Sa maturité ; Il contempla Sa mission en face, et démontra au monde Sa pureté et Sa puissance.

La troisième initiation, celle de la Transfiguration, témoigne de l'unification opérée par le Christ entre l'âme et le corps. L'intégration fut parfaite, et l'Illumination qui en résulta fut rendue visible à ses disciples. Il apparut à leurs yeux en tant que Fils de l'Homme et Fils de Dieu et, leur ayant prouvé qui Il était, Il se tourna vers la mort qui l'attendait, et se consacra au service jusqu'à ce moment.

Dans la quatrième initiation, Il démontra Son intégration, non seulement en tant que Dieu-Homme, mais en tant que Celui dont la conscience englobait l'univers entier des hommes. Il s'unit à l'humanité et décrivit en ces termes la puissance effective de l'énergie divine : "Et moi, quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi." [7]Il fut élevé, en effet, entre la terre et le ciel et, depuis deux mille ans, ses paroles n'ont pas été récusées.

DEUXIEME PARTIE

"Alors Jésus vint de Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. Mais Jean s'y opposait, disant : "C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et tu viens à moi."

Et Jésus, répondant, lui dit : "Ne t'y oppose pas pour le présent, car c'est ainsi qu'il convient d'accomplir tout ce qui est juste." Alors il ne s'opposa plus.

Et quand Jésus eut été baptisé, il sortit immédiatement de l'eau ; et, à l'instant, les cieux s'ouvrirent sur lui, et Jean vit l'Esprit de Dieu descendant comme une colombe l’éclairant sur lui.

En même temps, une voix vint des cieux qui dit : "Ceci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection." [8]

C'est par ces simples mots que l'Évangéliste nous raconte cette initiation. Sa note fondamentale est la purification, et elle marqua la [97] fin d'une période de préparation et de service silencieux, inaugurant un cycle d'activité ardente. La purification de la nature inférieure est une nécessité que l'Église chrétienne n'a jamais cessé de souligner, comme l'avait fait avant elle la foi hindoue. Le Christ proposa cet idéal à ses disciples et à tous les hommes, lorsqu'Il dit : "Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu." [9]

Dans un ancien traité sur la méditation, les Yogas Sutras de Patanjali, nous voyons le Maître proclamer : "C'est par la purification que vient aussi l'esprit paisible ( ) et la capacité de voir le Soi." [10]Il existe beaucoup d'espèces et beaucoup de degrés de purification. Il y a la pureté physique et la pureté morale ; il y a aussi cette pureté magnétique qui fait de l'homme le canal d'une force spirituelle. Il y a la pureté psychique qui est une qualité très rare, et la pureté mentale. Le mot "pureté" vient de la racine sanscrite "pur" qui signifie la libération de tout alliage, de toute limitation et de l'emprisonnement de l'esprit dans les chaînes de la matière. Il ne peut y avoir aucune perfection sans purification ; il nous est impossible de voir ou de manifester la divinité, sans avoir traversé les eaux qui nettoient. Un grand nettoyage a lieu aujourd'hui dans le monde. Une "purification ascétique", marquée par la privation forcée de beaucoup de choses considérées jusqu'ici comme désirables, est en train de s'effectuer dans le monde et nul d'entre nous ne peut y échapper. Ce phénomène est dû à l'effondrement des systèmes économiques et de beaucoup d'autres structures qui se sont avérées inefficaces dans le monde moderne. La purification nous est imposée et le résultat en sera l'acquisition d'un sens plus développé des valeurs véritables. Notre époque est en train de procéder avec vigueur à l'élimination des faux idéaux, à une purification des conceptions malhonnêtes et des objectifs indésirables. Peut-être cela signifie-t-il qu'un grand nombre d'entre nous est en train, aujourd'hui, de descendre vers le Jourdain, pour entrer dans ses eaux purifiantes. Une purification ascétique, appliquée à soi-même, et la reconnaissance de sa valeur par les pionniers de la famille humaine peuvent réussir à nous mener aux portes de l'initiation.

Il existe également, du point de vue astrologique, une interprétation [98] intéressante de ce qui est en train d'arriver aujourd'hui à la race. Nous entrons dans le signe du Verseau, le porteur d'eau. Ce signe symbolise la pureté du groupe et des relations entre ses membres, l'universalité de l'expérience et les "eaux déversées sur nous". Lorsque nous commençâmes à entrer dans ce signe, il y a environ deux cents ans, l'eau devint pour la première fois un objet d'intérêt général et son usage se répandit dans le domaine de l'irrigation comme dans celui de l'hygiène. La maîtrise de l'eau et son utilisation, en tant que moyen de transport devinrent possibles sur une échelle mondiale. L'usage de l'eau est aujourd'hui si universellement répandu dans nos maisons, que nous avons peine à imaginer ce que devait être le monde, avant qu'il en fût ainsi.

Lors de cette grande initiation, le Christ entra dans le fleuve, et ses eaux passèrent sur lui. Aux Indes, cette initiation s'appelle "l'entrée dans le courant", et celui qui la subit est considéré comme ayant fait preuve à la fois de pureté physique et de pureté psychique. Il faut nous souvenir, lorsque nous étudions cette initiation, que le récit évangélique mentionne deux sortes de baptême :

"Jean leur répondit : "Pour moi je vous baptise d'eau ; mais il en viendra un autre, plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers, c'est lui qui vous baptisera de l'Esprit saint et du feu." [11]

 

Il y a donc deux espèces de baptême :

1. "Le baptême de saint Jean-Baptiste, qui est le baptême de l'eau ;

2. Le baptême de Jésus-Christ, qui est le baptême de l'Esprit saint et du

Feu."

Ces deux symboles résument une grande partie de l'histoire du développement humain, et le travail commun effectué par saint Jean-Baptiste et par Jésus produisit une synthèse qui est le but immédiat des efforts de la race. Ce symbolisme est conforme à l'enseignement des anciens mystères. Une étude approfondie de cette expression symbolique, d'une vérité fondamentale, serait extrêmement profitable aux chercheurs de tous les pays, car une compréhension exacte de la signification de ces symboles projetterait une grande clarté sur la réalité. [99]

Au cours de l'évolution de la race, la nature sensible se développe la première, et l'eau a été de tous temps le symbole de cette nature.

Le caractère fluide des émotions, le flux et le reflux constant entre le plaisir et la souffrance qui les caractérisent, les orages qui s'élèvent dans le monde des sentiments ainsi que la paix et le calme qui peut parfois descendre sur un homme, font de l'eau le symbole le plus adéquat de ce monde de la nature inférieure, intérieur et subtil, au sein duquel vit la plupart d'entre nous, et auquel notre conscience est adaptée d'une façon prédominante. L'homme et la femme moyens sont formés principalement de la fusion des natures physique et émotionnelle ; toutes les races primitives présentent ce caractère d'une façon prédominante et il est probable que, dans l'ancienne Atlantide, la civilisation était entièrement centrée sur les sentiments, les désirs, les émotions, et aussi – chez ses représentants les plus évolués – sur la vie du cœur. Saint Jean-Baptiste, donc, célébra le baptême de l'eau qui témoigne de la purification de la nature émotionnelle. Celui-ci est toujours un pas préliminaire vers la purification par le feu.

Le baptême du Jourdain symbolise la purification de la conscience de l'homme, tout comme le Christ et son baptême symboliseront pour nous le divin en l'homme, et la purification qui suit l'activité de cet esprit divin, opérant dans la nature inférieure. La conscience, dont l'appel nous incite à reconnaître les valeurs les plus hautes, les vérités les plus profondes et la naissance à la Vie, mène au Jourdain et c'est pourquoi le Christ y alla "afin d'accomplir tout ce qui est juste". Cette expérience précède toujours le baptême dans le Christ et par le Christ.

Le baptême de Jean était un premier pas sur le chemin qui mène au Centre ; il était d'une application plus générale que le baptême de Jésus, car le nombre de ceux qui sont prêts à recevoir la seconde initiation n'est pas grand. Le baptême de Jean est la préparation du baptême final, car la purification de la nature émotionnelle doit précéder celle de la nature mentale, de même que, dans l'évolution de la race (comme dans celle de l'enfant), l'homme sensible et sentant se développe le premier, le mental n'acquérant une vie active que plus tard. Le baptême que le Christ donne à ceux qui Le suivent correspond à la purification du mental par le feu. Dans le symbolisme universel de la religion, le Feu signifie toujours la nature mentale. Le baptême par le feu est le baptême de l'Esprit saint. [100]

Ainsi Jésus monta de Nazareth et de Galilée pour accomplir le pas suivant qui Lui était assigné dans Son expérience. En vertu de Son expérience de la vie et de Sa consécration intérieure, Il était prêt à recevoir l'initiation suivante. Celle-ci Lui fut donnée dans le Jourdain. Jourdain signifie "ce qui descend" mais aussi, selon certains commentateurs, ce qui "divise", car une rivière divise la terre. Dans le symbolisme ésotérique, le mot "rivière" signifie souvent la discrimination, Nous avons vu que l'eau symbolise la nature émotionnelle et que la purification dans le Jourdain par le baptême représente la purification complète de tous les sentiments, de tous les appétits et de cette vie du désir qui est le facteur déterminant chez tant de gens. La première initiation symbolise la consécration du corps physique et de la vie du plan physique à l'âme. La deuxième initiation représente le contrôle et la consécration de la nature du désir à la divinité, avec ses réactions émotionnelles et sa puissante "vie appétitive".

Un facteur nouveau intervient à présent : la faculté discriminative du mental. Grâce à elle, le disciple peut contrôler sa vie mentale et peut la dédier à la vie du royaume de Dieu, ce qui est consommé lors de la troisième initiation. Par l'usage correct du mental, le disciple est amené à faire le choix convenable et peut tenir sagement en équilibre les innombrables dualités antagonistes de la vie.

Nous passons par l'initiation de la naissance d'une façon presque inconsciente. La pleine signification de ce que nous avons subi ne nous apparaît pas encore ; nous sommes des "enfants dans le Christ" et, tels des enfants, nous nous contentons de vivre et de nous soumettre à la discipline, tandis que nous croissons et progressons lentement vers la maturité. Mais il vient un moment, dans la vie de tout initié, où il faut savoir faire son choix, et c'est cette épreuve que le Christ devait alors affronter. Nous devons rompre clairement et délibérément avec le passé avant de pouvoir nous tourner vers un avenir de service, accompli consciemment, et nous devons savoir qu'à partir de ce moment plus rien ne sera comme auparavant.

Cette initiation marqua un changement considérable dans la vie de Jésus de Nazareth. Jusque-là, c'est-à-dire pendant trente ans, Il avait [101] été simplement un charpentier dans Sa petite ville, et le fils de Ses parents. Il était une personnalité qui faisait beaucoup de bien, mais dans une sphère restreinte. Après avoir subi la purification dans le Jourdain, et ayant "accompli tout ce qui était juste" 106[12], Il devint le Christ et circula à travers le pays, servant la race et prononçant les paroles qui ont façonné, pendant des siècles, notre civilisation occidentale. La même grande expansion doit venir pour chacun de nous, et elle viendra lorsque nous serons prêts à recevoir la seconde initiation, notre vie de désir étant alors mise en présence de certains choix que seul le mental lui permet de faire convenablement.

On lit, dans les Concordances de Cruden, que le nom de Jean signifie "que Dieu donna" et les trois noms qui apparaissent dans cet épisode – Jean, Jésus et le Christ – résument toute l'histoire de l'aspirant consacré. Jean symbolise l'aspect divin profondément caché dans l'homme, mais qui le pousse vers la pureté nécessaire ; Jésus symbolise dans ce cas le disciple consacré, ou l'initié prêt à traverser l'épreuve qui mettra le sceau à sa purification ; le Christ symbolise le Fils divin immanent à Dieu, capable à présent de se manifester en Jésus, parce que Jésus s'est soumis au baptême de Jean. Telle est la récompense de cette purification et de cette soumission parfaites.

C'est au moment où eut lieu cette initiation que Dieu Lui-même proclama que Son Fils était "Celui en qui Il avait mis toute son affection."Toute initiation n'est qu'une reconnaissance. C'est une idée fausse, malheureusement très répandue dans beaucoup d'écoles où l'on enseigne les mystères et l'ésotérisme, de croire que l'initiation est une cérémonie mystérieuse au cours de laquelle les conditions sont radicalement changées chez l'aspirant, par l'opération de l'initiateur et de la verge de l'initiation. Une initiation a lieu chaque fois qu'un homme devient un initié, par suite de son effort personnel. Ayant alors "pris le royaume des Cieux par violence" [13] et ayant "travaillé à son salut avec crainte et tremblement"[14], son nouveau statut spirituel est immédiatement reconnu par ses pairs et il est admis à l'initiation. [102]

Deux choses ont lieu, lors de l'initiation : l'Initié découvre ses compagnons d'initiation, c'est-à-dire ceux avec lesquels il peut s'associer. Il trouve aussi la mission qui lui est dévolue. Il devient conscient de sa divinité, dans un sens nouveau et concret, non point simplement sous la forme d'une espérance profondément spirituelle, d'une possibilité hypothétique et mystérieuse ou d'un désir de son cœur. Il se reconnaît lui-même comme étant un Fils de Dieu, et c'est pourquoi cette reconnaissance lui est accordée. Ceci fut le cas, d'une façon frappante, pour Jésus-Christ. Sa tâche se dessina à Ses yeux avec ses terribles implications, et c'est sûrement la raison qui le conduisit ensuite dans le désert. Le besoin de solitude, la recherche de cette tranquillité, où la réflexion et la volonté se fortifient l'une l'autre, furent la conséquence naturelle de cette reconnaissance. Il vit ce qu'Il avait à faire – c'est à dire à servir, à souffrir et à fonder le royaume de Dieu. L'expansion de sa conscience fut immédiate et profonde. Le professeur Schweitzer dit à ce sujet :

"Nous ne savons rien du développement antérieur de Jésus. Toute cette partie de sa vie est plongée dans l'obscurité. Une seule chose est certaine : c'est que, lors de son baptême, le secret de son existence lui fut révélé – à savoir qu'il était Celui que Dieu avait destiné à être le Messie. Ayant obtenu cette révélation, Il fut complet, et ne subit plus aucun développement ultérieur. Car Il était assuré, à présent, que jusqu'à la venue de l'Age Messianique, où il serait revêtu de gloire, il devait travailler pour le royaume en tant que Messie caché et non reconnu, et qu'Il devait se justifier et se purifier lui-même, ainsi que ses amis, dans l'affliction finale." [15]

Pour l'homme-Jésus, ceci fut probablement une découverte bouleversante. Des anticipations confuses du sentier qu'Il aurait à fouler ont dû surgir de temps à autre dans sa pensée, mais la vision précise du chemin qu'Il avait à parcourir, avec ses implications totales, n'a dû naître dans sa conscience qu'après Sa seconde initiation, lorsque Sa purification fut accomplie. Il entra alors résolument dans une vie de service et affronta les difficultés qui jalonnent le sentier de chaque fils conscient de Dieu. Le même auteur écrit : [103]

 

"Dans la conscience messianique de Jésus, la pensée de la souffrance acquit alors une signification mystérieuse car Il la vit appliquer à Lui-même. La destinée messianique dont Il devint conscient lors de Son baptême, n'était pas une possession, ni un simple objet d'expectation ; selon la conception eschatologique, il était inévitable qu'Il devint ce que Dieu L'avait destiné à être, à travers l'épreuve de la souffrance. Sa conscience messianique ne se distingua jamais de la prescience de Sa passion. La souffrance est la voie qui mène à la révélation de la destinée messianique." [16]

Dès lors, la vie entière du Christ ne fut qu'une longue via dolorosa, mais elle fut constamment illuminée par la lumière de son âme et par la reconnaissance de Son Père. Bien qu'elle fut divisée en périodes et en cycles distincts, comme on nous le dit dans l'Évangile, et bien que le détail de sa mission ne lui fût révélé que progressivement, Sa vie constitua un seul grand sacrifice ininterrompu, une seule grande expérience et un seul dessein précis. Le caractère nettement défini de l'objectif à atteindre et la consécration de l'homme entier à un idéal sont les caractères spécifiques de l'état d'initiation. Tous les évènements de la vie deviennent liés à l'accomplissement de la tâche assignée. La vie prend alors sa vraie signification. C'est une leçon que nous pouvons tous apprendre aujourd'hui, que nous soyons non-initiés ou aspirants. Nous pouvons commencer à dire : "Pour moi, la vie, lorsque je jette un regard en arrière, n'est pas une succession d'expériences, mais une seule grande expérience, illuminée de loin en loin par des moments de révélation." [17]

Avec le temps, L'illumination devient de plus en plus constante. L'ancien Maître hindou Patanjali enseigna que l'illumination est septuple et progresse par étapes successives[18].

C'est comme si nous avions affaire, en pensée, aux Sept Illuminations qui sont accordées à tous les Fils de Dieu en train de prendre conscience de leurs possibilités divines. L'illumination nous vient lorsque nous décidons de fouler le sentier de la probation et que nous nous préparons à l'initiation. La lumière se répand alors sur la vision [104] lointaine et nous acquérons une vision fugitive de notre but. Puis, la lumière se répand sur nous-mêmes et nous acquérons une vision de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons devenir. Nous entrons alors dans le sentier des disciples ou, pour emprunter la terminologie biblique, nous entreprenons le long voyage vers Bethléem. Puis, ont lieu les cinq initiations que nous étudions dans ce livre ; chacune d'elle est marquée par un accroissement de la lumière qui éclaire notre route et par un développement de ce rayonnement intérieur qui permettent à tous les enfants de Dieu de dire avec le Christ : "Je suis la lumière du monde" [19] et d'obéir à son commandement : "Que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu'ils la voient"[20]. Cette lumière, dans ses sept degrés, révèle Dieu – Dieu dans la nature, Dieu dans le Christ, Dieu dans l'homme. Elle est le principe de la vision mystique sur laquelle il a été écrit et enseigné tant de choses, et dont la vie des Saints de Dieu a toujours porté témoignage dans les deux hémisphères.

On est émerveillé en pensant au premier homme qui reçut la première indication fugitive (à l'aide de sa frêle lumière intérieure) des possibilités infinies qui s'ouvraient devant lui. Il eut une première perception de Dieu et, à partir de cet instant, la lumière de Dieu grandit sans cesse et devint de plus en plus intense. Selon une ancienne légende (et qui peut affirmer qu'elle ne soit pas basée sur des faits ?) Jésus de Nazareth aurait été le premier homme de notre humanité à qui fut donnée cette vision, dans un passé lointain et obscur. Il fut également le premier à émerger dans la pleine lumière de Dieu, grâce à la constance de son effort, toujours dirigé dans le même sens. C'est peut-être à cette vérité que faisait allusion saint Paul lorsqu'il parla du Christ comme étant "L'aîné d'une vaste famille de frères." [21]Que cette légende soit vraie ou non, le Christ entra dans la lumière parce qu'il était la lumière ; et l'histoire de l'homme a été une illumination grandissante, depuis les origines jusqu'à nos jours, où le rayonnement se décèle partout.

C'est au sein de cette lumière, inhérente et divine, latente et pourtant émanant de Dieu, que le Christ eut Sa vision, et que cette vision Lui dévoila Sa filiation divine, Sa tâche messianique et le sentier de Sa souffrance. Cette vision est l'héritage et la révélation de chaque disciple individuel. Cette révélation mystique peut être perçue, et, une fois perçue, elle demeure un fait intangible – souvent inexplicable, mais néanmoins une réalité claire à laquelle on ne peut plus se [105] soustraire. Elle donne à l'initié la confiance et la force nécessaires pour aller plus loin. Elle est un élément effectif de notre expérience ; elle est la racine de toute consistance future et de tout service ultérieur ; elle est inébranlable. Nous procédons avec courage du connu à l'inconnu, en nous appuyant sur elle. En outre, elle est ineffable car elle met en lumière notre divinité ; est fondée sur la qualité divine et émane de Dieu. Elle est un regard furtif jeté sur le royaume de Dieu et une révélation du sentier qu'il nous faut suivre pour y parvenir. Elle est une expansion qui nous permet de comprendre que "le royaume de Dieu est un état de l'âme, venant de l'esprit et reflété par le corps." [22]

Le premier pas dans le royaume de Dieu s'accomplit au moyen de la nouvelle naissance ; le second, au moyen du baptême et de la purification. C'est la croissance dans les caractéristiques du royaume et l'acquisition progressive de cette maturité qui distinguent le citoyen de ce royaume. C'est ce dont le Christ porta témoignage en acceptant le baptême, lorsqu'il atteignit la maturité, en nous proposant son exemple et en remportant une victoire complète sur les trois tentations. Il nous fournit ainsi la preuve qu'Il possédait toute la pureté requise.

Le nourrisson dans le Christ, le petit enfant, l'homme fait, l'homme parfait ! Le nourrisson est enfanté par l'expérience de Bethléem. Le petit enfant grandit, se rapproche de la maturité et manifeste sa pureté et sa puissance au moment du baptême. Il démontre, lors de la Transfiguration, qu'il est devenu un homme fait et se présente à nous, sur la Croix, comme le Fils parfait de Dieu. L'initiation correspond à ce moment où un homme sent et sait, en chaque partie de son être, que la vie est la réalité et que la réalité est la vie. Pendant un bref instant, sa conscience se déploie totalement. Il ne se borne pas à percevoir la vision et à entendre le mot de passe ; il sait que sa vision a trait à lui-même et que le verbe est lui-même fait chair.

C'est là le facteur essentiel. Une initiation est un remous de lumière projeté sur la rivière de l'existence et elle possède les caractères d'une expérience unique. Il n'y a rien de flou en elle, et l'initié n'est plus jamais, dans sa conscience, le même être qu'auparavant. [106]

Dans la rivière du Jourdain, la lumière du ciel s'épancha sur le Christ, et Son Père prononça les mots qui ont retenti à travers les âges et ont suscité la réponse de tous ceux qui aspirent au royaume. L'Esprit de Dieu descendit sur Lui sous la forme d'une colombe. La colombe est toujours un symbole de paix. Ce fut, pour deux raisons, le signe choisi pour symboliser cette initiation. L'eau, comme nous l'avons vu, est le symbole de la nature émotionnelle, de cette nature qui, lorsqu'elle est purifiée par l'initiation, devient un étang paisible, susceptible de refléter la nature divine dans toute sa pureté. C'est pourquoi la paix de Dieu descendit en Jésus sous la forme d'une Colombe.

D'autre part, la Bible personnifie pour nous les dualités essentielles de l'existence. L'Ancien Testament représente l'homme naturel inférieur, l'aspect de la Vierge Marie, portant dans son sein la promesse du Messie, de Celui qui viendra. Le Nouveau Testament représente l'homme spirituel, le Dieu fait chair, et la naissance de ce que la nature matérielle portait en elle et voilait depuis si longtemps. L'ancien Testament commence par l'apparition du corbeau, lors de la fondation du monde ancien, tel que nous commençons à l'entrevoir. Le Nouveau Testament débute par l'apparition de la colombe. Le premier de ces deux oiseaux symbolise l'eau en furie, l'autre, l'eau pacifiée. La paix "qui surpasse tout entendement" [23] descendra en nous par le Christ, c'est-à-dire par le déploiement de la vie du Christ en nous.

Debout au milieu des eaux du Jourdain, le Christ fit face au monde en tant qu'Homme. Debout au sommet de la montagne de la Transfiguration, le Christ fit face au monde en tant que Dieu. Mais dans l'initiation du baptême, Il se tint au même niveau que ses frères et ne manifesta que la pureté et la paix. Rappelons-nous que "du point de vue des autres, seul est original l'homme qui peut les conduire au-delà de ce qu'ils savent déjà, mais il ne peut le faire que lorsqu'il est devenu leur égal en connaissance." [24]Ce point mérite d'être retenu. Le Christ fut purifié. Mais il n'avait pas encore triomphé des tentations. [107] Il fallait qu'il devînt dans Sa conscience (soit à nouveau, soit par la guérison d'un long passé d'épreuves) notre égal en tous points – en péché, en faiblesse et en fragilité, comme en succès et en prouesses. Il fallait que le Christ nous fournisse la preuve de sa grandeur morale de sa divinité et de sa perfection en tant qu'homme parvenu à la maturité. Il dut subir les épreuves imposées à tous ceux qui veulent devenir citoyens du royaume lorsqu'on leur demande de fournir la preuve qu'ils sont dignes de jouir de ses privilèges. L'Église est le symbole extérieur et visible du royaume, et, bien qu'elle soit défectueuse et faible en ce qui concerne l'interprétation de ses enseignements essentiels, elle n'en symbolise pas moins la forme du royaume de Dieu. Toutefois, celui-ci n'est pas le royaume dont parlent les théologiens. On n'y entre pas par une simple adhésion à certaines croyances formelles ; ceux qui y entrent ont franchi la naissance nouvelle et sont descendus vers le Jourdain.

Le Christ devait prouver, en Sa personne, qu'Il était digne d'être citoyen de ce royaume, et c'est pourquoi Il descendit vers le désert pour y être tenté par le diable.

TROISIEME PARTIE

Cet épisode intime de la vie de Jésus-Christ nous fournit peut-être le premier aperçu réel des processus de Son esprit le plus intérieur. Le récit débute par les mots suivants et ceux-ci sont doués d'une signification profonde :

"En même temps, une voix vint des cieux, qui dit : "Ceci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection."

Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans un désert, pour être tenté par le diable." [25]

L'histoire de la tentation dans le désert est des plus controversées. On a soulevé beaucoup de questions à ce sujet, et les croyants sincères se sont torturés l'âme pour chercher à concilier le sens commun, la divinité du Christ et le diable. Est-il possible que le Christ ait été réellement tenté et, si oui, aurait-il pu succomber au péché ? Affronta t-il [108] ces tentations en tant que Fils omnipotent de Dieu ou en tant qu'homme, sujet, par conséquent, à la tentation ? Que veut-on dire par le diable ? Et quelles étaient les relations entre le Christ et le mal ? Si cet épisode du désert ne nous avait jamais été raconté, quelle serait notre attitude envers le Christ ? Que se passa-t-il réellement dans la conscience du Christ, pendant qu'Il était dans le désert ? Dans quel dessein nous a-t-Il permis de partager cette expérience avec Lui ?

Beaucoup de questions similaires surgissent dans l'esprit de l'homme intelligent, et des commentaires innombrables ont été écrits pour prouver la justesse de tel ou tel point de vue particulier à chaque écrivain. Ce n'est pas l'objet de ce livre d'étudier le problème difficile du mal, ni de définir les moments où le Christ agissait en tant qu'homme et ceux où Il agissait en tant que Fils de Dieu. Quelques auteurs pensent qu'Il était les deux simultanément et était "vrai Dieu de vrai Dieu"[26], tout en étant, en même temps, essentiellement et foncièrement humain. Bien des gens affirment ces choses, mais ils ont tendance à oublier tout ce qu'elles impliquent. Ils défendent leur point de vue avec vigueur, mais omettent de pousser leur attitude jusqu'à sa conclusion logique. La seule conclusion raisonnable est qu'il nous a été permis de connaître les tentations subies par le Christ, afin que nous en tirions la leçon nécessaire, en tant qu'êtres humains. Étudions donc ce passage sous l'angle de l'humanité du Christ, sans jamais oublier, toutefois, qu'il apprit à obéir à l'esprit divin qui est l'âme dans l'homme, et possédait un contrôle parfait de Son corps de manifestation.

Il fut "tenté en tous points comme nous, et cependant sans péché" [27] Il vint dans un corps humain et fut assujetti comme nous, aux conditions humaines ; Il souffrit et agonisa, Il ressentit la colère, et fut influencé par son corps, son milieu, et son temps, comme nous tous. Mais parce qu'Il avait appris à se maîtriser, et parce qu'en ce qui le concernait la roue de la vie avait accompli son œuvre, Il put affronter cette expérience, rencontrer le mal face à face, et en triompher. Il nous [109] enseigna par-là comment on doit affronter la tentation ; Il nous montra ce à quoi il faut nous attendre, en tant que disciples se préparant a l'initiation, et nous fournit la méthode par laquelle le mal peut être transformé en bien. Il ne vainquit pas la tentation par quelque grande technique originale ou par quelque révélation nouvelle Il s'appuya simplement sur ce qu'Il savait, sur ce qu'on Lui avait appris et dit, Il répondit chaque fois à la tentation par ces mots : "Il est écrit que." [28]et n'eut recours à aucun pouvoir nouveau pour combattre le diable. Il utilisa simplement les connaissances qu'Il possédait déjà, Il ne se servit d'aucun pouvoir divin pour terrasser le malin. Il utilisa simplement ceux que nous possédons tous : l'expérience acquise et les règles traditionnelles. Il vainquit, parce qu'Il avait appris à se vaincre Lui-même. Il était, à ce moment, le maître de la situation, parce qu'Il avait appris à dominer ses propres impulsions.

 

[1] Psychology and the Promethean Will, par WH. Sheldon, p. 130

[2] Saint Mathieu, III, 15.

[3] Genèse I, 26.

[4] Psychology and the Promethean Will, par.H. Sheldon, p. 135.

[5] Saint Mathieu, V, 16.

[6] Saint Jean, XIV, 12.

[7] Saint Jean, XII, 32.

[8] Saint Mathieu, III, 13, 17.

[9] Saint Mathieu, V, 8.

[10] Les Yoga Sutras de Patanjali, II, 41.

 

[11] Saint Luc, III, 16.

 

[12] Saint Mathieu, III, 15.

[13] Saint Mathieu, XI, 22.

[14] Phil, II, 12.

[15] Le Mystère du Royaume de Dieu, par Albert Schweitzer, p. 354. (v.a.).

[16] Le Mystère du Royaume de Dieu, par Albert Schweitzer, p. 223. (v.a.).

[17] A Pilgrim's Quest for the Absolute, par Lord Conway of Allination, p. 8.

[18] Les Yogas Sutras de Pantanjali, Livre II, 27.

[19] Saint Jean, VIII, 12.

[20] Saint Mathieu, V, 16

[21] Romains

[22] The Religion of Love, par le Grand Duc Alexandre de Russie.

[23] Phil. IV, 7.

[24] The Recovery of Truth, par Hermann Keyserling, p. 126

[25] Saint Mathieu, 111, 17, IV, 1.

[26] (26) Doctrine Athanasienne.

[27] Hébreux, IV, 15.

[28] Saint Mathieu, IV, 4, 7, 10.