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CHAPITRE IV — LA NATURE DE L’AME ET SON SIEGE

 

CHAPITRE IV — LA NATURE DE L'AME ET SON SIEGE

L'âme a toujours été l'objet de discussions, de débats et d'essais de définition. Au cours des temps et encore maintenant, elle a été et est d'un intérêt intellectuel très grand et le thème de toutes les religions et de toutes les philosophies. De cela seul nous pourrions sans doute déduire qu'il est possible que l'âme soit un fait réel, car un témoignage plusieurs fois millénaire doit être basé sur quelque réalité. Si on élimine toutes les conclusions basées sur des visions et des expériences d'hystériques, de névrosés et de cas pathologiques, il reste encore des témoignages et des déductions de penseurs, de philosophes et de savants réputés et sains d'esprit qui ne peuvent être ignorés et qui méritent d'être reconnus par l'humanité.

Richard Muller-Freienfels dit : "Écrire l'histoire de la croyance de l'homme en l'âme, signifie écrire l'histoire de toute la race humaine." [1]

Le professeur Ames a bien résumé le problème :

"D'un côté, il y avait le soi ou âme, avec sa pensée ; de l'autre, le monde objectif, les autres personnes et Dieu. Pendant des siècles, les sages se sont efforcés de trouver le moyen [73] de franchir l'abîme entre le soi et les objets. Mais entre les idées se produisant dans la tête, et les choses extérieures, il n'y avait aucun pont garantissant que les représentations intellectuelles correspondaient bien aux objets se trouvant dans le domaine extérieur. Des philosophes sur ces deux positions ; les idéalistes du côté du soi, tentant vainement de parvenir à la réalité qu'ils avaient supposée comme étant en dehors de leur atteinte ; du côté opposé, les matérialistes, s'efforçant d'ignorer le soi ou de le considérer comme un fantôme ou un épiphénomène, un souffle ou une nuée exsudant du monde physique. Certains, appelés les dualistes, supposaient que le psychique et le physique étaient tous deux réels, mais ils leur allouaient à chacun une place sans parvenir à donner une réponse satisfaisante à la question de savoir comment le mental peut sortir de lui- même et aller vers un objet aussi différent, ou comment cet objet peut être lui-même et pourtant être connu." [2]

Nous allons donner quelques définitions de l'âme choisies parmi beaucoup. On remarquera une grande uniformité de définition et d'exégèse. Webster définit l'âme en des termes des plus intéressants et, du point de vue de la Sagesse orientale, avec une grande exactitude.

"Une entité, conçue comme l'essence, la substance ou la cause effective de la vie individuelle, particulièrement de la vie psychique ; le véhicule de l'existence individuelle, séparé du corps et considéré généralement comme séparable de l'existence." [74]

Lorsqu'on recherche les différentes interprétations concernant la nature de l'âme, on remarque trois points de vue, bien résumés dans le dictionnaire de Webster :

"Premièrement, l'âme a été considérée comme une entité, ou un sujet, se manifestant particulièrement dans les activités de pensée volitive de l'homme ; c'est le sujet de l'expérience méditée par le corps ; ce n'est pas le mental, mais ce qui pense et veut.

Deuxièmement, l'âme est identifiée au mental ou à l'expérience consciente ; c'est ce sens que lui donne en général la psychologie, et c'est en général la conception des idéalistes.

Troisièmement, l'âme est considérée comme une fonction ou la totalité des fonctions du cerveau ; ainsi Pierre J. G. Cabanis (1757-1808), enseignait que le cerveau sécrète les pensées comme l'estomac digère la nourriture."

Webster ajoute le commentaire suivant qui rejoint la tendance actuelle de la pensée mondiale :

"Certaines conceptions, telle celle de Fechner, d'après lesquelles l'âme constitue le processus spirituel unitaire en conjonction avec le processus corporel unitaire, semblent se tenir à mi-chemin entre le point de vue des idéalistes et celui des matérialistes."

Il est possible, après tout, que le "noble chemin du milieu" sur lequel insistent les bouddhistes, offre à la prochaine génération la voie qui leur permettra d'échapper à ces deux positions extrêmes.

Les Égyptiens pensaient que l'âme est un rayon [75] divin agissant au moyen d'un composé particulier ressemblant à un fluide alors que les Juifs la considéraient comme le principe vital. Les Hindous enseignent que l'âme humaine est une partie d'un Principe immuable, l'Âme du Monde, l'Anima Mundi, l'Éther pénétrant tout (Akasha) de l'espace. Cet éther est simplement le conducteur de certaines catégories d'énergie ; c'est l'intermédiaire entre l'esprit essentiel et la matière tangible.

Pythagore, qui fit tant à son époque pour rapprocher les philosophies orientale et occidentale, enseignait la même chose. En Chine, Lao-Tseu enseignait que l'âme spirituelle est unie à l'âme vitale semi-matérielle, et qu'à elles deux, elles animent le corps physique.

Quant aux Grecs, ils pensaient que l'âme (avec toutes les facultés mentales) pouvait se séparer du corps, tandis que les Romains considéraient l'âme comme ayant une triple nature, une âme spirituelle, une âme intellectuelle, ou mentale, et un corps vital. Beaucoup, comme Théophraste, considéraient l'âme comme "le principe réel de la passion", etc.…

"Les stoïciens trouvèrent une nouvelle façon de désigner le principe animateur ou théorie des processus vitaux, à savoir pneuma (...). Avec l'emploi de ce terme commença la trichotomie de la personnalité humaine en corps, âme et esprit qui prit une part importante dans les spéculations des théologiens. Le concept de l'âme ou psyché (...) se différencia en deux concepts (...) d'une part la force vitale des physiologistes, et d'autre part l'esprit ou âme immatérielle de l'homme." [3][76]

Les stoïciens soutinrent donc un enseignement qui est pleinement en accord avec la philosophie orientale. Ils comblèrent par conséquent la brèche entre les deux hémisphères.

Platon exposait la doctrine de l'âme de la manière suivante :

"Il pensait que l'âme est composée de trois parties. L'une immortelle ou rationnelle, vient de Dieu ; une autre, mortelle animale ou sensible, est le siège des appétits et des sensations relatifs au corps ; et une troisième partie, volonté ou esprit, entre les deux premières rend possible leur interaction et permet à la raison de vaincre le désir. Les plantes ont la partie la plus basse ; les animaux, les deux parties inférieures, mais la partie rationnelle est exclusivement humaine.

Il considérait cette âme rationnelle comme immatérielle et de nature métaphysique, que les sens ne pouvaient percevoir et que seul l'intellect pouvait saisir. L'union avec le corps physique, mortel et matériel, ne constitue qu'un incident mineur dans sa longue carrière (...). Platon établissait donc une distinction fondamentale entre l'âme et le corps."

Aristote considérait l'âme comme étant la totalité des principes vitaux et comme étant au corps ce que la vision est à l'œil. Pour lui, l'âme était l'Être véritable dans le corps, et Plotin était de son avis. Il considérait l'âme comme étant la sensibilité vivante du corps, appartenant à un degré d'être supérieur à la matière. Pour Tertullien, l'âme se divisait en deux parties, un principe vital et un principe rationnel, et St. Grégoire pensait de même. La plupart [77] des écoles orientales considèrent l'âme comme étant le soi, l'individu ; quant aux mystiques chrétiens, ils s'appuient sur l'enseignement de St. Paul pour lequel dans chaque être humain réside une puissance latente qu'il appelle le "Christ en vous" et qui, par sa présence, permet à chaque homme de parvenir finalement à l'état de Christ.

Une comparaison attentive des enseignements chrétiens et orientaux amène à la conclusion que les termes de Soi, d'âme et de Christ signifient le même état d'être ou de conscience et indiquent en chaque homme la même réalité subjective.

Les premiers Pères de l'Église étaient très profondément influencés par les idées des Grecs au sujet de l'âme, et leur enseignement fut plus tard coloré par le gnosticisme et le manichéisme ; pour eux, l'âme était la lumière et le corps, les ténèbres ; la lumière devait irradier le corps et devait être finalement libérée du corps. Au 4ème siècle, St. Grégoire

insistait sur la triplicité formée par le corps, l'âme et l'esprit comme le faisait St. Paul. Il résumait dans son enseignement les idées des meilleurs penseurs de son temps et disait que (pour citer B. Hollander) :

"(...) l'âme ne peut pas se diviser, et pourtant Grégoire distinguait des facultés de nutrition, de sensibilité et de raison correspondant au corps, à l'âme et à l'esprit. La nature rationnelle n'est pas également présente dans toutes les parties du corps. La nature supérieure utilise la nature inférieure en tant que véhicule. Dans la matière réside le pouvoir vital ; dans ce pouvoir réside le pouvoir de sensibilité, et celui-ci est uni au pouvoir rationnel. L'âme sensible est donc un moyen, plus pur que la chair et plus grossier que l'âme rationnelle. L'âme [78] ainsi unie au corps est la véritable source de toutes les activités."

Du 5ème au 17ème siècle, on trouve les idées de diverses écoles ; celles des scolastiques, des philosophes arabes, des cabalistes, des philosophes du Moyen Âge et du groupe d'hommes remarquables, responsables de la Réforme et de la Renaissance. Ils discutèrent des diverses théories relatives à l'âme, mais ne firent guère de progrès, car les esprits étaient surtout intéressés par l'apparition de la science moderne, de la médecine moderne et par les révélations de l'époque de l'électricité. Peu à peu, l'attention fut captivée par l'aspect forme de la nature et par les lois régissant les phénomènes naturels ; de plus en plus, les spéculations relatives à l'âme et à sa nature furent laissées aux soins des théologiens.

Au 17ème siècle, Stahl écrivit abondamment au sujet de l'âme et résuma une grande partie des enseignements de son époque. C'est ce qu'on a appelé l'animisme. Selon cette doctrine, l'âme est le principe vital, responsable de tout le développement organique.

Nous parlons de l'animisme des races peu évoluées qui personnifient et adorent les forces de la nature ; nous reconnaissons, à notre époque, l'animisme décrit par Stahl comme ayant toujours été présent ; nous étudions l'enseignement des savants modernes relatif à l'énergie, à l'atome, à la force, et nous découvrons que nous avons à [79] faire face à un monde d'énergies qui ne peuvent être niées. Nous vivons dans un univers animé par des forces. Vitesse, activité, vitalité, transports, transmission du son, énergie électrique et bien d'autres termes semblables sont communément employés de nos jours. Nous pensons, nous parlons en termes de forces.

Stahl récapitula l'enseignement dans les termes suivants :

"Le corps est fait pour l'âme, l'âme n'est pas faite pour le corps et n'en est pas le produit (...). L'âme est la source de tous les mouvements vitaux ; elle construit la machine qu'est le corps et le protège pour un certain temps des influences extérieures (...). La cause immédiate de la mort n'est pas la maladie, mais l'action directe de l'âme qui abandonne la machine corporelle, soit parce qu'elle ne fonctionne plus, du fait de sérieuses lésions, soit parce qu'elle ne désire plus l'employer."

La définition de l'âme donnée par Berkeley est intéressante ; pour lui, c'est un être simple, actif et révélé par l'expérience.

La psychologie matérialiste moderne, qui considère l'âme comme le produit de l'activité du cerveau, n'a peut-être pas entièrement tort, mais elle s'occupe là d'une manifestation secondaire de l'âme vitale.

Le Dr. Müller-Freienfels dit :

"(...) nous ne devons pas considérer le corps comme un mécanisme atomistique, mais plutôt comme le véhicule d'une énergie vitale intelligente ; le "corps" cesse donc d'être simplement de la matière et doit être considéré comme un être "animé"." [80]

Et il poursuit :

"Nous avons enfin maintenant la possibilité de parvenir à un concept de l'âme ! Rappelons-nous la manière dont l'humanité en est venue à former ce concept. Non pas pour expliquer la "conscience" (car l'âme peut exister sans la conscience) ; mais, afin de rendre compréhensible cette continuité complexe d'activités que nous appelons la vie, l'humanité créa le concept de l'âme. Nous avons déjà insisté sur le fait que, dans toutes les cultures primitives, l'âme ne s'identifie en aucune façon avec la conscience, et que cette identification constitue une réserve apportée récemment par la philosophie. En réalité, ce que l'homme primitif entend par "âme" est ce qu'aujourd'hui nous appelons "vie". "Animé" et "vivant" sont absolument identiques, de même que sont identiques "inanimé" et "mort". Le mot grec psyché ne signifie pas seulement conscience, mais peut généralement se traduire simplement par "vie" ; de même, dans bien des cas, les mots allemands Leben et Seele ainsi que les mots anglais "life" et "soul" sont interchangeables (...).

Nous sommes en cela d'accord avec les principales tendances philosophiques récentes. Même les matérialistes durent admettre que l'âme n'est pas une substance, mais que les processus psychiques se produisent dans la substance et ils la considèrent donc comme équivalent au "mouvement". D'autre part, les partisans de la conscience considéraient aussi les processus psychiques comme des "événements" qu'il leur fallait arriver à mettre en relation avec les mouvements physiques.

Nous acceptons ces deux idées. Ce que nous appelons "âme" n'est ni une "substance" accrue ni une "substance" pensante ; ce n'est en aucune façon une "substance", mais un facteur extrêmement compliqué, une série d'effets, qui se révèlent d'une part dans la construction du corps et, d'autre part, dans la conscience. [81]

Néanmoins, notre doctrine ne divise pas l'univers en substance et en conscience mais établit un lien, un rapport entre les deux, qui se manifeste matériellement, mais qui est aussi l'hypothèse de la conscience ; elle diffère à la fois du matérialisme et des partisans de la conscience en cela qu'elle ne conçoit pas l'âme comme existant dans la substance seulement, pas plus que dans la seule conscience. Au contraire, le corps et la conscience nous apparaissent tous deux comme n'étant que des effets d'une troisième chose qui les inclut tous les deux, produisant la conscience et donnant aussi forme à la matière brute. Nous avons déjà vu qu'il faut nécessairement à la conscience un "être" plus profond, tandis que la théorie matérialiste exige un "pouvoir" formateur qui forme le corps et avec lui l'âme. On peut qualifier cette théorie de "moniste" bien qu'elle ne soit ni dualiste ni unitaire ; simplement sa conception a été trop élaborée et la théorie de la conscience comme la théorie matérialiste sont – bien qu'à tort – qualifiées de monistes. Nous appelons la théorie vers laquelle nous tendons la théorie dynamiste, car elle représente la nature de l'âme comme une force dirigée. Nous pourrions aussi l'appeler vitaliste, car cette force qui donne au corps sa forme et qui engendre la conscience s'identifie à la vie." [4]

Dans la Doctrine secrète nous trouvons une indication du rapport entre l'esprit, l'âme et le corps.

"Nous considérons la vie comme l'Unique Forme d'Existence se manifestant dans ce qu'on appelle Matière, ou ce que, en les séparant d'une manière erronée, nous appelons Esprit, Âme et Matière dans l'homme. La matière est le véhicule [82] de manifestation de l'âme sur ce plan d'existence, et l'âme est le véhicule, sur un plan supérieur, de la manifestation de l'Esprit ; tous les trois forment une Trinité qui trouve sa synthèse dans la Vie, qui les pénètre tous." [5]

 

Dans la littérature orientale, l'âme, le soi, sont des termes synonymes. La Bhagavad Gîta est le principal traité concernant l'âme, sa nature, son but et son genre d'existence ; c'est l'ouvrage le plus connu de toutes les Écritures orientales. Deussen résume comme suit son enseignement en ce qui concerne Âtmâ, le soi ou l'âme :

"Si, pour donner suite à notre intention, nous maintenons cette distinction entre Brahman, le principe cosmique de l'univers, et Atman, le principe psychique, nous pouvons exprimer la pensée fondamentale de toute la philosophie Upanishad par cette simple équation :

Brahman = Atman

C'est-à-dire que Brahman, le pouvoir qui se présente à nous comme matérialisé dans tout ce qui existe, qui crée, soutient et conserve, et qui reçoit de nouveau en lui tous les mondes, ce pouvoir divin, infini et éternel est identique à Atman, à ce que, après que nous l'ayons dépouillé de tout ce qui est extérieur, nous découvrons en nous-mêmes comme étant notre être réel essentiel, notre soi individuel, l'âme. Cette identité de Brahman et d'Atman, de Dieu et de l'âme, est la pensée fondamentale de toute la doctrine des Upanishad (...).

Comme on l'a souvent fait remarquer, l'atman est une idée pouvant s'interpréter de manières très différentes. Le mot signifie seulement "le soi" ; la question se pose donc de savoir ce que nous considérons comme notre soi. Il y a trois possibilités, suivant que nous considérons l'atman comme (1) [83] le soi corporel, le corps ; (2) l'âme individuelle, indépendante du corps, qui est le sujet qui connaît, distinct et séparé de l'objet ; ou (3) l'âme suprême, dans laquelle on ne distingue plus le sujet de l'objet, ou qui, suivant la conception hindoue, est le sujet qui connaît sans objet." [6]

Voici les commentaires que fait un écrivain oriental :

"Tout être organique a un principe d'autodétermination auquel on donne généralement le nom d'âme. Dans le sens étroit, le mot "âme" appartient à tout être ayant en lui la vie, et les différentes âmes sont fondamentalement identiques. Les différences sont dues aux organismes physiques qui obscurcissent et contrarient la vie de l'âme. La nature des corps dans lesquels les âmes sont incarnées explique leurs divers degrés d'obscurcissement.

Chaque bouddhi, avec notamment ce que lui apportent ses sens, est un organisme isolé déterminé par son karma passé et avec une certaine dose d'ignorance (avidya). L'ego est l'unité psychologique de ce courant d'expériences conscientes qui constitue ce que nous savons être la vie intérieure d'un soi empirique.

Le Soi empirique est un mélange d'esprit libre et de mécanisme, de purusa et de prakriti (...). Chaque ego possède à l'intérieur du corps matériel grossier, qui est dissous à la mort, un corps subtil formé de l'appareil psychique, comprenant les sens." [7]

Un texte hindou résume ainsi cet enseignement : [84]

"Il y a donc quatre Atma, la vie, le mental, l'âme, l'esprit. L'ultime force qui repose à la racine du pouvoir macrocosmique des manifestations de l'âme, du mental et du principe de vie, est l'esprit." [8]

Tout semble donc être l'expression de la force de vie ; et nous commençons à nous rapprocher de la vérité telle qu'elle est formulée en Orient, c'est-à-dire que la matière est l'esprit ou l'énergie à son degré le plus bas de manifestation, et que l'esprit est la matière dans sa plus haute expression. Entre ces deux extrêmes, se manifestant donc dans le temps et dans l'espace, se produisent les divers aspects de la vie-conscience manifestée qui absorbent l'attention des religieux, des psychologues, des scientifiques et des philosophes, suivant leurs tendances et leurs prédilections particulières. Ils étudient tous l'aspect changeant de la vie une et animatrice.

Ce qui cause la plupart des confusions, ce sont les différenciations, les terminologies et les classements en catégories qui accompagnent ces diverses manières d'approcher la vérité. Nous sommes en train de séparer et de réduire en morceaux une Réalité unique ; ce faisant, nous perdons notre sens des proportions et nous insistons trop sur la partie que nous sommes en train de disséquer. Mais l'ensemble reste intact, et notre compréhension de cette Réalité augmente lorsque, dans notre conscience, nous devenons inclusifs et que nous participons à une expérience véritable.

Nous retrouvons le témoignage de cette expérience en remontant à la nuit des temps. Depuis [85] l'apparition de la famille humaine au cours de l'évolution et du déroulement du plan mondial, un déroulement graduel et parallèle se produit en ce qui concerne l'idée de Dieu pour expliquer la nature, et l'idée de l'âme pour expliquer l'homme. Il nous reste donc à entreprendre l'anthologie de l'âme, mais il est probable que l'immensité de la tâche sert d'empêchement.

On a toujours ardemment discuté du siège de l'âme dans la forme humaine. Voici quelques-unes des théories qui ont été avancées à ce sujet.

Platon estimait que le principe vital se trouve dans le cerveau, et que celui-ci et l'épine dorsale coordonnent la force vitale.

Straton plaçait l'âme dans la partie frontale du cerveau, entre les sourcils.

Hippocrate plaçait la conscience ou âme dans le cerveau.

Hérophile considérait que le calamus scriptorius était le principal emplacement de l'âme.

Erasistrate plaçait l'âme dans le cervelet et disait qu'elle présidait à la coordination des mouvements.

Galien, le grand précurseur de la médecine moderne, pensait que le quatrième ventricule du cerveau était le siège de l'âme en l'homme.

Hippolyte disait : "Les membranes de la tête sont doucement poussées par l'esprit qui avance vers la glande pinéale. A côté de celle-ci, se trouve l'entrée du cervelet par où passe le courant de l'esprit et qui le distribue dans la colonne vertébrale. [86] Le cervelet, par un processus ineffable et inconnaissable, attire à travers la glande pinéale la substance spirituelle qui donne la vie."

Saint Augustin pensait que l'âme se trouvait dans le ventricule central.

Les philosophes arabes qui ont si fortement influencé la pensée du Moyen Age considéraient que les ventricules du cerveau étaient le siège de l'âme ou de la vie consciente.

Le Dr Hollander nous dit que :

"La raison pour laquelle les philosophes anciens, dont les arabes adoptèrent les idées au sujet du siège de l'âme, placèrent les facultés dans certaines cellules, c'est-à-dire dans certaines cavités ou ventricules, était sans doute que cette solution laissait davantage de place pour l'expansion du pneuma, la substance gazeuse (...). Certains d'entre eux distinguaient quatre régions. Le premier ventricule, ou ventricule antérieur du cerveau, que l'on supposait tourné vers le devant, était le ventricule du sens commun ; on pensait en effet que c'était à partir de ce ventricule que se séparaient les nerfs des cinq sens extérieurs et que c'était dans ce ventricule et au moyen de ces nerfs que toutes les sensations se trouvaient réunies. Le deuxième ventricule communiquait par une toute petite ouverture avec le premier et était considéré comme le siège de la faculté d'imagination car c'était en lui que, par l'intermédiaire du premier ventricule, les impressions provenant des cinq sens extérieurs se trouvaient réunies, faisant ainsi une deuxième étape dans leur trajet à travers le cerveau. Le troisième ventricule était le siège de l'entendement ; et le quatrième était consacré à la mémoire parce qu'il était situé commodément pour être l'entrepôt où pouvaient être accumulées et examinées les conceptions mentales digérées dans le deuxième ventricule. Le fait est que ce qu'on appelle le ventricule antérieur est composé de deux ventricules, les ventricules [87] latéraux de droite et de gauche qui communiquent entre eux et qui sont contigus au troisième ventricule – qu'on appelait jadis le ventricule du milieu – par l'intermédiaire de l'orifice de Monro. Quant au troisième ventricule, il communique avec le quatrième ventricule – que les anciens appelaient le ventricule postérieur – par l'intermédiaire de l'aqueduc de Sylvius.

Les ventricules latéraux sont recouverts par le corps calleux ; le troisième est recouvert par le thalame optique et le quatrième est situé entre le cervelet et le pont de Varole.

(...) Si les sens de la vue et de l'ouïe sont stimulés en même temps, leurs effets dans la conscience sont simultanés ; et la connaissance de ce fait donna naissance à l'hypothèse d'un centre sensoriel qu'on appela le sens commun. Certains considéraient ce centre comme le siège de l'âme. Les parties de cerveau étant doubles, les endroits à choisir se trouvaient très limités ; on ne pouvait choisir que des structures se trouvant sur la ligne médiane ; c'était le cas, par exemple, de la glande pinéale choisie par Descartes, et, au 19ème siècle, du thalamus optique choisi par W.B. Carpenter, et du pont cérébral choisi par Herbert Spencer." [9]

Roger Bacon pensait que c'était au centre du cerveau qu'on pouvait trouver l'âme.

Ludovic Vives "considérait l'âme comme le principe non seulement de la vie consciente, mais de la vie en général ; le cœur étant le centre des activités vitales ou végétatives, et le cerveau celui des activités intellectuelles".

Mondino, anatomiste célèbre du Moyen Age, croyait fermement aux "esprits animaux". Il enseignait que ces esprits animaux passaient dans le troisième ventricule par une étroite ouverture. Il [88] enseignait aussi que les cellules du cerveau sont le siège de l'intellect.

Vésale a été le premier à faire la distinction entre la matière grise et la matière blanche du cerveau et à décrire les cinq ventricules, il distinguait "trois âmes (...) et c'est au cerveau qu'il assigna l'âme principale, la totalité des esprits animaux dont les fonctions sont nettement mentales".

Servet plaçait l'âme dans l'aqueduc de Sylvius, ce canal qui relie les troisième et quatrième ventricules du cerveau.

Telesio, dans "De natura rerum", enseignait que l'âme était la forme la plus subtile de la matière, une substance très délicate, enfermée dans le système nerveux et par conséquent échappant à nos sens. Son siège se trouve surtout dans le cerveau, mais il s'étend aussi à la moelle épinière, aux nerfs, aux artères, aux veines et aux membranes recouvrant les organes intérieurs (...). Il reconnaît que le système nerveux est en rapports étroits avec la vie de l'âme et que, chez l'homme, l'âme diffère seulement en degré de celle des animaux. Il suppose qu'à côté de l'âme matérielle de l'homme, se trouve une âme divine, incorporelle, implantée directement par Dieu et unie à l'âme matérielle".

Willis assignait les diverses facultés de l'âme, telles que la mentalité, la vitalité, la mémoire, etc., à différentes parties du cerveau.

Vieussens plaçait l'âme dans le centre ovale.

Swedenborg dit : "La route royale des sensations [89] du corps vers l'âme (...) passe par le corps strié (...). C'est aussi par cette route que descendent toutes les déterminations de la volonté (...). C'est le Mercure de l'Olympe ; il communique à l'âme ce qui se passe dans le corps, et il apporte les ordres de l'âme au corps".

Le corps strié est formé par deux larges ganglions du cerveau se trouvant juste sous la région antérieure et supérieure du cerveau.

Hollis concluait que "la sensation comme le mouvement tirent leur pouvoir de la moelle du cerveau. C'est donc là que se trouve le siège de l'âme".

Charles Bonnet disait : "Les différents sens dont nous sommes doués (...) ont quelque part dans le cerveau des communications secrètes au moyen desquelles ils peuvent agir les uns sur les autres. On peut considérer comme étant le siège de l'âme l'endroit où ces communications ont lieu (...). C'est au moyen de cette partie du cerveau que l'âme agit sur le corps, et, par le corps, sur tant d'êtres différents. Or, l'âme n'agit que par l'intermédiaire des nerfs".

Von Sommering situait le siège de l'âme dans le fluide des ventricules cérébraux.

W. B. Carpenter, le physiologiste, considérait le thalame optique comme le siège de la vie de l'âme.

Cependant, depuis l'époque de Franz Josef Gall, le physicien et animiste bien connu, fondateur de la science de la phrénologie, l'attention n'est plus [90] concentrée sur le siège probable de l'âme. Le mental est arrivé sous les projecteurs ; le caractère, l'éthique et ce qu'on appelle l'éthologie ont fait leur apparition. Les rapports entre les qualités psychiques et le cerveau reçoivent maintenant l'attention, et aujourd'hui nous allons même plus loin et nous incluons les glandes dans nos recherches. En psychologie, les enseignements de la théorie moderne mécaniste ont remplacé temporairement les idées anciennes vitalistes, animistes et mystiques. L'approche matérialiste a cependant été extrêmement profitable. Elle a amené, entre autres, deux choses ; elle a d'abord conservé l'équilibre et produit une structure de connaissance basée sur des faits naturels, qui a contrebalancé les erreurs et les déductions des mystiques visionnaires et les superstitions des théologiens. Secondement. grâce aux conclusions auxquelles on est parvenu par le travail des psychologues modernes, par l'étude du mental et de son pouvoir, et par l'influence d'organisations telles que la Science chrétienne et la New Thought, un pont a été construit entre l'Orient et l'Occident. Il est maintenant possible d'apprécier, et de comprendre les enseignements de l'Orient relativement à la triplicité : âme, mental et cerveau. Une fois éliminés certains aspects indésirables (il y en a plusieurs) et une fois établie la collaboration avec la science occidentale, la lumière peut de nouveau venir de l'Orient ; elle peut indiquer la voie conduisant l'humanité vers un nouvel état d'être, vers une plus pleine réalisation de pouvoir et vers une [91] compréhension plus réelle de la nature de l'âme humaine. On comprendra peut-être alors combien est vraie la conception que Browning nous offre de cet être humain intégré :

"Trois âmes qui font une âme, c'est-à-dire Tout d'abord l'âme de chacune et toutes les parties corporelles,

Installée là, travaillant, étant CE QUI FAIT, ce qui utilise la terre et fait descendre l'homme.

Mais, levant les yeux vers le haut pour demander son chemin elle se transforme et croît, imprégnée par l'âme suivante, laquelle, installée dans le cerveau, rassemble les facultés de la première, sent, pense, veut- EST CE QUI SAIT :

Á son tour et en temps opportun, celle-ci se tourne vers le haut, se transforme et croît, pénétrée par la dernière âme, laquelle se sert des deux premières, subsiste avec ou sans leur aide et, constituant le soi humain, est ce qui est

Elle s'appuie sur la précédente, la fait agir puis s'impose, comme la deuxième fit avec la première ; puis, elle s'élève, soutient, est soutenue par Dieu, et l'homme dirige son élan vers le haut, vers le point redoutable des interrelations, et d'endroit elle n'a nul besoin, car c'est vers lui qu'elle retourne ce qui fait, ce qui sait, ce qui est, Trois âmes, un seul homme." [10]

[92]

 

[1] Muller-Freienfels R., Mysteries of the Soul.

[2] Ames Edward Scribner, Religion.

 

[3] Hollander Bernard. M.D., In search of the Soul.

 

[4] Müller-Freienfels Richard, Mysteries of the Soul.

[5] Blavatsky H. P., The Secret Doctrine.

[6] Deussen Paul, The religion and philosophy of India.

 

[7] Radhakrishnan S. Indian phylosophy, Vol. II.

[8] Rama Prasad, Nature's finer forces. (Extrait de Prashnopanishad).

[9] Hollander Bernard, In search of the Soul, Vol. I.

[10] Browning, Robert, A Death in the desert.