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CHAPITRE IV - Partie 2

CHAPITRE IV

Entre temps, nous avions travaillé dur dans nos bureaux de la S.T. ; les enfants allaient bien ; nous faisions des projets pour nous marier aussitôt que les choses s'arrangeraient un peu. Nos propres ressources étaient très sérieusement réduites. Les salaires de Krotona étaient de 10 dollars par semaine. L'argent de Walter Evans avait cessé de parvenir depuis le divorce. Foster n'avait rien à cette époque. Il avait renoncé à sa clientèle d'avocat au moment de la guerre, tout en ayant l'intention de la reprendre. C'était une clientèle ancienne, familiale et, alors qu'il avait à peine vingt- huit ans, il gagnait de grosses sommes par an. Il y renonça définitivement afin de m'aider dans le travail qui, progressivement, prenait forme pour nous, et c'est une des choses qu'il sacrifia quand il choisit de lier son sort au mien. Les enfants l'adoraient et l'adorent encore et la relation entre eux a toujours été d'une grande affection et, de sa part, de sacrifice.

Elles l'adoptèrent du fond du cœur. Il fit la connaissance de Dorothée, l'aînée, quand elle avait environ neuf ans, un jour qu'il remontait Beechwood Drive pour venir me voir. Il entendit des cris et des sanglots venant d'un arbre devant lui. Comme il se hâtait vers l'arbre, il vit une petite fille qui pendait à une branche par les genoux. Il la regarda et dit seulement : "Saute" et elle sauta dans ses bras, et, comme il le dit souvent symboliquement, elle y est toujours restée. Mildred était terriblement malade quand il la vit pour la première fois. Elle présentait un cas d'oreillons rentrés avec une température de plus de quarante ; à ce moment- là, nous ne savions pas ce que c'était. Elle est fondamentalement introvertie et c'était bien d'elle d'avoir des oreillons "rentrés". Nous étions en train d'essayer d'obtenir un spécialiste et, en attendant, mon amie, Mme Copley Enos, et moi nous passions notre temps à l'enrouler dans des linges froids pour tenter de faire tomber la fièvre. Foster arriva et se mit à nous aider. Mildred lui jeta un [161] coup d'œil et depuis ils ont été extrêmement proches. Il se fit admettre par Ellison en devenant ami avec un gros enfant très sale qui faisait des pâtés de boue dans la cour.

La vie de Foster et la mienne s'acheminaient vers une ligne de travail public et nous faisions des projets et des arrangements pour l'avenir. La situation de la S.T. devenait de plus en plus difficile et l'on faisait déjà des plans pour la convention de 1920, quand l'ensemble de la situation explosa. Par mon expérience intérieure, j'en étais arrivée à être aussi désillusionnée de la S.T. que je l'avais été du christianisme traditionnel, mais mon état n'était pas aussi aigu, car de grandes vérités de base avaient, à présent, une signification pour moi et je n'étais pas seule puisque Foster et moi projetions de nous marier.

J'en viens à un événement de ma vie dont j'hésite à parler. Il concerne le travail que j'ai fait au cours des vingt sept années écoulées. Ce travail a reçu une large reconnaissance mondiale et a suscité beaucoup de curiosité. Il m'a valu aussi une certaine dérision et une certaine suspicion, mais moins qu'on n'aurait pu s'y attendre ; j'ai été très capable de le comprendre, car j'ai commencé par être très suspicieuse moi-même. Je me demande pourquoi je tente de traiter ce sujet et pourquoi je ne continue pas à suivre la politique que je me suis fixée jusqu'ici : laisser mon travail et mes livres parler d'eux-mêmes et prouver qu'ils sont en eux-mêmes leur meilleure défense. Je crois qu'il y a deux raisons à cela.

Je désire souligner, avant tout, l'étroitesse du lien que la Hiérarchie intérieure des Maîtres établit avec les hommes et je désire rendre plus facile, à d'autres gens, un travail de la même sorte, pourvu que ce soit de la même sorte. Il y a tant d'aspects d'écrits soi-disant psychiques. Les gens sont incapables de faire la différence entre ce qui est l'expression d'un désir, ou l'émergence d'un subconscient très gentil, doux, bien intentionné, chrétien, ou encore l'écriture automatique, branchée sur la pensée [162] quotidienne (ce que tout le monde fait continuellement) ou une pure tromperie, et, d'autre part, les écrits qui sont le résultat d'un rapport fort, subjectif, de télépathie, en réponse à une impression provenant de certaines sources spirituelles élevées. Dans la Bible reviennent sans cesse les mots : "Et le Seigneur dit...", sur quoi quelque prophète ou voyant met par écrit ce qui a été dit, dont la majeure partie est belle et d'un apport spirituel. Cependant, une grande part porte la signature de la fragilité humaine, exprimant ses idées sur Dieu, Sa jalousie, Son esprit de revanche et Sa grande soif de cruauté. Il est dit que les grands musiciens entendent leurs symphonies et leur chorals avec l'oreille intérieure ; ils les transcrivent ensuite en notation musicale. D'où les grands poètes et les grands artistes reçoivent-ils leur inspiration à travers les âges ? Tous de quelque source intérieure de beauté.

Toute cette manière a été rendue difficile à aborder, à cause de bien des écrits métaphysiques et spirites qui sont si bas dans l'ordre de l'intelligence, et si ordinaires et si médiocres par leur contenu que les gens évolués en rient et ne veulent pas les lire. Je désire montrer qu'il y a cependant une autre sorte d'impression, qui peut donner naissance à des écrits très au-dessus de la moyenne, capables de transmettre l'enseignement nécessaire aux générations suivantes. Je le dis en toute humilité, car je suis seulement une plume, un crayon, un sténographe et un transmetteur d'enseignement, au service de quelqu'un que je révère et honore et que j'ai été heureuse de servir.

C'est en novembre 1919 que j'ai eu mon premier contact avec le Tibétain. J'avais envoyé les enfants à l'école, je pensais avoir quelques minutes à moi et je montai sur la colline près de la maison. Je m'assis et commençai à penser, quand, soudain, je restai figée et attentive. J'entendis ce que je crus être une claire note de musique qui résonnait du ciel à travers la colline et en moi. Puis, j'entendis une voix qui disait: "Il y a des [163] livres qu'on désire voir écrire pour le public. Vous pouvez les écrire ; voulez-vous le faire ? Sans un instant d'hésitation, je dis : "Certainement pas. Je ne suis pas une de ces damnées psychiques et je ne veux être entraînée à rien de ce genre." J'étais sidérée de m'entendre moi- même parler à haute voix. La voix poursuivit, disant que les gens sages ne profèrent pas de jugements hâtifs, que j'avais un don particulier pour la télépathie supérieure et que ce qui m'était demandé ne revêtait aucun aspect de psychisme inférieur. Je répliquai que peu m'importait, que je ne m'intéressais à aucun travail de nature psychique. La personne invisible qui me parlait si clairement et si directement dit alors qu'elle me donnait le temps de réfléchir, qu'elle n'attendait pas ma réponse maintenant, qu'elle reviendrait dans trois semaines exactement pour savoir ce que j'avais décidé.

Alors, je me secouai comme si je m'éveillais d'un rêve, je rentrai à la maison et j'oubliai entièrement tout de cette affaire. Je ne lui donnai plus une seule pensée et je n'en parlai même pas à Foster. Je n'y pensai jamais, mais bien sûr, à la fin des trois semaines, j'entendis de nouveau la voix un soir, tandis que j'étais assise dans mon salon après avoir envoyé les enfants au lit. De nouveau, je refusai, mais celui qui parlait me pria de reconsidérer la chose pendant deux semaines et de voir, alors ce que je pouvais faire. Cette fois, je me sentais curieuse, mais pas le moins du monde convaincue. Je voulais bien essayer pendant deux semaines ou un mois et décider ensuite de ce que je ressentais à ce sujet. Ce fut pendant ces quelques semaines que je reçus les premiers chapitres d’Initiation Humaine et Solaire.

Je voudrais qu'il soit bien clair que mon travail n'est, en aucune manière, relié à l'écriture automatique. L'écriture automatique, sauf dans de rares cas (et malheureusement la plupart des gens pensent que leur cas est parmi les rares) est très dangereuse. L'aspirant ou le disciple ne doit jamais être un automate. [164] Il est censé ne jamais laisser aucune partie de lui-même en dehors de son contrôle conscient. S'il le fait, il entre dans un état de dangereuse négativité. Le matériel ainsi reçu est médiocre. Il ne contient rien de neuf et, fréquemment, il se détériore avec le temps. Bien souvent, la négativité du sujet permet l'entrée d'une seconde force qui, pour quelque raison particulière, n'est jamais d'un niveau aussi élevé que la première. Apparaît alors le danger d'obsession. Nous avons eu affaire à beaucoup de cas d'obsessions à la suite de l'écriture automatique.

Dans mon travail, il n'y a pas de négativité ; au contraire, je maintiens une attitude d'attention intense et positive. Je garde le plein contrôle de tous mes moyens de perception et il n'y a rien d'automatique dans ce que je fais. Simplement, j'écoute et j'écris les mots que j'entends ; j'enregistre les pensées qui sont déposées, une à une dans mon cerveau. Je ne fais aucun changement entre ce que je donne au public et ce qui m'a été donné, si ce n'est que j'adoucis l'anglais et je remplace un mot peu usité par un autre plus clair, prenant toujours soin de conserver le sens tel qu'il est donné. Je n'ai jamais rien changé à ce que le Tibétain m'a donné. Si je l'avais fait, ne serait-ce qu'une fois, Il ne m'aurait plus rien dicté. Je veux que cela soit très clair. Je ne comprends pas toujours, ce qui est donné. Je n'y adhère pas toujours. Mais je transmets tout honnêtement et, alors, je découvre que cela a un sens et évoque une réponse intuitive.

Partout, ce travail du Tibétain a grandement intrigué les gens et les psychologues. Ils contestent ce qui est la cause du phénomène et ils déduisent que ce que j'écris provient probablement de mon subconscient. Selon Jung, m'a-t-on dit, le Tibétain est mon soi supérieur personnifié et A. A. Bailey en est le soi inférieur. Un de ces jours (si j'ai jamais le plaisir de le rencontrer) je lui demanderai comment mon soi supérieur personnalisé peut m'envoyer des colis de divers endroits de l'Inde, car c'est ce qu'il a fait. [165]

Il y a quelques années, un très cher ami, un homme qui avait été très proche de Foster et de moi depuis le début de notre travail – Henry Carpenter – alla en Inde pour essayer de voir les Maîtres à Shigatzé, petite ville, indigène de l'Himalaya, juste à la frontière du Tibet. Il fit cet effort trois fois, quoique je lui ai dit qu'il pouvait trouver le Maître ici-même, à New York, s'il s'y prenait bien et si le moment était propice. Il ressentait le désir de dire aux Maîtres, à mon grand amusement, que parfois c'était trop dur pour moi et qu'Ils devraient faire quelque chose. Étant un ami personnel de Lord Reading, l'un des vice-rois des Indes, il lui fut accordé toute facilité pour atteindre sa destination, mais le dalaï-lama lui refusa la permission de traverser la frontière. Au cours de son deuxième voyage en Inde, alors qu'il se trouvait à Gyantsé (point le plus avancé qu'il pouvait atteindre sans franchir la frontière), il entendit un grand brouhaha dans l'enceinte du bungalow. Il sortit pour voir ce que c'était et vit un lama, assis sur un âne, qui entrait juste dans l'enceinte. Il était accompagné de quatre lamas et tous les indigènes dans l'enceinte les entouraient en s'inclinant. Par l'entremise de son interprète, M. Carpenter s'informa et on lui dit que le lama était l'abbé du monastère de l'autre côté de la frontière du Tibet et qu'il était venu spécialement pour parler à M. Carpenter.

L'abbé lui dit qu'il s'intéressait à notre travail et lui demanda de mes nouvelles. Il s'enquit de l'École Arcane et lui donna deux grands paquets d'encens pour moi. Plus tard, M. Carpenter rencontra le général Laden Lha à Darjeeling. Le général est un Tibétain qui a suivi l'école et l'Université en Grande-Bretagne et il était en mission pour les services secrets sur la frontière tibétaine. Il est mort, à présent, mais il fut un homme d'une grande bonté. M. Carpenter lui raconta son expérience [166] avec le lama disant qu'il était l'abbé d'une certaine lamaserie. Le général nia carrément la possibilité que la rencontre ait eue lieu. Il dit que l'abbé était un grand homme très saint et qu'on ne l'avait jamais vu traverser la frontière pour rendre visite à un Occidental. Cependant, quand M. Carpenter revint l'année suivante, le général Laden Lha admit qu'il s'était trompé, que l'abbé était bien descendu pour le voir.

Après avoir écrit pour le Tibétain pendant près d'un mois, j'étais complètement affolée et je refusai absolument de continuer le travail. Je dis au Tibétain que les trois petites filles n'avaient que moi pour veiller sur elles et que, si je tombais malade ou devenais folle (comme il semble que cela arrive à tant de gens psychiques), elles seraient seules et que je n'osais pas prendre ce risque. Il accepta ma décision mais me dit d'essayer de prendre contact avec mon Maître K.H. et de parler de tout cela avec lui. Après y avoir réfléchi environ une semaine, je décidai de prendre contact avec K.H. et je me mis en mesure de le faire, suivant la technique bien définie qu'Il m'avait apprise. Quand j'eus l'occasion d'un entretien avec K.H., nous en parlâmes. Il m'assura que je n'étais pas en danger, ni physiquement, ni mentalement, et que j'avais l'opportunité de faire un travail d'une réelle valeur. Il me dit que c'était lui qui avait suggéré que j'aide le Tibétain ; qu'Il n'était pas en train de me transférer dans l'ashram (ou groupe spirituel) du Tibétain, mais qu'Il souhaitait que je continue à travailler avec lui. J'acquiesçai donc au désir de K.H. et dis au Tibétain que je travaillerai avec lui. Je n'ai été strictement que sa secrétaire rédactrice et je ne suis pas membre de son groupe. Il n'a jamais interféré dans mon travail ni dans mon entraînement personnel. Au printemps de 1920, commença pour moi un temps très heureux de collaboration avec lui, tout en continuant mon travail de disciple avancé dans l'ashram de mon propre Maître.

Depuis lors, j'ai écrit beaucoup de livres pour le Tibétain. [167] Peu après avoir terminé les premiers chapitres d’Initiation Humaine et Solaire, je montrai le manuscrit à B.P. Wadia. Il fut très excité et me dit qu'il publierait tout ce qui "venait de cette source" ; il imprima les premiers chapitres dans "The Theosophist" (le Théosophe), édité à Adyar, en Inde. Alors, se montra la jalousie des théosophes et leur attitude réactionnaire habituelle et rien de plus ne fut imprimé.

Le style du Tibétain s'est amélioré au fil des ans. Au début, il dictait en un anglais maladroit, pauvre ; puis nous nous sommes mis d'accord pour mettre au point un style et une présentation qui conviennent aux grandes vérités qu'Il a charge de révéler et que mon mari et moi-même devons porter à l'attention du public.

Au début de mon travail pour le Tibétain, je devais écrire à des heures régulières et c'était une dictée claire et concise. C'était donné mot à mot, de telle sorte que je puisse affirmer qu'indubitablement j'entendais une voix. On peut donc dire que j'ai commencé par une technique de clairaudience ; mais très vite je découvris que comme nos pensées étaient en harmonie, cette technique n'était pas nécessaire et que, si je me concentrais assez, si mon attention était concentrée adéquatement, je pouvais enregistrer et écrire les pensées du Tibétain – qu'Il exprimait et formulait soigneusement – telles qu'il les introduisait dans mon mental. Ceci exige que soit atteint et conservé un point d'attention intense et concentré. C'est presque semblable à la capacité que l'étudiant avancé en méditation peut démontrer pour maintenir son point extrême d'attention spirituelle au degré le plus élevé possible. Cela peut être fatigant dans les premiers temps, quand on essaie probablement trop fort de bien faire, mais après c'est sans effort, et le résultat est la clarté de la pensée et la stimulation qui a un bon effet physique.

Aujourd'hui, comme résultat de vingt-sept ans de travail avec le Tibétain, je peux entrer en relation télépathique avec lui [168] sans la moindre difficulté. Je peux et dois préserver mon intégrité mentale tout le temps ; je peux toujours discuter avec lui s'il me semble – en tant qu'Occidentale – que j'en sais plus que lui sur certains points de présentation. Quand nous avons une discussion sur quelque donnée, invariablement, j'écris comme Il veut que le texte soit écrit, bien qu'Il soit capable de le modifier après en avoir parlé avec moi. S'Il ne change pas sa rédaction, ni son point de vue, je ne change pas ce qu'Il a dit.

Après tout, ces livres sont les siens, non les miens et, fondamentalement, la responsabilité est sienne. Il ne me passe aucune erreur et Il surveille la version finale avec grand soin. Il n'est pas seulement question de prendre sous sa dictée et ensuite de lui soumettre le texte, après l'avoir tapé. Il est question de sa supervision attentive sur la version finale. Je le mentionne avec force, car beaucoup de gens, quand le Tibétain dit quelque chose qui ne leur convient pas personnellement, sont capables de considérer ce point de désaccord comme étant dû à une interpolation de ma part. Cela n'est jamais arrivé, même si je ne suis pas toujours d'accord ou si je ne comprends pas ; je veux le répéter. J'ai publié exactement ce que le Tibétain a dit. Sur ce point précis, je maintiens fermement ma position. Quelques étudiants aussi, qui ne comprennent pas ce que le Tibétain veut dire, affirment que ses prétendues ambiguïtés sont dues à ce que j'ai mal interprété ce qu'il disait. Là où il y a des ambiguïtés, et il y en a beaucoup dans ses livres, elles sont dues au fait qu'il lui était absolument impossible d'être plus clair, à cause de la limitation de ses lecteurs et de la difficulté de trouver les mots pouvant exprimer des vérités plus nouvelles et les perceptions intuitives qui planent encore aux frontières du développement de la conscience de l'homme.

Les Instructeurs, responsables de la révélation des vérités [169] nouvelles dont l'humanité a besoin, estiment que les livres écrits par le Tibétain sont très importants. Le nouvel enseignement, selon la ligne d'entraînement spirituel et la préparation des aspirants au discipulat, a aussi été donné. De grands changements sont en cours dans les méthodes et les techniques et, à cause de cela, le Tibétain a été particulièrement attentif à ce que je ne fasse pas d'erreur.

À l'époque de la seconde phase de la guerre mondiale, qui débuta en

1939, beaucoup de pacifistes et de gens bien intentionnés, mais irréfléchis, parmi les étudiants de l'École Arcane ou parmi les personnes que nous avions pu toucher, dirent que j'avais écrit des brochures et des articles soutenant les Nations Unies et la nécessité de la défaite des forces de l'Axe et que le Tibétain n'était pas responsable du point de vue antinazi de ces articles. Cela de nouveau n'était pas vrai. Les pacifistes adoptèrent l'attitude orthodoxe et idéaliste ; puisque Dieu est Amour, il lui est impossible d'être antiallemand ou antijaponais. Parce que Dieu est Amour, Il n'a pas d'autre choix, tout comme la Hiérarchie qui travaille avec le Christ, que de se tenir fermement aux côtés de ceux qui cherchent une humanité libérée de l'esclavage, du mal, de l'agression et de la corruption. Les mots du Christ n'ont jamais été plus vrais : "Celui qui n'est pas avec moi est contre moi." Le Tibétain, dans ses écrits de cette époque, prit une position ferme et inébranlable et, aujourd'hui (1945), en constatant les indicibles cruautés, les atrocités et la politique esclavagiste des nations de l'Axe, sa position est justifiée.

Pendant ce temps, la situation à Krotona devenait plus aiguë. Wadia était arrivé à Krotona comme représentant de Mme Besant ; il soulevait les problèmes et nous collaborions pleinement avec lui, afin de ramener la S.T. à son impulsion d'origine, la fraternité universelle. Nous collaborions, parce [170] qu'à cette époque Wadia paraissait sincère et qu'il prenait vraiment à cœur les intérêts de la Société. La séparation dans la Société allait s'élargissant progressivement et la ligne de démarcation entre ceux qui soutenaient le point de vue démocrate et ceux qui tenaient à l'autorité spirituelle et à la domination de la S.T. par la S.E., grandissait rapidement.

À l'origine, le plan d'établissement de la S.T. avait été fondé sur l'autonomie des loges, à l'intérieur des diverses sections nationales. Mais, à l'époque où Foster Bailey et moi commençâmes à travailler, la situation avait été fondamentalement changée. Les gens à qui avaient été confiées toutes les loges étaient des membres de la S.E. et, à travers eux, Mme Besant et les directeurs d’Adyar avaient la haute main sur tous les secteurs et toutes les loges. À moins d'accepter les ordres des membres de la S.E. dans toutes les loges, on était en disgrâce, et il était presque impossible, en conséquence, de travailler dans une loge. Le journal régional et le journal international, intitulé "The Theosophist", s'occupaient de querelles personnelles. Des articles furent consacrés à l'attaque ou la défense de certains individus. Une grande période de psychisme envahissait la Société, due aux déclarations psychiques de Leadbeater et à son extraordinaire influence sur Mme Besant. Les suites du scandale Leadbeater faisaient encore beaucoup parler. Les déclarations de Mme Besant à propos de Krishnamurti divisaient la Société. En provenance d’Adyar venaient des ordres qui auraient été donnés au Chef Visible par l'un des Maîtres, comme quoi tout membre de la Société Théosophique était tenu de mettre tout son intérêt dans l'un des trois modes de travail, ou dans les trois ensembles : l'Ordre co-maçonnique, l'Ordre de Service, et le Mouvement pour l'Éducation. S'il ne le faisait pas, il était considéré comme déloyal, indifférent aux demandes des Maîtres et mauvais théosophes. [171]

Leadbeater, à Adyar, publiait des livres qui étaient psychiques par leurs implications, invérifiables et qui transmettaient une forte dose d'astralisme. L'un de ses ouvrages majeurs "L'Homme, d'où il vient, où il va" était un livre qui, pour moi, fournissait la preuve de la fausseté fondamentale de ce qu'il écrivait. Ce livre trace les lignes du futur et le travail de la Hiérarchie du futur et, chose curieuse et frappante pour moi, la majorité des personnes désignées pour occuper de hauts grades dans la Hiérarchie et dans la future civilisation, étaient tous des amis personnels de Leadbeater. J'en connaissais quelques-uns, bien gentils et médiocres ; aucun n'était un géant intellectuel, la plupart était complètement sans importance. J'ai tant voyagé et j'ai rencontré tant de gens que je savais être plus effectifs au service du monde, plus intelligents au service du Christ et plus véritablement représentatifs de la fraternité, que mes yeux se dessillèrent quant à la futilité et l'inutilité de ce genre de littérature.

À cause de ces différentes raisons, beaucoup de gens quittaient la Société théosophique, dégoûtés et découragés. Je me suis souvent demandé ce qu'aurait été le sort de la S.T. si ces gens avaient eu l'endurance d'y rester, s'ils avaient refusé de se laisser évincer, et s'ils avaient combattu pour les fondements spirituels du mouvement. Mais ils ne le firent pas et, en grand nombre, des gens de valeur s'en allèrent, se sentant frustrés, désavantagés et incapables de travailler. Moi, personnellement, je ne me suis jamais retirée de la Société et c'est seulement au cours de ces dernières années que j'ai manqué à verser mes cotisations annuelles. J'écris un peu longuement sur ce sujet parce que cette situation et cet état de fait rendirent nécessaires des changements ; de cela, notre travail des vingt années suivantes prenait forme.

Les disciples de tous les Maîtres se trouvent partout dans le monde, travaillant sur des lignes différentes, pour conduire l'humanité vers la lumière et pour établir le royaume de Dieu [172] sur la terre. L'attitude prise par la Société théosophique en se considérant comme l'unique canal, son refus de reconnaître les autres groupes ou organisations comme des parties également intégrantes et importantes du mouvement théosophique (pas de la Société théosophique) sont grandement responsables de la perte de son prestige. Il semble qu'il est un peu tard à présent pour que la Société théosophique s'amende et sorte de l'isolement et de la séparativité et devienne une partie du grand mouvement théosophique qui s'étend aujourd'hui dans le monde. Ce mouvement s'exprime, non seulement par les formations occultes et ésotériques, mais aussi par les syndicats, les projets d'unité mondiale et de rétablissement d'après-guerre, par une nouvelle vision dans le domaine politique, et par la reconnaissance générale des besoins de l'humanité. La dégénérescence de la belle impulsion initiale brise le cœur de ceux d'entre nous qui aimaient les principes et les vérités sur lesquels la théosophie, à l'origine, fut fondée.

Ne nous y trompons pas ; le mouvement lancé par Helena Petrovna Blavatsky faisait partie intégrante d'un plan hiérarchique. Il y a toujours eu des sociétés théosophiques à travers les âges ; le nom du mouvement n'est pas nouveau, mais H.P.B. lui apporta une lumière et une diffusion qui lui donnèrent une nouvelle importance et amenèrent un groupe jusque là un peu secret, à devenir plus ouvert. Elles donnèrent aussi la possibilité au public de partout de répondre à cet enseignement très ancien. La dette du monde à l'égard de Mme Besant pour son travail, faisant des doctrines de base de la S.T. un enseignement accessible à la masse des hommes, ne pourra jamais être acquittée. Il n'y a absolument aucune raison pour que nous passions sous silence le stupéfiant et magnifique travail qu'elle accomplit pour les Maîtres et pour l'humanité. Ceux qui, au cours des cinq dernières années, l'ont si violemment attaquée, me paraissent avoir une importance égale à celle qu'ont les mouches attaquant un éléphant.[173]

En 1920, la situation était à son comble. La séparation entre les esprits autoritaires de la S.E. et les esprits plus démocrates de la S.T. s'élargissait sans cesse. En Amérique, M. Warrington, les conservateurs et les chefs de la S.E. de partout, représentaient un groupe et l'autre groupe était mené, à ce moment, par Foster Bailey et B.P. Wadia. Telle était la situation quand la fameuse assemblée de 1920 se tint à Chicago, pendant l'été. Jamais de ma vie je n'avais assisté à une assemblée et dire que j'ai été déçue et outrée, c'est parler modérément. Il y avait là, réunis, des hommes et des femmes venant de toutes les parties des États-Unis, dont on pouvait croire qu'ils s'occupaient d'enseigner et de répandre la fraternité. La haine, la rancœur, l'hostilité personnelle et la manipulation politique étaient si outrageusement choquantes que je fis le vœu de ne plus jamais, de ma vie, assister à une assemblée théosophique. Autour de M. Warrington, nous étions les membres officiels de la S.T. mais nous représentions une petite minorité. Il fut évident, dès le début, que la S.E. dirigeait tout et que ceux qui soutenaient la fraternité et la démocratie étaient désespérément dépassés et, par conséquent, vaincus.

Il y avait, du côté de l'autoritarisme, des théosophes qui étaient désolés. Ils étaient dominés par la S.E., mais ils sentaient que les méthodes utilisées étaient choquantes. Beaucoup d'entre eux firent ce qu'ils purent pour nous manifester un esprit amical, en tant qu'individus. Certains d'entre eux, vers la fin de l'assemblée, étaient convaincus de la justesse de notre position et nous le dirent. D'autres, qui étaient venus à l'assemblée avec un esprit ouvert, penchèrent de notre côté et nous apportèrent le poids de leur intérêt. En dépit de tout cela, pourtant, nous fûmes battus sans espoir et la S.E. fut agressivement triomphante. Nous n'avions rien d'autre à faire que de revenir à Krotona où la situation était telle que, finalement, M. Warrington [174] fut forcé de démissionner, en tant que chef de la S.T. d'Amérique, tout en conservant sa position dans la S.E. Il fut remplacé par M. Rogers, qui était implacablement opposé à nous et beaucoup plus personnel dans son opposition que M. Warrington. Ce dernier reconnaissait notre sincérité et, mis à part quelques différences à propos d'organisation, il y avait une solide affection entre lui, Foster et moi. M. Rogers était d'une toute autre envergure ; il nous jeta hors de nos places, aussitôt qu'il eut pris le pouvoir. Ainsi se terminèrent notre carrière à Krotona et nos efforts très réels pour être au service de la Société théosophique. [175]