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CHAPITRE II - Partie 1

CHAPITRE II

Ainsi se termina la partie insouciante, relativement irresponsable et facile de ma vie. Elle avait duré 22 ans, et fut la seule période de ma vie où je fis partie d'une famille et où je bénéficiai de l'acquis, du prestige et de la sécurité que cela comporte. J'avais eu du plaisir, j'avais rencontré beaucoup de monde ; j'avais beaucoup voyagé. J'ai oublié combien de fois j'ai traversé la Manche pour aller sur le Continent et revenir, tant j'ai fait souvent cette traversée. Heureusement, je suis un marin hors pair et j'aime la mer, si houleuse soit-elle. Je ne peux me rappeler aucune de mes amies sauf une et, elle et moi, nous sommes toujours amies et nous nous écrivons. Nous nous étions rencontrées en Suisse et nous avions appris ensemble à faire de la dentelle irlandaise au point à l'aiguille. J'ai toujours été fière de cet exploit et particulièrement fière quand, une fois, je vendis deux mètres de volants à 30 dollars le mètre, ce montant allant à "l'Association de l'Église Missionnaire" car, à cette époque, je n'avais pas besoin d'argent.

Mais le moment était venu où je sentais la nécessité de me rendre utile dans le monde et de justifier mon existence. J'exprimais alors cette urgence par les termes : "Jésus cheminait en faisant le bien" et moi, en tant que sa suivante, je devais faire de même. Donc, je commençai fanatiquement à "faire le bien." Je devins une évangéliste reliée à l'armée britannique.

En regardant en arrière, alors que je travaillais comme évangéliste parmi les troupes britanniques, je réalise qu'il fut le temps le plus heureux et le plus satisfaisant de toute ma vie. Je m'aimais beaucoup de même que tout ce qui me concernait. Je faisais ce que je désirais faire et j'avais beaucoup de succès. Je n'avais pas un seul souci au monde et (mise à part la sphère [47] élue de mon travail) je n'avais pas la moindre responsabilité. Je réalise, cependant, que ce fut un cycle important de ma vie et qu'il modifia complètement mon attitude. Ce qui m'arriva pendant cette période, je ne le perçus pas sur l'instant, mais de grands changements eurent lieu. Car j'étais si extravertie dans mes pensées et mes activités, que j'en étais relativement inconsciente. J'avais opéré une rupture nette avec ma famille et mis fin à ma vie de jeune fille du monde.

Quand je dis "rupture nette", je ne veux pas dire que j'avais interrompu toute relation. J'ai toujours gardé un contact avec ma famille depuis lors et jusqu'à présent ; mais nos chemins se sont écartés, nos intérêts étaient et sont toujours profondément différents et nos relations actuelles sont celles d'amis et non de cousins, etc. D'une manière générale, je crois que j'ai eu une vie plus intéressante et plus excitante que la leur. Je n'ai jamais senti que les liens physiques du sang soient d'une telle valeur. Pourquoi devrait- on s'aimer les uns les autres et nouer des liens parce que – heureusement ou malheureusement – on a les mêmes grands-parents ? Cela ne me paraît pas raisonnable et je pense que cela a causé beaucoup d'ennuis. Qu'il y ait en même temps parenté et amitié est chose heureuse, mais, pour moi, l'amitié, les attitudes semblables devant la vie et les intérêts communs sont de loin plus importants que les liens du sang. Je désire que mes filles m'aiment parce que je suis leur amie et que j'ai fait la preuve de mon amitié et de la valeur de mon affection. Je n'attends pas d'elles confiance et affection parce que je suis leur mère. Personnellement, je les aime pour elles-mêmes et non pas parce qu'elles sont mes enfants. Je pense qu'une fois que les soins physiques qu'il faut donner aux petits enfants ne sont plus nécessaires, les parents feraient bien de cultiver l'amitié.

J'étais absolument sûre (aussi merveilleux que cela me paraisse aujourd'hui et combien délicieusement juvénile) de toute chose : Dieu, la doctrine, ma possibilité de faire quelque chose, la certitude de ma connaissance et l'infaillibilité de mes conseils. J'avais réponse à tout et je [48] savais exactement ce qui devait être fait. Je maniais la vie et les circonstances avec le sûr doigté de la complète ignorance et je trouvais toujours une solution à tout problème et un remède à tout mal dans la réponse à l'unique question : "Qu'aurait fait Jésus dans des circonstances semblables ?" Ayant décidé de ce qu'il aurait fait (je me demande comment je le savais) j'allais de l'avant et je le faisais ou je conseillais aux autres de suivre la même règle. Dans le même temps, sans le réaliser ni l'exprimer, je commençai à me poser des questions bien que refusant d'y répondre ; sous toute cette assurance et ce dogmatisme, de grands changements s'opéraient. Je sais que cette période me vit faire un pas certain en avant sur le Sentier. Lentement et sans le savoir dans ma conscience cérébrale, j'étais en train de passer de l'autorité à l'expérience et d'une croyance quasiment théologique dans la lettre des Écritures et dans l'interprétation de mes convictions religieuses, à une vraie connaissance des vérités spirituelles dont les mystiques de tous les temps ont porté témoignage et pour lesquelles beaucoup d'entre eux ont souffert et sont morts.

Je me trouvais, en définitive, être moi-même en possession d'une connaissance qui avait soutenu l'épreuve du temps et de la peine, ce que mes premières croyances n'avaient pas fait. C'est une connaissance qui se révèle à moi constamment dans la mesure, toujours croissante, où j'ai besoin d'en savoir davantage. La connaissance réelle n'est jamais statique ; elle est telle une porte ouverte sur de vastes horizons de sagesse, d'accomplissement et de compréhension. C'est un processus de croissance vivante. La connaissance doit conduire d'une découverte à l'autre. Comme si, après avoir escaladé un pic montagneux, on voyait soudainement, du sommet, s'étendre devant soi une terre promise à laquelle on doit inévitablement arriver ; mais, au-delà de cette terre promise et toujours plus éloigné, apparaît un autre pic qui cache des territoires aux horizons encore plus vastes. [49]

À une certaine époque de ma vie, j'avais l'habitude de regarder par la fenêtre de ma chambre, d'où je voyais, au lointain, une formidable montagne, le Kanchoujunga, l'un des plus hauts pics de l'Himalaya. Il semblait si proche, presque comme si une journée de marche eût dû suffire à m'amener à ses pieds. Cependant, je savais qu'il faudrait au moins douze semaines de rude marche pour avoir un corps capable de l'escalader et qu'après il y aurait la terrible ascension, exploit rarement accompli. Il en va de même de la connaissance. Ce qui a de la valeur est rarement aisé à atteindre et ne constitue en soi qu'un fondement pour plus de connaissance.

Les personnes qui me remplissent d'un sentiment de compassion, et me convainquent de la nécessité de la patience, sont celles qui pensent savoir et avoir toutes les réponses. C'est ce que j'étais et je n'avais pas alors le goût de rire de moi-même. J'étais d'un sérieux mortel. Aujourd'hui je peux rire et, aujourd'hui, je suis tout à fait sûre de ne pas avoir toutes les réponses. Je me trouve réduite, en fait de doctrines et de dogmes, à fort peu de chose. Je suis sûre de l'existence du Christ et des Maîtres qui sont ses disciples. Je suis sûre qu'il y a un plan qu'Ils essaient de mettre en œuvre sur la terre ; je crois qu'Ils sont, en eux-mêmes, la réponse et la garantie de l'ultime achèvement de l'homme et que, tels qu'Ils sont, tels nous serons tous un jour. Je ne peux pas continuer à dire avec assurance ce que les gens ont à faire. Désormais il est rare que je donne un conseil. Je ne prétends certainement pas interpréter les intentions de Dieu, ni dire ce que Dieu veut, ainsi que le font les théologiens.

Au cours de ma vie, je pense que des milliers de gens sont venus à moi pour une interprétation, un conseil, une suggestion au sujet de ce qu'ils devraient faire. C'était pendant la période ou ma secrétaire prenait des rendez-vous pour moi toutes les vingt minutes. Je soupçonne que la raison pour laquelle j'avais tant de rendez-vous était que je n'en percevais jamais [50] le prix et que les gens aiment avoir quelque chose pour rien. Parfois, je pouvais aider si la personne était d'esprit ouvert et désireuse d'écouter, mais les gens pour la plupart voulaient seulement parler et exposer des raisons, afin de justifier leurs idées préconçues. Ils savaient d'avance ce que vous alliez leur dire. Ma technique habituelle était de laisser les gens parler eux-mêmes et, en parlant, ils avaient fréquemment trouvé leur réponse et résolu leur problème, ce qui est beaucoup plus sain et conduit à l'action. Si, toutefois, ils ont seulement désiré entendre leur propre voix et s'ils savent tout, alors je suis hors d'état d'aider et souvent effrayée.

Peu importe que les gens soient d'accord ou non avec ma forme particulière de connaissance ou de formulation de la vérité (car nous devons tous obtenir ces choses-là par nous-mêmes), mais il est impossible de les aider s'ils sont complètement satisfaits de la leur. Pour moi, l'enfer (si enfer il y a, ce dont je doute beaucoup) serait un état de totale satisfaction de son propre point de vue et donc une condition tellement statique que toute évolution de la pensée et tout progrès seraient définitivement arrêtés. Heureusement, je sais que l'évolution est un long et constant processus ; l'histoire et la civilisation le prouvent. Je sais aussi que, derrière tout processus intelligent, se tient une grande intelligence et qu'un état statique est impossible.

Mais, à ce moment-là, j'étais une fondamentaliste bon teint. Je débutais dans ma carrière, complètement convaincue que certaines doctrines théologiques fondamentales, telles que les expriment les guides ecclésiastiques, étaient les sommets de la vérité divine. Je savais exactement ce que Dieu voulait et (à cause de ma totale ignorance) j'étais prête à discuter de tous les sujets imaginables, sachant que mon point de vue serait juste. Aujourd'hui, je sens qu'il y a toujours le risque que je me trompe dans mes diagnostics. J'ai aussi une foi solide dans l'âme humaine et dans la capacité qu'a cette âme de conduire [51] un homme "des ténèbres à la lumière et de l'irréel au réel" pour citer la plus ancienne prière du monde. J'avais à apprendre que "l'amour de Dieu est plus vaste que la mesure de l'esprit de l'homme et que le cœur de l'Éternel est merveilleusement bon". Mais ce n'était pas un Dieu réellement bon que je proclamais. Dieu était bon pour moi parce qu'Il m'avait ouvert les yeux et avait ouvert les yeux de ceux qui pensaient comme moi ; mais Il était prêt à envoyer en enfer le reste du monde, non régénéré. La Bible le disait et la Bible avait toujours raison. Il était impossible qu'elle eût tort. J'adhérais alors à la déclaration du célèbre Institut Biblique des États-Unis disant : "ses membres avaient pris appui sur les manuscrits originaux, autographes de la Bible." Combien j'aimerais leur demander à présent où l'on peut trouver ces manuscrits autographes. Je croyais à la version littérale des Écritures et je ne savais rien des vicissitudes et des peines auxquelles leurs courageuses recherches soumettent les honnêtes traducteurs, ni du fait qu'ils sont seulement capables d'une approximation du sens du texte original. Ce n'est que ces dernières années, lorsque mes propres livres ont été en cours de traduction dans diverses langues, que j'ai été éclairée sur la complète impossibilité d'une inspiration qui s'exprime par des mots. Si Dieu avait parlé anglais et si le Christ avait prêché en anglais, alors peut- être pourrions-nous être plus certains de l'exactitude de la présentation. Mais tel n'est pas le cas.

Je me souviens qu'une fois huit ou neuf personnes (toutes de nationalité différente), mon mari et moi-même étions assis autour d'une table, au bord du lac Majeur, en Italie, et que nous essayions de trouver l'équivalent, en allemand, du mot anglo-saxon "mind" ou "the mind". Un de mes livres était en traduction en allemand et la question avait surgi. Il fallut abandonner, en désespoir de cause, car il n'y a pas de véritable équivalent pour ce que nous entendons quand nous parlons de "mind". Le mot "intellect" n'a pas le même sens. On déclara que le mot allemand "geist" [52] ne faisait pas l'affaire et, quoique nous cherchions partout un mot exprimant la même idée, celui-ci nous échappait. Il y avait là des professeurs d'allemand qui essayaient de trouver le mot avec nous. Peut- être qu'une partie du malaise avec l'Allemagne se trouve justement là. Je fus alors éclairée sur la chose très difficile qu'est une traduction correcte.

L'un des mots qui reviennent constamment dans les livres sur l'occultisme est "Path" signifiant Chemin de retour à notre Source, à Dieu et au centre spirituel de toute vie. Pour traduire en français, de quel mot allons-nous nous servir ? Chemin, Rue, Sentier ? Quand, à plus forte raison, vous entreprenez de traduire en anglais un livre aussi ancien que le Nouveau Testament, comment pourrait-il y avoir une interprétation littérale ? Tout ce qu'on peut obtenir vraisemblablement, c'est une ancienne traduction de l'araméen ou de l'hébreu en grec ancien, et du grec en latin, et du latin en vieil anglais, et de là beaucoup plus tard, dans la version standard de Saint-James. Il en va de même de toutes les traductions de la Bible. Ces traductions sont passées à travers bien des mains ; elles sont le produit de la pensée théologique de nombreux moines et traducteurs. D'où les querelles sans fin entre théologiens, à propos de la signification des mots. D'où, également, la traduction probablement incorrecte de beaucoup de termes très anciens et d'où, encore, les interpolations bien intentionnées, mais grossières, des premiers moines chrétiens qui essayèrent de rendre, dans leur langue maternelle, ces écrits anciens. Je le réalise maintenant [53] mais, en ce temps-là, la Bible anglaise était infailliblement correcte et j'ignorais tout des difficultés de la traduction. Tel était mon état d'esprit quand un grand changement intervint dans ma vie.

Ma sœur annonça son intention d'aller à l'Université d'Édimbourg et d'obtenir son diplôme de médecin et je fus immédiatement confrontée au problème de ce que j'allais faire. Je n'avais pas envie de vivre seule, ni de passer mon temps à voyager de-ci, de-là, en m'amusant. C'était surprenant, mais je ne désirais pas être missionnaire. J'étais dédiée aux bonnes œuvres, mais à quelles bonnes œuvres en particulier ? Je dois beaucoup à un ecclésiastique qui me connaissait bien à cette époque, et qui me suggéra de choisir la vie d'évangéliste. Je n'étais pas très enchantée. Les évangélistes que j'avais rencontrés (et ils étaient nombreux) ne m'avaient pas fait grande impression. Ils avaient l'air de gens mal élevés ; ils portaient des vêtements bon marché et mal coupés et leurs cheveux avaient besoin d'un coup de brosse. Je n'arrivais pas à me représenter moi-même, hurlant et déclamant sur des estrades, comme on les voyait le faire et comme les gens qui les entouraient semblaient le réclamer. J'hésitais, je m'interrogeais et j'en discutais avec ma tante qui, elle aussi, hésitait et s'interrogeait. En plus, les jeunes filles de ma classe ne faisaient pas ce genre de choses. Les vêtements, la façon de parler, le style de la coiffure et les bijoux ne pouvaient pas plaire à la catégorie de personnes qui fréquentaient les réunions pour le réveil de la foi, à la recherche du salut. Ils ne convenaient pas. Donc je priais, j'attendais et je croyais qu'un jour j'entendrais un "appel" et que je saurais ce que j'avais à faire.

En attendant, je m'amusai à tomber amoureuse (du moins le pensé-je) d'un ecclésiastique du nom de Roberts. Il était mortellement ennuyeux, affreusement timide et de plusieurs années plus âgé que moi ; tout cela ne me menait à rien, si bien que je lui ris au nez et lui tournais littéralement le dos, ce qui vous montre jusqu'où allait la profondeur de mes sentiments.

Alors, inopinément, on me suggéra d'aller visiter les Foyers du Soldat Sandes, en Irlande ; après avoir installé ma sœur dans sa chambre à [54] Édimbourg, je continuai jusqu'en Irlande, pour examiner cette proposition. Je trouvais que ces foyers du Soldat étaient uniques et que Miss Sandes, elle-même, était une femme charmante et cultivée. Ses collaboratrices étaient toutes des jeunes filles et des femmes du même rang social que moi. Miss Sandes avait consacré sa vie entière à tenter d'améliorer le sort de "Tommy Atkins" et avait établi ses foyers selon des données très différentes de celles qu'on trouvait dans les camps militaires, et très différentes de celles des œuvres évangélistes habituelles qu'on peut voir dans nos villes. Elle avait beaucoup de foyers en Irlande et plusieurs en Inde. Parmi ceux qui travaillaient dans les foyers, plusieurs devinrent mes amis et m'aidèrent beaucoup à m'ajuster à mon changement d'environnement. Edith Arbuthnot-Homes, Eva Maguire, John Kinahan, Catherine Rowan Hamilton, et d'autres.

Pour ma première expérience, je travaillai au Foyer de Belfast. Tous les foyers étaient équipés de grandes cantines où des centaines d'hommes étaient nourris tous les soirs, payant la nourriture au prix coûtant. Il y avait des salles où ils pouvaient écrire, jouer, s'asseoir auprès du feu, lire les journaux, jouer aux échecs ou aux dames et parler avec nous, s'ils sentaient la solitude, s'ils en avaient assez ou s'ils avaient le mal du pays. Il y avait généralement deux dames dans chaque foyer et nous avions nos propres logements sur place. Il y avait fréquemment un grand dortoir où les soldats pouvaient passer la nuit quand ils étaient en permission, et aussi une salle pour les réunions d'évangélisation, pourvue d'un harmonium, de livres de cantiques, de Bibles et de chaises et de quelqu'un qui pouvait commenter les Écritures et plaider auprès des hommes en faveur du salut de leur âme. J'avais à apprendre tous les aspects de ce travail et c'était un dur travail, quoique j'eusse découvert que j'en aimais toutes les facettes. Le premier mois fut le plus dur. Ce n'est pas chose aisée pour une fille timide (et j'étais anormalement timide) que d'entrer dans une pièce où il y a peut-être trois cents hommes et vraisemblablement pas d'autre femme, et de se lier d'amitié avec eux, de s'avancer, de s'asseoir près [55] d'eux, de jouer aux dames, d'être gentille, de rester impersonnelle et, en même temps, de donner le sentiment de s'intéresser à eux et de désirer les aider.

Je n'oublierai jamais ma première réunion. J'avais été habituée à mon petit cours biblique et à m'exprimer dans les réunions de prière et je n'avais aucune appréhension. J'étais sûre que je pouvais le faire. C'était beaucoup plus facile que de m'approcher d'un soldat, de connaitre son nom, de m'asseoir pour jouer avec lui, de l'interroger sur sa famille et, peu à peu, de l'amener au sujet plus sérieux de son âme. J'étais donc tout à fait prête à tenir une réunion.

Je me trouvai, un dimanche après-midi, sur une estrade dans une grande salle, face à deux bonnes centaines de soldats et à quelques membres de la Police royale irlandaise. Je commençai aisément, puis ralentis l'allure, attrapai le trac, jetai un œil sur ces hommes, fondis en larmes et quittai l'estrade. Je jurai que même des chevaux sauvages ne pourraient pas me ramener ; mais, en même temps et pour répondre à mon éternelle question : "Qu'est-ce que Jésus veut que je fasse ?", je fis marche arrière. La chose ridicule fut qu'étant arrivée à une décision sans appel, le soir suivant j'allai à la salle de réunions pour me préparer et procéder à l'allumage du gaz. Je provoquai une explosion qui me fit valser à travers la salle et roussit mes cheveux tant et si bien que je ne pus tenir la séance ce soir-là. L'explosion fut comme un coup d'arrêt.

Plusieurs semaines plus tard, j'y retournai. Cette fois, j'avais appris par cœur mon allocution et mon effort fut fructueux jusqu'à la moitié, là où j'avais décidé de citer un poème pour donner de la légèreté et de la variété à mon thème. J'avais répété ce poème avec beaucoup de succès devant mon miroir. Les deux premiers vers sortirent bien et puis je restai court. Je n'arrivais pas à me souvenir de la suite. Je m'arrêtai, rouge jusqu'à la racine des cheveux et chancelante. Alors, une voix arriva du fond de la salle : "Courage, Miss, je vais la finir pour vous et vous aurez le temps de penser à ce que vous voulez dire ensuite." Mais [56] j'avais déjà disparu et je pleurai à chaudes larmes dans ma chambre. J'avais failli et Jésus avec moi, et il valait mieux que j'abandonne tout. Je restai éveillée toute la nuit, pleurant et refusant d'ouvrir la porte à l'une de mes compagnes de travail qui voulait me réconforter. Mais je surmontai cela ; ma fierté ne me permit pas de refuser de parler sur l'estrade et, graduellement, je m'habituai à expliquer la Bible à une foule d'hommes.

Ce fut néanmoins pénible. Je passais toute la nuit qui précédait l'allocution sans dormir, me demandant ce qu'au nom du Ciel j'allais dire ; de même la nuit suivante, dans l'horreur de la manière affreuse dont j'avais parlé. Ce cycle ridicule dura jusqu'au soir où je me confrontai à moi-même et me maintins là jusqu'à ce que je trouve ce qui n'allait pas. Je décidai que je souffrais par pur égoïsme et par égocentrisme ; je m'occupai trop de ce que les gens pensaient de moi. L'éducation de ma première jeunesse était en train de recevoir son premier coup dur. J'en vins à la conclusion que si j'étais vraiment intéressée par mon sujet, si j'aimais vraiment mon auditoire et non pas Alice La Trobe-Bateman, et si je pouvais atteindre le point où je m'en f... (je n'employai pas ce mot-là, alors), je pourrais m'en sortir et être véritablement utile.

Assez curieusement, je n'eus plus aucune difficulté à partir de cette nuit-là. En Inde, je m'habituai à entrer dans une salle bourrée, contenant peut-être quatre ou cinq cents soldats et, grimpant sur la table, à obtenir leur attention et, ce qui est mieux, à la retenir. Je devins un bon orateur et j'appris à aimer parler, si bien qu'à présent je suis réellement plus heureuse sur une estrade que partout ailleurs. C'est à Belfast que je devins libre à cet égard.

Je me souviens qu'une fois j'ai été sincèrement flattée par le fabuleux succès de mon cours biblique du dimanche soir, à Lucknow, en Inde, plusieurs années plus tard. Toute une foule d'instructeurs de l'armée avaient pris l'habitude de venir, chaque dimanche, pour m'écouter (toujours avec plusieurs centaines d'autres) et je commençais à être un peu gonflée de vanité. [57] Je décidai que je devais être vraiment bonne, si des hommes aussi intelligents aimaient à venir dimanche après dimanche pour m'entendre. À la fin de la série d'allocutions, ils m'offrirent un cadeau. Le plus âgé s'avança à la fin de ma péroraison et me tendit un rouleau de parchemin d'un mètre de long, attaché par un large ruban bleu et me fit un joli petit discours. J'étais trop timide, même alors, pour dérouler le rouleau devant eux. Mais quand je fus rentrée chez moi, ce soir-là, je détachai le ruban et là – en une merveilleuse calligraphie – il y avait jusqu'à la moindre des erreurs grammaticales et des métaphores confuses dont j'avais pu me rendre coupable pendant toute la série de mes allocutions. Je me considérai comme guérie et délivrée pour toujours quand je découvris que l'effet produit sur moi était de me faire rire jusqu'aux larmes.

Comme beaucoup de bons orateurs qui ne se servent que de brèves notes, qui parlent d'abondance et à mesure que leur auditoire tire d'eux les idées nécessaires, je ne prends pas bien en sténographie. Je regarde les comptes-rendus et je dis : "Ai-je dit cela ainsi ?" Je suis sûre que le secret de bien parler, pourvu que l'on ait le don des mots, c'est d'aimer son auditoire, et puis de le mettre à l'aise en étant simplement humain. Je n'ai jamais prétendu faire des conférences. J'ai seulement parlé à un auditoire comme je l'aurais fait à un seul être humain. Je gagnai sa confiance. Je n'ai jamais posé à celle qui sait tout. Je disais : "C'est ainsi que je vois maintenant ; quand je verrai différemment, je vous le dirai." Je n'ai jamais présenté la vérité telle que je la voyais comme un dogme. J'ai souvent dit aux gens : "Dans cinq mille ans cet enseignement, prétendu avancé, apparaîtra l'abc pour les petits enfants, ce qui montre combien nous sommes infantiles à présent." À l'heure des questions, à la fin d'une conférence, moment que j'ai toujours apprécié, je ne me sens pas gênée d'admettre que je ne sais pas quand je ne sais pas et cela arrive souvent. Les conférenciers qui pensent qu'il est au-dessous de leur prestige d'admettre [58] une faille dans leur savoir et qui, à partir de là, deviennent évasifs et pompeux ont beaucoup à apprendre. Un auditoire aime un conférencier qui peut le regarder et dire "Mon Dieu, je n'en ai pas la moindre idée".

Revenons à Belfast. Mes supérieurs découvrirent que j'avais un don certain pour sauver les âmes ; j'avais un si bon dossier que Miss Sandes me pria de me joindre à elle au camp d'entraînement des artilleurs, au centre de l'Irlande, pour y acquérir un peu de réelle instruction. C'était dans une ravissante contrée verdoyante et je n'oublierai jamais le jour où j'y arrivai. Toutefois, en dépit de la beauté, mon impression principale, ce fut les œufs. Rien que des œufs partout. Il y avait des œufs dans la baignoire ; il y avait des œufs dans chaque casserole, dans les tiroirs de ma coiffeuse, dans des boîtes sous mon lit. Si je me souviens bien, il y avait une centaine de milliers d'œufs dans la maison, et il fallait bien qu'ils soient dans toutes sortes de récipients. Je découvris que nous employions soixante-douze douzaines d'œufs à la cantine du Foyer du Soldat, chaque soir et, comme il y avait trois Foyers dans ce secteur desservi par nous, nous utilisions d'innombrables œufs. Donc, les œufs avaient priorité sur tout, sauf sur l'Évangile.

Mon premier travail, chaque matin, après une heure de paix sous un arbre dans les champs, avec ma Bible, était de cuire les petits pains, des centaines de petits pains – souvent jusque tard dans la journée – pour les charger ensuite dans une carriole à poney (seulement le poney était un âne) et les porter aux baraquements où les hommes s'assemblaient le soir. Un jour cet âne m'humilia grandement. J'avançais gaiement, le long d'un sentier champêtre, surchargée de petits pains, quand j'entendis une batterie galopant sur la route vers moi. En hâte, j'essayai de me diriger vers le bord de la route, mais ce diable d'âne planta tout simplement ses quatre pieds fermement dans le sol et refusa de bouger. Cajolerie, fouet, tout fut inutile.

La batterie fit halte à quelques pas devant nous. Les officiers hurlèrent de me déplacer. Je ne le pouvais pas. Finalement, un détachement s'avança, nous saisit, moi, la carriole et l'âne, et [59] nous déposa dans le fossé, puis la batterie continua son chemin. Les artilleurs n'en finirent jamais de parler de cet épisode. Ils répandirent le bruit que mes petits pains étaient tellement lourds que le pauvre âne ne pouvait pas bouger et ils arrivèrent en boitant dans la baraque, disant qu'une miette de l'un de ces pains était tombée sur leurs pieds. Je m'accoutumai au bruit des grands canons et au fait que les hommes étaient sourds le soir où leurs batteries avaient tiré. Je m'accoutumai à l'ivresse, j'appris à ne pas m'inquiéter d'un homme ivre et j'appris aussi comment le manier, mais je ne pus jamais m'accoutumer aux œufs frits, particulièrement quand ils sont accompagnés de cacao. Je crois bien que j'ai vendu plus de cacao, d'œufs et de cigarettes que n'importe qui.

Ce furent des jours heureux et bien remplis. J'adorais Miss Sandes ; qui ne l'aurait pas adorée ? Je l'aimais pour sa beauté, pour sa force mentale, pour sa connaissance de la Bible, pour sa compréhension de l'humanité, et encore pour son sens de l'humour. Je l'aimais d'autant plus, je crois, que j'avais découvert qu'elle m'aimait réellement. Je partageais sa chambre dans l'amusante petite maison où nous vivions et je la revois encore, en ce moment même, étendue endormie dans la lumière du petit matin, avec un bas noir attaché sur les yeux, pour les protéger du jour. Elle avait une vue beaucoup plus large que ne l'avaient ses collaborateurs. Je me souviens du coup d'œil qu'elle leur lançait, sans mot dire. Nous travaillions tous si dur à sauver des âmes et elle nous regardait faire et nous souhaitait le succès ; souvent elle disait le mot nécessaire, mais je sais qu'elle était souvent la spectatrice divertie de nos luttes et de nos efforts.

Un jour, elle me donna un vrai choc et déclencha, je le crois vraiment, le cycle intérieur de questions qui, plus tard, me mena hors du marais théologique. Il y avait trois semaines que je luttais pour sauver l'âme d'un misérable et sale petit soldat. C'était ce qu'on appelle familièrement en français "du sale boulot" [60] – un mauvais soldat et un mauvais homme. Je jouais aux dames avec lui, soir après soir (ce qu'il aimait) et je l'avais amadoué jusqu'à l'amener aux réunions d'évangélisation, ce qu'il tolérait. Je le priais de se laisser sauver, ce qui restait sans effet. Elise Sandes s'en amusa jusqu'au moment où elle décida que cela avait assez duré. Donc, un soir elle m'appela près du piano où elle se tenait dans une baraque bourrée d'hommes et la conversation suivante s'engagea : "Alice, vous voyez l'homme qui est là?" en désignant mon problème.

"Oui, fis-je, vous voulez parler de l'homme avec lequel je jouais aux dames ?"

"Eh ! bien, ma chère, voulez-vous avoir l'obligeance de regarder son front ?"

Je regardai et observai qu'il était très bas. Elle fit signe que oui.

"Maintenant regardez ses yeux. Qu'est-ce qui ne va pas ?"

"Ils sont un peu rapprochés", répondis-je.

"Exactement. Et que dites-vous du menton et de la forme de son crâne?"

"Mais il n'a pas de menton et la forme de son crâne est petite et parfaitement ronde", dis-je tout embarrassée.

"Eh bien alors, chère Alice, pourquoi ne pas le laisser à Dieu ?" Là-dessus, elle s'éloigna. Depuis, j'ai laissé beaucoup de gens à Dieu.

Maintenant, ici-même, laissez-moi dire et répéter que je croyais à la conversion, en ce temps-là, et que je crois à la conversion aujourd'hui. Je croyais alors au pouvoir du Christ de sauver et j'y crois aujourd'hui mille fois plus. Je sais que les gens peuvent se détourner de leur route par erreur et je les ai vus maintes et maintes fois trouver, en eux-mêmes, la réalité de ce que saint Paul appelle "le Christ en vous, l'espérance de la gloire". Sur cette connaissance, je fonde mon salut éternel et le salut du genre humain. Je sais que le Christ est vivant et que nous vivons en Lui et je sais que Dieu est notre Père et que, suivant le grand Plan de Dieu, toutes les âmes trouveront finalement [61] leur chemin vers Lui. Je sais que le Christ vivant dans le cœur humain peut mener tous les hommes de la mort à l'immortalité. Je sais que, parce que le Christ vit, nous vivons aussi et que nous sommes sauvés par sa vie. Mais je remets très souvent en question nos techniques humaines ; je crois que la voie de Dieu est la meilleure et que, souvent, Il nous laisse trouver notre propre chemin de retour, sachant qu'en chacun de nous il y a quelque chose de Lui-même qui est divin, qui ne meurt jamais et qui vient à la connaissance. Je sais que rien, ni au ciel, ni en enfer, ne peut se mettre entre l'amour de Dieu et ses enfants. Je sais qu'Il reste attentif, veillant "jusqu'à ce que le dernier pèlerin épuisé ait trouvé le chemin du retour". Je sais que toutes les choses travaillent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu et cela signifie que nous n'aimons pas quelque lointaine et abstraite divinité, mais que nous aimons nos compagnons. L'amour que nous avons pour nos frères est la preuve – mal définie peut-être, mais non moins certaine – que nous aimons Dieu. Elise Sandes me l'enseigna par sa vie et son amour, son esprit et sa compréhension.

Mon séjour en Irlande ne dura pas très longtemps, mais ce fut une époque délicieuse. Je n'avais jamais été en Irlande et une bonne partie de mon temps se passa à Dublin et au camp de Currach, non loin de Kildare. Ce fut pendant que j'étais à Currach que j'eus à faire un travail très particulier qui aurait plongé mes parents dans la consternation s'ils avaient été au courant. Je ne sais pas si j'aurais pu les en blâmer. Souvenez-vous que les jeunes filles n'avaient pas la liberté qu'elles ont maintenant et, après tout, je n'avais que vingt-deux ans.

L'une des batteries du "Royal Horse Artillery" était, à l'époque, cantonnée à Newbridge Barracks et les hommes de la batterie, que j'avais rencontrés au camp d'entraînement pendant l'été, me demandèrent de descendre chaque soir jusqu'à leur "Salle de Tempérance de l'Armée". Cela signifiait d'y arriver vers 6 h de l'après-midi et de rentrer tard dans la nuit, car ils avaient obtenu, pour moi, la permission de tenir là une réunion d'évangélisation, après la fermeture de la cantine. [62] Après beaucoup de discussions, il fut décidé que je pouvais accepter et, chaque soir, je pédalais jusque-là, après cet abominable repas britannique appelé "high tea". Je rentrais chaque soir, entre 11 h et minuit, escortée par deux soldats, les hommes de la batterie décidant chaque soir qui devrait me ramener et obtenir les permissions nécessaires. Je ne savais jamais si mon escorte serait soit un gentil soldat chrétien, digne de confiance, soit un vaurien. Je crois qu'ils tiraient au sort qui me raccompagnerait à la maison et, si le sort tombait sur un homme qui buvait, il était soigneusement détourné du chemin de la cantine, ce jour-là, par ses camarades pleins de sollicitude. De toute façon, représentez-vous une jeune fille avec mon passé "victorien" épouvantablement protégé, rentrant à bicyclette, chaque soir, avec deux "tommies" dont elle ne savait rien. Pourtant, pas une seule fois un mot ne fut dit qui aurait pu outrager la plus puritaine des vieilles demoiselles et combien cela m'a plu !

La clientèle de la cantine avait coutume de venir chaque soir à la salle pour me voir. Je n'avais fait aucune tentative pour obtenir des soldats qu'ils assistent à la réunion, cependant tout allait bien. C'est alors que j'appris à reconnaître les divers types d'ivrognes. Il y a, bien sûr, l'ivrogne querelleur, et dans combien de batailles d'ivrognes ne me suis-je fourrée, sans jamais aucun mal, mais en me révélant une peste, j'en suis sûre. Ce type d'ivrognes ne m'ennuya jamais et jamais je ne souffris d'être intervenue. La police militaire acceptait volontiers mon aide pour obtenir que les hommes se calment. Je devins quasiment experte en la matière. Puis il y a l'ivrogne affectueux et, par celui-là, j'étais franchement terrifiée. Je n'ai jamais su ce qu'il allait faire ou dire, mais j'appris à garder toujours une chaise ou une table entre lui et moi. Les dompteurs de lions ont trouvé très utile de mettre une solide chaise entre eux et un lion furieux et je peux recommander cette technique en toute confiance dans le cas d'un ivrogne affectueux. L'ivrogne triste est de beaucoup le plus difficile et le moins commun. On apprend aussi à discerner entre les hommes dont la boisson affecte les [63] jambes et ceux dont la tête est atteinte ; la technique à employer pour chacun d'eux est différente. Il est arrivé maintes fois que, travaillant parmi les soldats, j'ai été priée par la police militaire d'aider à ramener un soldat ivre tranquillement chez lui. Les militaires restaient hors de vue, mais prêts à intervenir et l'on avait alors le spectacle de l'ivrogne et de moi-même "traçant des S" le long de la route. Vous pouvez peut-être vous figurer l'horreur de ma tante si elle avait pu voir cette marche titubante, mais je faisais tout pour "l'amour de Jésus" et jamais un homme n'essaya d'être brutal. Cependant j'aurais sûrement détesté voir une de mes propres filles dans une situation semblable et j'aurais éprouvé que ce qu'on trouve bon pour soi, on ne le trouve pas toujours bon pour ses enfants.

Mon travail était varié : tenir des comptes, arranger des fleurs dans la salle de lecture, écrire des lettres pour les soldats, tenir d'interminables réunions d'évangélisation, présider des réunions de prières quotidiennes, étudier ma Bible assidûment et être très bonne. J'achetai toutes les sortes de livres qui pouvaient m'aider à prêcher mieux, tels que : "Jalons pour les Prêcheurs", "Entretiens destinés aux Prêcheurs", "Discours aux Disciples", "Esquisses pour les Travailleurs", (je possédais moi-même ces livres) et d'autres avec des titres tout aussi séduisants. J'ai été souvent tentée d'en publier un moi-même intitulé : "Idées pour les Idiots" et j'écrivis même le début, mais il ne fut jamais achevé. Pour autant que je puisse le dire, tout allait bien avec mes collaborateurs. Mon fort complexe d'infériorité m'amenait toujours à les admirer et cela coupait court effectivement à toute jalousie.

Un matin, Elise Sandes reçut une lettre qui la troubla fortement. La personne qui était à la tête du travail en Inde, Théodora Schofield, n'était pas bien et il était raisonnable qu'elle vint se reposer. Mais il semblait qu'il n'y avait personne de disponible pour prendre sa place. Elle-même vieillissait et Eva Maguire ne pouvait pas être détachée. Miss Sandes, avec sa franchise habituelle, dit qu'elle m'enverrait bien si elle avait [64] l'argent, parce que : "même si vous n'êtes pas très bien, vous serez probablement mieux que personne du tout." Le voyage pour l'Inde était coûteux en ce temps-là et Miss Sandes devait payer le retour de Théo. Avec mon habituelle réaction de suffisance et de religiosité, je dis : "Si Dieu veut que j'aille, Il enverra l'argent." Elle me regarda, mais ne fit aucun commentaire. Deux ou trois jours plus tard, tandis que nous prenions le petit déjeuner, je l'entendis s'exclamer, en ouvrant une lettre. Puis, elle me tendit l'enveloppe. Il n'y avait pas de lettre dedans, ni de mention d'expéditeur. À l'intérieur, pourtant, il y avait un chèque de cinq cents livres, portant les mots : "pour le travail en Inde" écrits en travers. Aucune de nous deux ne savait d'où l'argent provenait, mais il fut accepté comme issu directement de Dieu lui-même. Le problème du voyage était dès lors résolu et elle me demanda de nouveau si je voulais partir immédiatement pour l'Inde, soulignant que je n'étais, bien sûr, pas très capable, mais qu'elle n'avait personne d'autre à envoyer à ce moment. Je me demande quelquefois si c'est mon Maître qui envoya l'argent. Il était essentiel que j'aille en Inde pour apprendre certaines leçons et me préparer au travail pour lui, travail dont Il m'avait parlé des années auparavant. Je ne sais pas et je ne le lui ai jamais demandé parce que cela ne fait pas partie des choses importantes.

J'écrivis aux miens pour leur demander si je pouvais partir, décidée à partir de toute façon, mais désireuse de faire les choses correctement et d'être au moins polie. Ma tante, Clare Parsons, écrivit qu'elle approuvait si j'avais un billet de retour ; je me procurai donc un billet de retour. Puis j'allai à Londres acheter un équipement pour l'Inde et, ne connaissant pas, à l'époque, de véritables restrictions financières, j'achetai tout ce que je voulais et je passai un moment magnifique. Littéralement, "j'explosai". Quand les malles qui contenaient toutes mes nouvelles affaires arrivèrent à Quetta, au Béloutchistan, je découvris que tout leur contenu avait été volé et que des guenilles crasseuses lui avaient été substituées. Heureusement, j'avais pris beaucoup de choses avec moi, mais ce fut la première leçon [65] importante qui m'apprit que les choses sont éphémères. Tout de même, comme j'aimais les vêtements, et je les aime toujours, je fis venir un autre équipement.

Ma sœur et ma tante m'accompagnèrent à Tilbury Docks et je dois reconnaître que je n'ai jamais eu autant de plaisir que pendant ce long voyage de trois semaines pour Bombay. J'ai toujours aimé voyager (comme tous les Gémeaux) et, étant en plus, à cette époque, une horrible petite snob, je me délectai à avoir conscience que ma chaise de pont (qu'un oncle m'avait prêtée) portait un titre. Les petites choses plaisent aux petits esprits et mon esprit était très petit en ce temps-là, pratiquement endormi.

Je me rappelle si bien ce premier voyage. Il y avait deux femmes, en plus de moi, à table, dans la salle à manger et cinq hommes d'apparence opulente et très sophistiquée. Ils aimaient bien, évidemment, les trois femmes, mais j'en étais épouvantablement choquée. Ils parlaient de jeux et de course, buvaient quantité d'alcool, ils jouaient aux cartes et – pis encore – ils ne disaient jamais le bénédicité avant les repas. Le premier repas me laissa sidérée. Après le déjeuner, je rentrai dans ma cabine et je priai intensément pour obtenir la force de faire la chose juste. À l'heure du dîner, le courage me manqua et je dus faire quelques prières de plus. Mais le résultat fut qu'au petit déjeuner, le lendemain matin, je fis un petit discours, ayant pris soin d'être à la salle à manger avant que les deux autres jeunes filles n'arrivent, les hommes étant tous les cinq présents. J'avais très peur et j'étais honteuse, mais je fis ce que je pensais que Jésus aurait fait. Je regardai les hommes et je dis, nerveusement et rapidement : "Je ne bois pas et je ne danse pas ; je ne joue pas aux cartes et je ne vais pas au théâtre ; je sais que vous allez me détester et je pense qu'il vaut mieux que je trouve une autre table." Un silence de mort s'abattit sur nous. L'un des hommes (qui portait un nom très connu que je ne mentionnerai pas) se leva, se pencha au-dessus de la table, tendit la main et dit : "Top là, si vous voulez bien rester avec nous, nous resterons avec vous et nous essaierons [66] sérieusement d'être bons." Je fis le plus délicieux des voyages. Ces hommes étaient incroyablement bons pour moi et je me souviens d'eux avec affection et reconnaissance. Ce fut mon plus charmant voyage et je fis la traversée de Londres à Bombay six fois en cinq ans ; j'ai donc une certaine expérience. Que ces hommes aient pris du bon temps, c'est une autre affaire, mais ils furent toujours gentils avec moi. L'un d'eux, plus tard, m'envoya un paquet de livres religieux pour l'un des Foyers du Soldat. Un autre envoya un gros chèque et un autre encore, un homme important dans les chemins de fer, m'envoya un permis permanent pour la ligne "Great India Peninsula" dont je me servis tout le temps que je fus en Inde.

Quand nous arrivâmes à Bombay, je m'attendais à changer de bateau et à prendre le "British India" pour Karachi et ainsi de suite pour Quetta au Béloutchistan. Mais cela ne pouvait pas se faire alors, quoique j'aie fait ce voyage-là plus tard. Je trouvai une dépêche me disant de descendre à Bombay et de prendre l'express de Meerut, qui est au centre de l'Inde. J'étais épouvantée. Je n'avais jamais de ma vie voyagé seule auparavant. Je débarquai sur un continent où je ne connaissais pas un seul être humain et je devais non seulement changer mon billet de bateau pour Karachi, mais prendre un billet de chemin de fer pour Meerut. Tel un pigeon voyageur, je volais au Y.W.C.A. où l'on fut très aimable et où l'on s'occupa de tous les détails. Souvenez-vous encore une fois que j'étais jeune, jolie, et que les jeunes filles ne faisaient pas alors ce que j'étais en train de faire.

À la gare de Bombay, j'eus une expérience très humaine et très instructive. Cette expérience tend à montrer combien les êtres humains sont merveilleux, ce qui est, vous l'avez remarqué, une chose que je peux et veux prouver dans ce livre. J'étais, comme vous pouvez l'avoir déduit, une poseuse consommée, quoique bien intentionnée. J'étais presque trop bien pour vivre, et certainement assez sainte pour être haïe ! Je n'avais pris aucune part à la vie quotidienne du bateau, mais je m'étais pavanée sur le pont avec ma grande Bible sous le bras. Il y avait, sur le bateau, un homme que j'abhorrais particulièrement [67] et, cela, dès que j'eus quitté Londres. Il était la vie même du bateau ; il organisait chaque jour les poules de certains jeux ; il mettait en train les danses et les représentations théâtrales ; il jouait aux cartes et je savais qu'il buvait une quantité peu ordinaire de whisky et soda. Le voyage durait trois semaines à cette époque, et je le regardais avec dédain tout ce temps là. De mon point de vue, il était le diable. Il m'avait parlé une ou deux fois ; mais je lui avais fait voir très clairement que je ne voulais rien avoir à faire avec lui. Tandis que j'attendais le train, ce jour-là, dans la grande gare de Bombay, paniquée à mort et souhaitant n'être jamais venue, cet homme vint à moi et me dit : "Jeune dame, vous ne m'aimez pas et me l'avez clairement montré, mais j'ai une fille d'à peu près votre âge et je veux être damné si j'aimerais la savoir seule, voyageant en Inde. Que cela vous plaise ou non, vous allez me montrer où est votre compartiment. Je veux jeter un coup d'œil sur vos compagnons de voyage et si cela ne vous convient pas, tant pis. Je viendrai aussi vous chercher pour les repas dans les gares où nous devrons descendre pour manger." Ce qui m'arriva alors, je ne sais, mais je le regardai droit dans les yeux et je dis : "J'ai peur. Je vous en prie, veillez sur moi." Ce qu'il fit très correctement. La dernière vision que j'aie de lui c'est, debout, en pyjama et robe de chambre, au milieu de la nuit, à l'embranchement des voies de chemins de fer, donnant un pourboire au chef de train pour qu'il me surveille, puisque lui-même n'allait pas plus loin.

Trois ans plus tard, j'étais allée à Rhanikhet dans l'Himalaya pour y ouvrir un nouveau Foyer du Soldat. Un messager arriva d'une contrée éloignée, apporter un mot d'un ami de cet homme, qui me priait de venir près de lui, car il avait peu de temps à vivre et avait besoin d'aide spirituelle. Il m'avait demandée. Ma compagne de travail refusa de me laisser partir ; elle me chaperonnait et elle était très choquée. Je n'y allai donc pas et il mourut seul. Je ne me le suis jamais pardonné, mais que pouvais-je faire ? La tradition, la coutume et la femme responsable de moi, tout travaillait contre moi, mais je me sentis [68] misérable et impuissante. Sur la route de Bombay, à Meerut, il m'avait dit carrément, un soir en dînant, que je n'étais certes pas aussi prétentieuse, ni sainte, que je le paraissais et qu'il avait dans l'idée que je découvrirais un jour que j'étais un être humain. À ce moment-là, il touchait le fond de l'abîme ; ne voulais- je pas l'aider ? Il revenait d'Angleterre où il avait dû mettre sa femme dans un asile d'aliénés ; son unique fils venait d'être tué et sa seule fille s'était sauvée avec un homme marié. Il ne lui restait personne ; il ne désirait de moi qu'un mot de bonté ; je le lui donnai, car je commençais à m'attacher à lui. Quand il fut sur le point de mourir, il m'appela. Je n'y suis pas allée et j'en suis navrée.

À partir de ce moment, ma vie devint très fiévreuse. J'étais (en l'absence de Miss Schofield) censée être responsable d'un bon nombre de Foyers du Soldat : Quetta-Meerut-Lucknow-Chakrata, plus deux Foyers que j'avais aidé à ouvrir – Umballa et Rhanikhet – dans l'Himalaya, à faible distance d'Almora. Chakrata et Rhanikhet étaient dans les contreforts à deux mille mètres d'altitude à peu près et étaient, naturellement, des stations d'été. De mai à septembre, nous devenions des "perruches de collines". Il y avait un autre Foyer au Rawal Pindi, mais je n'avais rien à y faire, si ce n'est que j'y allai une fois passer un mois pour relayer Miss Ashe qui l'avait en charge. Dans chacun de ces Foyers, il y avait deux dames et deux gérants responsables de la marche de la cantine et de la tenue générale de l'endroit. C'était habituellement d'anciens soldats et j'ai le meilleur souvenir de leur gentillesse et de leur serviabilité.

J'étais très jeune et inexpérimentée ; je ne connaissais personne en Asie ; j'avais besoin de plus de protection que je ne le croyais à l'époque ; j'étais prête à faire les choses les plus stupides simplement parce que j'ignorais le vrai mal, et je n'avais pas la plus petite idée du genre de choses qui peuvent arriver aux jeunes filles. Une fois, par exemple, je souffrais d'un [69] affreux mal de dents que je ne pouvais endurer plus longtemps. Il n'y avait pas alors de dentiste régulier dans le cantonnement où je travaillais, mais seulement un dentiste itinérant, habituellement américain, qui passait, s'installait dans la maison de repos et faisait ce qu'il y avait à faire. J'entendis dire qu'il y en avait justement un en ville, si bien que je m'y rendis toute seule, sans rien dire à ma collaboratrice. Je trouvai un jeune Américain et son assistant. La dent était en mauvais état et devait être arrachée ; donc je le priai de me donner un anesthésique et de l'ôter. Il me regarda d'une assez drôle de manière, mais procéda à ce que je demandais. Quand je revins de l'anesthésie et me retrouvai moi-même, il me fit la morale, me disant que je n'avais aucun moyen de savoir s'il était un honnête homme, que, pendant que j'étais sous l'anesthésie, j'étais complètement en son pouvoir et qu'il savait par expérience que des hommes errant à travers l'Inde n'étaient pas plus mauvais qu'ils ne le paraissaient. Avant de partir, il m'arracha la promesse d'être plus prudente à l'avenir. Je l'ai été, en règle générale, mais je me souviens de lui avec gratitude, même si j'ai oublié son nom. En ce temps-là, j'étais sans aucune crainte ; je ne savais pas ce que c'était que d'avoir peur. C'était dû en partie à une étourderie naturelle, en partie à l'ignorance et en partie à la certitude que Dieu prendrait soin de moi. Apparemment Il le fit, en vertu du principe, je suppose, que les ivrognes, les enfants et les fous ne sont pas responsables et doivent être protégés.

Le premier endroit où je me rendis fut Meerut, où je fis connaissance de Miss Schofield et où j'appris quelques-unes des choses que j'avais à savoir pour la remplacer momentanément. Mon plus grand souci véritable était que j'étais trop jeune pour la responsabilité. Ce qui arrivait demandait trop [70] de moi. Je n'avais pas d'expérience et, par conséquent, pas le sens des valeurs relatives. Des choses sans importance me paraissaient épouvantables et les choses vraiment sérieuses ne me paraissaient pas l'être. En considérant ces années-là et d'une manière générale, je ne pense pas avoir si mal fait.

J'étais au début presque étourdie par la splendeur de l'Orient. Tout était si nouveau, si étrange, si totalement différent de ce que j'avais imaginé. La couleur, les beaux édifices, la saleté et la dégradation, les palmiers et les bambous, les adorables petits enfants et les femmes qui, en ce temps-là, portaient les cruches d'eau sur leur tête ; les buffles aquatiques et les étranges équipages tels que les "gharries" et les "ekkas" (je me demande si on en voit encore à présent), les bazars surpeuplés et les rues aux échoppes indigènes. Les objets en argent et les beaux tapis, les indigènes à la démarche silencieuse, Musulmans, Hindous, Sikhs, Radjputs, Gourkhas, soldats et policiers indigènes et, de temps en temps, un éléphant avec son cornac. Les odeurs étranges, le langage inconnu et toujours le soleil, excepté pendant la mousson, encore et toujours la chaleur, tels sont certains des souvenirs que je garde de cette époque. J'aimais l'Inde. J'ai toujours espéré y retourner, mais je crains de ne pas y parvenir dans cette vie. J'ai beaucoup d'amis en Inde et parmi les Indiens qui vivent dans d'autres pays. Je connais assez bien le problème de l'Inde, son aspiration à l'indépendance, ses efforts et ses conflits internes, ses langues et ses races multiples, sa population surabondante et ses nombreuses croyances. Je ne la connais pas intimement car je n'y séjournai que quelques années, mais j'aime ce peuple.

Les gens ici, aux États-Unis, ne savent rien du problème et c'est pourquoi ils donnent des avis à la Grande-Bretagne sur ce qui devrait être fait. Les discours enflammés des Hindous fougueux paraissent, ici, de plus d'importance que les calmes assertions des Britanniques disant que, dès que les Hindous et les Musulmans auront résolu leurs différends, l'Inde pourra obtenir le statut de dominion ou la complète indépendance. À maintes reprises, des tentatives ont été faites pour parvenir à une constitution selon laquelle les Musulmans (minorité puissante, riche et guerrière, de soixante-dix millions d'habitants) et les Hindous [71] pourraient vivre ensemble ; une constitution qui pourrait satisfaire l'un et l'autre groupe, aussi bien que les principautés indiennes et les millions de gens qui ne reconnaissent ni ne répondent au parti du Congrès indien.

Je demandai à un Hindou important, il y a quelques années, ce qu'il pensait qu'il pourrait arriver si les Britanniques retiraient toutes leurs troupes et tous leurs intérêts de l'Inde. Je lui demandai une réponse véridique et non de propagande. Il hésita et dit "L'émeute, la guerre civile, le meurtre, le pillage et le massacre de milliers d'Hindous pacifiques par les Musulmans." Je suggérai que la méthode de l'éducation, quoique plus lente, serait peut-être plus sage. Il haussa les épaules, puis se tourna vers moi et dit : "Que faites-vous, Alice Bailey, dans un corps anglais ? Vous êtes un Hindou réincarné et vous avez eu un corps hindou pendant plusieurs vies." "Je crois que c'est vrai", répliquai-je et alors nous discutâmes du fait indéniable que l'Inde et la Grande-Bretagne sont étroitement liées et ont un karma important à purger ensemble, qu'elles le purgeront un jour et que le karma n'est pas entièrement britannique.

C'est un fait intéressant que, pendant la dernière guerre, le système des réquisitions d'hommes ne fut jamais appliqué en Inde ; cependant, des milliers de volontaires s'enrôlèrent, et seuls quelques-uns collaborèrent avec les Japonais, sur une population qui, en Inde et Birmanie, dépasse 550 millions d'habitants. L'Inde veut et doit être libre, mais elle doit s'engager sur la bonne voie. Le vrai problème n'est pas entre les Britanniques et la population de l'Inde, mais entre les Musulmans qui conquirent l'Inde et les Indiens. Quand ce problème intérieur sera résolu, l'Inde sera libre.

Un jour, nous serons tous libres. La haine raciale disparaîtra ; la citoyenneté sera importante, mais l'humanité, comme un tout, le sera beaucoup plus. Les frontières et les territoires se verront attribuer une juste place dans la pensée de l'homme, mais la bonne volonté et la compréhension internationale compteront [72] davantage. Les différences religieuses et l'aversion sectaire pourront enfin disparaître et nous pourrons finalement reconnaître "un Dieu et Père pour tous, qui est au-dessus de tout, dans tout et en nous tous". Ceci n'est pas vaine et chimérique rêverie. Ce sont des faits qui émergent lentement. Ils émergeront plus rapidement quand un juste processus d'éducation conditionnera les futures générations, quand les Églises prendront conscience du fait du Christ – et non des interprétations théologiques – et quand l'argent et les produits de là terre seront considérés comme des biens à partager. Alors ces problèmes internationaux critiques prendront leur juste place et le monde des hommes ira de l'avant, en paix et en sécurité vers la nouvelle culture et la nouvelle civilisation. Peut-être que mes prophéties ne vous intéressent pas. Mais ces sujets m'intéressent, moi et tous les gens qui aiment leur prochain.