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CHAPITRE VII NOTRE BUT IMMEDIAT LA FONDATION DU ROYAUME - Partie 1

CHAPITRE VII

NOTRE BUT IMMEDIAT

LA FONDATION DU ROYAUME

PENSEE-CLE :

"À chaque moment, la vie doit choisir entre deux dieux psychologiquement incompatibles. D'une part, la paix de l'ermite, le silence de la forêt, l'exaltation du sacrifice, la toute-puissance de la simplification et de l'unité, la joie de l'abandon de soi-même, la sérénité de la contemplation absolue, la vision de Dieu. De l'autre, la diversité et l'effort de la vie, la saveur enivrante des fins générales, la maîtrise des moyens, la gloire de l'entreprise infinie, l'orgueil de l'instinct créateur et de la maîtrise de soi-même. Dans son ensemble, le monde moderne a fait son choix. Mais il y a un choix meilleur, à savoir le choix des deux. Car la vie de l'un consiste à se perdre, de loin en loin, dans la vie de l'autre. Et ceci, qui est évident en ce qui concerne les choses partielles, est également vrai – et même suprêmement vrai – en ce qui concerne les choses totales."

W.E. Hocking, The Meaning of God in human Experience, p. 427,

[257]

PREMIERE PARTIE

Nous avons suivi le Christ de Bethléem au Calvaire et à travers la Résurrection, jusqu'au moment où Il disparut aux regards terrestres et tangibles, pour entrer dans le monde des valeurs subjectives, afin d'y opérer en tant que "Maître de tous les Maîtres" et "Instructeur à la fois des anges et des hommes". Nous avons examiné les cinq crises de Sa vie, sous l'angle de leur importance pour le monde, plutôt que sous celui de leur signification pour l'individu. Nous avons vu qu'il y a eu – et très justement d'ailleurs – une révolte contre l'accent mis par les théologiens sur le sacrifice du sang du Christ. Et nous sommes arrivés à la conclusion que le monde a besoin aujourd'hui de reconnaître un Sauveur ressuscité. Nous avons noté que le caractère unique de la mission du Christ consistait dans le fait qu'Il vint "dans la plénitude des temps" pour fonder le royaume de Dieu, pour amener sur terre un nouveau règne de la nature et pour dresser une frontière ou limite, entre ce qui est objectif et illusoire, et ce qui est subjectif et réel. Sa venue marqua la ligne de démarcation entre le monde des formes ou des symboles, et celui des valeurs, ou des significations. Nous entrons très rapidement dans ce dernier. La science, la religion et la philosophie s'occupent de la signification, et leurs investigations les entraînent hors du monde des apparences ; les gouvernements et les sciences qui s'y rattachent – la politique, l'économie et la sociologie – sont, à leur tour, aux prises avec les idées et les idéaux. Même dans le domaine des [258] désordres sociaux et des guerres – générales, sporadiques ou civiles – nous assistons à des conflits d'idéaux divergents, mais non plus à des guerres ayant pour objet l'agression ou la défense de la propriété. Ces distinctions entre l'objectif et le subjectif, entre le tangible et l'intangible, entre le visible et l'invisible, c'est le christianisme qui les a engendrées, parce que ce sont elles qui distinguent le royaume de Dieu du royaume des hommes. Le Christ vint pour donner un sens et une valeur à la vie, de même que Bouddha vint pour nous montrer clairement les fausses valeurs sur lesquelles est édifié notre monde moderne.

Une étude des enseignements donnés antérieurement à la venue du Christ nous montrera que chaque Fils de Dieu qui vint sur terre souffrit et accomplit deux choses :

Tout d'abord, Il prépara la voie du Christ et donna l'enseignement adapté à Son époque, à Sa période et à Sa civilisation particulière. Deuxièmement, Il incarna dans Sa vie les enseignements de ces mystères lesquels, jusqu'à la venue du Christ, étaient réservés aux rares individus qui se préparaient à recevoir les initiations ou qui, par le droit de l’initiation, pouvaient pénétrer dans les Temples des Mystères.

Puis le Bouddha vint et parla à la multitude, révélant aux hommes ce qui était la source de leurs misères et de leur mécontentement et leur donna, dans les Quatre Nobles vérités, une définition concise de la condition humaine. Il leur décrivit le Noble Sentier Octuple qui gouverne la conduite du juste, et formula les règles qui devraient guider chacun d'entre nous sur le Sentier des disciples. Puis, ayant Lui-même atteint l'Illumination, Il entra dans le "Lieu secret du Très Haut", d'où Il revient, une fois par an, selon la légende, pour bénir le monde. Le jour de cette bénédiction – qui est celui de la pleine lune de mai – est célébré dans l'Orient comme une fête générale et, dans l'Occident beaucoup de croyants la célèbrent aussi comme un jour de commémoration spirituelle.

Puis le Christ vint et rendit public, par Sa vie et Ses moments de crise, les cinq grands processus de l'initiation qui attendent tous ceux [259] qui observent les règles que Son Frère Aîné avait énoncées. Il fit accomplir à l'enseignement un nouveau pas en avant et le rendit accessible aux masses. Ainsi fut perpétuée la continuité de la Révélation. Le Bouddha nous enseigna les règles que doivent suivre les disciples qui se préparent aux Mystères de l'initiation, tandis que le Christ nous indiqua l'étape suivante et nous montra le processus de l'initiation, depuis le moment de la nouvelle naissance au royaume de Dieu, jusqu'à celui de la résurrection finale à la vie. Son œuvre fut unique, à Son époque et à Sa place spéciale, car elle marqua la consommation du passé et l'entrée de l'humanité tout entière dans une ère absolument nouvelle.

L'humanité avait donc atteint un stade unique dans son développement. La race était devenue intelligente et la personnalité de l'homme – physique, émotionnelle et mentale – avait été portée à un point précis d'intégration et de coordination. Ceci était unique, accompli sur une aussi vaste échelle. Il y avait eu, auparavant, des personnalités isolées. Maintenant, dans l'ère chrétienne, nous vivons dans un âge de personnalités. Le niveau général de la personnalité intégrée est si élevé que nous avons tendance à croire que nous vivons dans une époque où il n'y a plus de grandes figures dominantes. Ceci tient probablement au fait que le développement humain a atteint un niveau général si haut, que la possibilité d'occuper une position dominante est beaucoup plus restreinte. Par suite de ce développement, l'humanité (considérée comme un règne de la nature) a atteint le point où peut émerger quelque chose de nouveau, comme cela a toujours été le cas pour les autres règnes, dans des circonstances analogues. Nous pouvons donner naissance, en tant que race, au prochain règne de la nature, que le Christ a appelé le royaume de Dieu. Celui-ci est le royaume des âmes, le royaume des vies spirituelles et c'est en lui, uniquement, que le Christ apparaît. Il est le fondateur de ce royaume. Il proclama son avènement et indiqua sa nature Il nous donna, en Lui-même, une expression de ses qualités, et nous montra les caractères distinctifs que doit posséder le citoyen de ce royaume.

Par l'exemple de son fondateur, le christianisme a été investi d'une mission unique : celle d'inaugurer l'ère du service. Le service [260] du monde, le bien-être du monde, l'intérêt du monde, les communications mondiales et l'importance attribuée au bien général, sont tous le produit de l'accent, mis par le Christ, sur la divinité humaine et sur la fraternité de l'homme, basée sur la paternité de Dieu. Aucune religion et aucune autre ère n'ont mis ces points en lumière avec autant de vigueur. Ils demeurent encore, de bien des façons, des idéaux, mais sont en train de devenir rapidement des faits.

Le Christ a donc accompli, par Son travail, les choses suivantes :

1. Il extériorisa les Mystères, pour que l'humanité entière pût les connaître. Ceux-ci ont alors cessé d'être la propriété secrète des Initiés ;

2. Il joua, devant le monde, le drame de l'initiation, afin que son symbolisme pût pénétrer dans la conscience humaine ;

3. Il nous donna une démonstration de la perfection telle que nous ne pouvons plus mettre en doute la nature de Dieu ; mais, en même temps, Il nous apporta la garantie que nous sommes, nous aussi, des enfants de Dieu, et pouvons atteindre la divinité, comme Lui, si nous suivons Ses pas ;

4. Il nous révéla le monde de la signification et nous montra, en la personne du Christ historique, la signification du Christ cosmique, du Christ mythique, et du Christ mystique dans le cœur de chaque homme. Il révéla la nature de Dieu transcendant et de Dieu immanent ;

5. Tout le passé de l'humanité culmina en Lui ; le présent trouve, en Lui, sa solution et l'avenir est symbolisé par Sa vie et par Sa mort. Par conséquent, les trois lignes du passé, du présent et de l'avenir se rencontrent en Lui et Lui donnent une signification unique ;

6. Il fonda le royaume de Dieu au moment opportun, c'est-à-dire lorsque le règne humain atteignait sa maturité. Il démontra les valeurs de ce royaume, dans Sa propre vie, nous dépeignant les caractères de sa citoyenneté, et Il ouvrit largement la porte devant nous, pour que tous ceux qui se soumettent au service et à la discipline puissent sortir du règne humain et entrer dans le règne spirituel ; [261]

7. Il érigea Sa Croix comme une frontière, comme un symbole et comme l'exemple d'une méthode ; Il la dressa entre le monde des valeurs tangibles et celui des valeurs spirituelles, et nous invita à la mort de la nature inférieure, afin que l'Esprit de Dieu pût exercer toute son emprise sur nous ;

8. Il nous apprit que la mort doit prendre fin, que la destinée de l'humanité est la résurrection d'entre les morts. L'immortalité doit prendre la place de la mortalité. Pour nous, par conséquent, Il ressuscita d'entre les morts et prouva que les chaînes de la mort ne peuvent retenir aucun être humain capable d'opérer pleinement en tant que Fils de Dieu.

Bien des Fils de Dieu ont passé à travers le Temple des Mystères beaucoup ont appris à opérer divinement, ont vécu, ont servi et sont morts, dans leur effort pour exprimer la divinité. Mais aucun d'entre eux ne parut à cette période particulière de l'évolution qui rendit possible une reconnaissance universelle comme celle du Christ ; de plus, l'intelligence des masses n'était pas suffisamment développée, avant Sa venue, pour qu'elles puissent profiter de leurs enseignements d'une façon aussi générale. À ce point de vue le Christ et Sa mission sont doués d'une importance unique. Il nous apprit à progresser vers l'unité, et à mettre fin à l'isolement, à la haine et à la séparation, nous disant d'aimer notre prochain comme nous-mêmes. Il apporta un message dont les implications sont universelles, car le royaume de Dieu est largement ouvert à tous ceux qui aiment, servent et purifient la nature inférieure, sans distinction de confession ou de dogme. Il nous enseigna l'unité de la Foi, la paternité de Dieu, et la nécessité de marcher, non seulement avec Dieu, mais avec nos semblables, dans un esprit de compréhension et d'amour. Il souligna la nécessité de la coopération, indiquant que, si nous suivions vraiment la Voie, nous mettrions fin à la compétition et lui substituerions la collaboration. Il nous incita à vivre selon des principes divins et fondamentaux, et à n'attacher aucune importance aux personnalités.

L'amour, la fraternité, la coopération, le service, le sacrifice de [262] soi-même, l'inclusivité, la reconnaissance de la Divinité – tels sont les caractères essentiels des citoyens du royaume de Dieu, et ces principes demeurent encore notre idéal. En conséquence, la question capitale qui se pose aujourd'hui à l'humanité est la suivante : que faut-il faire pour atteindre les trois objectifs principaux que le Christ nous assigna ?

Ces objectifs sont ceux du genre humain tout entier, et sont en général reconnus pour tels, même lorsque l'on ignore leur interprétation chrétienne, et même là où le Christ n'est pas reconnu. Comment perfectionner l'être humain, de sorte que sa façon d'aborder la vie et son attitude envers son entourage soient correctes et constructives ? Comment matérialiser, sur terre, cet état de conscience, accompagné de cette condition de vie, dont le résultat mériterait d'être reconnu comme étant le royaume de Dieu ? Comment arriver à comprendre le problème de la mort, à surmonter le fait de mourir, et à atteindre la résurrection ? Le Christ nous a fourni une réponse précise à chacune de ces questions et nous a tracé un programme qui nous permet de résoudre les problèmes de la perfection humaine, de la création d'un monde nouveau, et de l'immortalité.

C'est un fait généralement reconnu que l'humanité approche d'évènements vitaux et considérables. Nous avons progressé, dans le passé à travers des civilisations différentes, mais à présent nous avançons vers des réalisations plus grandes encore. On est en droit de se demander, cependant, si l'on peut accélérer ce processus ; si l'on peut, par une compréhension exacte du Christ et de Son enseignement, faire avancer les choses, de telle sorte que le royaume de Dieu et ses lois puissent entrer en vigueur plutôt qu'ils ne le feraient sans notre intervention. Si le Christ a eu raison de prendre position comme Il l'a fait, et de nous donner l'enseignement que l'on sait, concernant la nature de l'homme, aucun sacrifice de notre part ne peut être assez grand. La décision nous appartient. Nous avons le choix. Donc, en dernière analyse, quelle décision devons-nous prendre ? Quelle est la question à laquelle il nous faut répondre ? Le Christ a dit que l'homme est divin. Avait-Il raison ? Si l'homme est divin et s'il est un fils du Père, alors, empressons-nous d'exprimer cette divinité et de proclamer notre filiation. Nous avons été constamment absorbés, dans le passé, par la pensée de Dieu, et nous n'avons cessé de discuter à Son sujet. Dieu transcendant a été à la fois reconnu et réfuté. Dieu immanent est à la veille d'être reconnu [263] et, dans cette reconnaissance, réside sûrement, pour l'homme, le chemin de la libération. Sommes-nous divins ? C'est la question suprême.

Si l'homme est divin, si le témoignage des siècles est vrai, et si le Christ est venu pour nous montrer comment s'exprime la divinité et pour fonder le nouveau royaume, alors la rupture des anciennes formes et la destruction générale des édifices traditionnels de la société et de la religion auxquelles nous assistons de nos jours, peuvent être simplement un épisode dans l'institution de nouveaux processus de vie, et l'œuvre délibérée d'un esprit vital, en voie d'évolution. L'agitation des masses peut être attribuée à une réaction envers l'apparition du royaume de Dieu, et la réponse générale faite aux nouveaux idéaux peut être due au choc, opéré par la force de ce royaume, sur les esprits les plus avancés du monde actuel. Les mystiques et les chrétiens peuvent parler du royaume de Dieu ; les philanthropes et les philosophes peuvent parler de la communauté mondiale, de la civilisation nouvelle, de la fédération des nations, de l'humanité en tant que corps constitué, de l'internationalisme, de l'interdépendance économique et de l'unité du monde. Ce ne sont là que des mots et des termes discutables dont les différents types d'esprits se servent pour désigner ce fait unique et capital : l'apparition d'un nouveau règne de la nature, émergeant du règne humain, et doué de ses propres principes de vie, de ses propres voies tendant à assurer le bien-être et la fraternité universelle.

Dans le déploiement de la conscience humaine, nous quittons, à présent, le stade de l'individualisme ; nous avons, temporairement, perdu de vue les vérités les plus profondes, les valeurs mystiques et la Vie unique qui se tient derrière toutes les formes. Nous nous sommes trop uniquement préoccupés de nos intérêts matériels et égoïstes. Mais ce stade a été nécessaire, bien que l'on soit en droit de penser qu'il a duré trop longtemps. Il est temps que nous mettions fin à l'individualisme égoïste et que nous cessions de lui permettre de jouer, dans nos vies, le rôle d'un facteur déterminant ; il est temps que nous commencions à synthétiser et à unifier les éléments du monde de la réalité et la vie extérieure.

Les meilleurs esprits de ce temps commencent à comprendre ces choses et, de toutes parts, s'élèvent des voix qui demandent un approfondissement : de la vie, une reconnaissance de la nature et de la nécessité d'une compréhension cohérente des processus mondiaux, ainsi que [264] leur intégration intelligente à un nouvel ordre des choses. La désagrégation du monde, qui s'effectue sous nos yeux, est bonne et juste, à condition que nous comprenions pourquoi elle a lieu et ce qui devrait lui succéder. La destruction, effectuée en vue d'une nouvelle construction, est bonne et légitime, mais il faut que l'on dresse quelque part les plans de l'édifice nouveau, et il doit exister, quelque part, une idée de la construction qu'il s'agit, à présent, d'édifier.

Nous avons besoin, aujourd'hui, de voir le fil caché du dessein qui nous conduira hors de l'impasse ; d'extraire, de théories innombrables, la théorie fondamentale, qui ne plonge pas seulement ses racines dans le passé, mais est susceptible d'être appliquée, d'une façon nouvelle et en termes nouveaux, par ceux qui sont emplis par la vision nouvelle. Nous avons besoin de reconnaître, comme le dit le Dr Schweitzer, "que la civilisation est fondée sur une sorte de théorie de l'univers, et ne peut être restauré que par un éveil spirituel et la volonté d'accroître le bien éthique dans les masses." [1]Cet éveil est déjà là, et la volonté vers le bien est présente. L'enseignement du Christ n'est, ni dépassé, ni périmé. Il a seulement besoin d'être sauvé des interprétations des théologiens du passé et pris à la lettre, c'est-à-dire comme une expression de la divinité de l'homme, de sa participation au royaume qui est en train d'être reconnu, et de son immortalité, en tant que citoyen de ce royaume. Ce que nous traversons actuellement est, en réalité, "une initiation religieuse aux mystères de l'être"[2], et nous en émergerons, doués d'un sens plus profond du Dieu immanent à nous- mêmes et à toute l'humanité. Ce besoin de réévaluation agit continuellement sur nous.

Il peut donc être utile, pour nous, d'admettre cette possibilité, et de considérer, sous un angle pratique, notre relation individuelle avec [265] l'œuvre que le Christ exprima et entreprit, et de nous attacher au problème de notre perfectionnement individuel, afin que nous puissions contribuer à fonder le royaume et développer les qualités qui nous assureront l'immortalité

Quelqu'un a remarqué que nos troubles actuels sont largement dus au manque de perception intuitive de la part de ceux qui agissent sur les masses et mènent les peuples. Ils cherchent à les guider par des processus mentaux et la contrainte, mais non par cette présentation intuitive de la réalité que l'enfant et le sage peuvent comprendre. Ce qui est nécessaire, c'est la vision, car "là où il n'y a pas de vision, le peuple périt"[3]. Nous n'avons pas manqué d'idéalisme, et nous n'avons pas été totalement inintelligents. La plupart des gens qui ont à résoudre de graves problèmes agissent avec sincérité, même si leur ligne d'action semble erronée. Mais notre erreur capitale réside dans notre incapacité à faire ces réajustements personnels et ces sacrifices, qui rendraient les grandes réalisations possibles.

Les gens demandent qu'on les guide ; ils demandent de bons chefs ; ils espèrent être menés dans la voie où ils devraient aller ; et pourtant le Guide, le Chef et la direction leur ont été donnés de tout temps. Le Christ a illuminé la route, et Il attend toujours que nous Le suivions, non point un à un, mais en tant que race, sous la conduite de disciples inspirés. Tels les enfants d'Israël, sous Moïse, il nous faut partir en quête de la "terre promise". Comment ceux qui ont la vision (et ils sont nombreux) peuvent-ils s'entraîner, pour contribuer à la bonne orientation de l'humanité ? Comment peuvent-ils devenir les chefs dont le besoin se fait si cruellement sentir ? En apprenant à être guidés eux- mêmes par le Christ, et en suivant les injonctions du Christ mystique intérieur, qui les mènera inévitablement vers le Christ, l'Initiateur. En tant qu'aspirants aux mystères, nous devons apprendre à suivre la voie qui mène à la lumière à travers l'obéissance, cette lumière que nous pouvons acquérir par l'amour et en devenant sensibles à l'inspiration d'en haut. Il n'y a pas d'autre voie. Nous n'avons aucune excuse si nous échouons, car d'autres ont été de l'avant, et le Christ nous a rendu tout cela très clair et très simple.

L'obéissance au plus haut que l'on connaisse, dans les petites choses comme dans les grandes, est une règle trop simple pour que [266] beaucoup de gens la suivent, mais c'est le secret de la Voie. Nous exigeons beaucoup et, quand on nous donne une règle simple et qu'on nous dit d'obéir à la voix de la conscience et de suivre la lueur de clarté que nous pouvons voir, nous ne trouvons pas cela assez intéressant pour nous y conformer immédiatement. Pourtant, cette règle fut la première que suivit le Christ, et lorsqu'Il était enfant, Il annonça déjà qu'Il était venu "pour s'occuper des affaires du Père". Il obéit à l'appel. Il fit ce que Dieu Lui dit ; Il suivit pas à pas la voix intérieure – et elle le conduisit de Bethléem au Calvaire. Mais elle le conduisit aussi à la montagne de l'Ascension. Il nous a montrés ce qui résulte de l'obéissance, et "Il apprit l'obéissance, par les choses qu'Il endura". Il paya le prix, et nous révéla ce que Dieu pouvait être et faire en l'homme.

Pour atteindre la perfection humaine, il ne suffit pas de se former un bon caractère, et d'être bon et aimable. Il faut plus que cela. Il faut de la compréhension et une attitude intérieure, nouvelle et équilibrée, orientée vers Dieu parce qu'orientée vers le service de l'homme, en qui Dieu s'exprime. "Si nous n'aimons pas notre frère, que nous voyons, comment aimerions-nous Dieu, que nous ne voyons pas ? [4]". Telle est la question que pose saint Jean, le disciple bien-aimé, et à laquelle, en tant que race, nous n'avons pas encore répondu. Notre besoin vital consiste à retourner vers l'enseignement simple et fondamental que nous donna le Christ, et à apprendre à aimer notre frère. L'amour n'est pas un état de conscience sentimental et émotionnel. Il tient compte du point d'évolution où nous sommes parvenus et du développement moral de ceux qu'il nous faut aimer ; mais, en dépit de tout, c'est l'amour qui voit juste, et parce qu'il voit juste, il peut aussi agir sagement. C'est l'amour qui comprend que le monde a besoin d'amour, et qu'un esprit d'amour (qui est un esprit d'inclusivité, de tolérance, de jugement sage et de vision hardie) peut rassembler tous les hommes en cette unité extérieure qui est basée sur la reconnaissance d'une relation intérieure.

Nous sommes tous prêts à accepter l'amour. Nous sommes tous [267] désireux d'être aimés, parce que nous savons, inconsciemment ou non, que l'amour signifie le service, et nous aimons être servis. Le temps est venu où cette attitude égoïste envers la vie doit changer, et nous devons apprendre à aimer, sans exiger d'être aimés, et à servir tous ceux avec qui nous entrons quotidiennement en contact, sans rien attendre en retour pour le soi séparé. Quand cet esprit (qui est éminemment l'esprit du Christ et de ceux qui Le connaissent le mieux) sera plus généralisé, nous verrons alors les changements désirés s'accomplirent plus rapidement. Au point de vue théologique, nous avons dit que "Dieu est Amour" et puis nous avons interprété Dieu en fonction de nos haines, de nos idéaux limités, de nos dogmes étroits et de nos attitudes séparatives. Nous avons reconnu que le Christ était le grand Serviteur de la race, et nous L'avons désigné comme étant l'exemple de ce qui est possible. Mais nous n'accordons, nous-mêmes, aucun service général, et cette qualité n'est pas encore le motif central qui anime la vie du monde. Elle anime la vie, d'une façon plus précise qu'autrefois, mais les efforts que l'on fait actuellement – vingt siècles après le moment où le Christ nous laissa, en nous enjoignant de suivre Ses pas – ne servent qu'à nous montrer combien nous avons été lents, combien il nous reste à faire, et combien les hommes ont désespérément besoin d'être servis par ceux qui portent, dans leur cœur, la vision et l'amour de Dieu. Il saute aux yeux combien il y a peu d'amour dans le monde, à cette heure. La chose essentielle dont il faut nous souvenir est que la raison pour laquelle nous pouvons reconnaître Dieu comme étant un Dieu d'Amour est que nous sommes nous-mêmes, fondamentalement et potentiellement, semblables à Dieu, en qualité. Ceci constitue, en soi-même, un problème, car, à moins que le divin en nous ne s'éveille un tant soit peu, il nous est impossible d'interpréter correctement l'amour ; et il est impossible aux masses qui sont encore sur le sentier du devenir, et à bien des égards encore à peine humaine, de comprendre la vraie signification de l'amour.

La compréhension et l'expression de l'amour sont purement personnelles. L'amour peut rester indéfiniment une théorie ou une expérience émotionnelle. Il peut être un facteur agissant dans notre vie, et quelque chose que nous apportons au Tout.

Si chacun d'entre nous voulait bien réfléchir, pour lui-même, à la signification de l'amour dans sa vie, et si tous décidaient de se consacrer exclusivement à l'amour et à la compréhension (non pas aux [268] réactions émotionnelles, mais à l'amour compréhensif, stable, harmonieux et continu), alors les difficultés de ce monde troublé se dénoueraient d'elles-mêmes et l'univers deviendrait un endroit où il serait délicieux de vivre. Le chaos et le désordre actuel se résorberaient plus rapidement. L'amour est essentiellement la compréhension de la fraternité. C'est la reconnaissance que nous sommes tous les fils d'un même Père ; c'est la pitié et la compassion, la compréhension et la patience. C'est l'expression véritable de la vie de Dieu.

Si la première vertu de l'homme qui cherche à se préparer aux mystères de Jésus est l'obéissance à ce qu'il peut sentir et percevoir de plus haut, et si la seconde est la mise en pratique de l'amour, la troisième est le développement de cette sensibilité et de cette attention intérieure, au moyen desquelles il parvient à "la signification" et à "l'inspiration". Celle-ci n'est nullement le développement d'une qualité psychique, telle qu'on le comprend couramment ; elle est présente parmi les enfants de Dieu sous des formes multiples, qui vont de l'attention à la voix intérieure de la conscience et du devoir (deux formes inférieures de l'inspiration) à ce suprême sommet intellectuel qui trouve son expression dans les Écritures inspirées du monde.

Sans cette inspiration, il est impossible à l'homme d'entrer dans le temple et de communier avec Cela que lui révèlent les processus subtils de l'initiation. Le premier Initiateur est l'âme elle-même, le soi divin dans l'homme, l'homme spirituel qui se tient caché derrière l'écran formé par l'homme extérieur, et qui lutte pour dominer la personnalité extérieure et agir à travers elle. C'est cette âme ou soi, qui ouvre à l'homme la porte de l'inspiration et lui révèle la nature de sa conscience divine, accordant son oreille au son de la "Voix qui parle dans le silence" – quand l'homme a fait taire toutes les autres voix.

L'accession à la faculté de l'inspiration est essentielle à tout progrès sur le sentier de l'initiation, et elle présuppose un développement de l'intelligence qui rend l'homme susceptible d'effectuer les discriminations nécessaires. La vraie inspiration ne consiste nullement à faire jaillir à la surface le soi subconscient ; elle n'est pas la libération, chez [269] l'homme, d'un flot de pensées – raciales, nationales ou familiales qui lui sont propres ; elle n'est pas non plus le fait de capter le monde de la pensée, ce que font si facilement ceux chez qui se sont développées certaines facultés d'ordre télépathique. Elle n'est pas non plus le fait d'écouter les voix innombrables qui se font entendre quand un homme réussit à se rendre si complètement négatif et vide de toute pensée intelligente, que les sons, les idées et les suggestions du monde des phénomènes psychiques peuvent facilement s'introduire en lui. Ceci survient généralement quand l'intelligence d'un être est d'un ordre relativement inférieur. L'inspiration est une chose tout à fait différente. C'est une pénétration dans le monde de la pensée et des idées que le Christ écouta lorsqu'Il entendit une voix et que le Père Lui parla C'est la réponse intuitive d'un mental intelligent aux impressions venant de l'âme ou du monde des âmes. Le langage du royaume nous devient alors familier. Nous sommes, alors, en contact avec les âmes libérées qui opèrent dans ce royaume, et les ondes de pensée, ainsi que les idées qu'elles cherchent à imprimer dans le mental des hommes, trouvent leur chemin, par l'entremise du mental des disciples du monde accordé avec elles. Telle est l'inspiration, et c'est la faculté que tous les aspirants devraient s'entraîner à acquérir, car elle doit devenir un phénomène courant dans la vie quotidienne. C'est un pouvoir qui est engendré par le processus de la méditation correcte ; c'est une expression de l'âme, opérant à travers le mental et imprimant ainsi au cerveau des impulsions purement spirituelles. C'est à l'inspiration que sont dus toutes les idées nouvelles et les idéaux qui se développent dans notre monde moderne. L'âge de l'inspiration n'est pas révolu ; il est présent, actuellement et ici-bas. Dieu parle toujours aux hommes, car le monde actuel fournit les conditions nécessaires au développement des qualités qui sont les caractéristiques du Christ dans le cœur humain, l'âme, le Fils de Dieu incarné, demeurant dans cette vallée de larmes ou, comme on l'appelle, "la vallée où se forment les âmes".[270]

Mais, pour acquérir ce contact conscient et précis avec l'âme, l'aspirant doit apprendre l'obéissance, par le moyen des choses qu'il endure, et il doit aussi pratiquer la tâche d'aimer. Cela n'est pas facile. Cela exige de la discipline, un effort continu, une tension incessante, pour arriver à cette conquête du soi, qui est une crucifixion quotidienne, et à cette attention vigilante qui ne quitte jamais le but du regard et qui reste toujours consciente du dessein, du progrès et de l'orientation. Ce qu'il y a de prodigieux dans ce processus, c'est qu'il peut être entrepris et réalisé tout de suite, dans la situation même où nous nous trouvons, sans demander la moindre déviation de l'endroit que nous assigne notre devoir et notre responsabilité.

Tel est le but de l'homme qui cherche à travailler avec le Christ à la fondation du royaume, accomplissant ainsi la volonté de Dieu. Il n'existe aucun autre objectif qui mérite l'attention de l'homme ; il n'y en a pas qui absorbe au même degré toutes ses forces, ses dons, ses talents, et tous les instants de sa vie. Aujourd'hui, on demande impérieusement des Serviteurs de la race, c'est-à- dire des hommes et des femmes qui travaillent à perfectionner leurs moi, afin d'être mieux équipés pour servir leurs semblables et Dieu en l'homme.

On nous dit que, lorsque nous entrons dans le monde des idéaux, "les différences entre les religions deviennent imperceptibles, et les ressemblances profondes. Il n'y a qu'un idéal pour l'homme, c'est de se rendre profondément humain. "Soyez parfaits !"L'homme total, l'homme complet, est l'homme idéal, l'homme divin."

Nous découvrons, en suivant le sentier de la purification, combien l'homme inférieur et personnel est faible et défectueux ; en suivant le sentier du disciple, nous travaillons au déploiement de ces qualités qui caractérisent l'homme prêt à fouler la Voie et à naître à Bethléem. Alors, nous saurons la vérité sur nous- mêmes et sur Dieu, nous saurons, par nous-mêmes, si ce que l'on nous a dit est vrai ou non. On nous dit que  "personne ne peut comprendre correctement la vérité historique contenue dans des documents comme les Évangiles, tant qu'il n'a pas éprouvé, en lui-même, le sens mystique qui s'y trouve inclus " Angélus Silésius, dès le XVIIème siècle, a exprimé, dans sa totalité, l'attitude critique qu'il faut adopter à l'égard d'une investigation de ce genre :

"Bien que le Christ naisse chaque année à Bethléem,

Si tu n'as jamais connu cette connaissance en toi-même

Tu es perdu pour toujours ; [271]

Et, si elle n'est pas dressée, de nouveau, en toi,

La Croix du Golgotha ne peut te délivrer de la souffrance." [5]

La connaissance de soi-même mène à la connaissance de Dieu. Elle est le premier pas. La purification du soi mène aux portes de l'initiation, et nous pouvons, alors, fouler la Voie que suivit le Christ, de Bethléem au Calvaire.

Nous sommes, des êtres humains, mais nous sommes aussi divins. Nous sommes citoyens du royaume, bien que nous n'ayons pas encore réclamé, ni obtenu, la jouissance de notre héritage divin. L'inspiration s'épanche sans cesse sur nous ; l'amour est latent dans chaque cœur. L'obéissance, seule, est exigée, lors des premiers pas ; après quoi, le service, qui est l'expression de l'amour, et l'inspiration, qui est l'influence du royaume, deviendront une partie intégrante de notre expression de vie. C'est ce que le Christ est venu nous révéler ; c'est la parole qu'Il énonça. Il nous a démontré nos possibilités humaines et divines et, en acceptant le fait de notre nature double, mais divine, nous pouvons commencer à contribuer à la fondation et à l'expression du royaume de Dieu.

Il faut que nous comprenions que "l'expression la plus haute, la plus pure et absolument adéquate du mystère de l'homme, est le Christ, le Dieu-homme. Lui seul, en définitive, place la nature humaine dans sa vraie lumière. Son apparition dans l'histoire autorise l'homme à se considérer comme quelque chose de plus qu'une simple créature. S'il y a eu réellement un Dieu-homme, il y a aussi un Homme-dieu, c'est-à-dire l'homme ayant reçu la divinité en lui- même ( ) l'Homme dieu est collectif et universel, c'est-à-dire qu'il est l'humanité dans son ensemble, ou une Église universelle. Car c'est seulement en communiant avec tous ses semblables que l'homme peut recevoir Dieu." [6]

L'attitude individuelle envers l'exemple du Christ consiste donc à obéir à Son commandement, lorsqu'Il nous enjoignit d'atteindre la perfection. Mais le motif qui nous guide doit être celui qui poussa le Christ à accomplir toute son activité divine : la fondation du nouveau royaume et l'accession – sur une échelle universelle et humaine – à [272] cet état de conscience qui fera, de l'être humain, un citoyen du royaume de Dieu y agissant consciemment, obéissant volontairement à ses lois, et s'efforçant, constamment, de l'étendre à toute la terre. Il est le messager de ce royaume ; et la tâche qui lui est assignée consiste à élever la conscience de ses semblables, afin qu'ils puissent se transcender eux-mêmes. Le fait de partager, avec eux, les bienfaits du royaume de Dieu et de leur infuser un surcroît de forces, tandis qu'ils avancent le long du chemin ardu qui mène aux portes de ce royaume, devient son devoir le plus cher et le plus immédiat. L'âme qui a établi son contact avec l'expression inférieure, le soi personnel, pousse ce "soi" sur la voie du service. L'homme ne peut prendre de repos avant d'avoir mis les autres sur la route et de les avoir conduits, vers cette liberté des fils de Dieu qui caractérise le royaume nouveau qui va venir.

La nouvelle religion est en marche et toutes les religions antérieures nous y ont préparés. Elle n'en diffère que parce qu'elle ne se distinguera plus par des dogmes ou des doctrines, mais sera essentiellement une attitude de l'esprit, une orientation vers la vie, vers l'homme et vers Dieu. Elle sera aussi le service vivant. L'égoïsme et les intérêts égocentriques seront finalement balayés, car le royaume de Dieu est la vie du Tout, perçue et désirée par tous ses citoyens, élaborée et exprimée par tous ceux qui foulent la Voie. L'initiation n'est rien de plus que le processus par lequel nous développons, en nous, le pouvoir et les facultés de ce royaume nouveau et plus élevé. Ces pouvoirs nous font accéder à un monde supérieur et tendent à nous rendre sensibles au Tout, et non plus à la partie. L'individualisme et la séparativité disparaîtront lorsque ce royaume prendra corps. La conscience collective est l'expression et la qualité principale du royaume de Dieu. C'est le prochain pas qu'il nous faut accomplir, sur le sentier de l'évolution, et il n'y a aucun moyen de nous y soustraire. Nous ne pouvons nous empêcher de devenir conscient du plus grand Tout, ni de participer à Sa vie unifiée.

Néanmoins, il est possible de hâter la venue du royaume de Dieu les besoins du monde actuel, ainsi que la façon générale dont les hommes [273] se tournent vers le monde des idées, semblent indiquer que le moment est venu de faire cet effort supplémentaire, lequel précipitera l'apparition de ce royaume et provoquera la manifestation de ce qui attend une révélation immédiate. C'est l'œuvre que doit accomplir aujourd'hui l'Église chrétienne. On a besoin de vision, de sagesse et de cette tolérance qui voit la divinité partout, et qui reconnaît le Christ dans chaque être humain.

Lorsque nous saisissons la signification du royaume de Dieu, alors nous commençons à comprendre ce que veut dire "l'Église du Christ" et le sens de cette "nuée de témoins" [7] qui nous entoure constamment. Le royaume de Dieu n'est pas une Église particulière, avec ses doctrines particulières, ses formes de vérité particulières, sa méthode particulière de gouvernement sur terre, et sa façon particulière d'approcher Dieu.

La véritable Église est le royaume de Dieu sur terre, affranchie de toutes institutions cléricales et composées de tous ceux qui vivent selon la lumière intérieure, qui ont découvert la réalité du Christ mystique dans leur cœur, et qui se préparent à fouler le Chemin de l'Initiation, sans distinction de race ni de confession.

Le royaume n'est pas composé de gens à l'esprit théologiquement orthodoxe. Son droit de citoyenneté est plus vaste que cela et inclut tout être humain capable de penser en termes plus larges que ceux de l'individu, de l'orthodoxie, de la vie nationale ou raciale. Les membres du royaume à venir penseront en termes de l'humanité, considérée comme un tout ; et, tant que les hommes seront exclusifs ou nationalistes ou religieusement bigots ou commercialement égoïstes, ils n'auront aucune place dans ce royaume. Le mot spirituel recevra un sens beaucoup plus vaste que celui qui lui a été attribué dans le passé, un passé qui est heureusement révolu. Toutes les formes de la vie seront considérées sous l'angle des phénomènes spirituels, et nous cesserons de considérer une activité comme "spirituelle", et une autre comme ne l'étant pas. Ce sera le point de vue de l'intention, du dessein et de l'utilité pour le groupe qui déterminera le degré de spiritualité de telle ou telle activité. Travailler pour le Tout ; aider le groupe ; connaître la Vie Une, dont les pulsations animent toutes les formes, et agir avec la conscience que tous les hommes sont frères : telles sont les qualités initiales dont un citoyen du royaume doit faire preuve. La [274] famille humaine est consciente d'elle-même au point de vue individuel, et ce stade de la conscience séparative a été nécessaire et utile ; mais le temps est venu où nous sommes conscients de contacts plus grands, d'implications plus larges, et d'une inclusivité plus générale.

Comment cette condition du royaume de Dieu peut-elle se matérialiser sur terre ? Par l'augmentation graduelle et continue du nombre de ceux qui sont citoyens de ce royaume, vivant sur terre et démontrant les qualités et la conscience qui caractérise ces citoyens ; par des hommes et des femmes répandues partout, cultivant une conscience plus large et devenant de plus en plus inclusifs. "Toute réflexion", nous dit le Dr Hocking, "qui peut briser les murs du soi, ouvre immédiatement un champ d'action universel. Ajoutez un second à mon UN et j'ai donné tous les nombres." [8]Et il nous donne la clé du processus qu'il faut cultiver, dans ce travail d'unification essentielle, en disant que  "le vrai mystique est celui qui tient à la réalité des deux mondes et laisse au temps et à l'effort la compréhension de leur union"[9]. Le royaume de Dieu n'est pas séparé de la vie quotidienne pratique, ni du niveau des affaires courantes. Le citoyen de ce royaume est conscient de l'univers et conscient de Dieu. Ses lignes de contact sont clairement tracées dans les deux directions : il porte son intérêt, non pas à lui-même, mais à Dieu et à ses semblables. Son devoir envers Dieu s'accomplit à travers l'amour qu'il ressent pour ses semblables, et celui qu'il leur témoigne Il ne connaît pas de barrières et ne reconnaît aucune division ; il vit – en tant qu'âme – dans chaque aspect de sa nature, à travers son mental et ses émotions, ainsi que sur le plan physique de la vie. Il opère par l'amour, et dans l'amour, à cause de l'amour de Dieu.

Une étude attentive de l'Évangile et une attention éveillée aux paroles du Christ nous montreront que les trois caractères saillants de [275] Son œuvre et les trois lignes principales de Son activité doivent être aussi les nôtres. Ces trois lignes sont, comme nous l'avons vu : l'atteinte de la perfection et sa démonstration à travers les cinq grands évènements que nous appelons les crises de la vie du Christ, les cinq initiations majeures de l'Orient et des écoles ésotériques ; Ensuite la fondation du royaume de Dieu, – une responsabilité incombant à chacun d'entre nous parce que, si le Christ a ouvert la porte du royaume, le reste du travail n'en repose pas moins sur nos épaules ; Enfin, l'accession à l'immortalité, basée sur le développement de ce qui est en nous de la même nature que le réel, c'est-à-dire ce qui a une valeur véritable et mérite de subir l'épreuve de l'immortalité. Cette dernière pensée vaut la peine que nous nous y arrêtions. Aussi triste que ce soit, il faut convenir que "( ) l'homme tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas capable de se survivre. Il doit changer ou périr. L'homme, tel qu'il est, n'est pas le dernier mot de la Création. S'il ne parvient pas à s'adapter, lui et ses institutions, au monde nouveau, il faudra qu'il cède la place à une espèce plus sensible et d'une nature moins fruste. Si l'homme ne peut pas accomplir la tâche exigée de lui, il surgira, à sa place, une autre créature, capable de l'exécuter." [10]

Tel a toujours été le plan évolutionnaire. La vie de Dieu s'est construit un véhicule après l'autre, afin de se manifester, et un règne de la nature a succédé à l'autre. La même grande expansion est aujourd'hui imminente. L'homme, l'être conscient de lui-même, peut différer radicalement des formes, de vie des autres règnes, parce qu'il peut avancer en pleine conscience, porté par la vague de la vie de Dieu. Il peut participer à la "joie du Seigneur", au fur et à mesure qu'il conquiert des zones de conscience plus larges ; il peut connaître la nature de cette béatitude qui est la condition prédominante de la nature de Dieu. Il n'y a pas besoin, pour cela, d'une défaite humaine ou d'une brisure dans la continuité de la révélation. Il y a, en l'homme, tout ce qui est nécessaire pour lui permettre de jeter un pont entre le règne dans lequel il se trouve lui-même et le nouveau règne qui pointe à l'horizon. Des êtres humains, citoyens des deux royaumes – l'humain et le spirituel – sont aujourd'hui parmi nous, comme ils l'ont toujours été. Ils se meuvent en toute liberté dans l'un et l'autre monde ; le Christ Lui- même nous en donna la démonstration la plus parfaite et nous dit [276] que nous pourrions accomplir un jour "des choses plus grandes encore" que celles qu'Il avait accomplies. Tel est l'avenir glorieux vers lequel l'homme s'oriente aujourd'hui et auquel le préparent tous les évènements actuels.

La préparation à ce royaume, telle est la tâche du disciple, et elle constitue la discipline ardue du quintuple chemin de l'initiation. Le travail du disciple consiste à fonder le royaume de Dieu, et le caractère fondamental des citoyens de ce royaume est l'immortalité Ils sont membres de la Race Immortelle, et l'ennemi final qu'ils ont à surmonter est la mort. Ils opèrent consciemment dans le corps ou hors de lui, et ne s'en préoccupent pas ; Ils ont la vie éternelle parce qu'ils ont, en eux, ce qui ne peut mourir, étant de la même nature que Dieu. Être immortel parce que ses péchés ont été pardonnés, est là une raison insuffisante pour des esprits intelligents ; avoir la vie éternelle parce que le Christ mourut il y a deux mille ans, ne peut satisfaire l'homme conscient de sa responsabilité et de son identité propre ; vivre sans fin, parce que l'on est religieux ou qu'on a accepté certaines formes de foi, est une explication que répudie l'homme conscient de sa propre puissance intérieure et de sa nature ; baser sa foi en la survivance sur des traditions ou même sur un instinct inné de continuité, ne semble pas non plus suffisant. Nous savons bien des choses sur le pouvoir et la ténacité de l'instinct de conservation et de l'impulsion créatrice d'auto perpétuation. Peut-être ces deux instincts sont-ils simplement prolongés en avant, dans un sens idéaliste, lorsque l'homme se trouve en présence de la finalité.

Cependant, il existe, au sein de l'humanité, le sentiment inné d'appartenir à autre chose ; il y a un mécontentement divin qui doit sûrement prendre naissance dans quelque héritage naturel, garantie de notre origine. Ce besoin d'atteindre une vie plus large et plus pleine est un trait humain aussi répandu que la tendance normale de l'individu à fonder une famille et à accroître ses contacts sociaux. Il est donc capable, au même degré, de parachever cette tendance, et nous avons, sur ce point, le témoignage des siècles. Le salut personnel n'a, après tout, qu'une importance très relative, à moins qu'il ne s'effectue au sein d'une rédemption plus générale, et même universelle. La promesse [277] nous est donnée, dans la Bible, que "celui qui fait la volonté de Dieu, demeure éternellement"[11], et ces mots nous fournissent la clé du problème. On a tendance à croire que, lorsque Dieu créa l'homme, Sa volonté d'expression se trouva parfaitement satisfaite. Cette croyance n'a sûrement aucune base solide. Si Dieu n'est pas capable de créer une chose douée d'une perfection infiniment plus grande que celle de l'humanité, et si la vie qui s'épanche à travers le monde naturel n'est pas en train de façonner quelque chose d'infiniment plus grand et de plus beau que tout ce qui a été créé jusqu'ici, alors c'est que Dieu n'est pas divin, dans le sens que nous donnons généralement à ce terme. Nous demandons à Dieu beaucoup plus que ceci – une grandeur qui dépasse tout ce qui nous a été montré jusqu'ici. Nous croyons que c'est possible. Nous nous en remettons, pour cela, à la Divinité, et nous sommes certains qu'Elle ne nous fera pas défaut. Mais la révélation de la perfection ultime, quelle qu'elle puisse être (et il ne faut limiter Dieu par aucune de nos idées préconçues), peut nécessiter le déploiement, chez l'homme, de pouvoirs et d'un mécanisme qui lui permettront, non seulement de la reconnaître, mais de participer à ses prodiges et à sa plus grande sphère de contacts. Nous-mêmes devrons, sans doute, changer, pour pouvoir exprimer le divin comme le Christ l'a exprimé, avant que Dieu ne puisse procéder à la manifestation de la beauté du royaume caché. Dieu a besoin de la collaboration de l'homme. Il demande aux hommes d'accomplir Sa volonté. Nous avons considéré son appel comme un moyen d'assurer notre bien personnel, ce qui a peut-être été une attitude erronée. Nous pouvons nous révéler et poursuivre la réalisation du Plan intérieur, en nous équipant pour atteindre la perfection, afin que Dieu puisse voir "le labeur de Son âme et être satisfait." [12]Nous constituons peut-être l'expérience cruciale de Dieu. Le germe de la vie divine est en nous mais, nous-mêmes, nous ne devons pas rester inactifs, et le temps est venu où l'humanité tout entière doit s'appliquer à développer la vie divine, au sein de la forme raciale.

Il est donc de notre devoir immédiat, dans l'intérêt du royaume [278] dont les citoyens sont immortels, de déployer ce qui est divin en nous, et dont les caractéristiques peuvent être perçues par le sens des valeurs, la qualité de la lumière et la nature de son amour et de ses amours. Nous avons besoin, aujourd'hui, de donner sa pleine expression à "l'homme caché dans le cœur". Ce que l'on exige de nous est que nous révélions, le Soi, au sein du soi.

C'est ce "soi", nourri, entraîné et développé, qui est l'aspect immortel de l'homme, et c'est de lui que nous sommes responsables. Il n'y a pas moyen d'échapper au fait que nous faisons partie du Tout et, c'est seulement au fur et à mesure que le Christ sera reconnu par toute la race, que nous remplirons le but pour lequel nous avons été créés – c'est-à-dire l'accomplissement de la volonté de Dieu, comme le Christ l'a accomplie. Il nous faut surmonter le complexe d'infériorité qui surgit en nous lorsque nous rencontrons des phrases comme la précédente : "Comme le Christ l'a accomplie". Un livre, déjà cité plus haut, affirme que l'idée d'un Christ personnel doit être éclipsée et remplacée par celle d'un Christ représentant notre vie et notre espoir à tous. C'est là l'unique signification à donner au vrai sens intérieur de l'immortalité. Seuls ceux dont le sens des valeurs est subordonné aux valeurs de l'âme sont éternels dans leur processus de vie. Il importe de nous en souvenir.

Sommes-nous intéressés par le Tout vital ? Le bien-être de la race a-t-il vraiment une importance capitale pour nous ? Sommes-nous prêts à tout sacrifier au bien de l'humanité ? Ces questions sont de première importance pour l'aspirant individuel et il doit s'efforcer d'y répondre, s'il veut comprendre clairement ce qu'il cherche à faire. L'attitude de déférence envers le Tout a été résumée pour nous par le Dr Schweitzer qui nous donne une description admirable du royaume de Dieu. Il dit que :

"La civilisation consiste, tout simplement, dans le fait de nous associer intimement, en tant qu'êtres humains, à l'effort de la race humaine pour atteindre la perfection, et à l'actualisation du progrès, sous toutes ses formes, dans les circonstances de l'humanité et du monde objectif. Toutefois, cette attitude mentale nécessite une double prédisposition ; d'abord, nous devons être prêts à agir positivement à l'égard du monde et de la vie ; ensuite nous devons devenir moraux. [279]

C'est seulement lorsque nous pourrons attribuer une vraie signification au monde et à la vie, que nous pourrons nous consacrer à une action susceptible de produire des résultats d'une réelle valeur. Aussi longtemps que nous considérerons notre existence dans le monde comme une chose dénuée de sens, il est inutile que nous cherchions à faire quoi que ce soit. Nous ne participons à ce progrès matériel et spirituel que nous appelons la civilisation, que dans la mesure où nous affirmons que le monde et la vie possèdent un sens ou, ce qui revient au même, dans la mesure où nous pensons d'une façon résolument optimiste.

La civilisation naît quand l'homme s'inspire du dessein ferme et clair de réaliser un progrès et se consacre, en vertu de ce dessein, au service de la vie et du monde. C'est seulement dans la morale que nous pouvons trouver la force motrice d'une action de ce genre, qui doit transcender les limites de notre existence. Rien de ce qui a de valeur dans le monde ne s'est fait sans enthousiasme et esprit de sacrifice." [13]

Aucun homme, incapable d'atteindre la conscience des vraies valeurs, n'est encore prêt pour cette immortalité qui est la prérogative des fils de Dieu. L'édification de cette structure intérieure, qu'est le corps spirituel, s'effectue par le moyen de la purification et du perfectionnement, de la méditation, de l'initiation et, par-dessus tout, du service. Il n'y a pas d'autre Voie. Les vraies valeurs, auxquelles l'initié consacre sa vie, sont celles de l'esprit, du royaume de Dieu ; ce sont celles qui concernent le Tout et ne mettent aucun accent fondamental sur l'individu. Elles s'expriment par l'expansion, le service et l'incorporation consciente au Tout. Elles se résument dans le seul mot de Service. Elles se reconnaissent à leur caractère inclusif et non séparatif. C'est ici que l'Église comme on l'entend couramment, doit se montrer à la hauteur de sa tâche. Mais est-elle suffisamment spirituelle pour se désolidariser de la théologie et devenir purement humaine ? Est-elle suffisamment intéressée par ce processus pour élargir son horizon et reconnaître, comme chrétiens, tous ceux qui professent l'esprit du Christ, qu'ils soient Hindous, Mahométans ou Bouddhistes, et même s'ils portent une étiquette autre que celle de chrétiens orthodoxes ? Une autre pensée fondamentale se dégage de toutes ces considérations. Il faut savoir si nous ne sommes pas en train de passer, de nos [280] jours, de l'âge de l'autorité à l'âge de l'expérience, et si cette transition n'indique pas que la race se prépare rapidement à l'initiation. Nous nous révoltons devant les doctrines, car nous ne savons qu'en faire, et la raison en est, nous dit le Dr Dewey, que  "l'adhésion à un corps de doctrines ou de dogmes, basée sur une autorité spécifique, signifie que nous nous méfions du pouvoir de l'expérience à nous fournir, dans sa marche continue en avant, les principes de croyance et d'action qui nous sont nécessaires. La foi, prise dans son sens nouveau, signifie que l'expérience elle-même est la seule autorité ultime"[14]. Il est évident que cela n'implique pas l'uniformité, mais une reconnaissance de notre unité essentielle.

 

[1] The Decay and Restoration of Civilization, par Albert Schweitzer, pp. 78, 79.

[2] The End of our Time, par Nicholas Berdyav, p 105.

[3] Proverbes, XXIX, 18.

[4] Saint Jean, IV, 20.

[5] Cité par Rudolf Steiner, dans The Way of Initiation p. 46.

[6] Wrestiers with Christ, par Karl Pfleger, p. 235.

[7] Hébreux, XII, 1.

[8] The Meaning of God in human Experience, par WE. Hocking, p. 315.

[9] 258 The Meaning of God in human Experience, par W.E. Hocking, p. 399.

[10] The Supreme Spiritual Ideal, par S. Rhadakrishnan, The Hibbert Journal, octobre 1936, p. 33.

[11] Saint Jean, II, 17.

[12] Isaïe, LIII, 11.

[13] The Decay and Restoration of Civilization, par A. Schweitzer, préface, p. 8.

 

[14] Cité dans Reality and Illusion, par Richard Rothschild p. 320.