Naviguer dans les chapitres de ce livre

CHAPITRE VIII L’UNIVERSALITÉ DE LA MÉDITATION

CHAPITRE VIII

L'UNIVERSALITÉ DE LA MÉDITATION

Le témoignage des Temps.

Les Mystiques et les Connaissants. L'Union avec "l'Être plus profond". L'uniformité de La technique.

Les méthodes tibétaine, chinoise, indienne, soufie et chrétienne.

"Devant tout homme s'ouvre

Une Voie, et des Voies, et une Voie. L'Âme supérieure escalade la Voie élevée L'Âme inférieure tâtonne dans le Bas ;

Entre les deux, sur les plateaux brumeux, Le reste dérive çà et là.

Mais à chaque homme s'ouvre Une Voie Élevée et une basse Et tout homme décide

De la Voie que son Âme doit suivre."

JOHN OXENHAM

Nous avons décrit la méthode par laquelle le mystique peut devenir le connaissant conscient et nous avons défini les étapes successives du développement qui suscite éventuellement l'illumination du cerveau physique et un mode de vie inspiré sur terre. Nous avons commencé avec un homme qui, ayant épuisé les ressources et les satisfactions de l'existence physique, et envisagé l'inévitable passage à une nouvelle dimension de vie, cherche le chemin de la connaissance et de la certitude. Il découvre – quand son investigation est impartiale – que, de tout temps, il y eut ceux qui surent, qui pénétrèrent au cœur du mystère de l'être et qui revinrent, rapportant l'assurance de l'immortalité de l'âme et de la réalité du Royaume de Dieu. Ils parlent également d'une méthode au moyen de laquelle ils sont arrivés à cette appropriation de la Vérité divine et d'une technique qui a rendu possible leur transition du quatrième au cinquième règne de la nature.

Nous avons découvert qu'au cours des âges ces hommes illuminés ont témoigné de la même vérité et ont prétendu que cette méthode universelle avait eu pour eux certains résultats qui peuvent être énumérés de la manière suivante : [178]

I. Ils font l'expérience directe des divines réalités, des vérités transcendantes et du monde surnaturel.

Au contact, toutes ces dernières, une fois approchées, semblent être un processus aussi naturel, une part du développement évolutif aussi vitale qu'aucun des processus reconnus par les sciences de la biologie, de la physique et de la chimie. De même que ces trois grandes sciences sont occultes pour l'écolier moyen, et lui demeurent pratiquement inaccessibles, de même la métaphysique supérieure est-elle occulte et inaccessible, même pour ces académiciens,  lesquels manquent de l'ouverture d'esprit nécessaire, d'entraînement et d'équipement.

II. Un autre effet du développement est le dévoilement du Soi.

Par l'éducation mentale et spirituelle, que la pratique de la méditation avancée confère, le problème des psychologues quant à la nature du Soi, de l'âme, de la psyché, est résolu, et le mot peut reprendre sa signification originelle – Psyché, le nom de l'âme. Le procédé a consisté en un dévoilement progressif de l'âme dont on s'approche de plus en plus, par étapes successives. La psyché émerge dans sa véritable nature.

Derrière la matière, on peut trouver un facteur immanent et puissant qui est responsable de la cohérence de la forme et qui constitue la personnalité agissant dans le monde physique. Ceci peut être regardé comme l'aspect vie, et les étudiants luttent continuellement avec le problème de la vie, essayant d'arriver à son origine et à sa cause. Plus profondément enraciné encore, on peut trouver le sentiment, l'expérience de la souffrance ; l'aspect émotif du Soi, travaillant [179] par le système nerveux et le cerveau et gouvernant avec force toutes les activités dans le monde des affaires humaines. Cet aspect ressent le plaisir ou la peine ; il a des réactions émotionnelles, des soucis, des désirs de toutes sortes. Ceci constitue la vie personnelle, pour la plupart d'entre nous, car nous sentons plus que nous ne pensons, à ce stade du développement humain. Patanjali nous en donne clairement la raison :

"Le sens de la personnalité est dû à l'identification du connaissant avec les instruments de la connaissance...

L'illusion que celui qui perçoit et ce qui est perçu sont un est la cause des effets engendrant la souffrance et dont il faut se garder."[1]

Ailleurs, il nous dit que l'expérience de la vie et le processus de l'existence physique et du sentiment proviennent de "l'inaptitude de l'âme à distinguer le soi personnel de l'esprit. Les formes objectives existent à l'usage de l'homme spirituel, en vue de son expérience. En méditant sur ceci, la perception intuitive de la nature spirituelle s'éveille".[2]

Par cette expérience vitale, par le procédé du désir sensoriel et par la connaissance qui s'ensuit, l'homme épuise cet aspect de sa nature et pénètre plus profondément, jusqu'à ce qu'il arrive à un troisième facteur, l'intellect. L'homme en est à ce point de son investigation, et la considération attentive des processus mentaux, l'étude des réactions de l'intellect, de leurs causes et de leurs objectifs, retiennent de [180] toutes parts l'attention des psychologues. Parmi les nombreuses écoles de pensée, il en est qui soutiennent des points de vue opposés, mais l'existence d'un quelque chose appelé intellect, influençant de plus en plus la race, est maintenant universellement reconnu.

De là, où allons-nous ? Il y eut, au cours des âges, une constante progression de la conscience humaine ; une croissance continue de la compréhension de la nature, du monde dans lequel l'homme vit ; une perception accrue de l'ensemble jusqu'à ce que le monde entier fût relié par la radio, le télégraphe et la télévision. L'homme est omniprésent et le mental est le facteur principal dans l'accomplissement de cet apparent miracle. Nous avons acquis une compréhension des lois qui gouvernent le monde de la nature et de quelques-unes de celles qui régissent le monde psychique. Restent à découvrir et à utiliser scientifiquement les lois du monde appelé spirituel. Elles sont connues d'un petit nombre d'êtres qui en ont parlé à l'humanité ; mais elles ne sont utilisées que par les pionniers de la race.

Au nombre des connaissants éminents se trouvent Bouddha, le Christ, Platon, Aristote, Pythagore, Eckhart, Jacob Boehme, Spinoza – la liste est longue.

Actuellement, nous commençons à nous poser la question pertinente s'il se pourrait que des centaines d'êtres en fussent au point de pouvoir coordonner leur cerveau, leur mental et leur âme et, ce faisant, franchir le portail de la perception mentale et pénétrer dans le royaume de la lumière, de la perception intuitive, dans le monde des causes ? Du point de vue du monde mental dans lequel nous avons pénétré aujourd'hui, [181] laissant derrière nous les voiles du corps physique et de la nature psychique, ne sommes-nous pas capables, maintenant, de passer à l’étape suivante de notre développement évolutif ? Ayant quelque peu compris la nature de l'humanité et de l'intellect, ne pouvons-nous pas commencer à saisir la nature de l'intuition et, de la sorte, fonctionner dans un autre royaume de la nature, avec une compréhension et une facilité égales à celles que nous apportons à fonctionner en tant qu'êtres humains ? Les connaissants nous disent que nous le pouvons et ils nous en indiquent le moyen.

III. Employant le langage des pionniers du royaume de l'esprit, le troisième résultat de la méditation est de trouver Dieu. Ce que nous entendons, en détail, par ce petit mot de quatre lettres, est relativement sans importance. Il n'est qu'un symbole de la Réalité. Toutes les religions du monde posent le principe de l'existence d'une Vie, immanente dans la forme, et d'une Cause qui a donné l'être à tout ce qui est. Chaque être humain est conscient en lui-même de vagues efforts (qui deviennent plus acharnés à mesure que l'intellect se développe) pour connaître, comprendre et répondre aux questions pourquoi et comment ? La majorité des hommes, quelle que soit leur théologie, lorsqu'ils sont face à la mort, affirment leur croyance en un Père de tous les êtres, et acceptent tout ce que cette paternité implique. Considérons Dieu comme le "But supérieur et inconnu" qui peut être reconnu comme la somme de toutes les formes qui expriment la Vie, la totalité de tous les états de conscience et comme la Vie même. Regardons la Déité comme ce en quoi nous vivons, nous nous mouvons et avons notre être ; et qui réalise à travers toutes les formes de la nature (y compris la forme humaine) [182] son propre Plan inclusif et synthétique. Les Connaissants nous disent que lorsqu'ils sont arrivés à un chemin, grâce à une méthode, et qu'ayant suivi ce chemin ils ont connu une autre manière d'être, le Dessein et le But divins leur ont été révélés. Ils peuvent y participer activement, et travailler consciemment, intelligemment dans le sens de l'évolution. Ils savent ce qui arrive, car ils ont vu le Plan.

IV. Nous exprimant suivant le langage de toutes les écoles mystiques, orientales aussi bien qu'occidentales, ces résultats se résument en ces mots : l'Union avec Dieu, ou la fusion avec la Divinité. Dieu et l'homme sont en harmonie. Le Soi et le non-Soi sont unifiés. Tauler s'exprime, à ce sujet, de la façon suivante :

"Dans cette union (...) l'homme n'atteint pas Dieu par des images ou des méditations, ni par des efforts mentaux supérieurs, ni par une saveur ou une lumière. Mais c'est véritablement Lui-même qu'il reçoit intérieurement, et d'une manière qui surpasse grandement toute la lumière des êtres créés, toute raison, toute mesure et toute intelligence."[3]

Tous les autres facteurs en-deçà de la réalité spirituelle ne sont que des chemins conduisant au centre et doivent être entièrement annulés dans l'état contemplatif, où l'homme passe de la conscience de la forme à celle de la réalité, l'âme. Celle-ci étant une partie consciente, indivisible de l'Âme universelle (si paradoxal que cela puisse paraître), est dépourvue du sens de la séparation ; dès lors, l'Union avec Dieu est réalisée comme un fait dans la nature, ayant toujours existé. L'âme sait [183] consciemment qu'elle est une avec Dieu. Ayant ceci présent à l'esprit et comprenant le rôle qu'a joué l'intellection, les paroles de saint Paul prennent une nouvelle signification :

"Ayez en vous l'esprit du Christ Jésus Qui, bien qu'Il fût dans la condition de Dieu, n'a point tenu pour usurpée son égalité avec Lui."

Les résultats de cette union (réalisée dans l'état contemplatif) sont l'illumination du mental et du cerveau, pourvu qu'ils aient été l'un et l'autre maintenus positivement stables et dans un état d'attente. L'illumination, quand elle devient fréquente et peut être finalement provoquée à volonté, produit en définitive la vie de l'inspiration.

S'il se trouve des femmes et des hommes intelligents qui, ayant compris les stades décrits précédemment et les ayant traversés victorieusement, consentent à se soumettre à la technique esquissée ici, beaucoup d'entre eux apparaîtront, manifestant cette science divine. L'on découvrira combien ce que j'ai écrit dans L’Âme et son Mécanisme est vrai : "Une race nouvelle surgira, possédant des capacités, des idéaux, des concepts neufs, concernant Dieu et la matière, la vie et l'Esprit. Cette race et l'humanité future révéleront non seulement un mécanisme et une structure, mais encore une âme, une entité, qui, se servant du mécanisme, manifestera sa propre nature qui est l'amour, la sagesse, l'intelligence."[4] Ici, il est intéressant de noter l'uniformité de l'enseignement de toutes les religions, dans toutes les races, concernant la technique de l'entrée dans le royaume de l'âme. [184] À un certain point du sentier de l'évolution, il apparaît bien que tous les chemins convergent et que tous les pèlerins parviennent au même point. À partir de cette jonction, ils parcourent le même sentier, emploient la même méthode et se servent curieusement de la même phraséologie. Lorsqu’on observe l’ampleur prise par l'étude comparée des religions, et les interactions raciales, il est évident que le temps est venu de réaliser tout cela pour de bon. Ces deux facteurs brisent avec constance les vieilles barrières et démontrent l'unité de l'âme humaine.

En règle générale, ce Chemin  se décline presque universellement en trois divisions principales, que l'on retrouve par exemple dans les trois grandes religions : le Christianisme, le Bouddhisme et l'Hindouisme. L'Église chrétienne parle du Sentier de Probation, du Sentier de la Sainteté et du Sentier de l'Illumination. Le Dr Evans-Wentz, d'Oxford, dans son ouvrage Tibet's Great Yogi, Milarepa, cite un maître hindou, en ces termes :

"Pour moi, les trois principales écoles tibétaines marquent trois étapes sur le Sentier de l'Illumination ou du progrès spirituel. Dans la première, le dévot est soumis aux injonctions et aux prohibitions (...) il est "lié par les ordonnances" ; dans la seconde, il adhère aux pratiques traditionnelles dans lesquelles, les restrictions ordinaires sont partiellement assouplies, quoique le dévot ne soit pas encore tout à fait libre. Dans la troisième, l'Adi-Yoga, quand, par les pratiques du Yoga, la Lumière est vue, il n'y a plus aucune restriction ; l'état de Bouddha (...) a été atteint. Ces trois stades correspondent grosso modo à ce qui est signifié [185] dans les Tantras par (...) l'État de l'Homme-Animal (...) l'État du Héros et l'État du Divin ou de Celui qui est éclairé."[5]

La Méthode dans le Bouddhisme tibétain

En étudiant la vie de Milarepa, le Saint du Tibet, qui vécut aux XIème et XIIème siècles, nous voyons qu'il atteignit, dit-on, à l'Union par la discipline, la méditation et la pratique, puis enfin à l'Illumination. Nous lisons ce qui suit :

"Milarepa, ayant la maîtrise de la science mystique et de la science occulte, il lui fut communiqué (...) continuellement, les quatre états bénis de la communion extatique...

Milarepa, étant parvenu à l'omniscience, à la bonne volonté à l'égard de tous et à l'amour brûlant, et ayant acquis les pouvoirs transcendants et les vertus, devint un Bouddha auto-développé qui planait au-dessus des opinions opposées et des arguments des sectes et des croyances diverses...

C’était un être des plus diligents et persévérants dans la méditation sur le fameux Sentier... Ayant acquis plein pouvoir sur les états mentaux et sur les facultés intérieures, il vainquit les dangers des éléments  extérieurs...

Il était parfait dans la pratique des quatre étapes de la méditation (l'analyse, la réflexion, l'indulgence, la félicité ; celles-ci sont les quatre états mentaux progressifs, conduisant à la complète concentration du mental, qui produit l'Illumination extatique...).

C’était un professeur des plus érudits, dans la Science du Mental, ayant trouvé sans discussion possible que le Mental est le Commencement et la Fin du phénomène visible, tant matériel que spirituel, ses Rayons brillent sans obstruction, se développent, ainsi que le savait Milarepa, en une triple manifestation [186] de l'Être universel divin par leur propre pouvoir, libre et inhérent."[6]

Ainsi nous avons la même procédure : l'activité mentale, la contemplation, l'union et l'illumination.

Méthode du Bouddhisme chinois

L'une des contributions principales au processus de la connaissance est la compréhension de la façon dont Bouddha trouva la Lumière. Cela démontre remarquablement l'utilité du mental dans le dépassement de l'ignorance et son inanité à conduire l'homme ultérieurement au royaume de la Lumière et de l'être spirituel. Le Dr Suzuki, professeur de Bouddhisme Zen, au collège bouddhiste de Kioto, nous en parle dans les lumineux paragraphes suivants ; il nous dit que c'est par le "suprême et parfait savoir" que Bouddha parvint à la Sagesse qui le fit passer de l'état de Boddhisattva à celui de Bouddha. Ce savoir est :

" (...) une faculté à la fois intellectuelle et spirituelle, par l'opération de laquelle l'âme peut briser les entraves de l'intellection. Cette dernière est dualiste, dans la mesure où elle connaît le sujet et l'objet, mais dans le Praĵña qui est exercé à l'unisson, c'est-à-dire où tout est rassemblé dans une seule pensée, il n'y a pas de séparation entre le connaissant et le connu, ceux-ci étant vus dans une pensée, et l'Illumination en résulte...

Ainsi, nous voyons que l'Illumination est un état mental absolu, dans lequel aucune discrimination (...) n'a lieu, et la réalisation de cet état dans lequel toutes les choses sont vues "en une pensée", nécessite un grand effort mental. En fait, [187] notre conscience logique, aussi bien que notre conscience pratique, sont trop adonnées à l'analyse et à l'idéation ; c'est-à-dire que nous coupons les réalités en éléments afin de les comprendre ; mais, quand ils sont rassemblés pour faire le tout original, ils surgissent trop définis et nous ne voyons pas le tout "en une pensée". Comme c'est seulement lorsque la "pensée unique" est atteinte que nous avons l'illumination, un effort doit être fait pour aller au-delà de notre conscience relativement empirique... Par conséquent, le fait le plus important qui se trouve derrière l'expérience de l'Illumination est que le Bouddha fit les plus grands efforts pour résoudre le problème de l'ignorance et fit appel à tout son vouloir pour sortir

victorieux de la lutte... Donc, l'Illumination doit impliquer la volonté comme l'intellect, c'est un acte de l'intuition né de la volonté... Le Bouddha atteignit ce but lorsqu'une vision nouvelle lui vint, à la fin de son perpétuel raisonnement circulaire, de la décrépitude et la mort à l'Ignorance et de l'Ignorance à la décrépitude et la mort... Mais il avait une volonté indomptable ; il voulait de tous les efforts de sa volonté parvenir à la vérité, en cette matière ; il frappa et frappa jusqu'à ce que les portes de l'ignorance s'ouvrissent ; et elles s'ouvrirent brusquement sur un aperçu jamais présenté auparavant à sa vision intellectuelle."[7]

Auparavant, le Dr Suzuki nous fait remarquer que le Nirvana est, après tout, essentiellement l'affirmation et la réalisation de l'Unité. Dans le même essai, il nous dit :

"Les Bouddhistes découvrirent finalement que l'illumination n'était pas une chose appartenant exclusivement au Bouddha mais que chacun de nous pouvait y atteindre s'il parvenait à se débarrasser de l'ignorance en abandonnant la conception dualiste de la vie et du monde. Plus tard, ils conclurent que le Nirvana n'était pas l'évanouissement dans un état de non-existence [188] absolu, qui est une impossibilité aussi longtemps que nous devons compter avec les faits de la vie, et que le Nirvana, dans sa signification ultime, était une affirmation – une affirmation au-delà des opposés de toute espèce."[8]

Le terme Praĵña employé ci-dessus est très intéressant. C'est "la présence dans tout individu, d'une faculté... C'est le principe qui rend l'Illumination possible en nous aussi bien que dans le Bouddha. Sans Praĵans il ne pourrait y avoir d'Illumination, le plus haut des pouvoirs spirituels en notre possession. L'intellect (...) est relatif, dans son activité... Le Bouddha, avant son Illumination, était un mortel ordinaire, et nous, mortels ordinaires, serons des Bouddhas à l'instant où les yeux de notre mental s'ouvriront dans l'Illumination."[9]

Ainsi, nous avons le mental concentré, employé au maximum de ses capacités, puis la cessation de son travail. Puis vient l'emploi de la volonté afin de maintenir le mental stable dans la lumière, et alors – la Vision et l'Illumination !

La Méthode dans le Yoga hindou

Les Hindous ont analysé plus clairement peut-être que tout autre groupe de penseurs le processus d'approche mentale de la Réalité. Sankarâchârya nous dit que :

"Le Yogi, dont l'intellect est parfait, contemple toute chose comme demeurant en lui-même, dans son propre "Soi" (sans [189] aucune distinction entre l’extérieur et l’intérieur) et ainsi, par l'œil de la connaissance (Jñâna-Chaksus, une expression qui peut être assez exactement rendue par : "intuition-intellectuelle"), il perçoit (ou plutôt, il conçoit, non rationnellement, ni discursivement, mais par perception directe et "acquiescement" immédiat) que toute chose est Atmâ."[10]

Le yogi, ou celui qui est parvenu à l'union (car le yoga est la science de l'union) se connaît tel qu'il est en réalité. Quand l'ignorance a fait place à la connaissance transcendante, il trouve qu'il est identifié à Brahma, la Cause éternelle, le Seul et l'Unique. Il se sait Dieu, sans controverse, Dieu immanent et Dieu transcendant. Le voyant poursuit et nous dit :

"Il est le Suprême Brahma, qui est éternel, pur, libre, seul (dans Son absolue perfection), incessamment rempli de Béatitude, sans dualité (inconditionné), Principe de toute existence, connaissant (sans que cette Connaissance implique aucune distinction de sujet et d'objet, qui serait contraire à la "non-dualité") et sans fin.

Il est Brahma, par lequel toutes les choses sont illuminées (participant de Son essence suivant leur degré de réalité), la Lumière qui est la cause du resplendissement du soleil et de tous les corps lumineux mais n'est pas rendue manifeste par leur lumière.

Le "Soi" étant illuminé par la méditation (...) brûlant alors du feu de la Connaissance (concevant son identité essentielle avec la Lumière Suprême) est délivré de tout accident (...) et brille de sa propre splendeur comme l'or purifié par le feu.

Quand le Soleil de la Connaissance spirituelle se lève dans le firmament du cœur (c'est-à-dire au centre de l'être)... il dissipe les ténèbres (de l'ignorance voilant la Réalité unique, [190] absolue), il se répand sur tout, enveloppe tout et illumine tout."[11]

Le Père Maréchal nous dit :

"(...) L'expérience psychologique vécue par le contemplatif passe par les deux phases de concentration mentale et d'inconscience, décrites par M. Oltramare, d'après le Sarvadarsanasangraha : C'est dans ces deux phases successives que le Yogi sape, par anticipation, la base des futures existences et efface les impressions qui déterminent l'existence présente. Dans la première, il est conscient (...) la pensée est alors exclusivement attentive à son propre objet, et toutes les modifications du principe pensant sont suspendues, dans la mesure où elles dépendent de choses extérieures ; les fruits qu'il récolte, sous cette forme, sont ou bien visibles – la cessation de la souffrance – ou bien invisibles – la perception immédiate de l'Être, qui est le but de la méditation... Dans la seconde période du Yoga, il est inconscient (...) l'organe pensant est dissous dans sa cause (...) le sentiment de la personnalité est perdu ; le sujet qui médite, l'objet sur lequel sa pensée demeure fixée, l'acte de méditer même, ne font qu'une chose..."[12] Patanjali, le plus grand maître de Yoga, a résumé les dernières étapes dans son quatrième livre. Il écrit : "L'état d'unité isolée (retirée dans la vraie nature du Soi) est la récompense de l'homme qui peut discriminer la substance – mentale d'avec le Soi, ou homme spirituel.

L'état d'unité isolée devient possible quand les trois qualités de la matière (les trois gunas ou puissances de la nature) n'ont [191] plus de prise sur le Soi. La pure conscience spirituelle se retire dans l'un.

Quand l'intelligence spirituelle qui se tient seule et libre de tout objet, se reflète dans la substance mentale, alors, vient la connaissance du Soi... L'intellect tend à... une illumination croissante."[13]

Ici encore, nous avons la même idée. L'emploi de l'intellect, le retrait final de la conscience intellectuelle ; et la réalisation de l'unité. Ceci tend à l'illumination continue.

La Méthode dans le Soufisme

Les écrits des Soufis sont très voilés d'images et de symboles et ont un sens de la dualité plus fort que dans tout autre système religieux ésotérique, à l'exception des écrits mystiques chrétiens. Mais qu'il en ressort la même expression de la vérité, la même méthode fondamentale, c'est ce que les extraits du vieux traité persan de Soufisme vont nous démontrer. Il est intéressant de noter que les écrits les plus durables et les plus utiles proviennent des connaissants capables de raconter leur expérience de la divinité de telle sorte qu'ils enseignent, esquissent, autant qu'ils affirment.

"Le premier pas vers l'unification est l'annihilation de la séparation parce que la séparation est la déclaration que l'on s'est séparé des imperfections, tandis que l'unification est la déclaration de l'unité d'une chose... Par conséquent, le premier pas vers l'unification est de nier que Dieu ait un partenaire et de mettre de côté le mélange... [192]

Nous avons cinq principes d'unification : l'éloignement de la phénoménalité et l'affirmation de l'éternité, l'abandon de nos lieux familiers, la séparation d'avec nos frères et l'oubli de ce qui est connu et inconnu.

L'éloignement de la phénoménalité consiste à nier que les phénomènes n'aient aucune connexion avec l'unification ou qu'il leur soit possible d'atteindre à Sa sainte essence ; et l'affirmation de l'éternité consiste en la conviction que Dieu a toujours existé...

Et le départ de nos lieux familiers signifie, pour le novice, le départ des plaisirs habituels de l'âme inférieure et des formes du monde, et, pour l'adepte, le départ des stations sublimes, des glorieux états et des miracles exaltés ; et la séparation d'avec les frères signifie se détourner de la société des humains et se tourner vers la société de Dieu puisque toute pensée autre que celle de Dieu est un voile et une imperfection et plus les pensées d'un homme sont associées à un autre que Dieu, plus Dieu lui est voilé ; parce qu'il est universellement reconnu que l'unification est la concentration des pensées, tandis qu'être satisfait de tout autre que Dieu est un signe de la dispersion des pensées..."[14]

Et encore :

"Quatre choses sont nécessaires à celui qui prie : l'annihilation de l'âme inférieure, la perte des pouvoirs naturels, la pureté du noyau du cœur et la contemplation parfaite. L'annihilation de l'âme inférieure ne peut être atteinte que par la concentration des pensées ; la perte des pouvoirs naturels s'obtient par la seule affirmation de la divine Majesté, qui implique la destruction de tout ce qui est autre que Dieu ; la pureté du noyau du cœur par le seul amour ; la parfaite contemplation par la seule pureté du noyau du cœur."[15]

Une fois encore, nous avons la même vérité. [193]

La Méthode dans le Christianisme

Il est facile de trouver maints textes qui relient le sentier du

Connaissant chrétien à celui de son frère d'Orient. Ces témoignages attestent la même efficacité de la méthode dans laquelle l'intellect est également employé, jusqu'aux limites de son pouvoir ; puis tout effort est suspendu, tandis que la condition de l'être change et qu'un nouveau mode de connaissance est inauguré. Saint Augustin dit : "Comme dans la première procession, le Fils jaillit du Père ineffable, ainsi il existe quelque chose d'occulte derrière la première procession : intellect et volonté."

Maître Eckhart s'unit aux Connaissants Orientaux par les paroles suivantes :

"L'intellect est le plus haut pouvoir de l'âme et, par lui, l'âme saisit le bien divin. Le libre arbitre est le pouvoir de savourer le bien divin que l'intellect lui a fait connaître. L'étincelle de l'âme est la lumière du reflet de Dieu, regardant toujours du coté de Dieu. L'arcane de l'intellect est, pour ainsi dire, la somme de tout le bien, de tous les dons divins, dans l'essence intime de l'âme, qui est comme un puits insondable d'excellence divine.

Les pouvoirs inférieurs de l'âme devraient être aux ordres de ses pouvoirs supérieurs et ceux-ci aux ordres de Dieu ; ses sens extérieurs aux ordres de ses sens intérieurs et ceux-ci aux ordres de la raison, la pensée aux ordres de l'intuition, et le tout aux ordres de l'unité afin que l'âme soit seule sans que rien ne coule en elle qui ne soit pure divinité, coulant ici en elle-même.

Quand le mental d'un homme a perdu contact avec toute chose, alors, et seulement alors, il entre en contact avec Dieu.

Dans l'afflux de cette grâce, apparaît aussitôt cette lumière de l'intellect, qui est Dieu envoyant un rayon de Sa Splendeur sans nuage. Dans cette puissante lumière, un mortel est au-dessus [194] de ses semblables, autant qu'un homme vivant est au-dessus de son ombre, sur le mur.

L'homme de l'âme, transcendant son mode angélique et guidé par son intellect, perce jusqu'à la source d'où l'âme a coulé. L'intellect lui-même est laissé de côté avec toutes les choses qui ont un nom. Ainsi l'âme se fond dans la pure unité."[16]

Ainsi, toutes les grandes écoles de méditation intellectuelle (dépourvue, aux derniers stades, d'émotion et de sentiment) conduisent au même point. Dans le Bouddhisme, l'Hindouisme, le Soufisme, le Christianisme, le but est fondamentalement le même : l'Unification avec la Divinité ; il y a le même dépassement des sens, la même concentration de l'intellect, à son plus haut point, la même apparente inanité de l'intellect du moment où il a conduit l'aspirant à son objectif ; la même entrée en contemplation de la Réalité ; la même fusion en Dieu ; et la connaissance de l'identité avec Dieu ; la même subséquente Illumination.

Tout sens de séparation a disparu. L'Unité avec l'Univers, l'Identité avec le Tout, la perception consciente du Soi et l'assimilation, en plein éveil, à la Nature extérieure et intérieure – tel est le but précis de tout chercheur de la connaissance.

Le soi, le non-soi et leur relation sont connus comme un fait, sans différentiation, Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit travaillent harmonieusement ensemble et sont connus comme une identité – les Trois en Un et l'Un en [195] Trois. Ceci est l'objectif de toutes les écoles ou le mystique dépasse le sentiment et, en dernière analyse, même la pensée, et est uni au Tout. Cependant, l'individualité persiste dans la conscience, mais elle est tellement identifiée avec le Tout, que le sens de la séparation disparaît. Rien ne subsiste que l'Unité réalisée.

[198]

[199]

 

[1]Bailey Alice A., The Light of the Soul, pp. 115-116.

[2]Ibid. p. 239.

[3] Cité de Poulain R. P., Graces of Interior Prayer, p. 80.

[4]Bailey Alice A., The Soul and its Mechanism, p. 130.

[5]Evans-Wentz W. Y., Tibet's Great Yogi, Milarepa, p. 5.

[6]Evans-Wentz W. Y., Tibet's Great Yogi, Milarepa, pp. 32, 33, 35, 38.

[7] Suzuki Daisetz Teitaro, Essays in Zen Buddhism, pp. 113-115.

[8]Ibid., p. 47.

[9] Suzuki Daisetz Teitaro, Essays in Zen Buddhism, pp 52, 53.

[10] 120 Cité par Guénon René, dans Man and his Becoming, p. 254.

[11]Guénon René, Man and His Becoming, pp. 256, 258, 259, 260.

[12] Maréchal Joseph, Studies in the Psychology of the Mystics, pp. 312.

[13]Bailey Alice A., The Light of the Soul, IV, 22, 34, 25.

[14]Nicholson Reynold, The Kashf Al-Mahjûb, pp. 281, 282.

[15]Ibid., pp. 302-303.

[16] Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, pp. 338, 66, 144, 101.