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CHAPITRE III - Partie 1

CHAPITRE III

Il est très difficile de relater les quelques années qui suivirent et de savoir au juste comment aborder la partie suivante de ma vie. En regardant en arrière, je suis consciente du fait que mon sens de l'humour m'avait temporairement abandonnée et, quand cela arrive à quelqu'un qui en général rit de la vie et de ses circonstances, c'est assez terrible. Quand je dis "humour", je ne crois pas vouloir dire le sens de la plaisanterie, mais une possibilité de rire de soi-même, des événements et des circonstances, tels qu'ils sont perçus à partir de sa propre situation et de son propre équipement. Je ne crois pas avoir un vrai sens de la plaisanterie ; je ne comprends strictement rien aux dessins humoristiques des journaux du dimanche et je ne peux jamais me rappeler un bon mot ; mais j'ai le sens de l'humour et je n'ai absolument aucune difficulté à faire rire aux éclats un auditoire, qu'il soit grand ou petit. Je peux toujours rire de moi-même mais, pendant les quelques années de ma vie qui suivirent, je ne trouve rien d'amusant et mon problème est de relater ce cycle sans être mortellement ennuyeuse ou donner l'image douloureuse d'une femme misérable, car c'est ce que j'étais. Il ne me reste qu'à aller de l'avant et à dire mon histoire avec ses chagrins, ses peines, sa détresse, aussi bien que je le peux, en vous demandant d'être patients. Ce ne fut qu'un intermède entre vingt-huit années heureuses et vingt-huit autres années heureuses, lesquelles se poursuivent toujours aussi heureusement.

En 1907, j'avais eu des ennuis, mais ils étaient superficiels. Je faisais un travail que j'aimais et j'y réussissais bien. J'étais entourée de gens qui m'aimaient et m'appréciaient ; pour autant que je le sache, il n'y avait absolument aucun problème entre moi et mes collaborateurs. Je ne savais pas ce que c'était que de manquer financièrement de quelque chose. Je pouvais voyager comme je le voulais en Inde et revenir en [101] Grande-Bretagne quand je le désirais, sans le moindre scrupule. Je n'avais réellement à faire face à aucune difficulté personnelle.

Mais nous arrivons à présent à une période de sept ans de ma vie où je ne connus que des ennuis qui ne laissaient aucune partie de moi-même indifférente. J'entrais dans une période de grande détresse mentale ; j'allais être confrontée à des situations qui mobiliseraient jusqu'au dernier atome de la réaction émotionnelle dont j'étais capable et, physiquement, la vie allait devenir excessivement dure. Je crois que ces périodes sont nécessaires dans la vie de tous les disciples actifs ; elles sont dures à assumer, mais comme elles sont, j'en suis fermement convaincue, introduites dans notre vie par l'âme en pleine connaissance et en toute détermination, la force de maîtriser les circonstances est inévitablement là. Le résultat est toujours (dans mon cas et dans le cas de tous ceux qui entreprennent de travailler spirituellement) une plus grande capacité de répondre aux besoins humains et d'être "une main solide tendue dans l'obscurité" aux autres compagnons de pèlerinage. J'ai été près de l'une de mes filles alors qu'elle traversait une terrible expérience et je la voyais – comme résultat de cinq ans de patiente endurance – arriver à un degré d'utilité qui, autrement, n'aurait pas été atteint ; elle est encore jeune avec un avenir utile et constructif devant elle. Je n'aurais pas pu faire cela si je n'avais moi-même traversé le feu.

Quand les six mois de repos furent passés, des arrangements furent pris pour mon mariage. Le peu d'argent que j'avais fut légalement mis en dépôt, afin que Walter Evans ne puisse pas y toucher s'il l'avait voulu. "Tante Alice" lui envoya de l'argent pour s'acheter un trousseau et venir me chercher en Écosse. Je vivais alors avec ma tante Maxwell, à Castramont. Je fus mariée dans la chapelle privée d'une maison amie, par M. Boyd- Carpenter. Le frère aîné de mon père, William La Trobe-Bateman, clergyman également, me conduisit à l'autel.

Je partis immédiatement après la noce pour aller voir la [102] famille de Walter Evans, au nord de l'Angleterre. Une parente collatérale, qui assistait au mariage et qui est apparentée à la moitié de l'Angleterre, me prit à part quand je fis mes adieux et me dit : "Eh ! bien, Alice, vous voilà mariée et vous partez d'ici pour rendre visite à la famille de votre mari. Vous n'allez pas la trouver proche de vous et votre devoir sera de lui faire sentir que vous croyez qu'elle l'est. Pour l'amour du ciel, ne soyez pas snob." Par ces mots, elle me fit entrer dans la période de ma vie au cours de laquelle j'allais abandonner ma position sociale et découvrir soudainement l'humanité.

Je ne suis pas de ces gens qui croient que seuls les prolétaires sont bons et justes, que ceux des classes moyennes sont le sel de la terre, tandis que les aristocrates sont inutiles et qu'il faudrait s'en débarrasser. Je n'accepte pas davantage la position qui veut, que seule l'intelligentsia peut sauver le monde, quoique ce soit une position plus saine, puisque l'intelligentsia provient de toutes les classes. J'ai rencontré d'affreux snobs dans les classes dites basses. J'en ai rencontré aussi d'une espèce également virulente parmi l'aristocratie. La pruderie et le conservatisme des classes moyennes sont une grande force d'équilibre dans toutes les nations. La poussée et la révolte des classes les plus basses favorisent la croissance d'un peuple, tandis que la tradition, la culture, le "noblesse oblige" de l'aristocratie sont d'un grand apport pour la nation qui en possède une. Tous ces facteurs sont d'une juste et saine utilité, mais tous peuvent également être mal utilisés. Le conservatisme peut être dangereusement réactionnaire ; une rébellion justifiée peut devenir une révolution fanatique ; le sens de la responsabilité et de la supériorité, souvent évident dans la "classe élevée", peut dégénérer en un paternalisme étonnant. Il n'y a pas de nation qui n'ait ses distinctions de classes. Il y a peut-être une aristocratie de naissance en Grande-Bretagne, mais, aux États-Unis, il y a une aristocratie de l'argent dont les barrières sont tout aussi séparatives, exclusives et rigides. Qui mettra fin à la querelle de savoir [103] laquelle est la meilleure et laquelle est la pire ? J'avais été élevée dans un système de classes très rigide et rien, dans ma vie, ne m'avait prédisposée à me mettre sur un pied d'égalité avec ceux qui n'étaient pas de ma propre classe. J'avais encore à découvrir que, derrière toutes les différences de classes de l'Occident et le système de castes de l'Orient, il y a une grande entité qui s'appelle l'Humanité.

Quoi qu'il en soit, avec mes beaux vêtements, mes ravissants bijoux, ma voix bien timbrée et mes bonnes manières, je me jetais, sans réfléchir et sans aucune appréciation de la situation, dans la famille de Walter Evans. Même les vieux serviteurs de la famille redoutaient cette situation. Le vieux cocher Potter nous conduisit à la gare, Walter Evans et moi, après le mariage. Je le revois encore, dans sa livrée, avec une cocarde à son chapeau. Il m'avait toujours connue, depuis que j'étais un tout petit bout de fille et, quand nous arrivâmes à la gare, il descendit, prit ma main et dit : "Mademoiselle Alice, je ne l'aime pas et je n'aime pas vous le dire, mais s'il ne vous traite pas correctement, vous n'avez qu'à revenir vers nous. Mettez-moi juste un mot et je viens vous prendre à la gare." Puis il s'éloigna, sans un mot de plus. Le chef de gare de la petite station écossaise avait réservé un compartiment pour nous jusqu'à Carlisle. Comme il m'installait dans le compartiment, il me regarda dans les yeux et dit : "Ce n'est pas ce que j'aurais choisi pour vous, mademoiselle Alice, mais j'espère que vous serez heureuse." Rien de tout cela ne me causa la plus légère impression. J'ai idée, maintenant, que je laissais derrière moi beaucoup de parents, d'amis et de serviteurs très inquiets. Mais j'en étais bien ignorante alors. J'avais fait ce que je croyais juste et comme un sacrifice, et je recevais à présent ma récompense. Le passé était derrière moi. Mon travail avec les soldats était fini. Devant moi s'étendait un merveilleux avenir, avec l'homme que je pensais adorer, dans un pays nouveau et merveilleux, car nous étions en route pour l'Amérique.

Avant d'aller à Liverpool, nous nous arrêtâmes chez les parents de mon mari ; je n'avais jamais passé un aussi mauvais [104] moment. Ils étaient charmants, bons et estimables, mais je n'avais jamais mangé avec des gens de cette sorte, ni dormi dans une maison de cette sorte, ni pris mes repas dans un "petit salon", ni vécu dans une maison sans domestiques. J'avais peur d'eux et eux-mêmes avaient encore plus peur de moi, malgré une espèce de fierté de la réussite personnelle de Walter. Pour être juste envers Walter Evans, je pense que je peux dire qu'après notre séparation et son entrée dans une de nos grandes universités, pour un cours d'enseignement supérieur, je reçus une lettre du doyen de l'Université, me priant de revenir à Walter. Il plaidait auprès de moi (en tant qu'homme d'âge et d'expérience) pour que je revienne à mon mari parce que, soutenait-il, jamais, au cours de sa longue expérience parmi des milliers de jeunes gens, il n'avait rencontré un homme aussi doué spirituellement, physiquement et mentalement, que Walter Evans. Il n'était pas surprenant, par conséquent, que j'en sois tombée amoureuse et l'aie épousé. Tous les indices étaient bons, sauf le rang social et le manque d'argent, mais comme je partais vivre en Amérique et qu'il allait sous peu être ordonné par l'Église épiscopale, cela ne semblait pas important. Nous pouvions nous arranger avec son traitement et mes petites rentes.

Nous allâmes tout droit d'Angleterre à Cincinnati, dans l'Ohio, où mon

 mari était étudiant au séminaire de théologie de Lane. J'y adhérais immédiatement et pris les différents cours avec lui, aussi longtemps que l'argent que j'avais nous fit vivre tous les deux et nous permit de payer toutes les dépenses. Je découvris, en entrant dans les détails de la vie conjugale, que je n'avais absolument rien en commun avec mon mari, excepté les vues religieuses. Il ne savait réellement rien de ma conception de la vie et je savais encore moins de la sienne. Ensemble, nous essayâmes, à cette époque, de réussir notre mariage, mais ce fut un échec. Je pense que je serais morte de misère et de désespoir sans la femme de couleur qui dirigeait la pension de famille dépendant du séminaire où nous avions une chambre au dernier étage. Mme Snyder, c'était son nom, m'adopta à première vue. [105] Elle m'entoura, me dorlota, prit soin de moi ; elle me sermonnait, prenait fait et cause pour moi, détestait jusqu'à la vue de Walter Evans et, Dieu sait pourquoi, prenait plaisir à le lui dire. Elle veillait toujours à me pourvoir de ce qu'il y avait de mieux. Je l'aimais et elle était mon unique confidente.

C'est alors que, pour la première fois de ma vie, je me heurtai au problème racial. Je n'avais aucun sentiment contre les Noirs, si ce n'est que je ne croyais pas au mariage entre les gens de couleur et les Blancs, car il ne semble jamais apporter de bonheur, ni aux uns, ni aux autres. J'étais sidérée de découvrir que, selon la Constitution américaine, nous proclamions l'égalité entre tous les hommes, mais que nous veillions soigneusement à ce que le Noir ne fût pas notre égal. Les choses vont mieux au Nord qu'au Sud, mais le problème noir est l'un de ceux que le peuple américain doit résoudre. La Constitution l'a déjà réglé pour lui. Je me souviens, au séminaire de théologie de Lane, d'un professeur noir, le docteur Franklin, qui avait été invité pour prononcer l'allocution aux anciens élèves. Après que nous fûmes sortis de la chapelle, je me tenais avec mon mari et deux professeurs, parlant de la belle allocution que nous avions entendue, quand le docteur Franklin passa près de nous. L'un des professeurs l'arrêta et lui tendit de l'argent pour acheter son déjeuner. Il n'était toujours pas digne de manger avec nous, quoi qu'il ait pu nous dire des valeurs spirituelles. J'étais tellement horrifiée que, avec mon habituelle impétuosité, je me précipitai vers un couple de professeurs que je connaissais et leur en parlai. Ils revinrent immédiatement avec moi et invitèrent le Dr Franklin à déjeuner chez eux. La découverte des sentiments anti-Noir était comme la découverte d'une porte ouverte sur la grande maison de l'humanité. Il y avait là toute une partie de mes frères à qui étaient refusés les droits de la Constitution sous laquelle ils étaient nés.

Depuis lors, j'ai pensé, j'ai lu et j'ai parlé au sujet de ce [106] problème des minorités. J'ai beaucoup d'amis Noirs et je crois que je peux dire que nous nous comprenons les uns les autres. J'ai rencontré des Noirs aussi cultivés, aussi délicats et aussi sains dans leur pensée que beaucoup de mes amis Blancs. J'ai discuté du problème avec eux et je sais que tout ce qu'ils demandent est l'égalité des chances, de l'éducation, du travail et des conditions de vie. Je n'en ai jamais rencontré aucun qui demande l'égalité sociale, quoique le temps soit venu où ils doivent l'avoir et où ils l'auront. J'ai trouvé que l'attitude des Noirs cultivés et développés vis-à-vis des membres sous développés de leur race est raisonnable et saine et, comme me le disait un jour un important juriste noir : "Beaucoup d'entre nous sont des enfants, particulièrement dans le Sud et ils ont besoin d'amour et de possibilité de développement comme des enfants."

Il y a quelques années, à Londres, je reçus un, lettre d'un savant, un certain Dr Just, me demandant de lui accorder une interview, car il avait lu quelque chose que j'avais écrit et désirait m'en parler. Je l'invitai à déjeuner à mon club et, quand il arriva, je vis qu'il était noir et même très noir. C'était un homme charmant et très intéressant et il était en voyage pour Washington, après des conférences à l'Université de Berlin. C'était l'un des meilleurs biologistes du monde. Mon mari et moi l'amenâmes à la maison, à Tunbridge Wells, pour passer deux nuits et nous fûmes très heureux de sa visite. Une de mes filles lui demanda s'il était marié. Je me souviens qu'il se tourna vers elle et dit : "Ma chère jeune dame, je ne rêverai jamais de demander à une jeune fille de votre race de m'épouser et de souffrir de l'inévitable ostracisme et je n'ai jamais rencontré une jeune fille de ma propre race qui puisse être la compagne intellectuelle que je désire. Non, je n'ai jamais été marié." Il est mort depuis et je le regrette beaucoup ; j'avais espéré une amitié plus grande avec cet excellent homme.

D'une façon croissante, durant mes trente-six années de [107] séjour dans ce pays, j'ai été choquée, étonnée et effrayée par l'attitude de beaucoup d'Américains envers leurs frères américains, la minorité noire. Le problème devra être résolu et une place faite aux Noirs dans la vie de la nation. Ils ne pourront ni ne devront être rabaissés. Il est temps pour eux d'affirmer tout ce qu'ils proclament être, et il est temps pour nous tous de le leur permettre et de mettre fin aux abominables propos et à la haine, tel un poison, d'un homme comme le sénateur Bilbo et de ses semblables. De nouveau, je réaffirme la croyance selon laquelle le problème ne peut pas être résolu aujourd'hui (je ne fais pas de prophétie quant au futur) par des mariages mixtes. Il doit être résolu par une justice sans peur, la reconnaissance du fait que tous les hommes sont frères et que s'il y a un problème noir, c'est notre faute. Si le Noir est sans éducation et mal entraîné à la technique de la citoyenneté, c'est encore notre faute. Il est temps que les Blancs importants et les congressistes des deux Chambres et des partis cessent de hurler pour réclamer la démocratie et les élections libres dans les Balkans ou ailleurs et se mettent à appliquer ces mêmes principes à leurs propres États du Sud. Pardonnez cette tirade, mais, comme vous le voyez, je suis très sensible à ce sujet.

Madame Snyder me traita maternellement pendant des mois et pris soin de moi jusqu'à la naissance de ma fille aînée, m'envoyant son propre médecin, qui n'était pas de couleur ni même bon médecin, si bien que je ne reçus pas les soins qu'il m'aurait fallu avoir. Ce n'était pas sa faute, car elle fit de son mieux pour m'aider. J'ai été curieusement malchanceuse à la naissance de mes trois enfants, et je n'ai eu de véritable infirmière près de moi qu'une seule fois. Quoi qu'il en soit, quand mon premier enfant naquit, je reçus des soins d'une personne inexpérimentée. Walter Evans faisait des crises d'hystérie tout le temps et retenait toute l'attention du médecin, mais Mme Snyder était comme une tour inébranlable et je ne l'oublierai jamais. Plus tard, le docteur envoya une infirmière professionnelle, [108] mais si incompétente que je souffris beaucoup entre ses mains et que j'eus pendant trois mois malaises et angoisses.

Nous quittâmes ensuite le séminaire pour un autre lieu de résidence. Nous prîmes un petit appartement où, pour la première fois, je me trouvais seule avec un bébé et tout le travail de la maison. Jusqu'à cette époque, je n'avais jamais lavé un mouchoir, fait cuire un œuf ou préparé une tasse de thé et j'étais une jeune femme complètement incompétente. Mon expérience, en apprenant à faire les choses, fut telle que j'ai veillé à ce que mes trois filles sachent tout ce qu'il y a à savoir sur les soins de la maison. Elles sont très compétentes. Je suis certaine que ce ne fut pas un temps agréable pour Walter Evans ; je commençai alors à découvrir – vivant seule avec lui, là où personne ne pouvait nous entendre – qu'il était en train de développer un caractère épouvantable.

Le désastre, ce fut la lessive hebdomadaire. Je devais descendre au sous-sol équipé de bacs à laver communs et j'y faisais la lessive. J'avais

 apporté les vêtements d'enfant, très beaux, des flanelles splendides de plusieurs mètres de long avec incrustation de dentelle quasiment sans prix, des douzaines de chaque chose, et ce que je faisais de ces vêtements était pour moi une vraie souffrance. Quand je venais de les laver, ils avaient un aspect étrange. Un matin, j'entendis frapper à ma porte et, en ouvrant, je trouvai une femme qui vivait à l'étage au-dessous du mien. Elle me regarda avec compassion et dit : "Madame Evans, c'est lundi matin et je ne peux pas le supporter plus longtemps. Je suis une servante anglaise et vous êtes une lady anglaise et je suis assez fine pour l'avoir deviné. Il y a des choses que je sais et que vous ne savez pas ; vous allez descendre avec moi, tous les lundis matin, jusqu'à ce que je voie que vous n'en avez plus besoin ; je vais vous apprendre comment laver les vêtements." Elle débita cela comme si elle l'avait appris par cœur et il y avait beaucoup de bonté dans ses paroles. Aujourd'hui, il n'y a rien que je ne sache concernant le blanchissage et je le dois entièrement à Mme Schubert. Ceci est un [109] exemple de plus d'une personne pour qui je n'avais rien fait et qui était simplement humaine et bonne ; j'eus, par elle, un autre aperçu de l'humanité. Nous devînmes de vraies amies ; elle me soutenait quand Walter Evans était furieux. Plus d'une fois j'ai cherché refuge dans son petit appartement. Je me demande si elle et Mme Snyder sont encore en vie. J'imagine que non ; elles seraient trop vieilles.

Quand Dorothy eut six mois, je retournai en Grande Bretagne pour voir ma famille, laissant mon mari finir ses études de théologie et obtenir l'ordination. Ce fut ma dernière visite en Angleterre pour vingt ans et je n'en ai pas gardé un bon souvenir. Je ne pouvais pas avouer que je n'étais pas heureuse et que j'avais fait une erreur. Ma fierté m'en empêchait, mais tous le devinaient, sans aucun doute, quoiqu'ils ne me posassent aucune question. Ma sœur se maria, pendant mon séjour, avec mon cousin Laurence Parsons. Nous fîmes la traditionnelle réunion de famille chez un oncle. Je restai seulement quelques mois en Angleterre, puis je revins en Amérique. Dans l'intervalle, Walter avait reçu le diplôme du Séminaire puis l'ordination et on lui avait donné un emploi auprès de l'évêque de San Joaquin, en Californie. Cela se révéla une chose merveilleuse pour moi, car l'évêque et sa femme devinrent mes vrais amis. Je suis toujours en rapport avec cette dernière ; ma plus jeune fille tient son prénom d'elle et elle est un des êtres que j'ai tendrement aimés, mais je vous en dirai davantage à son sujet plus tard.

Je retournai aux États-Unis sur un petit bateau qui abordait à Boston. Ce fut sûrement mon plus affreux voyage ; un petit bateau sale, des cabines de quatre, des repas sur de longues tables où les hommes gardaient leur chapeau sur la tête. Je m'en souviens comme d'un cauchemar, mais, comme toutes les mauvaises choses, il eut une fin et nous arrivâmes à Boston sous une pluie torrentielle ; j'étais désespérée. J'avais une mauvaise migraine ; mon nécessaire aux garnitures d'argent massif, qui avait appartenu à ma mère, m'avait été volé, et Dorothy, ayant à peu près un an était lourde à porter. Je voyageais avec [110] un billet touriste de chez Cook et l'agent de cette compagnie était à bord. Il me conduisit jusqu'à la station de chemin de fer où je devais attendre minuit et il me laissa, après m'avoir dit ce que je devais savoir et m'avoir donné une tasse de café fort. Fatiguée, je restai tout le jour dans la gare, essayant de faire tenir tranquille un bébé agité. Au moment où le train arrivait, je me demandais comment j'allais faire quand, soudain, en levant les yeux, je vis l'agent de chez Cook, en civil, debout devant moi. "Je me suis tracassé pour vous toute la journée", dit-il "et j'ai décidé qu'il valait mieux que je vous mette dans le train moi- même". Là-dessus, il prit le bébé, appela un porteur, et m'installa aussi confortablement que possible dans le train de Californie. Les couchettes, en ce temps-là, n'étaient pas aussi confortables qu'elles le sont aujourd'hui. De nouveau, je recevais la bonté que je n'avais pas méritée, de la part de quelqu'un pour qui je n'avais rien fait. Je vous en prie, ne pensez pas que je veuille donner à entendre qu'il y avait en moi quelque chose de si charmant, de si délicieux que les gens, irrésistiblement, me venaient en aide. J'ai idée que je n'étais pas du tout charmante. J'étais passablement "hautaine et déplaisante", très réticente, presque au point d'en être muette, et effroyablement anglaise. Non, ce n'était pas cela, mais simplement que les êtres humains sont bons et aiment nous aider. N'oubliez pas que le prouver est l'un de mes buts en écrivant. Je ne suis pas en train de fabriquer des exemples, mais de relater des faits qui se sont réellement passés.

Mon mari fut, tout d'abord, recteur d'une petite église à R. et c'est là que j'appris les devoirs d'une épouse de pasteur et combien son temps est accaparé. Je fus introduite dans les secteurs strictement féminins des congrégations. Je dus assister à "Femmes secouristes". J'eus à tenir des Réunions de Mères, à être toujours à l'église et, interminablement, à entendre les sermons de Walter. Comme tous les pasteurs et leur famille, dans ces districts missionnaires, nous vivions en grande partie de [111] poulets et j'appris pourquoi le poulet est une volaille sainte, c'est parce que beaucoup d'entre eux entrent au presbytère !

Cette période marqua une autre phase de l'expansion de ma conscience. Je n'avais jamais, de toute ma vie, vécu dans une communauté comme celle de cette petite ville. Il n'y avait que quinze cents habitants environ, mais il y avait onze églises, chacune d'elles ayant une minuscule congrégation. Parmi les fermiers des environs, se trouvaient des hommes et des femmes cultivés qui avaient voyagé et lu ; je les rencontrais quelquefois. Mais l'ensemble de la population se composait de petits commerçants, de cheminots, de plombiers, d'ouvriers dans les vignes et les vergers et de maîtres d'école. Le presbytère était un petit bungalow de six pièces, entre deux maisons plus grandes, dans l'une desquelles habitaient douze enfants et leurs parents et je vivais dans un vacarme constant de voix enfantines. Petite ville typique : boutiques aux devantures en trompe- l'œil, poteaux d'attaches où des carrioles et des calèches étaient à l'arrêt (car l'automobile était encore une rareté) et le bureau de poste villageois d'où sortaient tous les potins. Le climat était vraiment délicieux, quoique très chaud et sec en été. Cependant, je me sentais complètement isolée, culturellement, mentalement et spirituellement. Il me semblait qu'il n'y avait personne à qui parler. Personne n'avait rien vu ni lu quoi que ce soit et la conversation tournait uniquement autour des enfants, des récoltes, de la nourriture et des potins locaux. Pendant des mois, je gardai une attitude dédaigneuse et prétentieuse et décidai qu'il n'y avait personne d'assez bien pour que je puisse m'en faire une relation. Naturellement, je faisais mon devoir en tant qu'épouse de recteur ; je suis sûre que j'étais très aimable et très bonne, mais je sentais toujours une barrière. Je ne souhaitais pas trop avoir affaire avec les paroissiens et je leur laissais entendre.

Je mis en route un cours biblique, et ce fut un énorme succès. Numériquement, il surpassa la congrégation du dimanche [112] matin de mon mari, ce qui peut avoir accéléré l'aggravation de la mésentente. Les membres des diverses Églises, excepté les catholiques, attendaient la réunion et c'était le seul point lumineux de la semaine, en partie, je pense, parce que cela me rattachait à mon passé.

Le caractère de mon mari devenait plus mauvais et je vivais dans la terreur constante que les membres de la congrégation s'en aperçoivent et qu'il perde son poste. En tant que pasteur, il était très aimé et faisait grande impression, avec son surplis et son étole. C'était un très bon prédicateur. Honnêtement, je ne pense pas que j'étais trop à blâmer. J'avais toujours aligné ma vie sur l'aphorisme : "Qu'est-ce que Jésus attend de moi ?" Je n'étais pas une personne contrariante, ni prompte à m'irriter, mais je crois que mon silence et mes efforts de patience aggravaient les choses. Rien de ce que je tentais de faire ne lui plaisait et, après avoir détruit toutes les photographies et tous les livres auxquels il pensait que je tenais, il prit l'habitude de me frapper ; mais il n'a jamais touché Dorothée. Il fut toujours plein d'amour pour les enfants.

Ma fille Mildred naquit en août 1912 et ce fut alors que je m'éveillais au fait renversant que ce n'était pas les gens de l'endroit qui étaient dans l'erreur, mais bien moi. J'avais été si occupée par les problèmes d'Alice La Trobe-Bateman, qui avait fait ce qui semblait être un mariage malheureux, que j'avais oublié d'être Alice Evans, être humain. À la naissance de Mildred, je fus très malade et c'est alors que je découvris les gens de la petite ville. Mildred était de dix jours en retard ; la température à plus de 40° sous mon porche ; les douze enfants de la porte à côté terriblement bruyants. Je fus très malade pendant des jours. C'est alors que la fosse d'aisance s'écroula. J'imaginais Dorothée, qui avait alors deux ans et demi, trottinant et tombant dans la fosse d'aisance. Walter n'était d'aucune aide. Il se retranchait derrière ses devoirs paroissiaux. J'avais une bonne petite infirmière juive qui commençait à être inquiète [113] pour moi et appelait sans cesse le médecin qui tardait à venir. La porte s'ouvrit brusquement et, sans frapper, la femme du patron de la buvette entra. Elle me jeta un coup d'œil, puis se précipita sur le téléphone et, de maison en maison, elle chercha à atteindre le docteur ; l'ayant atteint, elle lui ordonna de venir chez moi immédiatement. Puis elle mit Dorothée sous son bras, me fit signe de la tête, assura que Dorothée serait très bien avec elle et disparut. Je ne revis pas Dorothée pendant trois jours. Je ne m'en inquiétais guère ; j'étais bien trop malade. Mildred naquit aux forceps et j'eus deux sérieuses hémorragies. Grâce à de bons soins je m'en tirai. Le bruit avait couru que j'étais au plus mal, aussi tant de bonnes choses furent apportées et tant de choses aimables furent faites que j'en suis éternellement reconnaissante. Des crèmes, des pâtés, du porto, des fruits frais à profusion. Les femmes se relayaient le matin pour faire la lessive, pour épousseter, pour balayer, pour s'asseoir près de moi à coudre et à raccommoder. Elles assistaient l'infirmière qui avait soin de moi. Elles invitaient mon mari chez elles afin qu'il ne soit pas gênant à la maison et je m'éveillai soudain au fait que le monde est plein de gens affectueux, que j'avais été aveugle toute ma vie. Je pénétrais plus avant dans l'humanité.

Ce fut à cette époque, pourtant, que les vrais soucis débutèrent. Les gens commençaient à découvrir ce qu'était en réalité Walter Evans. J'étais sur pied le neuvième jour après la naissance de Mildred, sans nourrice, ni aide d'aucune sorte. La femme du bedeau me trouva ce jour-là, à sa grande horreur, faisant la lessive et, sachant que j'avais failli mourir dix jours avant, elle alla voir Walter Evans et le sermonna. Il n'en résulta rien, mais elle eut des soupçons et commença à me surveiller de plus près et à me manifester encore plus d'amitié. Le mauvais caractère de Walter Evans prenait de sérieuses proportions ; mais, ce qui était curieux, c'est que, hormis ce caractère brutal, il n'avait de vice d'aucune sorte. Il ne buvait jamais, il ne jurait [114] jamais, il ne jouait jamais ; j'étais la seule femme qui l'ait jamais intéressé et la seule femme qu'il ait jamais embrassée ; je crois qu'il persévéra dans cette conduite jusqu'à sa mort, qui survint il y a quelques années. En dépit de tout cela, il était impossible à vivre et il devint finalement dangereux d'être dans la même maison que lui. La femme du bedeau entra un jour et me trouva le visage vilainement meurtri. J'étais si malade et si fatiguée et elle était si bonne et si douce, que je lui avouai que mon mari m'avait jeté une livre de fromage en plein visage. Elle rentra chez elle ; peu après l'évêque arriva. Je souhaite être capable, dans ces pages, d'exprimer la gentillesse, la bonté et la compréhension de l'évêque Sanford. La première fois que je l'avais rencontré, il était venu pour une confirmation. J'avais servi à souper et ensuite j'étais allée dans la cuisine pour laver la vaisselle. Soudain, j'entendis quelqu'un qui essuyait les assiettes derrière moi et, pendant un moment, je ne me retournai pas, pensant que c'était seulement une des dames de l'église. À ma stupéfaction, je découvris que c'était l'évêque ; cela lui ressemblait tellement de faire une telle chose ! Beaucoup de discussions et de conversations suivirent et, finalement, fut offerte à Walter une nouvelle opportunité de se réhabiliter. Nous partîmes immédiatement pour une autre paroisse. J'en fus très contente, car le presbytère était beaucoup plus joli. C'était une plus grande communauté et j'étais plus près d'Ellison Sanford, l'une des plus charmantes personnes et l'une des amies les plus vraies que j'ai jamais eues.

Mon état général s'améliora et, en dépit des constantes flambées de fureur de Walter, la vie commençait à prendre un peu plus de couleurs. J'étais plus près de la ville dans laquelle l'évêque et sa femme vivaient et je les voyais davantage. Je trouvais, dans la paroisse, plus de gens qui parlaient le même langage que moi, mais, de bien des manières, ce fut une mauvaise période et en automne je retombai malade. Ma dernière fille, Ellison, s'était annoncée pour janvier ; dans un de ses accès de mauvaise humeur, mon mari me jeta en bas de l'escalier, ce qui eut, comme on le constata plus tard, un mauvais effet sur l'enfant. Elle était très délicate après sa naissance ; [115] c'était ce qu'on appelle communément un "bébé bleu" (malformation congénitale du cœur). Pendant des années, on crut que je ne pourrais pas l'élever. Pourtant j'y parvins et elle est maintenant la plus forte de mes trois filles.

Ensuite, les choses allèrent de mal en pis. Tout le monde savait que cela allait très mal au presbytère et tout le monde faisait de son mieux pour aider. Une très gentille jeune fille m'offrit de venir vivre avec moi comme hôte payant, afin que j'aie quelqu'un dans la maison ; mais, le moment venu, elle fut prise de panique, tout en restant toujours aussi loyale avec moi. Le champ qui jouxtait le presbytère était labouré, jour après jour, et quand (par curiosité), je demandai à celui qui le labourait pourquoi il le faisait si régulièrement, il me dit qu'un groupe d'hommes avait décidé que je devais avoir quelqu'un à portée de voix ; donc ils avaient pris leur tour pour labourer le champ. Les jeunes filles du central téléphonique découvrirent la situation et m'appelèrent à des intervalles réguliers, pour savoir si j'allais bien. Le docteur qui m'avait soignée quand Ellison naquit était très préoccupé et me fit promettre de cacher, tous les soirs, le couteau à découper et la hache sous mon matelas. Le sentiment s'affirmait que Walter Evans n'était pas normal. Je me souviens de m'être relevée, une nuit, en entendant un homme sortir rapidement de ma chambre et dévaler l'escalier. C'était seulement le docteur qui était entré pour voir si j'allais bien. Encore une fois, vous voyez comme j'étais entourée de gentillesse. J'étais, cependant, profondément humiliée et ma fierté était cruellement blessée.

Un matin, une amie m'appela pour me demander d'amener les trois enfants pour la journée, disant qu'elle viendrait me chercher. J'y allai et nous passâmes tous un très bon moment. À mon retour, Walter Evans était parti ; il avait été envoyé à San Francisco et mis en observation par un psychiatre, afin de savoir si oui ou non son mental était sain. Heureusement pour [116] moi, le médecin diagnostiqua qu'il était méchant, mais pas fou et qu'il ne souffrait de rien de plus grave que de ne pouvoir se dominer. Pendant ce temps, Ellison était tombée très malade d'un "choléra infantile" et on ne me laissait pas d'espoir de guérison. Je me souviens si bien d'un jour d'été torride pendant ce terrible moment. Elle gisait dangereusement malade, sur une courtepointe, par terre, tandis que les deux autres enfants jouaient dans une cour voisine ; mon médecin arriva et entra dans la maison avec un bébé dans les bras, suivi d'une grande et jolie femme qui semblait bonne pour l'hôpital. Il me dit qu'il m'avait amené le bébé pour que je le soigne et me demanda si je voulais bien mettre la mère au lit et la soigner elle aussi. Naturellement je le fis et, pendant trois jours, j'eus deux bébés malades sur les bras, ainsi qu'une femme, trop malade, trop déprimée et trop souffrante pour être capable de soigner son enfant. Je fis tout ce que je pus, mais le bébé mourut dans mes bras. Rien ne pouvait le sauver ; pourtant il avait bénéficié de l'habileté experte du médecin et de mes dons d'infirmière. Ce docteur était un homme sage ; il savait que j'avais mon compte dans ma propre situation familiale, mais que j'avais besoin d'apprendre que je n'étais pas seule dans la peine, que d'autres avaient autant de chagrin que moi et que j'étais capable d'une plus grande dépense d'énergie que je ne le croyais. La sagesse et le profond savoir psychologique des médecins généralistes des petites villes sont, pour moi, stupéfiants ; ils connaissent le monde ; ils vivent une vie de sacrifice ; ils sont habiles grâce à une vaste expérience ; ils manient les circonstances promptement et adéquatement, car ils n'ont personne à qui se référer qu'eux-mêmes. Personnellement, je suis profondément redevable aux médecins des villes et des villages qui ont été mes amis, autant que mes médecins.

On me conseilla d'emmener Ellison à San Francisco à l'hôpital des enfants pour voir si quelque chose pouvait être fait. Ellison Sanford prit les deux autres enfants, en dépit du [117] fait qu'elle en avait quatre elle- même, et je partis pour le Nord avec le bébé. Les médecins à l'hôpital me dirent qu'elle ne vivrait sans doute pas, et je dus la laisser là et rentrer pour m'occuper des deux autres enfants. Je ne vais pas m'étendre sur la difficulté de cette époque. Ceux qui ont des enfants comprendront. Je n'espérais plus la revoir jamais mais, miraculeusement elle guérit et me fut ramenée par son père qui avait été mis hors d'observation avec un bon bilan de santé. Il n'y a rien d'humoristique dans tout cela, n'est-ce pas ? Et je ne me sens pas hilare en le racontant.

Une année très particulière et difficile nous attendait à présent. Il était impossible à l'évêque de donner une charge à Walter Evans. Les seuls fonds que nous possédions étaient épuisés et mes très petites rentes, à cause de la guerre mondiale, n'étaient plus qu'un peu de menue monnaie. Quand Walter était parti pour San Francisco, j'étais restée avec trois enfants et un paquet de factures. Il n'avait pas le sens de l'argent ; l'argent que je lui donnais, ou qui provenait de ses appointements, pour payer les frais courants, il le dépensait en luxe inutile. Il quittait la maison pour aller régler la facture de l'épicier et revenait avec un gramophone.

Je n'oublierai jamais, aussi longtemps que je vivrai, l'extraordinaire gentillesse de l'épicier de la petite ville où je vivais, et où Walter Evans eut sa dernière charge dans le diocèse de San Joachim. Nous devions quelques centaines de dollars à l'épicier ; je l'ignorais complètement. Des bruits avaient couru évidemment, dans le village, sur tout ce qui était arrivé. Un matin, après que mon mari fut envoyé à San Francisco, le téléphone sonna ; c'était la boutique de l'épicier. Le propriétaire était un Juif et un Juif très ordinaire d'aspect. Je n'avais jamais rien fait pour lui, si ce n'est d'être courtoise et, étant anglaise, de n'avoir, évidemment, aucun sentiment antisémite. [118] Il n'y a jamais eu aucune attitude antisémite en Grande-Bretagne, surtout pendant ma jeunesse. Certains de nos plus grands hommes ont été des Juifs, tel Lord Reading, Vice-Roi des Indes et bien d'autres. Cet homme me demanda ma commande par téléphone. Je lui demandai combien nous lui devions et il dit : "Plus de deux cents dollars" ; mais cela ne le tracassait pas, car il savait qu'il serait payé, même si cela devait prendre cinq ans. Puis il ajouta : "Si vous ne me donnez pas votre commande, je vais vous envoyer ce que je crois qu'il vous faut et vous ne serez pas contente, n'est-ce pas ?" Alors je lui passai ma commande. Quand l'épicerie arriva au presbytère, ce matin-là, je trouvai une enveloppe avec dix dollars "pour les faux frais", au cas où j'aurais été à court pour les menus frais ; il les avait ajoutés au compte, sachant que je n'aurais pas accepté la charité. Il me demanda la clé de ma boîte aux lettres, afin de veiller au courrier à ma place. Je me sentis, et me sens toujours profondément débitrice à son égard. Il me fallut plus de deux ans pour payer sa facture, mais je le fis et, chaque fois que je lui envoyais cinq dollars d'acompte, je recevais en retour une lettre reconnaissante comme si je lui avais fait une faveur.

Outre que j'ai été élevée en Angleterre où les sentiments antisémites n'ont jamais été dominants et où le problème noir est mieux compris qu'aux États-Unis, j'ai été profondément débitrice de certains membres de ces deux minorités souffrantes. Le problème des Noirs m'a toujours paru plus simple que celui des Juifs et pouvant être beaucoup plus facilement résolu.

Le problème juif m'a toujours semblé presque insoluble. Moi, maintenant, je ne vois pas d'issue, excepté celle du lent processus de l'évolution et d'une campagne planifiée d'éducation. Je n'ai pas de sentiments antisémites ; j'ai une dévotion pour certains de mes plus chers amis, tels que le docteur Assagioli, Régina Keller et Victor Fox et ils le savent. Peu de gens au monde sont aussi proches de moi qu'eux ; je compte sur leurs conseils et leur compréhension et ils ne me déçoivent pas. [119] J'ai été officiellement sur la "liste noire" d'Hitler parce que j'ai défendu les Juifs, en faisant des conférences à travers l'Europe de l'Ouest. Cependant, tout en connaissant à fond les merveilleuses qualités du Juif, sa contribution à la culture occidentale et au savoir, son riche actif et ses dons dans le domaine de la création artistique, je ne parviens pas à voir une solution immédiate à ce problème crucial.

Il y a des fautes des deux côtés. Je ne parle pas ici des fautes ou plutôt des crimes diaboliques des Allemands ou des Polonais envers leurs concitoyens juifs. Je parle de tous ceux qui sont pour les Juifs et non contre eux. Nous, les gentils, nous n'avons pas trouvé ce qu'il faut faire pour libérer les Juifs de la persécution, persécution datant de beaucoup, beaucoup de siècles. Les Égyptiens, dans les premiers temps de l'histoire biblique, persécutaient les Juifs et la persécution a constitué leur histoire, tout au long des ans. J'hésite à donner ma conclusion, mais je vais le faire, dans l'espoir qu'elle pourra apporter une aide. Il n'est possible que de traiter, très brièvement, un ou deux points, en soulignant que ce ne peut être que d'une manière peu adéquate.

Il doit y avoir une cause fondamentale à cette constante persécution, du fait qu'ils ne sont pas aimés. Quelle est cette cause ? La cause fondamentale gît, sans doute, profondément enracinée dans certaines caractéristiques raciales. Les gens se plaignent (et c'est probablement justifié) de ce que les Juifs rabaissent l'atmosphère des secteurs dans lesquels ils résident. Ils pendent leur literie et leurs vêtements en dehors des fenêtres. Ils vivent dans la rue, s'asseyant en groupes sur les trottoirs. Mais, pendant des siècles, les Juifs habitaient sous des tentes et devaient vivre de cette manière et ils obéissent encore à ces habitudes héréditaires. On se plaint de ce que, dès que l'on a permis à un Juif de prendre pied dans un groupe ou dans une affaire, il ne s'écoule pas longtemps avant que ses sœurs, ses [120] neveux, ses oncles et ses tantes n'y pénètrent aussi.

Mais les Juifs ont dû se donner la main, en face de siècles de persécutions. On dit que le Juif est strictement matérialiste, que le tout-puissant dollar importe plus pour lui que les valeurs éthiques, et qu'il est prompt et habile à prendre avantage sur les gentils. La religion juive ne met pas l'accent sur l'immortalité ou sur la vie après la mort et cela est vrai, car j'ai discuté de ce problème avec des étudiants juifs en théologie. Pourquoi donc ne tireraient-ils pas le meilleur de la vie, selon des conceptions matérialistes ? Mangeons et buvons, et jouissons des biens terrestres, car demain nous mourrons. Tout cela est compréhensible, mais ne favorise pas les bonnes relations.

Ayant étudié, pensé et posé des questions, certaines choses se sont clarifiées dans mon esprit ; elles constituent, selon moi, une partie de la réponse. Les Juifs se cramponnent à une religion qui est fondamentalement dépassée. Il y a quelques jours, je me demandais jusqu'à quel point l'Ancien Testament valait la peine d'être conservé. Il est en grande partie terrible et cruel. Je pensais que les dix commandements devaient être conservés, une ou deux des histoires, par exemple celle de l'amour de David et de Jonathan, le 23ème Psaume, le 91ème Psaume, quelques autres encore et environ quatre chapitres du Livre d'Isaïe. Tout le reste est complètement inutile et indésirable et a contribué largement à nourrir l'orgueil et le nationalisme du peuple. Ce qui se dresse entre le Juif orthodoxe et la masse des gentils, ce sont les tabous religieux, car la croyance juive est, avant tout, une religion du "tu ne dois pas". Ce qui conditionne la pensée du gentil, en ce qui concerne le Juif non orthodoxe, plus moderne, c'est ce matérialisme dont Shylock est le symbole.

En écrivant ces mots, je suis consciente de leur insuffisance et de leur manque de véritable équité ; pourtant, d'un point de [121] vue général, ils sont absolument vrais tout en étant grossièrement injustes dans beaucoup, beaucoup de cas de Juifs. Il y a de nombreux points communs entre les Juifs et les Allemands. Les Allemands se considèrent comme étant un peuple élu. Les Allemands mettent l'accent sur la "pureté raciale" et les Juifs le font également, depuis la nuit des temps. Les Juifs semblent ne pouvoir jamais s'assimiler. J'ai rencontré des Juifs en Asie, en Inde et en Europe, tout comme ici et ils restent des Juifs, en dépit de leur citoyenneté ; ils restent séparés des nations dans lesquelles ils résident. Je n'ai pas constaté cela en Grande Bretagne, ni en Hollande.

Les gentils ont fréquemment traité les Juifs de façon abominable ; beaucoup d'entre nous en ont le cœur brisé et travaillent à aider. L'obstacle provient aujourd'hui des Juifs eux-mêmes. Personnellement, je n'ai encore jamais trouvé un Juif qui veuille admettre qu'il y ait eu fautes ou provocations de leur part. Ils se prennent toujours pour les maltraités et disent que l'ensemble du problème serait résolu si les chrétiens se conduisaient bien. Beaucoup d'entre nous, des milliers d'entre nous, essaient de se conduire bien, mais nous n'obtenons pas de collaboration de la part des Juifs.

Pardonnez-moi cette digression, mais le souvenir de Jacob Weinberg, qui fut si amical avec moi, m'a fait partir sur un sujet pour lequel je me sens vivement concernée.

Donc, le problème en face duquel nous nous trouvions, Walter et moi, était de savoir que faire. J'avais compris que le sort de Walter était en grande partie entre mes mains. Si j'avais pu le persuader de se contrôler et de me traiter avec la décence normale, l'évêque se serait efforcé finalement de lui obtenir une autre charge, dans un autre diocèse où nous n'aurions pas eu le handicap de son passé ; quoique l'évêque de ce diocèse aurait dû, inévitablement, être mis au courant des circonstances. Je me souviens bien du soir où j'exposai nettement la situation à [122] Walter, après avoir eu une longue conversation avec l'évêque. Je lui fis voir que son sort reposait entre mes mains et que ce serait sage de sa part de cesser de me frapper. Je lui dis que j'obtiendrais le divorce, à coup sûr, sur la foi du témoignage du médecin qui m'avait examinée quand Ellison naquit et qui m'avait vue avec des meurtrissures sur tout le corps. Cette menace était puissante par rapport à l'Église épiscopale. Sa carrière de prêtre serait terminée. C'était un homme fier et intimement choqué par la publicité ; à partir de ce jour-là, il ne leva plus le petit doigt sur moi. Il boudait et restait sans parler pendant des jours ; il me laissait le plus gros du travail, mais je n'avais plus à avoir peur de lui.

Nous prîmes une petite maison de trois pièces au fin fond d'une contrée sauvage, non loin de Pacific Grove et je commençai à élever des poules et à gagner un peu d'argent en vendant leurs œufs. Je découvris très vite qu'à moins d'élever des poules sur une très grande échelle (ce qui impliquait un capital), on gagne peu. Les poules sont tellement stupides ; elles sont complètement dépourvues d'intelligence ; le seul aspect excitant de l'élevage de volailles est la chasse aux œufs, seulement c'est un travail sale. Mais je parvins à nourrir la famille et la petite maison ne coûtait que huit dollars par mois, qu'elle ne valait même pas.

Ma vie, en ce temps-là, était très monotone : les soins de trois bébés, un mari morose et plusieurs centaines de poules stupides. Nous n'avions pas de salle de bains, ni de toilettes à l'intérieur. Tenir les enfants et la maison propres était même un problème. Nous n'avions pratiquement pas d'argent et une partie de la note d'épicerie était payée par les œufs que l'épicier prenait toujours parce qu'il était mon ami. J'avais pris l'habitude d'aller dans les bois des alentours avec une brouette, les enfants trottant derrière moi, pour ramasser du bois pour le feu. Je ne peux donc pas dire que c'était un temps agréable. Encore une fois, je n'y trouve rien d'humoristique. C'était comme une incarnation entièrement nouvelle et le contraste [123] entre cette vie monotone de ménagère et de mère, d'éleveuse de volailles, de jardinière et ma riche vie de petite fille, puis ma vie, si pleine, d'évangéliste, m'abattit complètement à la fin.

Je sentais que je n'étais utile à personne et que j'avais dû quitter le bon chemin à un certain moment, autrement je ne me serais pas trouvée dans cette situation. Le vieux complexe chrétien du "misérable pécheur" me submergeait. Ma conscience, conditionnée d'une façon morbide par la théologie fondamentaliste, continuait à me dire que j'étais punie de mes doutes et que, si je m'en étais tenue à la foi et à la sécurité de mon adolescence, je ne serais pas actuellement dans cette galère. L'Église m'avait déçue, Walter était un homme d'Église et les autres hommes d'Église que j'avais rencontrés me semblaient très médiocres, excepté l'évêque qui, lui, était un saint ; mais, argumentais-je, il aurait été un saint de toute façon, même s'il avait été plombier ou agent de change. Je savais assez de théologie pour avoir perdu ma foi dans les interprétations théologiques, et je sentais que rien ne m'était laissé, sauf une vague croyance dans le Christ qui, à ce moment-là, paraissait bien loin. Je me sentais abandonnée de Dieu et des hommes.

Laissez-moi vous dire ici qu'il ne fait aucun doute, dans mon esprit, que l'Église est en train de perdre la partie, à moins d'un changement dans sa technique. Je ne peux pas comprendre pourquoi les gens d'Église n'avancent pas avec leur temps. Toute évolution, dans tous les domaines, est une expression de la divinité ; l'état d'immobilisme de l'interprétation théologique est contraire à la grande loi de l'univers : l'Évolution. Après tout, la théologie n'est qu'une interprétation et une compréhension de ce que l'homme croit être l'intention de Dieu. Donc, c'est un cerveau humain, fini, qui pense et qui crée la pensée, au long des âges. Ainsi, d'autres cerveaux humains peuvent apparaître et donner d'autres interprétations plus profondes, [124] plus larges et trouver une théologie plus progressiste. Qui oserait dire qu'elles ne seront pas aussi justes que celles des ecclésiastiques du passé ? À moins que les Églises n'élargissent leur vision, n'éliminent leurs querelles à propos de détails sans importance et ne prêchent un Christ naissant, vivant, aimant et non un Christ mort, souffrant et sacrifiant à un Dieu de colères, elles perdront la fidélité des générations montantes ; et ce sera bien ainsi. Le Christ est vivant, triomphant et toujours présent. Nous sommes sauvés par sa Vie. Sa mort nous pouvons la connaître aussi et triomphalement, la Bible le dit. Les Églises doivent commencer à transformer leurs séminaires théologiques. J'ai subi une éducation théologique et je sais de quoi je parle. Des jeunes gens intelligents ne voudront pas plus longtemps y entrer quand ils se heurteront à d'anciennes expressions de ce qu'ils reconnaissent comme de vivantes vérités. Ils ne sont pas intéressés par l'Immaculée Conception, ils sont intéressés par la réalité du Christ. Ils en savent trop pour accepter l'inspiration littérale de la Bible, mais ils sont prêts à croire en la Parole de Dieu. La vie est si pleine de mouvement, aujourd'hui, de héros, de beauté, de tragédies, de cataclysmes et de glorieuses opportunités, que cette génération n'a pas de temps pour les puérilités de la théologie. Heureusement il y a, dans l'Église, quelques hommes clairvoyants qui finalement changeront l'attitude réactionnaire, mais il faudra du temps. En attendant, les cultes et les "ismes" engloutiront les gens. Cela pourrait être évité si l'Église s'éveillait et donnait à une humanité qui attend et qui cherche ce dont elle a besoin, pas de soporifiques, pas d'autorité, pas de douces platitudes, mais le Christ vivant.

Après six mois de ce genre de vie, si je me souviens bien, je revis l'évêque et je lui dis que Walter s'était bien comporté. L'évêque alors, très aimablement, réussit à lui faire obtenir une place où il puisse, de nouveau, assumer son travail d'Église. Il trouva une petite charge dans un village minier du Montana ; il fut entendu qu'il m'enverrait chaque mois une partie de son [125] traitement. Pendant ce temps, moi, je déménageai pour aller dans un petit pavillon de trois pièces, dans un quartier plus peuplé de Pacific Grove. C'était en 1915 et ce fut la dernière fois que je vis Walter Evans. Pratiquement, il ne m'envoya jamais rien sur son traitement et ses lettres devinrent de plus en plus injurieuses. Elles étaient pleines de menaces et d'insinuations. Je ne pouvais rien faire et je réalisai que je devais conduire ma vie seule et faire le mieux possible pour les trois petites filles.

La guerre en Europe battait son plein. Tous mes parents y étaient impliqués. Mes petits revenus me parvenaient irrégulièrement. Ils étaient lourdement imposés et parfois les chèques ne parvenaient pas à destination, à cause du naufrage du bateau transporteur du courrier. J'étais dans une position des plus difficiles ; sans parents dans le pays que j'aurais pu aller voir et (mis à part l'évêque et sa femme) sans amis à qui me confier. J'étais pourtant entourée d'amis aimables et bons, mais aucun n'était en position de faire quelque chose pour moi et, en regardant en arrière, aujourd'hui, je me demande si je ne leur ai jamais laissé deviner combien ma situation était sérieuse. L'évêque voulait écrire à ma famille pour faire connaître ma position, mais je ne le lui permis pas. J'ai toujours cru fermement au proverbe qui dit : "Comme on fait son lit, on se couche" et je ne crois pas du tout à la vertu des grands cris, des lamentations, des pleurnicheries auprès des amis. Je savais que Dieu aide ceux qui s'aident eux-mêmes, mais, à cette époque, il me semblait que Dieu aussi me manquait et je ne pouvais même pas élever ma plainte vers Lui.

Je partis en chasse, aux alentours, pour trouver quelque chose qui me rapporterait un peu d'argent, mais je découvris seulement que j'étais une personne parfaitement inutile. Je pouvais faire de la belle dentelle, mais personne ne voulait de dentelle et, de toute façon, je n'aurais pas pu trouver en Amérique la matière première pour la confectionner. Je n'avais pas de don particulier ; je ne savais pas taper à la machine ; je ne pouvais pas enseigner ; je ne savais que faire. Il n'y avait qu'une [126] industrie dans le secteur et c'était une sardinerie ; plutôt que de laisser les enfants mourir de faim, je décidai de devenir ouvrière à l'usine et de travailler dans la conserverie de sardines.

Je me souviens du moment de crise où j'en vins à cette décision. C'était une crise spirituelle majeure. Comme je l'ai dit, j'étais arrivée en Amérique, l'esprit plein de questions concernant les vérités spirituelles auxquelles on pouvait croire. Le cours de théologie que j'avais suivi, dès mon arrivée, ne m'avait pas aidée du tout. Tout cours de théologie peut miner la foi de l'homme, si ce dernier est assez intelligent pour se poser des questions et s'il n'appartient pas à la catégorie de ceux qui acceptent aveuglément ce que disent les hommes d'Église. Les commentaires que j'avais consultés à la bibliothèque de théologie m'avaient semblé ineptes, mal écrits, vrai ramassis de platitudes. Ils ne répondaient à aucune question ; ils se perdaient en abstractions, ils fuyaient la réalité, se réclamant d'une connaissance exacte des intentions et des volontés de Dieu, et ils cherchaient à résoudre tous les problèmes en citant saint- Augustin, saint-Thomas d'Aquin et les saints du moyen-âge. Les théologiens semblent n'être jamais confrontés aux événements essentiels, ils en reviennent toujours à l'affirmation rabâchée : "Dieu dit" ; mais peut- être ne l'a-t-Il pas dit ; peut-être la traduction est-elle fausse ; peut-être la phrase dont il est question est-elle une interpolation ; il y en a beaucoup, ainsi, dans la Bible. Alors la question se présentait à mon esprit : Pourquoi Dieu parla-t-il seulement aux Juifs ? J'ignorais tout des autres Écritures. Il y avait des parties de l'Ancien Testament qui me choquaient et des parties dont je m'étais souvent étonnée qu'elles aient pu échapper à la censure. Dans un livre ordinaire, on les aurait trouvées obscènes mais, dans la Bible, elles étaient acceptées. Je commençais à me demander si mes interprétations n'étaient pas aussi bonnes que celles de quelqu'un d'autre. Je me souviens d'une méditation que je fis, un jour, sur le verset de la Bible : "Tous les cheveux de votre tête sont comptés." Il me semblait que Dieu conservait une bien grande quantité de [127] statistiques. Je consultai un théologien du séminaire ; sa réponse fut que l'affirmation de la Bible prouvait que Dieu n'était pas soumis au temps. Je découvris ensuite que la Croix n'était pas un symbole chrétien, mais qu'il datait de bien avant le christianisme et cela fut le coup final.