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LIVRE IV L’ILLUMINATION - Partie 1

LIVRE IV

L'ILLUMINATION

a. Conscience et forme

b. Union ou unification

Thème : Unité isolée [377]

1. Les siddhis ou pouvoirs supérieurs et inférieurs s'acquièrent par l'incarnation, ou par les drogues. Les mots de pouvoir et le désir intense, ou par la méditation.

Nous arrivons maintenant au quatrième livre, dans lequel les pouvoirs et les résultats acquis par la pratique du Raja Yoga se poursuivent en une prise de conscience de groupe ; on a vu qu'ils suscitent une conscience universelle et non simplement la conscience de soi. Il semblerait que la sagesse dût s'insurger ici contre l'emploi des mots "conscience cosmique", comme inexacts et trompeurs, car même le plus haut des adeptes (notez soigneusement ces mots) n'est doué que de conscience solaire et n'a pas de contact avec ce qui est en dehors de notre système solaire. Les logoï planétaires (les Sept Esprits qui se trouvent devant le Trône) et les Seigneurs du Karma (Les "quatre roues" d'Ezéchiel) prennent conscience de ce qui est au-delà de notre système solaire.

Des existences moindres peuvent le pressentir en tant que possibilité, mais sans encore en faire d'expérience. [378]

Les pouvoirs acquis se répartissent en deux groupes principaux, nommés :

a. Les pouvoirs psychiques inférieurs ; les siddhis inférieurs. b. Les pouvoirs spirituels ou siddhis supérieurs.

Les pouvoirs inférieurs résultent de la conscience de l'âme animale dans l'être humain, en rapport avec l'anima mundi ou âme du monde, aspect subjectif de toutes les formes dans les trois mondes et de tous les corps dans les quatre règnes de la nature. Les pouvoirs supérieurs résultent du développement de la conscience de groupe, du second aspect de la divinité. Non seulement ils ne se bornent pas à englober les pouvoirs inférieurs, mais encore ils mettent l'homme en rapport avec les existences et formes de vie qui se trouvent dans les domaines spirituels ou, comme dirait l'occultiste, sur les deux plans qui sont au-delà des trois mondes et qui comprennent l'échelle tout entière de l'évolution humaine et supra-humaine.

Le but du véritable aspirant est l'épanouissement des pouvoirs supérieurs qu'on peut désigner globalement par les termes de connaissance directe, perception intuitive, pénétration spirituelle, pure vision, obtention de la sagesse. Ils diffèrent des pouvoirs inférieurs, car ils les abrogent. Ceux-ci nous sont décrits avec précision dans le livre III, Sutra 37.

"Ces pouvoirs sont des obstacles à la prise de conscience supérieure, mais s'utilisent en tant que pouvoirs magiques dans les mondes objectifs."

Ces pouvoirs supérieurs sont inclusifs et se distinguent, lorsqu'ils sont judicieusement employés, par leur justesse et leur infaillibilité. Leur effet est aussi instantané qu'un jet de [379] lumière. Les pouvoirs inférieurs sont faillibles ; l'élément temps y est présent en son sens séquentiel, et leur effet est limité. Ils font partie de la grande illusion et constituent une limitation pour le véritable aspirant.

Le sutra que nous étudions ici offre cinq moyens permettant de développer les pouvoirs psychiques et il est intéressant de noter que nous trouvons en ces mots un exemple du fait que les Yoga Sutras peuvent aussi constituer le manuel d'étude et d'enseignement d'aspirants aussi avancés que les Maîtres de la Sagesse. Ces cinq méthodes sont susceptibles d'être appliquées dans l'ensemble des cinq plans de l'évolution humaine, lesquels comprennent les deux plans supérieurs sur lesquels fonctionnent les initiés aux Mystères.

1. L'incarnation La méthode du plan physique.

2. Les drogues La libération de la conscience astrale.

3. Les mots de pouvoir

La création par la parole, ou la méthode du plan mental.

4. Le désir intense La sublimation de l'aspiration, ou la méthode du plan bouddhique, sphère de l'amour spirituel.

5. La méditation La méthode du plan atmique, la sphère de la volonté spirituelle.

Dans cette énumération, on peut noter le fait suivant : tout comme un désir intense du genre spirituel est une sublimation du désir astral ou émotif, ainsi la méditation, telle que [380] la pratiquent les initiés, est la sublimation de tous les processus mentaux. En conséquence, les deux méthodes finales présentées comme étant un résultat du développement des siddhis, sont les seules qui soient pratiquées par les initiés, car elles constituent la synthèse et la sublimation de ce qui a été réalisé sur les plans astral et mental.

On pourrait donc observer que (pour celui qui cherche la vérité) l'incarnation, l'intense désir et la méditation sont les trois méthodes permises, et les seules qui doivent être pratiquées ; les drogues et les mots de pouvoir, ou incarnations mantriques, sont les outils de la magie noire et concernent les pouvoirs inférieurs.

On pourrait ici poser la question suivante : n'est-il pas exact que les mots de pouvoir et l'emploi de l'encens font partie des cérémonies d'initiation et sont en conséquence utilisées par des initiés et des aspirants ? Assurément, mais non dans le sens sous-entendu par cette question, ni dans le but de développer des pouvoirs psychiques. Les Maîtres et leurs disciples utilisent des mots de pouvoir afin de communiquer avec des existences extra humaines, d'invoquer l'aide des anges et de manipuler les forces constructrices de la nature ; ils emploient des herbes et de l'encens afin de purifier certaines conditions, d'éliminer les entités indésirables et de permettre ainsi, à ceux qui sont plus élevés sur l'échelle de l'évolution, de faire sentir leur présence. Quoi qu'il en soit, ceci est tout autre chose que leur utilisation en vue d'acquérir des facultés psychiques.

Il est intéressant de noter ici que la cause initiale du développement des pouvoirs de l'âme, qu'ils soient supérieurs ou inférieurs, est la grande roue de la renaissance. Il faut toujours en tenir compte. Tout le monde n'est pas encore au stade où le développement des pouvoirs de l'âme est chose possible. L'aspect âme demeure assoupi chez beaucoup d'hommes qui n'ont pas encore passé par la plénitude de l'expérience, ni réalisé le développement de la nature inférieure. Les quarante [381] ans d'errance dans le désert avec le Tabernacle, et la conquête de Canaan, doivent précéder la juridiction des rois et la construction du Temple de Salomon. Des vies doivent s'écouler avant que le corps ou aspect Mère, soit assez perfectionné pour que l'Enfant Christ puisse se former au sein du calice préparé par lui. Il faudrait se souvenir que la possession des pouvoirs psychiques inférieurs est, en bien des cas, le symptôme d'un degré inférieur d'évolution et, chez celui qui les possède, d'une étroite association avec la nature animale. Les pouvoirs supérieurs ne peuvent s'épanouir avant que cet état soit dépassé.

Il n'est pas nécessaire de souligner le fait que l'usage de l'alcool et des drogues peut libérer la conscience astrale, et le fait réellement, comme aussi la pratique de la magie sexuelle ; mais il s'agit là de pratiques astrales pures et simples, avec lesquelles le véritable étudiant en Raja Yoga n'a rien à faire. Cela se rapporte au développement sur le sentier de gauche. L'acquisition des pouvoirs de l'âme grâce à un désir intense (ou aspiration fervente) et à la méditation, a été amplement traitée dans les autres livres et il n'est pas nécessaire de s'y étendre ici.

2. Le transfert de la conscience, d'un véhicule inférieur à un véhicule supérieur, fait partie du grand processus créateur et évolutif.

Cette traduction est très libre, mais elle donne une claire interprétation de la vérité qu'il faut saisir. L'évolution de la conscience, et l'effet de cette évolution sur les véhicules dans lesquels fonctionne l'entité consciente, constituent la somme [382] des processus de la nature ; du point de vue de l'unité humaine intelligente, trois mots résument ce processus et son résultat. Ces mots sont : transfert, transmutation et transformation.

L'une des lois fondamentales du développement occulte et de l'épanouissement spirituel, s'exprime par les mots : "Comme un homme pense, ainsi est-il" et on peut, en guise d'éclaircissement, y joindre le truisme oriental : "L'énergie suit la pensée."

Lorsqu'un homme change ses désirs, il se change lui-même ; lorsqu'il déplace sa conscience d'un objectif sur un autre, il se modifie lui-même, et ce fait reste vrai dans tous les domaines et tous les états, qu'ils soient supérieurs ou inférieurs.

L'effet du transfert de l'état conscient de notre pensée, d'un objectif inférieur à un objectif supérieur, produit un afflux d'énergie d'une qualité vibratoire équivalente à celle de l'objectif supérieur. Il en résulte un changement ou une mutation dans les enveloppes de l'entité pensante, qui se transmuent et sont amenées à un état qui les rend adéquates à la pensée ou au désir de l'homme. En dernière analyse, une transformation a lieu et les paroles de saint Paul : "Soyez donc transformés par le renouvellement de votre esprit" deviennent ainsi lumineuses.

Changez votre ligne de pensée et vous changerez votre nature. Désirez ce qui est vrai et juste, pur et sacré et la conscience que vous avez de ces choses transformera, par un acte créateur, le véhicule ancien en un véhicule neuf ou en un homme nouveau, en un "instrument apte à l'usage".

Ce transfert, cette transmutation et cette transformation finale procèdent de l'une des deux méthodes suivantes : [383]

1. Une méthode lente ; celle des vies, expériences et incarnations physiques qui se répètent jusqu'à ce que la force d'impulsion du processus évolutif amène enfin l'homme, d'échelon en échelon, au sommet de la grande échelle de l'évolution.

2. Un processus plus rapide, par lequel – grâce à un système tel que celui qu'a esquissé Patanjali, ou celui qu'enseignent tous les dépositaires des mystères de la religion – l'homme se prend résolument en main et s'élève à un état d'épanouissement spirituel, par son propre effort et en se conformant aux règles et lois prescrites. On pourrait observer ici que ces trois processus conduisent l'homme à l'initiation appelée la Transfiguration.

3. Les pratiques et méthodes ne sont pas la vraie cause du transfert de la conscience, mais elles servent à écarter les obstacles, tout comme le laboureur prépare le sol pour les semailles.

Ce sutra est parmi les plus simples et les plus clairs et ne nécessite qu'un bref commentaire.

Les pratiques concernent en premier lieu :

1. Les moyens d'écarter les obstacles (voir Livre I, Sutras 29 à 39). Ceci, nous est-il dit plus haut, est influencé par :

a. L'application soutenue à un principe. b. La sympathie pour tous les êtres.

c. La réglementation du prana ou souffle vital. d. La stabilité du mental.

e. La méditation sur la lumière. [384]

f. La purification de la nature inférieure. g. La compréhension de l'état de rêve.

h. La voie de la dévotion.

2. La voie d'élimination des obstructions. (Voir Livre II, Sutras 2 à 33.) Ces obstructions sont éliminées par :

a. Une attitude mentale opposée. b. La méditation.

c. La culture de la pensée correcte.

Celles ci concernent plus particulièrement la préparation, dans la vie, au véritable entraînement à la pratique du yoga ; lorsqu'elles sont pratiquées, elles amènent la nature inférieure tout entière à un état où les méthodes plus énergiques pourront produire des effets rapides.

Les méthodes se rapportent aux huit moyens de yoga ou union, énumérées comme suit : les Commandements, les Règles, la posture ou attitude, le contrôle correct de la force vitale, l'abstraction, l'attention, la méditation et la contemplation. (Voir Livre II, Sutras 29 à 54 et Livre III, Sutras 1 à 12)

On peut noter, en conséquence, que les pratiques peuvent être considérées comme se rapportant plus particulièrement, dans la vie de l'aspirant, au stade où il est sur le sentier de probation – le sentier de la purification – alors que les méthodes se rapportent aux stades finaux de ce sentier et au sentier de l'état de disciple. Lorsque pratiques et méthodes sont observées, elles provoquent certains changements à l'intérieur des formes occupées par l'homme réel ou spirituel, mais elles ne sont pas la cause principale du transfert de sa conscience dans l'aspect âme et hors de l'aspect corps. Ce grand [385] changement est le résultat de certaines causes étrangères à la nature corporelle, telles que l'origine divine de l'homme, le fait que la conscience christique ou conscience de l'âme se trouve à l'état latent dans ces formes, et l'impulsion du processus évolutif, lequel porte la vie de Dieu qui se trouve en toutes les formes vers une plus grande plénitude d'expression. Il faut se rappeler que, tout comme la Vie unique en Qui nous avons la vie, le mouvement et l'être, Se meut vers une réalisation plus grandiose, les cellules et les atomes de Son corps sont soumis à une influence, une stimulation et un développement correspondants.

4. La conscience de "je suis" est à l'origine de la création des organes

à travers lesquels le sens de l'individualité est une cause de jouissance.

 Nous avons ici la clé de la manifestation elle-même et la raison de toutes les apparences. Tant que la conscience d'une entité (solaire, planétaire ou humaine) ira au-devant des objets du désir, de l'existence sensible, de l'expérience individuelle et de la vie de perception et de jouissance, des véhicules ou des organes seront créés pour la satisfaction du désir, l'existence matérielle et la perception des objets. C'est la grande illusion par laquelle la conscience est leurrée ; et tant que ce mirage exercera son pouvoir, la Loi de la Renaissance ramènera en manifestation sur le plan de la matérialité la conscience tournée vers l'extérieur. C'est la volonté-d'être et le désir de l'existence qui projettent à l'extérieur, dans la lumière, à [386] la fois le Christ cosmique fonctionnant sur le plan matériel par le truchement du système solaire, et le Christ individuel, fonctionnant par l'intermédiaire de la forme humaine.

Dans les stades de début, la conscience de "Je Suis" crée des formes de matière inadéquates à la pleine expression des pouvoirs divins. L'évolution se poursuivant, ces formes deviennent de plus en plus appropriées, jusqu'à ce que les "organes" créés mettent l'homme spirituel en mesure de jouir du sens de l'individualité. Quand ce stade est atteint, il s'ensuit la grande prise de conscience de ce qu'est l'illusion. La conscience s'éveille au fait que la perception de la forme et des sens, aussi bien que la tendance vers l'extérieur, ne contiennent ni joie ni plaisir réels, et un nouvel effort est alors mis en œuvre, caractérisé par un retrait graduel de la tendance vers l'extérieur et une abstraction de l'esprit qui se retire hors de la forme.

5. La conscience est une, mais produit cependant les formes variées du nombre.

Patanjali donne ici une formule de base, servant non seulement à expliquer le but et la raison de la manifestation proprement dite, mais encore à résumer en une courte phrase ce qu'est l'être de Dieu, de l'homme et de l'atome. Derrière toutes les formes se trouve la vie unique ; au-dedans de chaque atome (solaire, planétaire, humain et élémental) se trouve l'existence sensible unique ; à l'arrière plan de la nature, se trouve la réalité subjective qui est, par essence, un tout unifié, ou unité, produisant la diversité du nombre. Ce qui est homogène [387] est la cause de ce qui est hétérogène ; l'unité produit la diversité ; l'Un engendre le nombre. Ce fait deviendra plus intelligible à la compréhension de l'étudiant si celui-ci observe la règle d'or qui révèle le mystère de la création et s'il s'étudie lui-même. Le microcosme révèle la nature du macrocosme.

Il découvrira que c'est à lui, l'homme réel ou spirituel, le penseur ou la vie unique en son système infime, qu'incombe la responsabilité de la création de ses corps mental, émotif et physique – ses trois aspects inférieurs, l' "ombre" de la Trinité – tout comme son esprit, son âme et son corps sont les reflets des trois aspects divins, le Père, le Fils et le Saint Esprit. Il découvrira que la formation de tous les organes de son corps proviennent de lui, ainsi que toutes les cellules dont ils sont composés ; puis, lorsqu'il étudiera de plus près son problème, il se rendra compte que sa conscience et sa vie pénètrent tout et sont donc à l'origine de myriades sans nombre de vies infinitésimales ; qu'il est la cause de leur groupement en organes et en formes, et la raison pour laquelle l'existence de ces formes peut se maintenir. Il sentira graduellement se lever en lui une compréhension véritable de ce que signifient les mots "fait à l'image de Dieu". Sa "conscience est une et a cependant produit les formes variées du nombre" dans son petit cosmos. Ce qui est vrai de lui est vrai de son grand prototype, l'Homme céleste, le Logos planétaire et c'est encore vrai du prototype de son prototype, le grandiose Homme céleste, le Logos solaire, Dieu en manifestation à travers le système solaire. [388]

6. Parmi les formes assumées par la conscience, ce qui est le résultat de la méditation est seul affranchi du karma latent.

Les formes résultent du désir. La véritable méditation est un processus purement mental et le désir n'y pénètre pas. Les formes sont le résultat d'une impulsion ou tendance à aller vers l'extérieur. La méditation est le résultat d'une tendance à aller vers l'intérieur, ou la capacité de rétracter la conscience, hors de la forme et de la substance, pour la concentrer en elle-même.

La forme est un effet produit par la nature d'amour ou de désir de l'être conscient ; la méditation est productrice d'effets et se rapporte à l'aspect volonté, ou vie, de l'homme spirituel.

Le désir produit des effets, ainsi que les organes de la conscience sensorielle ; la loi de cause et d'effets, ou karma, surgit alors inévitablement et régit les rapports entre la forme et la conscience. Le processus de méditation, lorsqu'il est bien compris et poursuivi, exige le retrait de la conscience de l'homme spirituel, hors de toutes les formes des trois mondes, et son abstraction de toutes perceptions et tendances sensorielles. Au moment de la méditation pure, il se tient ainsi, affranchi de l'aspect du karma qui se rapporte à la production d'effets. Il est temporairement si abstrait que sa pensée, parfaitement concentrée et sans aucune liaison avec quoi que ce soit dans les trois mondes, ne produit aucune vibration en direction de l'extérieur, ne s'apparente à aucune forme et ne revêt aucune substance. Lorsque cette méditation concentrée devient une habitude et constitue l'attitude normale de sa vie quotidienne, [389] l'homme se libère alors de la loi du karma. Il se rend compte ainsi des effets karmiques restant à liquider et apprend à éviter la création de nouveaux effets, en n'entreprenant aucune activité qui, dans les trois mondes, "créerait des organes". Il demeure sur le plan mental, persévère dans la méditation, crée en vertu d'un acte de la volonté et non à travers l'inconscience du désir ; et il est une "âme libre", un maître, un homme libéré.

7. Les activités de l'âme libérée sont affranchies des couples de contraires. Celles des autres gens sont de trois sortes.

Ce sutra présente l'enseignement se rapportant à la loi du karma, d'une façon strictement orientale et qui risque de plonger dans la confusion l'étudiant d'Occident. L'analyse de ce que signifient ces paroles et l'étude des commentaires qu'en a fait le grand instructeur Vyasa peuvent servir à en élucider le sens. Il faut aussi se rappeler que dans le quatrième livre, nous traitons des stades suprêmes de la conscience atteints par ceux qui ont observé les huit moyens du yoga et expérimenté les effets de la méditation, dont le détail a été donné dans le Livre III. Le yogi est dès lors un homme libre, affranchi des conditions se rapportant à la forme et centré dans sa conscience, hors des liens des trois mondes de l'entreprise humaine. Il a atteint le domaine de la pensée pure et peut garder sa conscience libre de toute contrainte et exempte de désir. En conséquence, bien qu'il formule des idées et puisse se livrer à de puissantes méditations, et bien qu'il puisse diriger et contrôler les "modifications du principe pensant", [390] il ne crée pas de conditions susceptibles de le faire rétrograder dans le tourbillon de l'existence du plan inférieur. Il est délivré du karma et ne donne naissance à rien ; il n'existe donc pas d'effets qui puissent servir à l'attacher sur la roue de la renaissance.

Vyasa, dans son commentaire, indique que le karma (ou action) est de quatre sortes, se présentant à nous comme suit :

1. Le type d'activité qui se rapporte au mal, qui est méchante et dépravée.

Celle ci est appelée noire. Ce genre d'action est le produit de la plus profonde ignorance, de la matérialité la plus dense ou d'un choix délibéré. Lorsqu'elle est le résultat de l'ignorance, le développement de la connaissance suscitera graduellement un état de conscience qui ne connaît plus ce type de karma. Dans le cas où la matérialité dense produit ce que nous nommons l'action erronée, le développement graduel de la conscience spirituelle changera les ténèbres en lumière et le karma sera, là aussi, écarté. Cependant, lorsqu'il est le résultat d'un choix délibéré ou d'une préférence pour l'action erronée en dépit de la connaissance et au mépris de la voix de la nature spirituelle, ce type de karma conduit alors à ce que l'occultiste oriental nommait "avitchi", ou la huitième sphère, terme synonyme de l'idée chrétienne se rapportant à l'état consistant à être une âme perdue. Ces cas sont cependant extrêmement rares ; ils concernent le sentier de gauche et la pratique de la magie noire. Bien que cette condition implique une rupture avec le principe supérieur (entre l'esprit pur et ses deux expressions, l'âme et le corps, ou ses six principes inférieurs), la vie cependant demeure et, après la destruction [391] de l'âme en avitchi, un autre cycle de devenir se présente à nouveau.

2. Le type d'une activité qui n'est ni bonne ni mauvaise et qu'on qualifie de noire et blanche. Elle concerne l'activité karmique de l'homme moyen, que dominent les couples de contraires et dont la vie expérimentale est caractérisée par des oscillations d'avant en arrière entre ce qui est bon, inoffensif et résultant de l'amour, et ce qui est dur, malfaisant et résultant de la haine. Vyasa dit :

"Le noir et blanc est le produit de moyens extérieurs car, dans ce cas, le véhicule des actions croît par la souffrance causée à autrui ou de l'action bienveillante à son égard."

Il est donc clair que la croissance de l'unité humaine et l'ensemble de ses accomplissements, dépendent de son attitude à l'égard d'autrui et de l'action qu'elle exerce sur eux. C'est ainsi que se produit le retour à la conscience de groupe et que le karma est ou constitué ou liquidé. C'est ainsi également que les oscillations du pendule entre ces couples de contraires se régularisent graduellement, jusqu'au moment où, le point d'équilibre étant atteint, l'homme agit correctement en vertu de la loi d'amour de l'âme, prend d'en haut les leviers de commande et n'est plus soumis aux oscillations vers la droite ou la gauche, au gré de l'attraction qu'exerce sur lui le bon ou le mauvais désir.

3. Le type d'activité appelée activité blanche ; c'est le type de la pensée et du travail vivants, que pratiquent l'aspirant et le disciple. Elle caractérise le stade qui, sur le Sentier, précède [392] la libération. Vyasa l'explique comme suit :

"Le blanc est le fait de ceux qui recourent aux moyens d'amélioration, d'étude et de méditation. Ceci, dépendant uniquement du mental et non de moyens extérieurs, ne résulte donc pas d'un tort causé à autrui."

Il est maintenant évident que ces trois types de karma se rapportent directement :

a. Au plan de la matérialité

Le plan physique.

b. Au plan des couples de contraires

Le plan astral.

c. Au plan de la pensée concentrée

Le plan mental.

Ceux dont le karma est blanc sont ceux qui, ayant progressé dans la réalisation de l'équilibre des couples de contraires, sont maintenant engagés en un processus conscient et intelligent de leur propre être, pour s'émanciper hors des trois mondes. Ils y arrivent par :

a. L'étude, ou le développement mental, étayé sur leur estimation de la loi d'évolution et la compréhension de la nature de la conscience ainsi que de sa relation avec la matière d'une part et avec l'esprit d'autre part.

b. La méditation ou contrôle du mental, et par là, la création du mécanisme qui restitue à l'âme la maîtrise des véhicules inférieurs et rend possible la révélation du domaine de l'âme.

c. La non-offense. Aucun mot, aucune pensée ou action ne cause du tort à une forme quelconque à travers laquelle s'exprime la vie de Dieu.

d. Le dernier type de karma est décrit comme n'étant ni noir ni blanc.

Aucun karma d'aucune sorte n'est engendré ; aucun effet n'est mis en jeu par des causes déclenchées par le yogi et pouvant servir à le retenir du côté forme de la manifestation. Agissant, comme il le fait, du point de vue du non-attachement, ne désirant rien pour lui-même, son karma est [393] nul, et de ses actes, ne résultent pour lui aucun effet.

8. De ces trois sortes de karma émergent les formes nécessaires à la maturation des effets.

Dans toute vie entrant en manifestation physique, se trouvent à l'état latent des germes ou semences devant porter du fruit ; ce sont ces semences latentes qui constituent la cause agissante de l'apparence de la forme. Ces graines ont été semées à un moment donné et doivent arriver à maturité. Elles sont les causes, ou shandas, qui produisent les corps dans lesquels les effets doivent travailler à leur propre manifestation. Elles constituent les désirs, les impulsions et les obligations qui retiennent l'homme sur la grande roue qui, tournant sans cesse, fait descendre l'homme dans l'existence du plan physique pour qu'il y porte à maturité le plus grand nombre de semences dont il puisse, en une seule de ses vies, se charger et s'occuper en conformité avec la loi. Ce sont là les germes subjectifs qui produisent la forme au sein de laquelle ils fructifient, mûrissent et arrivent à terme. Si les menaces karmiques sont noires, l'homme sera grossièrement égoïste, matériel et enclin à prendre le sentier de gauche ; si elles sont noires et blanches, elles le dirigeront vers une forme adaptée à la fois au règlement de ses obligations et de ses dettes, à l'accomplissement de ses devoirs, à la bonne marche de ses intérêts et à la réalisation de ses désirs. Si elles sont blanches, elles tendront à construire le corps qui sera le dernier à être détruit : le corps causal, le temple de Salomon, le karana sarira de l'occultiste. À la libération finale, ce corps est détruit [394] lui aussi, et rien alors ne sépare plus l'homme de son Père céleste ; rien ne le relie plus au plan matériel inférieur.

9. Il y a identité de réciprocité entre la mémoire et l'effet producteur de cause, même lorsqu'ils sont séparés par l'espèce, le temps et le lieu.

Une paraphrase de ce sutra pourrait servir à l'élucider et s'exprimerait comme suit : quelle que soit la race, quel que soit le continent, passé ou actuel, sur lequel une vie a été vécue ; quelque distante que cette vie puisse être, ou quel que soit le nombre de millénaires qui ont pu s'écouler depuis lors, l'égo ou âme en garde la mémoire. En temps voulu, et lorsque les circonstances y seront favorables, toute cause alors engendrée doit inévitablement donner naissance à des effets, et ces effets apparaîtront et entreront en activité au cours de quelque vie ultérieure. Rien ne peut s'y opposer ; rien ne peut y faire obstacle. Dans son commentaire, Charles Johnston exprime ce fait comme suit :

"De manière analogue, le même pouvoir sélectif et souverain qui est un rayon du Soi supérieur, rassemble les images mentales, apparentées entre elles, qui proviennent de naissances, de temps et de lieux différents et peuvent être groupées dans le cadre d'une seule vie ou d'un seul événement. Ce groupement suscite des conditions corporelles visibles ou des circonstances extérieures par lesquelles l'âme est instruite et formée.

"Tout comme les images mentales dynamiques du désir mûrissaient en tant que circonstances et conditions corporelles, [395] ainsi les forces infiniment plus dynamiques grâce auxquelles l'âme monte vers l’Éternel, donnent leur fruit en un monde plus beau, en tissant le vêtement de l'homme spirituel."

10. Le désir de vivre étant éternel, ces formes créées par le mental sont sans commencement connu.

Une autre expression peut être employée en corrélation avec les mots "désir de vivre" ; c'est "la volonté d'expérimenter". Ce désir d'être, cette ardente aspiration vers le devenir, cette incitation à prendre contact avec l'inconnu et le distant, sont inhérents aux vies de notre système (les existences supra- humaines et humaines) qui, au sein de la forme, sont conscientes d'elles- mêmes. Une explication de cette incitation serait pour nous incompréhensible, car il s'agit d'une incitation cosmique dépendant du point d'évolution de la grande Vie en qui nous avons la vie, le mouvement et l'être et dans le corps de laquelle chaque forme n'est qu'une cellule ou un atome. Tout ce que l'homme peut faire consiste à construire le mécanisme qui rendra possible cette compréhension, et à développer les pouvoirs qui le mettront à même d'établir un contact, et par là d'entrer en rapports avec ce qui se trouve à la fois hors de lui et en lui. Quand cela lui devient possible, il s'éveille à la réalité et voit ces désirs qui le meuvent et l'incitent à l'action, ces aspirations ardentes qui le jettent en des activités diverses, comme quelque chose qui n'est pas seulement personnel et réel, mais joue aussi son rôle dans l'activité du tout dont il est une infime partie. Il découvre que le flux des images mentales que provoque le désir et qui retiennent son attention, constituent la force déterminante de sa vie, sont [396] formées par lui, mais font aussi partie d'un courant d'images mentales cosmiques qui surgissent dans le Mental universel et résultent de l'activité du Penseur cosmique fonctionnant en tant que Vie de notre système solaire.

La vérité et l'enseignement exposés dans les trois livres précédents s'élèvent ainsi au-dessus du domaine personnel et individuel ; ils deviennent plus larges, plus étendus et d'une portée plus générale. Les images mentales, résultat du désir et de l'activité pensante, sont en conséquence sans commencement connu pour l'unité humaine. Elles l'environnent de tous cotés ; le flux de leur activité s'abat sur elle en tout temps et lui arrache une réaction qui témoigne de l'existence du désir au-dedans d'elle même.

C'est pourquoi l'unité humaine doit se livrer à deux nouvelles activités, dont la première sera de transmuer et transcender les désirs et convoitises qui se trouvent en elle, pour la perception sensorielle, la seconde tâche consistant à s'isoler et à rester à l'écart du charme et de l'influence de ces grands afflux d'images mentales éternellement présentes. Alors seulement pourra-t-il atteindre à l' "état d'Unité isolée" décrit dans le Livre III, Sutra 50.

11. Ces formes sont créées et gardées en état de cohésion par le désir, la cause fondamentale, la personnalité, le résultat effectif, la vitalité

 mentale ou volonté de vivre et le support de la vie ou de l'objet dirigés vers l'extérieur ; en conséquence, lorsque ceux-ci cessent d'exercer une attirance, alors les formes, elles aussi, cessent d'être.

Ce sutra exprime une loi de la nature et il est si clair qu'il [397] n'exige guère d'explication. Il pourrait être utile, cependant, d'analyser brièvement l'enseignement qu'il apporte.

Nous apprenons que quatre facteurs contribuent à l'existence des images mentales, ou formes venant à l'être en tant que résultat de la nature du désir.

1. La cause fondamentale

le désir.

2. L'effet ou résultat

la personnalité.

3. La volonté de vivre

la vitalité mentale.

4. La vie dirigée vers l'extérieur

l'objet.

Quand la cause – le désir – a produit son effet, c'est-à-dire la personnalité ou aspect forme de l'homme, la forme persistera aussi longtemps que durera la volonté de vivre. Elle est maintenue en manifestation par la vitalité mentale. Ceci a été démontré à maintes reprises dans les annales de la médecine, car il a été prouvé que le temps pendant lequel persiste la volonté déterminée de vivre représente la durée probable de la persistance de la vie sur le plan physique ; mais qu'à l'instant où cette volonté se retire et que l'intérêt de l'habitant du corps n'est plus centré sur la personnalité en manifestation, la mort s'ensuit et la désintégration de cette image mentale – le corps – a lieu.

Il est intéressant de noter le sens occulte contenu dans les mots "le support de la vie ou de l'objet dirigés vers l'extérieur", car il justifie l'enseignement occulte selon lequel l'influx vital s'en va vers le bas à partir de sa cause première et trouve son objet, ou sa manifestation finale, dans le corps vital ou éthérique qui est la substance véritable de toute forme et constitue le support ou échafaudage du véhicule physique dense.

Les quatre facteurs ci-dessus peuvent être à juste titre [398] divisés en deux groupes, ou couples de contraires : la cause et l'effet, la volonté d'être et la forme proprement dite ou objectivation.

Pendant une longue période du processus évolutif l'objectivation, ou existence forme, constitue le seul intérêt de l'habitant intérieur, et la vie dirigée vers l'extérieur devient l'unique centre d'attraction.

Mais au fur et à mesure que tourne la roue et qu'une expérience fait place à

 une autre, la nature du désir en arrive à la satiété et se trouve satisfaite ; l'élaboration d'images mentales et les effets qu'elles produisent disparaissent ainsi peu à peu. En conséquence, la forme cesse d'être, la manifestation n'est plus recherchée et la libération s'ensuit, hors de la maya ou illusion.

12. Le passé et le présent existent en réalité ; la forme assumée dans le concept temporel du présent est le résultat du développement de certaines caractéristiques et elle contient en elle les semences latentes de la qualité future.

Dans ce sutra, les trois aspects de l’Éternel Maintenant nous sont exposés ; on y voit que ce que nous sommes aujourd'hui est le produit du passé et que ce que nous serons dans l'avenir dépend des semences, soit latentes et cachées, soit semées au cours de la vie présente. Ce qui a été semé dans le passé existe et rien ne peut empêcher ces semences de parvenir à maturité, rien ne peut leur faire obstacle. Elles devront, ou porter du fruit en cette vie présente, ou rester cachées jusqu'au jour où un soi plus approprié et des conditions plus favorables puissent les faire germer, croître, se développer et fleurir [399] dans la claire lumière du jour. Rien n'est caché ou dissimulé qui ne doive être révélé ; rien n'est secret qui ne doive être connu. Cependant, un semis de nouvelles graines, la mise en jeu d'activités devant porter du fruit à une date ultérieure, est une chose différente et plus entièrement placée sous le contrôle de l'homme. Par la pratique de l'impassibilité et du non-attachement, et grâce à un effort acharné en vue de maîtriser la nature du désir, il devient possible à l'homme de se réorienter de telle sorte que son attention ne soit plus attirée vers l'extérieur par le flux des images mentales, mais s'en retire pour se fixer uniquement sur la réalité.

Cette tentative est en premier lieu constituée par la maîtrise du véhicule de la pensée, le mental, et la conquête des modifications du principe pensant ; puis le travail se poursuit par l'utilisation de ce mécanisme et son emploi dans les directions voulues et en vue d'obtenir la connaissance du domaine de l'âme, venant remplacer celle ressortissant au domaine de la matière. Ici encore, la libération est ainsi réalisée.

13. Les caractéristiques, qu'elles soient latentes ou actives, participent de la nature des trois gunas (les trois qualités de la matière).

Ces caractéristiques sont en réalité les qualités, les capacités et les facultés que l'homme manifeste ou peut manifester (dans des conditions qui soient favorables). Elles constituent, comme nous l'avons vu, le résultat ou les effets de toute son expérience passée, s'échelonnant sur l'ensemble du cycle des vies, jusqu'à la vie présente. Le résultat des contacts, des [400] perfectionnements et des développements qui ont régi l'homme dès l'aube de son individualité jusqu'au cycle de vie actuel, produit ce qu'il est et ce qu'il possède dans le présent. Il faut garder à l'esprit le fait que tous ces facteurs groupés sous l'appellation générale de "caractéristiques", se rapportent à la forme et à sa faculté de réaction à la vie spirituelle qui l'habite.

Elles sont produites sitôt que l'Habitant intérieur peut mettre son empreinte sur la substance de ces formes, les plier à sa volonté et les soumettre. La forme est sujette à certaines activités vibratoires qui lui sont propres, étant inhérentes à sa nature même. Par l'identification avec la forme et par son utilisation, l'Habitant développe en lui un double jeu de caractéristiques. L'un deux se manifeste dans la forme du soi inférieur et concerne la faculté d'adaptation de la forme à l'influence intérieure et à l'entourage extérieur. L'autre concerne les tendances, les impulsions et les désirs dont la tendance affecte continuellement le corps du Soi supérieur, ou causal. C'est pourquoi ces caractéristiques se rapportent, dans les deux cas, au rythme, ou gunas, de la matière.

Ce que nous sommes, pourrait-on dire, constitue le produit du passé et apparaît en tant que caractéristiques de la forme ou de la personnalité. Ce que nous serons dans la prochaine incarnation se détermine en fonction de l'aptitude qu'a l'homme réel à influencer ce soi personnel, de le plier à des fins supérieures et à élever son taux de vibration. L'homme qui entre en incarnation est une chose ; il en est une autre lorsqu'il abandonne l'incarnation, car il est alors le produit du passé, auquel s'ajoutent les réalisations de la vie présente ; et ces réalisations, étant soumises à la grande impulsion évolutive, l'ont obligatoirement fait avancer vers un état harmonieux, [401] sattvique ou rythmique, loin de l'état tamasique d'inertie et d'immobilité. Ceci s'accomplit par la mise en œuvre des caractéristiques de l'activité, la guna médiane, qui a particulièrement sous son contrôle l'activité dirigée vers l'extérieur et conduit l'homme vers l'expérience sensorielle.

14. La manifestation de la forme objective est due à la concentration sur un seul point de la cause productrice (l'unification des modifications de la chitta ou substance mentale).

L'impulsion vers l'involution ou vers le revêtement d'une forme est un résultat de la pensée égoïque, si prédominante et si fortement concentrée sur un seul point, qu'elle rend inévitable la manifestation objective. La chitta ou substance mentale (dans le grand processus d'appropriation de la forme) est si complètement unifiée, et le désir de l'expérience par contacts sur le plan physique est si prédominant, que les nombreuses modifications du mental sont toutes orientées vers le même objet.

Lorsque la condition est inverse et que l'homme, sur le plan physique, accomplit sa propre libération, il agit également et par la même méthode de concentration et d'unification sur un seul point. Certaines lignes, extraites de l'ancien commentaire et se rapportant au symbolisme de l'étoile à cinq pointes, rendent ceci très clair. Les voici : [402]

"La plongée se fait vers le bas, dans la matière. La pointe descend, s'enfonce à travers la sphère aqueuse et perce ce qui apparaît indistinctement, immobile, obscur, silencieux et distant. La pointe de feu et la pierre s'unissent ; l'harmonie et l'union sont atteintes sur le sentier descendant.

"L'envolée se fait vers le haut, dans l'esprit. La pointe monte, entraînant les deux qui sont en arrière et étendant la troisième et la quatrième vers ce qui se trouve derrière le voile. L'eau ne parvient pas à éteindre la pointe de feu : ainsi le feu rencontre le feu et la fusion s'accomplit. L'harmonie et l'union, sur l'arc descendant, sont réalisées. Ainsi, le soleil s'en ira vers le Nord."

15. Ces deux choses : la conscience et la forme, sont distinctes et séparées ; bien que les formes puissent être semblables, la conscience peut fonctionner sur différents niveaux de l'être.

Ce sutra ne devrait pas être considéré indépendamment du suivant, qui affirme que le Mental unique – ou la Vie unique – est la cause puissamment active de tout ce qui, à une moindre échelle, est mental et vie. Ce fait doit toujours être gardé à l'esprit. Ce sutra comporte donc trois idées majeures.

Premièrement, l'idée qu'il existe, dans l'évolution, deux grandes lignes ; celle concernant la matière et la forme, et celle concernant l'âme, l'aspect conscience, le penseur en manifestation. Sur chacune d'elles, le sentier du progrès diffère et chacune suit son cours. L'âme, comme il a été dit, s'identifie pendant un temps très long avec l'aspect forme et s'efforce de suivre le Sentier de la Mort car c'est en fait ce que le sentier noir représente pour le penseur. Plus tard, grâce à un effort acharné, cette identification cesse ; l'âme prend conscience d'elle-même et de son propre sentier ou dharma, et suit alors la voie de la lumière et de la vie.

Il ne faut cependant jamais oublier que, pour les deux aspects, leur propre sentier est le bon et que les impulsions qui se [403] dissimulent dans le véhicule physique ou le corps astral, ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. Vues sous certains angles, elles deviennent mauvaises lorsqu'elles sont détournées de leur usage correct. Dans le Livre de Job, c'est la conscience que le disciple avait de ce fait qui l'incita à crier sa peine en disant : "J'ai perverti ce qui était juste." Les deux lignes de développement sont séparées et distinctes, et c'est cela que chaque aspirant doit apprendre.

Quand ceci est compris, il cherche à seconder l'évolution de ses formes de deux façons ; d'abord en refusant de s'identifier avec elles, et ensuite en les stimulant.

Grâce à l'apport de la force spirituelle, il prend conscience également du point de l'évolution où se trouvent ses frères, et il cesse de critiquer chez eux ce qui, pour lui, serait une action mauvaise, mais qui pour eux, constitue l'activité naturelle de la forme pendant le cycle où la forme et l'âme s'identifient et sont considérées comme une seule et même chose.