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CHAPITRE I LA REHABILITATION PSYCHOLOGIQUE DES NATIONS

LA REHABILITATION PSYCHOLOGIQUE DES NATIONS

Ce problème est bien plus compliqué et plonge plus profond qu'il ne paraît au premier abord. S'il s'agissait simplement des psychoses nationales et des conditions mentales causées par la guerre et le fait d'y avoir participé activement, le problème serait déjà sérieux, mais le retour à la sécurité rendrait sa solution aisée, avec un sain traitement psychologique des diverses nationalités, la réhabilitation physique et une liberté d'action retrouvée, des loisirs, enfin, par-dessus tout, l'organisation des hommes et des femmes de bonne volonté. Ce dernier groupe se montrerait disposé à entreprendre les rééducations nécessaires et, chose bien plus importante, ils s'efforceraient de transmettre l'inspiration spirituelle, dont l'humanité a un si urgent besoin à l'heure actuelle. Il se trouve assez d'hommes et de femmes de bonne volonté de par le monde aujourd'hui pour accomplir cette tâche, à condition de pouvoir les atteindre, les inspirer et les encourager dans leurs efforts, autant matériellement que spirituellement.

La situation est bien plus difficile qu'une analyse superficielle ne le laisserait croire. L'origine de ce problème psychologique remonte à plusieurs siècles ; inhérent à l'âme particulière de chaque nation, il conditionne puissamment aujourd'hui toutes leurs populations. Là réside notre principale difficulté et elle ne cédera pas aisément sous les efforts, même spirituels, qu'ils soient entrepris par les églises constituées – et elles manifestent un regrettable manque de compréhension à cet égard – ou par des groupes ou individus aux intérêts spirituels.

Je ne souhaite pas commencer ce chapitre en induisant mes lecteurs en tentation de pessimisme : néanmoins, le travail à [29] accomplir est si pressant et les périls encourus si on le négligeait, si effroyables, que je me vois obligé d'indiquer les principaux points névralgiques et certaines aptitudes nationales, qui constituent une menace à la paix du monde. Ces problèmes se répartissent naturellement en deux catégories :

I. Les problèmes psychologiques internes de chaque nation ;

II. Les problèmes mondiaux les plus importants, comme par exemple les rapports entre nations, monde des affaires et forces ouvrières.

La guerre éclata par la faute d'une nation occidentale et d'une nation orientale. La faiblesse et la négativité du peuple allemand la rendirent possible, car elles l'ont poussé, depuis plusieurs générations à accepter le contrôle dominateur d'un groupe national : le parti militaire. Il en alla de même en Orient, à cause de l'attitude négative du peuple japonais, persuadé de son origine divine et entièrement soumis à son divin empereur. Donc, le Japon proposa aux peuples asiatiques sa théorie de la Sphère de Coprospérité, en pensant obéir à sa mission divine. Les Allemands se proclamaient des surhommes et croyaient par conséquent devoir déterminer le destin des nations occidentales. La caste militaire au pouvoir s'empara de ces idées pour exploiter les masses, qui ne raisonnent point. Aussitôt apparut une situation psychologique bien déterminée. Quand pareille attitude se manifeste dans une famille, ou dans une communauté, accompagnée d'actes violents et qui compromettent la sécurité d'autrui, l'individu se voit bientôt enfermé dans une maison de santé, pour la protection de son entourage. Quand une nation entière, peuplée de millions d'individus, agit et pense de cette manière, la situation n'est pas si simple.

Mon prochain argument, c'est que l'occasion offerte à ces deux nations de détruire la sécurité du monde et de plonger l'humanité dans les horreurs et l'agonie d'une double guerre mondiale (1914-1945) est aussi due aux faiblesses psychologiques, à l'égoïsme et à une indifférence innés chez les autres nations et à d'autres défauts encore, dont aucun pays n'est indemne.

La force combinée des nations du monde aurait pu arrêter l'Allemagne à n'importe quel moment, si l'unité de vues avait existé et si leurs propres faiblesses psychologiques et leurs défauts inhérents ne les avaient empêchées de saisir clairement les risques encourus. Elles ne se sentaient pas enclines à sauver [30] l'humanité, s'il devait leur en coûter quelque chose et leur aveuglement était tel, qu'elles ne firent pas un geste pour empêcher ces deux nations agressives de tenter leur chance de tout conquérir. Donc, avant que le monde puisse devenir plus sûr, plus clément, plus sain et plus beau, toutes les nations doivent non seulement prendre les mesures voulues pour rendre impossible au peuple allemand toute nouvelle agression, mais aussi faire leur examen de conscience et commencer par s'occuper de leurs propres faiblesses et de leurs complexes. Le problème à résoudre présente trois aspects :

1. Chaque nation doit viser à une solide santé mentale et s'efforcer de réaliser des objectifs psychologiques salutaires :

2. Il faut arriver à l'unité internationale et la baser non seulement sur la confiance réciproque, mais aussi sur des objectifs mondiaux corrects et une véritable compréhension psychologique.

3. L'application de mesures de correction, qui s'imposent du point de vue disciplinaire et préventif. L'Allemagne et le Japon doivent être rééduqués et dressés de manière à devenir finalement des membres dignes et utiles de la grande famille des nations.

Il n'entre pas dans mes intentions d'examiner les difficultés psychologiques des diverses nations du point de vue historique. Une abondante littérature existe là-dessus et les nations aiment à connaître les faiblesses et les fautes des autres, tout en ignorant les leurs. Ceux que cela intéresse peuvent trouver dans de nombreux ouvrages les éclaircissements historiques nécessaires et l'explication des causes de la dernière guerre. L'Allemagne et le Japon la précipitèrent, sans aucun doute ; ces deux nations sont responsables des horreurs qui en résultèrent ; néanmoins, les faiblesses, les défauts et les stupidités de toutes les autres ont rendu cette catastrophe possible. Je cherche seulement à montrer la direction des réformes psychologiques à instaurer, si les générations futures doivent vivre en paix, si la chance d'une existence heureuse doit leur être offerte et celle d'exercer une activité créatrice dans une atmosphère de sécurité. On a beaucoup écrit sur les fautes de l'Allemagne et du Japon et de nombreux projets existent pour les réprimer. Je suggérerai en outre qu'il conviendrait de réfréner en même temps les défauts des Nations Unies.

Avant de considérer les défauts des nations alliées et pour [31] me protéger, je ferai remarquer que les généralités – et j'y recourrai pour parler clair et net – ne permettent pas de rendre justice aux cas individuels ; pourtant, la vérité sur le groupe ou la nation où se trouve l'individu peut s'évaluer correctement et avec exactitude.

Il est entendu que tous les Allemands ne sont pas mauvais, tous n'ont pas cédé au nazisme, tous n'ont pas adoré Hitler en lieu et place de Dieu, tous ne désiraient pas dominer le monde. Cependant, et voilà le drame du peuple allemand, la vaste majorité acceptait avec soumission et faiblesse la doctrine nazie et ses conséquences. Son effet général était d'une nation devenue insensée, d'un peuple saisi de frénésie et prêt à perpétrer d'indicibles cruautés parce qu'elle avait accepté ses chefs et effectuait ce qu'ils lui ordonnaient. Cela illustre bien ce que j'entendis pour les généralisations, qui, vraies dans l'ensemble, peuvent induire en erreur au sujet d'une minorité ou de l'individu. Je voudrais qu'on s'en souvienne et qu'on en tienne compte en lisant le reste de ce chapitre.

En considérant les défauts psychologiques et la possibilité d'y remédier chez les autres nations (car je ne puis traiter que de certaines d'entre elles), il faut aussi se rappeler que je n'écris pas dans un esprit pessimiste, mais en m'appuyant sur une foi inébranlable dans la gloire de l'esprit humain. J'écris avec la ferme conviction qu'à la fin, l'âme humaine émergera triomphante de tous ses défauts éphémères et des circonstances. Partout, hommes et femmes luttent individuellement pour devenir meilleurs ; dans chaque nation se forment des groupes animés du même motif. Cet élan les pousse en avant, vers une plus grande beauté d'expression, de caractère et de conditions d'existence. C'est l'éternelle caractéristique de l'humanité et la plus marquante. Aux stades précédents de l'histoire raciale, cette aspiration se manifestait par le désir d'améliorer les circonstances matérielles et le milieu ; aujourd'hui, elle s'exprime par une exigence de beauté, de loisir, de culture ; elle réclame la possibilité de travailler dans un sens créateur et passe graduellement, mais inévitablement, au stade où de justes relations humaines prennent une importance primordiale, en suscitant la disposition au sacrifice. Finalement, cette aspiration innée engage à chercher Dieu ; alors l'individu devient, non seulement un homme de bonne volonté, mais aussi un aspirant spirituel, qui aime Dieu (selon sa formule particulière) et son prochain aussi, par conséquent. Alors s'ouvre le sentier qui mène à Dieu. Plus tard, le centre de lumière sera découvert. [32]

Ce qui vaut pour l'individu, vaut éternellement pour les nations et la même espérance d'illumination et de futur triomphe spirituel est annoncé pour elles aussi.

Aujourd'hui une grande et unique chance s'offre à chaque nation. Jusqu'alors le problème de l'intégration psychologique, d'une vie intelligente, d'une croissance spirituelle et de la révélation divine a été examiné du seul point de vue de l'homme, comme unité. Les conquêtes scientifiques de l'humanité, dues au développement de l'intellect humain, permettent maintenant de penser en termes bien plus vastes et de considérer l'humanité dans une perspective plus vraie. Notre horizon se prolonge à l'infini, notre vue n'est plus accommodée au premier plan immédiat. L'unité familiale est à présent située dans ses rapports avec la communauté, et la communauté reconnue comme partie intégrante et effective de la ville, de l'État, de la nation. Vaguement et inefficacement encore, nous projetons cette même conception dans le domaine des relations internationales. Les penseurs du monde entier raisonnent à l'échelle internationale et c'est la garantie de l'avenir, car seules des idées plus larges rendront possibles la fusion de tous les hommes, partout, la naissance de la fraternité et la réalisation de l'humanité, en fait, dans notre conscience. La plupart des hommes pensent aujourd'hui à l'échelle de leur propre patrie ou de leur groupe et c'est leur conception la plus vaste. Ils ont dépassé le stade de leur bien-être physique et moral personnel et envisagent la possibilité d'ajouter leur quote-part d'utilité et de stabilité au patrimoine national. Ils cherchent à collaborer, à comprendre et à contribuer au bien de la communauté. Le cas n'est pas rare et cette description répond à des milliers de citoyens dans toutes les nations. Pareil esprit et pareille attitude caractériseront un jour les nations entre elles. Il n'en va pas encore ainsi et une psychologie bien différente est de règle. Les nations – et je le dis sans restriction mentale – cherchent et exigent le meilleur pour elles mêmes, sans s'inquiéter de ce qu'il en coûtera aux autres. Elles jugent cette conduite correcte et caractéristique du bon citoyen. Elles sont influencées par des haines et des préjugés, dont beaucoup sont maintenant aussi injustifiées qu'un langage obscène dans une réunion de prières. Les nations sont divisées et déchirées par des querelles intestines à propos des barrières raciales, des différences de partis, des attitudes religieuses. Le désordre s'ensuit, inévitable, et à la fin, un désastre. Les citoyens de la majorité des pays se distinguent par un [33] nationalisme intense, agressif et vantard, surtout dans leurs rapports réciproques. Cela attise l'antipathie, la méfiance et détruit les justes relations humaines. Toutes les nations (et j'entends bien toutes) se rendent coupables de ces attitudes, exprimées selon leurs divers génies ou leurs cultures particulières. Je désirais commencer par de telles prémisses. Toutes les nations, comme toutes les familles, comprennent des groupes ou des individus reconnus comme fauteurs de troubles par les autres, dont les intentions sont bonnes. Dans la communauté internationale existent des nations qui, depuis longtemps, causent des désordres. À présent, le motif guidant toutes les nations est l'égoïsme ; toutefois, quelques-unes entrevoient un but d'existence supérieur.

Le problème de l'action et des réactions des nations entre elles est surtout d'ordre psychologique, sans l'être entièrement. L'âme nationale exerce une influence puissante. La forme de pensée nationale, édifiée à travers les siècles par les idées, les buts, les ambitions d'une nation, constitue son objectif idéal et conditionne son peuple d'une manière extrêmement efficace. Un Polonais, un Français, un Américain, un Indien, un Britannique ou un Allemand se reconnaissent aisément, où qu'ils se trouvent. Cette identification est basée non sur le seul aspect, l'intonation, les coutumes, mais d'abord sur l'attitude mentale, les manières, le sens de la proportion propres à chaque nationalité. Ces indications expriment la réaction à la pensée nationale particulière, imprimée à l'individu durant son éducation. Si cette réaction crée un bon citoyen, prêt à coopérer dans les limites nationales, elle est bonne et désirable. Si elle le rend agressif, arrogant, critique à l'égard des nationaux d'autres pays, séparatif dans ses idées, il contribue alors à la désunion mondiale et aux conflits internationaux. Il menace la paix du monde. Le problème devient, dès lors, une question où tous les peuples sont impliqués. Les nations peuvent être – et sont souvent – antisociales et chaque nation compte en son sein certains éléments antisociaux.

Il est sage pourtant de se souvenir que ce stade du nationalisme avec son long passé, prédisposant à l'agression, à l'avidité, à l'intérêt personnel et à l'orgueil et fierté nationaux, est la preuve d'un processus d'évolution satisfaisant. C'est une garantie du développement futur de la race des hommes. Les individus traversent des stades similaires en s'acheminant vers l'utilité au groupe et à la prise de conscience du groupe. L'intérêt égoïste est caractéristique de la plupart des hommes [34] actuels, avec les faiblesses qui en découlent. Pourtant, de nombreux individus existent dans tous les pays, pour qui ces attitudes égocentriques sont dépassées et beaucoup s'intéressent davantage au bien public et national qu'à eux-mêmes. Quelques-uns, très rares par rapport à la masse des hommes, pensent à l'échelle internationale et se préoccupent de bien-être pour l'humanité entière. Ils désirent ardemment la reconnaissance de la notion d'Un Seul Monde, d'Une Seule Humanité.

Le stade de l'égoïsme national et du ferme propos de préserver l'intégrité nationale, souvent interprétée en termes de frontières et d'expansion commerciale, doit peu à peu disparaître. Les nations doivent arriver finalement à une réalisation plus bénéfique et au point où elles regarderont leurs cultures nationales, leurs ressources propres et leurs capacités de servir l'humanité comme des contributions à consacrer au bien commun. L'insistance sur les possessions matérielles et un vaste territoire ne sont pas signes de maturité. Se battre pour les défendre ou les agrandir marque une mentalité d'adolescents. L'Allemagne et l'Italie manquent de maturité au point de vue de l'intégration comme nation et comme civilisation. À peine l'humanité devient-elle adulte ; elle commence seulement à montrer un sens plus large de ses responsabilités, la capacité de s'attaquer à ses problèmes et à avoir des idées plus généreuses. La dernière guerre était symptomatique du défaut de maturité, d'un raisonnement adolescent, d'émotions puériles et sans retenue, d'exigences à l'égard du bien d'autrui, chez les nations antisociales. Comme des enfants, elles crient "pour en avoir encore".

L'Allemagne et le Japon offraient l'exemple d'un pareil état d'esprit. L'intense isolationnisme et la politique de "n'y pas toucher" de certains groupes aux États-Unis, les exigences d'une Australie ou d'une Afrique du Sud "blanches", le slogan "l'Amérique aux Américains", l'impérialisme britannique, ou la France réclamant la considération en présentent d'autres exemples. Tous indiquent une semblable incapacité de raisonner avec des vues plus larges, ils expriment une irresponsabilité devant le monde et impliquent aussi la puérilité d'une race qui ne réussit pas à mesurer la grandeur du tout, dont chaque nation fait partie. La guerre et de constantes prétentions aux frontières nationales, basées sur l'histoire ancienne, cette insistance sur les possessions matérielles aux dépens d'autres peuples apparaîtront un jour aux yeux d'une race plus mûre pareille aux disputes enfantines pour un jouet [35] favori. Le cri provoquant : "Ceci est à moi !" cessera un jour de retentir. En attendant, cet esprit infantile d'agression avait mené à la guerre de 1914-1945. Dans mille ans, l'histoire la considérera comme le comble de l'égoïsme puéril, déclenchée par des enfants avides qui ne pouvaient abandonner leurs attitudes agressives, parce que d'autres nations étaient encore assez naïves pour adopter la manière forte à l'apparition des signes précurseurs de la guerre.

La race, au terme de la guerre, se trouva devant une nouvelle crise, où l'occasion se présentait de saisir l'importance des valeurs nouvelles, où l'établissement de justes relations humaines apparaissait comme désirable, non seulement du point de vue idéal, mais aussi sous un angle purement égoïste. Un jour, les principes de collaborations et du partage se substitueront à ceux de l'avidité possessive et de la concurrence.

Je viens de décrire le prochain, l'inévitable progrès de l'humanité, celui auquel tout le processus évolutif l'a préparée C'était contre la réalisation de ces attitudes neuves et souhaitables que les forces du mal (tout aussi réelles que les Forces de Lumière) se sont acharnées à l'aide de l'Allemagne et du Japon, dont la tendance innée est de se rallier à ces dangereux idéaux.

Laissez-moi vous rappeler ici que cela est vrai de toutes les nations, bien qu'à un moindre degré. Dans chacune existent des éléments sensibles aux principes qui ont engendré l'esprit allemand. Ces groupes, dans chaque pays, prolongèrent la guerre en brouillant les questions principales par leur nationalisme intense et leur sentiment de supériorité. En produisant la désunion, ils ralentissaient l'effort pour la victoire. L'égoïsme et leur propre intérêt empêchèrent aussi plusieurs nations de se ranger aux côtés des Forces de Lumière. Préservant une neutralité égoïste, elles prolongèrent de plusieurs années la durée de la guerre. Si, dès l'entrée de l'Allemagne en Pologne et lors de la déclaration de guerre de la France et de la Grande-Bretagne qui s'ensuivit, toutes les nations civilisées du globe, sans exception, avaient aussi déclaré la guerre à l'Allemagne et réuni leurs forces pour défaire l'agresseur, n'est-il pas possible que la guerre eût duré moins longtemps ? La politique intérieure, les jalousies internationales, les vieilles haines et méfiances, la crainte et le refus de regarder les faits en face suscitèrent la désunion. Si toutes les nations avaient vu clair et s'étaient débarrassées de leur égoïsme individuel en 1939, [36] la guerre se fût terminée bien plus tôt. Si toutes les nations avaient passé à l'action aussitôt après l'entrée du Japon en Mandchourie, ou la pénétration de l'Italie en Éthiopie, une guerre, qui a dévasté la totalité de la planète, n'aurait pas été possible. De ce point de vue, aucune nation n'est sans reproche.

J'ai essayé d'éclaircir ce point, afin qu'en considérant le monde d'après- guerre, nous raisonnions juste et commencions à prendre les mesures qui, avec le temps, conduiront à la sécurité du monde. Cette période future, car elle viendra sûrement, doit être envisagée par chaque nation avec un juste sentiment de sa propre responsabilité et de sa défaillance psychologique innée. Il est toutefois bien plus difficile d'admettre qu'aucune nation, sa patrie comprise, n'a les mains nettes et que toutes sont coupables d'avidité, de vol, de séparativité, d'orgueil et de préjugés comme aussi de haines nationales et raciales. Toutes ont beaucoup de comptes internes à régler, qu'elles doivent liquider, tout en s'efforçant au-dehors de rendre le monde meilleur et plus habitable. Cet état d'esprit doit devenir mondial, appuyé sur le principe du bien général, où les valeurs supérieures aux bénéfices individuels ou nationaux soient estimées, où le peuple, formé au civisme national, apprenne aussi ses responsabilités de citoyen du monde. Est-ce trop idéaliser le tableau ? Je ne le pense pas. La garantie de sa réalisation est que des milliers raisonnent aujourd'hui conformément à ces principes idéalistes. Des milliers d'hommes élaborent les plans d'un monde meilleur et par milliers, ils discutent de cette possibilité. Toutes les idées émanant du divin, en l'homme et dans la nature, deviennent finalement des idéaux, même s'ils se déforment légèrement en cours de route, ils finissent par devenir les principes qui gouvernent les masses. Tel est le développement véritable du processus historique.

Une brève étude des quelques ajustements psychologiques à réaliser par les nations à l'intérieur de leurs frontières, présenterait quelque utilité, car réforme bien ordonnée commence par soi-même. Considérons donc l'image du monde pour en tirer une vision nouvelle, car le verset de la Bible : "Là où manque la vision, le peuple périt" est bien fondé scientifiquement.

L'histoire relate un long passé de batailles, de guerres, de déplacements de frontières, de découvertes de terres nouvelles, suivies promptement par leur annexion, impliquant la soumission des populations indigènes, parfois pour leur plus grand bien-être, mais toujours inexcusable. L'esprit nationaliste [37] et sa croissance forment le fond de l'histoire moderne, enseignée dans nos écoles, où l'orgueil national est alimenté et engendre des hostilités entre pays, des haines raciales et des jalousies. L'histoire se préoccupe des lignes de démarcation entre pays et du genre de gouvernement établi dans chacun d'entre eux. Ces lignes de démarcation sont férocement gardées et les passeports, institués au cours de ce siècle, représentent la cristallisation de ce principe. L'histoire de chaque nation reflète une détermination implacable de protéger ses frontières à n'importe quel prix, de garder sa civilisation et sa culture intactes, de les accroître si possible, mais de ne rien partager avec aucune autre nation, sauf pour en tirer un profit commercial, réglementé par une législation internationale. Et cependant, l'humanité forme un tout et les produits du sol appartiennent à tous. Pareille attitude n'a pas seulement encouragé le sens séparatif, mais a conduit à l'exploitation des groupes plus faibles par les plus forts et à la ruine économique des masses par une simple poignée de groupes puissants. Ceci posé, je vais essayer de traiter du septième problème, le dernier, parce que sa solution écarterait une des principales causes de guerre et de misère.

L'habitude invétérée de penser et de réagir en masse est difficile à vaincre. C'est là que se livre la bataille la plus acharnée dans notre monde d'après- guerre. L'opinion publique doit être rééduquée. Déjà, les nations reviennent à leurs modes de conduite et de pensée caractéristiques, si profondément ancrés depuis des générations. Permettez-moi d'être plus explicite ; et si mes dires causent quelque irritation à mes lecteurs de n'importe quelle nationalité, ou provoquent de plausibles excuses, qu'ils se souviennent que, dans l'intérêt général, il faut regarder notre passé en face, reconnaître les tendances nouvelles, renoncer aux vieilles et fâcheuses façons de penser et d'agir si, dans un avenir proche l'humanité ne doit pas descendre plus bas encore que pendant la dernière guerre.

Dans tous les pays, les voix de l'ordre ancien et les exigences des réactionnaires s'élèvent et les demandes de certains groupes radicaux s'y ajoutent. Établies depuis si longtemps, les voix conservatrices impressionnent et l'humanité lasse laissera prendre toutes les mesures réclamées par les conservateurs, sauf si ceux qui sont dotés d'une vision nouvelle réagissent avec sagesse et rapidité. Jusqu'à présent, il n'en existe que trop peu d'indices. [38]

LA FRANCE

À grands cris, la France réclame que justice soit rendue à son antique gloire, que son ancienne tâche de représenter l'influence prépondérante dans la vieille civilisation européenne ne soit point oubliée et que la France soit sauvegardée et protégée. Elle exige que rien ne se fasse sans la consulter. Pourtant la France donne depuis des dizaines d'années le spectacle de la désunion, de la corruption et de la vénalité politiques. Elle a toujours manifesté un vif attachement et un violent désir à l'égard des satisfactions matérielles, se glorifie de son réalisme et non d'un idéalisme spirituel, substituant le brio de l'intellect et une perception scientifique aiguë aux réalités subjectives. Sa débâcle de l'été 1940 a-t-elle enseigné à la France que les valeurs de l'esprit doivent remplacer celles qui, jusqu'à présent, ont dicté sa conduite ? Comprend-elle qu'elle doit regagner le respect du monde, perdu lors de sa reddition et de son essai de collaborer, qui la révélèrent plus faible que des nations bien plus petites, mais qui luttèrent jusqu'à ce que la défaite leur fût imposée ? La France peut-elle émerger de ces épreuves purifiée et capable de manifester une nouvelle façon de penser en termes de relations internationales sans égoïsme, et non plus dans les seuls termes d'une civilisation matérielle, admirablement exprimée par elle durant tant de siècles ? Elle le peut et y parviendra. Son brillant intellect, appliqué à l'étude des questions spirituelles, peut dépasser le niveau des recherches d'intelligences de moindre envergure ; cette perception nette et son talent de traduire la pensée en formules concises et claires comme cristal seront précieux pour amener beaucoup de monde à la compréhension des vérités éternelles. Lorsque la France, ai-je dit ailleurs, aura trouvé son âme spirituelle et sans se contenter que de l'intellect, elle s'affirmera comme l'instrument d'une révélation sur la nature de l'âme humaine. La France en a montré la nature dans le passé, au stade du plus intense individualisme égoïste. Éprouvée par le feu et la souffrance, la France manifestera plus tard les qualités de l'esprit humain.

Remplacer la suprématie des valeurs matérielles, l'insistance emphatique sur l'importance de la France dans le monde par la compréhension de l'importance de l'attitude internationale envers la France, et celle des relations humaines désintéressées, tel est, en bref, le problème psychologique qui se pose [39] actuellement à la France et que plusieurs de ses meilleurs penseurs ont bien saisi. La France peut-elle apprendre à raisonner, compte tenu de ce qui se passe au-delà de ses frontières, ou va-t-elle continuer à "penser français" exclusivement ? Voilà des questions auxquelles elle doit répondre.

L'ALLEMAGNE

Le principal défaut du peuple allemand est son extrême négativité, qui en fait le peuple le plus facile à "conditionner" de tous les temps. La capacité d'accepter la dictature et la propagande sans discussion, ni révolte, dans un profond sentiment d'infériorité, s'y ajoute. Le peuple allemand se laisse, par conséquent, facilement exploiter et convaincre par ceux qui savent hurler et menacer. Il est facile à enrégimenter.

Pour combattre cette négativité, il faut consacrer des soins attentifs à entraîner l'individu à penser et agir avec indépendance, à prôner par-dessus tout, ses propres idées dans un esprit de bonne volonté. Telle doit être la note dominante pour la future éducation du peuple allemand. Grâce à cela et à une propagande idéaliste bien faite, le peuple allemand peut reprendre le droit chemin, s'habituer à raisonner juste avec la même facilité qu'il s'était laissé entraîner à de mauvaises habitudes et à un raisonnement pervers et séparatif. L'enrégimentement de l'Allemagne ne saurait encore cesser de longtemps, mais l'orientation doit être complètement changée. Leur principal problème psychologique est d'admettre leurs relations avec tous les autres peuples sur un pied d'égalité. Une des plus grandes difficultés à résoudre pour l'O.N.U. est de soutenir un chef bon et fort, capable d'imposer l'enrégimentement dans un esprit de compréhension et de bonne volonté, jusqu'au moment où ce sera devenu superflu. Alors, Allemands et Allemandes pourront raisonner seuls, non sous l'effet de la propagande d'un groupe ou d'une caste militaire[1].

La responsabilité des Alliés est considérable. Les États-Unis, la Grande- Bretagne et la Russie, aidés de la France, mesureront-ils cette responsabilité et – la période punitive terminée – sauront-ils exploiter le goût allemand pour la propagande et veilleront-ils à en user à des fins justes et spirituelles ? Prendront-ils soin de confier le système d'éducation de ce peuple infortuné à des gens doués de vision de l'avenir [40] fermement décidés à former la génération montante à se tenir pour des hommes et non des surhommes ? Pourront-ils imprimer dans la conscience des enfants actuels, ou à naître, le sens et l'importance des justes relations humaines ? Pourront-ils en outre poursuivre cette éducation pendant assez longtemps ? Cette épreuve permettra de juger des intentions véritables des Nations Unies. Le potentiel spirituel du peuple allemand doit entrer en ligne de compte et l'on doit se réjouir de ce qu'un tel enseignement pourrait en tirer. En pratique, les Allemands sont plus faciles à transformer par des méthodes éducatives correctes que n'importe quelle autre nation européenne. Leur mentalité correspond encore à celle du troupeau. Il s'agit de la transmuer en conscience du groupe, celle de l'individu libre, collaborant avec d'autres hommes de bonne volonté pour le bien commun.

L'EMPIRE BRITANNIQUE

Que dire de l'Empire britannique, dont les citoyens se vantent que le soleil ne s'y couche jamais et qui règne en souverain sur tous les océans du globe depuis plusieurs siècles en augmentant sans cesse ses territoires ? La Grande- Bretagne a été une grande puissance impérialiste, portée à acquérir, tenace et ferme dans ses manœuvres politiques, elle a mérité cette accusation dans le passé. Elle a misé sur une politique de puissance, experte en l'art d'équilibrer une nation par une autre, pour préserver le statu quo et l'intégrité des Iles britanniques. Elle a travaillé avec diligence à établir parmi les nations une stabilité lui permettant de fonctionner sans heurt et d'atteindre à ses fins. Accusée d'intense commercialisme, elle s'est vue traiter de "nation de boutiquiers" par d'autres pays. Les Britanniques sont souvent peu sympathiques aux autres peuples. Leur hauteur distante, leur fierté nationale et leur attitude de maîtres du monde indisposent beaucoup de gens. La Grande-Bretagne apporte le sentiment de caste dans ses relations internationales, tout comme le système des classes caractérise ses rapports internes depuis des siècles. Toutes ces allégations ont un fond de vérité et les ennemis de la Grande-Bretagne ont une juste cause à défendre devant le tribunal. Les Britanniques, dans l'ensemble, se sont montrés réactionnaires, trop prudents et conservateurs, lents à agir et aptes à se satisfaire des conditions existantes, en particulier là où ces conditions étaient strictement britanniques. Toutes [41] ces caractéristiques ont créé une extrême irritation chez d'autres peuples, surtout dans la nation issue de la Grande-Bretagne, les États-Unis. Mais ce n'est là qu'un aspect du tableau. Les Britanniques ne sont pas antisociaux. Les premiers, ils établirent des réformes sociales, instituant par exemple les retraites pour la vieillesse longtemps avant que d'autres nations l'imitent. Ils sont d'un profond paternalisme dans leur traitement des nations plus petites ou moins développées et ils les ont réellement aidées. Ces conservateurs trouvent difficile de discerner le moment où il convient de supprimer cette tutelle. La devise de la Maison de Galles est "I serve" (Je sers). La tendance innée de la race britannique est de servir les nations et les races réunies sous l'Union Jack, le drapeau britannique. Il faut se souvenir que, depuis le début du XXème siècle, de grands changements ont eu lieu dans l'attitude britannique. Bien des vestiges anciens se sont effacés ; le système des castes, avec sa hauteur, son esprit séparatif et son paternalisme est en voie de disparition, car la guerre et les travaillistes ont mis l'accent sur l'égalité essentielle. La Grande-Bretagne forme maintenant un Commonwealth de Nations entièrement indépendantes.

Le plus important problème psychologique, pour le peuple britannique est de gagner la confiance du monde et d'amener les autres nations à reconnaître la justice réelle et les bonnes intentions, qui animent ses idées et ses plans. Cette confiance s'était perdue au cours des derniers siècles, mais il la regagne lentement à présent. Son attitude à l'égard des affaires mondiales repose aujourd'hui sur une base internationale. Il désire le bien de la communauté et se sent prêt à consentir des sacrifices dans l'intérêt commun ; ses intentions sont justes et sa volonté, de collaborer. Les citoyens britanniques, braves et sensés, s'émeuvent de l'antipathie acquise en vertu de leur histoire passée. La présente sympathie, suscitée par les souffrances des Britanniques d'une part et l'abandon de leur timide et orgueilleuse réticence, d'autre part, pourraient se développer librement, alors la Grande-Bretagne et les autres nations du monde chemineraient de compagnie dans la vie, sans divergences majeures.

LA RUSSIE

La Russie demeure une grande énigme pour le reste du monde. Ses potentialités de service humain et sa capacité [42] d'imposer sa volonté, dans une large mesure, au monde entier, dépassent celles de tout autre pays. Cela suffit à inspirer de la méfiance. Son territoire s'étend sur une vaste partie de l'Europe et tout le nord de l'Asie. Elle a traversé une grande et cruelle révolution, suivie d'une période de réajustement. Elle se prépare à collaborer avec le monde et manifeste l'intention de stipuler ses propres conditions, c'est- à-dire, d'exercer un contrôle général sur d'autres pays, à commencer par les nations plus petites à ses frontières occidentales. Sur son propre territoire, elle a tiré les populations de leur ignorance et de leur pauvreté, pour les faire accéder à l'instruction et à un niveau d'existence suffisant. Le reste du monde se méfie profondément de la Russie, en particulier les éléments conservateurs, pour deux raisons : d'abord, à cause de la cruauté des débuts de la révolution, période appelée couramment bolchevisme et en second lieu, à cause de l'isolationnisme délibéré et sévère derrière ses frontières fermées. C'était pourtant le silence de la création. La guerre força ensuite la Russie à rompre ce silence et à collaborer avec le monde. Elle se vit forcée de participer à la guerre mondiale. La Russie est le terrain d'une révélation en germe, dont la valeur spirituelle sera grande et significative pour le groupe et cette révélation s'adressera à l'humanité entière. Une intuition vague et assez inexacte de ce fait favorise son insidieuse propagande.

La Russie a créé dans d'autres pays une fermentation, avant de savoir elle- même de quelle révélation elle a la garde. Son activité est donc prématurée. Le véritable secret de la fraternité, jusqu'ici inconnu et non encore réalisé, lui appartient pour le répandre dans le monde, mais elle ne sait encore ce qu'il est. Le fait que la Russie détient une révélation spirituelle est pressenti par les autres nations du monde. Leur première réaction a été la peur, basée sur certaines erreurs initiales et sur une activité prématurée sur le plan matériel. Néanmoins, tous les pays regardent la Russie dans un sentiment d'expectative, car ils réalisent obscurément qu'il en sortira quelque chose de nouveau ; la Russie, en effet, mûrit et s'intègre rapidement et prouvera qu'elle a beaucoup à donner.

Le monde assiste à l'élévation et à la croissance rapide d'une nation, qui a accompli en un quart de siècle ce que d'autres nations ont mis plusieurs générations à réaliser. La Russie est une géante avançant à grands pas, jeune géante, qui a pris conscience de ses vastes possibilités et animée d'un esprit profondément religieux, quoique peu orthodoxe. Elle [43] est gênée par ses traits orientaux et ses ambitions occidentales, en butte à la défiance mondiale, à cause de ses manœuvres erronées. Elles consistent en tentatives de s'infiltrer dans d'autres nations, pour saper leur stabilité et les affranchir, tant qu'elles se laissent facilement imbriquer dans l'édifice humain que la Russie s'efforce de construire. Intérieurement, mais encore inconsciemment, la Russie s'inspire du désir de donner naissance à la fraternité. Seul le temps, et aussi une sage activité et une propagande sensée de la part de la Russie, peuvent prouver l'exactitude de mes affirmations. Son problème psychologique est, en dernière analyse, de s'occuper de ses propres affaires, de stabiliser et d'intégrer sa vaste population et de conduire ses peuples vers la lumière. La Russie doit aussi apprendre à coopérer avec autrui d'égal à égal. Elle ne doit pas chercher à entraîner, par ambition et calcul, les petites puissances dans sa zone d'activité contre leur gré et par la force, ou une irrésistible pression. Il reste beaucoup à faire en Russie pour les immenses territoires et leurs populations déjà compris dans sa sphère d'influence ; les autres nations doivent aussi accomplir leur propre destin sans être soumises par la force à l'autorité russe. Surtout, le problème qui se présente à la Russie est d'offrir aux autres nations du monde un exemple de sage gouvernement, de libre expression des buts individuels et de l'usage d'une éducation inclusive et solide, tel que les autres nations se modèlent sur la démonstration effectuée en Russie, tout en préservant leurs propres voies culturelles, leurs formes de gouvernements librement choisies et leur manière particulière d'exprimer la fraternité. Inhérente à la Russie existe une forme nouvelle de conscience du monde, et par son moyen, une nouvelle expression planétaire se forgera graduellement au feu de l'expérience scientifique et vécue. Cette grande nation, synthèse de l'Est et de l'Ouest, doit apprendre à gouverner sans cruauté, sans enfreindre le libre arbitre individuel et ceci, grâce à une entière confiance dans les bienfaits des idéaux en voie de développement, mais n'ayant pas encore atteint à leur expression.

LA POLOGNE

Au peuple polonais, je désire rappeler qu'un long passé historique place sur ses épaules la responsabilité d'exercer une influence bien définie sur les cultures des nations avoisinantes, et de les imprégner de spiritualité, tâche dont il est apparemment [44] encore inconscient. Son insistance continuelle sur les possessions territoriales semble l'aveugler à l'égard de la vraie valeur de sa contribution à apporter au monde. Ce peuple fortement émotif et individualiste est, dans le cadre de ses frontières, en proie aux dissensions et à des frictions constantes. Il ne possède pas d'unité interne. Son problème psychologique consiste à parvenir à l'intégration, dont la base serait une victoire sur les haines de race. Ce problème national doit se résoudre en termes de bonne volonté et non d'intérêts égoïstes.

Par parenthèses, si les problèmes de frontières, de possessions, de territoires, de colonies et d'entreprises matérielles prennent la prépondérance aux yeux de toutes les nations, le fait de cette insistance purement matérielle manifeste son peu d'importance relative une fois placé dans sa vraie perspective. Le seul facteur comptant vraiment à cette heure est l'humanité même et devant l'agonie, la détresse, la misère humaine, déblatérer sur les frontières est une stupide dépense d'énergie. Des ajustements s'imposent, il faut fixer des frontières, mais les décisions ultimes ne doivent pas dépendre de l'histoire ou de la gloire d'autrefois, mais se baser sur ce qui est le plus favorable pour les peuples impliqués. À eux de déterminer la décision finale. Cette unique raison m'a poussé à toucher au problème de la Pologne, car j'ai seulement le temps d'indiquer l'action nécessaire évoquée par les problèmes psychologiques des grandes puissances.

Cette guerre mondiale a été présentée par les esprits les plus distingués et les idéalistes des nations alliées comme la lutte menée ostensiblement pour la liberté humaine, pourtant toutes les grandes puissances y ont participé, poussées par des mobiles égoïstes et par l'instinct de conservation. Le fait est universellement reconnu. Au fond, toutes professaient plus ou moins un sain et généreux idéalisme : délivrer l'humanité de la dictature. Après la guerre vint l'épreuve de gagner la victoire. C'est à dessein que j'emploie ce terme. Si les nations de la terre entière bénéficient d'élections libres, si les peuples des territoires disputés ont la latitude de décider par un plébiscite sans contrainte où vont leurs préférences et leur attachement, et si la liberté de parole, de religion et une presse, ainsi qu'une radio, véritablement libres résultent de la dernière guerre, un grand pas en avant aura été franchi par la famille humaine tout entière.

Compte doit aussi être tenu du fait qu'en s'incarnant, les âmes choisissent le milieu favorable et l'endroit où elles [45] peuvent se développer et progresser. Elles discernent immédiatement le pays où apprendre les leçons dont elles ont besoin. Dûment médité, ce facteur devrait éclaircir les idées humaines et c'est un facteur vital aujourd'hui, parallèlement au fait, plus vaste et général, qu'une grande bataille planétaire se déroule entre Forces de Lumière et Forces du Mal. L'humanité forme le champ de bataille de ces forces ; elle est l'enclume où frappent les coups des deux côtés, au cours du vaste processus de libération, prévu par le Dieu Qui régit notre monde.

LES ETATS-UNIS

Je vais encore toucher au problème de cette puissante nation, les États- Unis d'Amérique. Le problème psychologique, que doit affronter cette nation, est d'apprendre à assumer une responsabilité, qui s'étend au monde entier. La Grande-Bretagne et la Russie ont toutes deux, dans une certaine mesure, appris cette leçon.

Le peuple américain, au sortir de l'adolescence, doit apprendre des leçons de la vie par l'expérimentation, et acquérir ainsi de l'expérience. Tous les peuples jeunes doivent apprendre cette leçon. La race allemande est vieille, mais la nation allemande est très jeune. Le peuple italien remonte à une antique origine ; l'État italien est de date toute récente dans l'histoire. L'accusation d'être jeune (si accusation il y a) s'applique aussi aux États-Unis. Un grand avenir est promis à cette nation, non à cause de sa puissance matérielle, ou de ses capacités commerciales, comme le pensent bien des matérialistes. La raison s'en trouve dans son idéalisme inné, profondément spirituel, ses énormes possibilités humanitaires, et, par-dessus tout, sa race, qui provient d'une souche vierge, non épuisée, recrutée surtout parmi les classes moyennes et paysannes. D'un mouvement régulier, dans tous les pays, le pouvoir gouvernemental et celui de déterminer les idéologies pratiques passe rapidement entre les mains du "peuple", en échappant à celles des classes dites dirigeantes et de l'aristocratie. Des pays comme la Grande-Bretagne et la France, où les tendances générales de l'évolution sont acceptées, peuvent avancer plus aisément vers l'avenir que des pays comme l'Espagne ou la Pologne, gouvernés depuis des siècles par une aristocratie dominatrice et une  Église mêlée à la politique. Les États-Unis ne s'embarrassent point de telles entraves, à [46] part la puissance du capital et de la finance, qui cherchent à assurer le contrôle. Cela s'applique aussi dans une large mesure à la Grande-Bretagne.

Aux États-Unis, les souches du peuple proviennent nécessairement d'autres pays, car ses citoyens ont, à l'origine, émigré de ces pays. Il n'y existe point d'indigènes, sauf les Peaux-Rouges, dépossédés sans merci par la marée montante venue d'ailleurs. Les groupes raciaux à l'intérieur des États portent encore les marques de leurs origines et de leur héritage racial. Psychologiquement et physiquement, ils sont de provenance italienne, anglaise, finnoise, allemande ou autres. À cette circonstance est due une partie du miracle de cette nation à l'intégration rapide.

Comme tous les jeunes, symboliquement parlant, le peuple des États-Unis manifeste des signes d'adolescence. Toujours symboliquement parlant, le peuple des États-Unis a de dix-sept à vingt-quatre ans. Il clame sa liberté et pourtant, il n'est pas libre ; il refuse d'accepter des conseils, parce que cela enfreint ses droits, mais se laisse souvent mener par des politiciens ineptes et partisans, ou par des incapables. Il se montre à la fois d'une large tolérance et de la plus violente intolérance à l'égard d'autres nations. Prêt à enseigner aux autres comment s'attaquer à leurs problèmes, il ne manifeste pas encore la capacité de résoudre les siens, comme en témoigne le traitement anticonstitutionnel des Nègres américains, privés de liberté et d'opportunité. Sans cesse, il tente des expériences dans toutes les phases de la vie, avec toutes sortes d'idées et toutes sortes de relations. C'est bien ainsi et c'est juste : il faut que jeunesse se passe. Profondément religieux et d'une bonté innée, il développe pourtant une intolérance croissante à l'égard de la race juive, qui menace de devenir un problème national. La puissance créatrice de la race américaine s'exprime encore dans une admirable maîtrise de la nature et par de grandioses projets de travaux d'art, pour utiliser l'eau, pour couvrir toute cette vaste contrée d'un réseau de routes et de canaux. L'Amérique est le grand champ de bataille de l'expérimentation, dans le domaine de l'invention. Elle s'intéresse profondément à l'essai de toute espèce d'idéologie. La lutte entre le capital et les forces ouvrières atteindra son point culminant aux États-Unis, mais se livrera aussi en Grande-Bretagne et en France. La Russie a déjà sa propre solution, mais les nations de moindre importance seront guidées et influencées par le résultat de cette bataille dans le Commonwealth [47] britannique et aux États-Unis. J'espère traiter ce sujet plus tard.

L'ordre qu'il importe de faire régner aux États-Unis, viendra quand la liberté y sera interprétée en termes d'une discipline librement consentie. Une liberté interprétée par chaque individu au mieux de ses propres intérêts peut dégénérer en licence et constitue un danger à éviter. Les meilleurs esprits sont profondément avertis de ce danger.

Comme tous les jeunes, l'Amérique se sent supérieure aux nations plus mûres. Les Américains se jugent volontiers plus idéalistes, plus sensés, plus amoureux de liberté que les autres. Il leur arrive d'oublier que, si certaines nations sont arriérées, il en existe plusieurs dans le monde, dont l'idéalisme est aussi élevé, les mobiles aussi sensés et qui envisagent les problèmes mondiaux avec une maturité et une expérience supérieures. En outre, comme tous les jeunes, l'Amérique critique vivement autrui, mais prend toujours en mauvaise part les critiques, ou, souvent, ne les remarque même pas. Cependant, l'Amérique est aussi sujette à critiques que n'importe quelle autre nation. Toutes ont une vaste opération de nettoyage à effectuer chez elles et la difficulté consiste, cette fois, à le faire tout en observant strictement leurs obligations internationales. Aucune nation ne peut, aujourd'hui, vivre pour soi. Essaierait-elle de le faire, qu'elle s'engagerait dans une voie fatale et c'est ce en quoi consiste l'aberration isolationniste. En fait, nous avons aujourd'hui un seul monde et en ces mots se résume tout le problème psychologique de l'humanité. Le but est de parvenir à de justes relations humaines. Les nations demeureront ou s'écrouleront précisément dans la mesure où elles se conformeront à ce point de vue. L'ère à venir – de par la loi de l'évolution et la Volonté de Dieu – verra s'établir de justes relations humaines.

Nous sommes au seuil d'une vaste période d'expériences et de découvertes ; nous allons découvrir exactement ce que nous sommes, en tant que nations, dans nos rapports entre groupes, à travers notre expression religieuse et dans nos modes de gouvernements. À cette ère extrêmement difficile, on ne réussira à survivre que si chaque nation consent à admettre ses propres défauts internes, pour y remédier avec clairvoyance et des visées délibérément humanitaires. Pour chacune, cela signifie vaincre son orgueil et réaliser l'unité intérieure. Chaque pays est sujet aujourd'hui à des divisions intestines entre groupes hostiles : idéalistes et réalistes, politique partisane, [48] ou éclairée et à longue portée, groupes religieux fanatiquement attachés à leurs propres idées, capitalistes et ouvriers, isolationnistes et internationalistes, ceux qui sont violemment opposés à certains groupes ou à certaines nations et ceux qui agissent avec violence en faveur de ces dernières. Le seul facteur qui puisse finalement à la longue amener l'harmonie et mettre fin à ces conditions chaotiques, ce sont de justes relations humaines.

Chaque pays a aussi beaucoup à offrir, mais aussi longtemps que cette contribution est considérée sous l'aspect de sa valeur commerciale ou de son utilité politique, comme maintenant, pareille contribution ne joue pas en faveur des justes relations humaines. Je reviendrai là-dessus plus tard, en traitant du quatrième problème.

Chaque pays doit aussi recevoir de tous les autres. Cela implique la reconnaissance de certaines lacunes spécifiques, ainsi que le consentement à recevoir d'autrui, d'égal à égal.

Chaque pays apporte sa note particulière et doit se mettre à l'unisson, pour aller enfler l'immense chœur de toutes les nations. Pour cela, il faut restaurer la pureté de la religion, et laisser libre cours à l'impulsion spirituelle naissante en chaque contrée. Il n'en est pas ainsi actuellement, car les formes théologiques oppriment encore la vie religieuse.

Son passé historique, ses hauts faits et ses lois placent chaque nation en étroites relations avec toutes les autres et ceci est plus vrai peut-être pour les États-Unis, parce que ses nationaux sont issus de toutes les races connues. L'isolationnisme était vaincu avant même d'avoir dressé sa vilaine tête, car le peuple américain est international, au fond, de par son origine.

L'humanité, on l'a dit auparavant, est le disciple mondial ; l'élan qui pousse à la désintégration des vieilles formes du monde est un élan spirituel. La vie spirituelle de l'humanité est à présent si forte, qu'elle fait éclater toutes les formes actuelles de l'expression humaine. Le monde du passé est périmé, fini pour toujours et le nouveau monde des formes n'est pas encore apparu. Sa construction sera caractéristique de la vie créatrice de l'esprit humain, vie qui est en train de naître. Le facteur important à retenir, c'est que cet esprit est un, chaque nation doit apprendre à reconnaître cet esprit en elle-même et en chacune des autres. [49]

RESUME

En bref, la tâche de chaque nation est donc double :

1. Résoudre ses propres problèmes psychologiques internes.

Pour y parvenir, elle doit les avouer, réprimer l'orgueil national et prendre les mesures destinées à établir l'unité et la beauté du rythme dans la vie de ses populations.

2. Favoriser l'esprit de justes relations humaines.

Ce but est atteint en reconnaissant qu'elle fait partie d'un monde unique. Cela implique ensuite les mesures à prendre pour enrichir le monde entier par sa contribution originale et individuelle.

Ces deux activités, nationale et internationale, doivent se développer parallèlement, en insistant sur les œuvres pratiques du christianisme et non sur les théologies dominatrices et l'autorité subtilement imposée par l’Église.

Du point de vue des Forces de Lumière spirituelles, le processus qui devrait se dérouler immédiatement dans le monde serait le suivant :

1. Une crise imminente de la liberté. Cela comporte des élections libres dans tous les pays libérés, pour y déterminer le type de gouvernement, les frontières nationales, là où ce problème existe, et un plébiscite permettant aux peuples de déterminer leur nationalité et leur rattachement.

2. Une opération de nettoyage, à effectuer dans toutes les nations sans aucune exception, afin qu'une salutaire unité, basée sur la liberté et réalisant l'unité dans la diversité, puisse être élaborée.

3. Un programme d'éducation se développant progressivement, pour enseigner à tous les peuples les éléments de la seule idéologie qui se montrera finalement et généralement efficace : celle des justes relations humaines. Lent, mais sûr, ce mouvement éducatif amènera inévitablement à une juste compréhension, à des attitudes et des activités correctes dans chaque communauté, chaque église et chaque nation, dans le domaine international, enfin. Cela prendra du temps, mais ce défi s'adresse à tous les hommes de bonne volonté, dans le monde entier. [50]

Les guides spirituels de la race peuvent bien présenter cette formule de progrès, mais ne peuvent garantir sa réalisation. L'humanité reste libre de décider sur ses propres problèmes. Certaines questions, toutefois, se posent immédiatement et si je les précise, je n'y puis donner de réponse.

Les Grandes Puissances : la Russie, les États-Unis et le Commonwealth britannique, resteront-elles ensemble, pour le plus grand bien de l'humanité, ou chacune ira-t-elle son propre chemin, vers ses buts égoïstes ?

Les puissances moins importantes, comme les Grandes Puissances (et j'y inclus la France, lorsqu'elle s'éveillera et prendra conscience de ses responsabilités internationales), consentiront-elles à abandonner un peu de leur soi-disant souveraineté, dans l'intérêt de tous ? Essaieront-elles de considérer la situation mondiale sous l'angle de l'humanité, ou ne viseront- elles qu'à leur bien individuel ?

Ces puissances omettront-elles la critique constante et maligne, caractéristique du passé, et qui engendrait une haine croissante, pour reconnaître enfin que toutes les nations se composent d'êtres humains, à divers stades d'évolution, conditionnés par leurs antécédents, leur race et leur milieu ? Consentiront-elles à laisser chacune libre d'assumer sa responsabilité individuelle, et à demeurer néanmoins prêtes à s'assister, comme les membres d'une seule famille, animées d'un même esprit, l'esprit de Dieu ?

Consentiront-elles à partager les produits de la terre, conscientes qu'ils appartiennent à tous, et à les distribuer largement, à l'instar de la nature ? Ou permettront-elles que ces produits tombent entre les mains de quelques nations puissantes, ou même d'une simple poignée de puissantes personnalités et de financiers ?

Voici quelques-unes seulement des questions, auxquelles il s'agit de chercher et trouver des réponses. La tâche s'annonce vraiment ardue.

En ce monde d'aujourd'hui pourtant, il existe assez de gens d'orientation spirituelle pour transformer les attitudes mondiales et pour inaugurer la période nouvelle de création spirituelle. Ces hommes et ces femmes, doués de vision et de bonne volonté, se lèveront-ils en nombre, dans chaque nation, et se feront- ils entendre ? Auront-ils la force, la persévérance, et le courage de surmonter le défaitisme, de rompre les chaînes et les entraves théologiques, de braver les chapelles politiques, sociales, économiques et religieuses, afin d'œuvrer pour le bien [51] de tous les peuples ? Vaincront-ils les forces déployées contre eux, par leur foi inébranlable en l'équilibre et la puissance de l'esprit humain ? Croiront-ils en la valeur intrinsèque de l'humanité ? Réaliseront-ils que le courant du processus évolutif les entraîne de toute sa force vers la victoire ? Le ferme établissement de justes relations humaines fait certes déjà partie du Plan divin et rien ne saurait arrêter sa manifestation éventuelle. Cette manifestation peut toutefois être hâtée par une action juste et désintéressée. Les Forces de Lumière et leur chef, le Christ, sont aux côtés des hommes de bonne volonté et du Nouveau Groupe des Serviteurs du Monde. [52]

 

[1] Ces lignes furent écrites en janvier 1945.