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LIVRE I LE PROBLEME DE L’UNION - Partie 1

LIVRE I

LE PROBLEME DE L'UNION

a. Définition des natures supérieure et inférieure

b. Considération des obstacles et de leur suppression

c. Exposé du système Raja Yoga dans son ensemble

Thème : La nature psychique versatile [7]

1. AUM. (OM). L'enseignement suivant concerne la science de l'union.

AUM est le Mot de la Gloire ; il signifie le Verbe fait chair, et la manifestation sur le plan matériel du deuxième aspect de la divinité. Ce rayonnement, à la face du monde, des fils de la justice se réalise par l'observation des règles ici contenues. Quand tous les fils des hommes auront démontré qu'ils sont également fils de Dieu, le Fils cosmique de Dieu resplendira de même avec une gloire plus intense encore. Paul, le grand initié, en eut la vision lorsqu'il dit que "toute la création gémit en travail d'enfantement, en attente de la manifestation des fils de Dieu." (Rom. VIII)

Le Raja Yoga, ou Science de l'Union, donne les règles et les moyens par lesquels :

1. Le contact conscient peut être établi avec l'âme, le second aspect, le Christ intérieur.

2. La connaissance du soi peut être réalisée et sa maîtrise maintenue sur le non-soi.

3. Le pouvoir de l'égo ou âme peut se faire sentir dans [8] la vie quotidienne et les pouvoirs de l'âme peuvent s'y manifester.

4. La nature psychique inférieure peut être subjuguée et les facultés psychiques supérieures peuvent être démontrées.

5. Le cerveau peut être mis en rapport avec l'âme, dont les messages seront perçus.

6. La "lumière dans la tête" peut être intensifiée afin que l'homme devienne une "Flamme vivante".

7. Le Sentier peut être trouvé et l'homme devient lui-même ce Sentier.

Les triples rapports indiqués ci-dessous pourront se révéler utiles à l'étudiant, surtout s'il se rappelle que c'est la colonne centrale qui contient les termes applicables à l'âme ou deuxième aspect. L'union à réaliser est celle des troisième et deuxième aspects. Cela est parachevé à la troisième initiation (en terminologie chrétienne Transfiguration). Une synthèse ultérieure s'effectue alors entre les troisième et deuxième aspects réunis et le premier aspect :

Premier Aspect Deuxième Aspect Troisième Aspect

Esprit Âme Corps

Père Fils (Christ) Saint-Esprit

Monade Égo Personnalité

Soi divin Soi supérieur Soi inférieur

Vie Conscience Forme

Énergie Force Matière

La Présence L'Ange de la Présence L'être humain

Il faut distinguer clairement entre le Principe christique tel qu'il est indiqué ci-dessus, aspect hautement spirituel auquel tout être humain doit atteindre, et le même terme s'appliquant à une personnalité d'un rang sublime représentant ce Principe, qu'il s'agisse de références historiques concernant [9] l'Homme de Nazareth ou de cas différents.

2. Cette union, ou yoga, s'accomplit par la sujétion de la nature psychique et la répression de la chitta (ou mental).

Celui qui cherche l'union a deux choses à faire :

1. Acquérir la maîtrise de la "nature psychique versatile".

2. Empêcher le mental d'endosser les nombreuses formes qu'il engendre si facilement. Celles-ci sont souvent nommées "les modifications du principe pensant".

Ces deux choses conduisent à la maîtrise du corps émotif, donc du désir, et à la maîtrise du corps mental, donc du manas inférieur ou faculté mentale. L'étudiant doit se rappeler que le désir incontrôlé et un mental désordonné interceptent la lumière de l'âme et sont la négation de la conscience spirituelle. L'union est impossible tant que se dressent des barrières ; le Maître, en conséquence, dirige l'attention de l'étudiant (au début de son instruction) sur le travail pratique à accomplir pour dégager cette lumière, afin qu'elle puisse "briller en un lieu obscur", c'est-à-dire sur le plan physique. Il faut se rappeler que la nature inférieure, occultement parlant, peut, une fois maîtrisée, manifester la nature supérieure. Lorsque le second aspect du soi personnel inférieur, le corps émotif, est subjugué ou transmué, la lumière du Christ (le deuxième aspect égoïque) peut alors être vue. En sa lumière la Monade, le Père, [10] l'Un, se révélera par la suite. De même, lorsque le premier aspect du soi personnel inférieur, le corps mental, est subjugué, l'aspect Volonté de l'égo peut être connu et par ses œuvres le dessein du Logos Lui- même sera connu.

Il est, dans la vie spirituelle, quelques lignes de moindre résistance, au long desquelles se dégagent certaines forces ou énergies.

a. Émotives intuitives ou bouddhiques monadiques au cœur de l'aspirant.

b. Mentales spirituelles ou atmiques logoïques à la tête de l'aspirant.

L'étudiant reçoit en conséquence, comme clé de toutes ses entreprises, le MOT de répression ou de maîtrise.

La chitta est le mental, ou substance mentale, le corps mental, la faculté de penser et de construire des formes-pensées, la somme des processus mentaux. C'est le matériau, régi par l'égo ou âme, dont sont construites les formes- pensées.

La nature psychique est kama-manas (désir-intellect), le corps émotif ou astral, légèrement teinté de mental. Il est le matériel de tous nos désirs et impressions. C'est par là qu'ils s'expriment.

Ces deux types de substance ont leur propre ligne d'évolution à suivre, et ils la suivent. les esprits ou étincelles divines sont, selon le plan logoïque, emprisonnés par eux, étant tout d'abord attirés à eux par l'action réciproque de l'esprit et de la matière. Ces esprits, en maîtrisant ces substances et en restreignant leurs activités instinctives, acquièrent de l'expérience et finalement la libération. Ainsi se réalise l'union avec l'âme. C'est une union connue et expérimentée dans le corps [11] physique sur le plan de la plus dense manifestation, grâce à la maîtrise consciente et intelligente exercée sur la nature inférieure.

3. Lorsque cela est accompli le yogi se connaît tel qu'il est en réalité.

Cela peut être décrit comme suit : L'homme qui connaît les conditions et les a remplies selon les indications du précédent sutra,

1. Voit le soi.

2. Prend conscience de la véritable nature de l'âme.

3. S'identifie avec la Réalité intérieure et non plus avec les formes qui la dissimulent.

4. Demeure au centre et non plus à la périphérie.

5. Réalise la conscience spirituelle.

6. S'éveille à la récognition du Dieu intérieur.

La méthode et le but se trouvent décrits en termes clairs et nets en ces trois versets et la voie est ouverte aux instructions plus détaillées qui suivront. L'aspirant affronte son problème, le fil directeur menant à sa solution lui est offert, et la récompense – l'union avec l'âme – se présente à son regard inquisiteur.

4. Jusqu'ici l'homme intérieur s'est identifié à ses formes et à leurs modifications actives.

Ces formes sont les modifications mentionnées dans les diverses traductions, donnant une idée de la vérité subtile [12] concernant la divisibilité infinie de l'atome : ce sont les gaines dissimulatrices, les transformations continuellement changeantes qui empêchent la vraie nature de l'âme de se manifester. Celles-ci sont les choses extérieures qui font obstacle au rayonnement du Dieu intérieur et dont il est dit en langage occulte qu'elles "projettent une ombre devant la face du soleil".

La nature inhérente des vies qui constituent ces formes actives versatiles s'est jusqu'ici avérée trop forte pour l'âme (le Christ intérieur des chrétiens) et les pouvoirs de l'âme n'ont pu s'exprimer pleinement. Les forces instinctives de l' "âme animale", ou le volume de l'agrégat des vies qui forment les gaines ou corps, emprisonnent l'homme réel et limitent ses forces. Ces vies sont des unités intelligentes sur la courbe descendante de l'arc de l'évolution et leur travail a pour but leur expression propre. Quoi qu'il en soit, leur objectif diffère de celui de l'Homme intérieur et, en conséquence, elles font obstacle à ses progrès et à la réalisation de son être. Il "s'empêtre dans leurs activités" et doit se libérer avant d'entrer en possession de son héritage de pouvoir, de paix et de félicité. Il ne peut atteindre "à la mesure de la pleine stature du Christ" (Éph. IV, 13) avant qu'aient disparu toutes les modifications susceptibles d'être ressenties et que les formes soient transformées, leurs activités apaisées et leur agitation calmée.

L'étudiant est exhorté à ne pas perdre de vue la nature de cet aspect de l'évolution qui se déroule parallèlement à la sienne. C'est dans la compréhension correcte de ce problème qu'il prendra conscience du travail pratique à accomplir et [13] que le Yogi en herbe pourra alors se mettre à l'ouvrage.

Les formes inférieures sont continuellement et perpétuellement actives, assumant indéfiniment les formes des désirs impulsifs ou des formes-pensées mentales dynamiques. Lorsque cette activité protéiforme est subjuguée et que le tumulte de la nature inférieure est calmé, alors seulement devient-il possible à l'entité intérieure directrice de s'affranchir de cet esclavage et d'imposer sa propre vibration aux modifications inférieures.

Cela se réalise par la concentration. L'effort concentré de l'âme pour se fixer en une position d'observateur, de spectateur et de voyant. Quand elle y parvient, le "spectacle" inférieur présenté par les formes rapidement changeantes de la pensée et du désir disparaît aussitôt ; le contact peut être établi avec le royaume de l'âme, le champ véritable de la connaissance de l'âme, qui peut alors être perçu.

5. Les états mentaux sont au nombre de cinq et sont soumis au plaisir ou à la douleur. Ils sont douloureux ou non douloureux.

Dans l'original, le mot "plaisir" n'est pas employé ; l'idée transmise, plus technique, est généralement traduite par "non douloureux". Quoi qu'il en soit, l'idée sous-entendue est celle d'un obstacle mis à la réalisation, du fait des paires de contraires. L'étudiant doit se souvenir que c'est la chitta ou substance mentale qui entre en ligne de compte dans ce sutra, avec les modifications qu'elle subit aussi longtemps que sa versatilité et son activité restent les agents directeurs. Il ne doit pas perdre de vue le fait que nous avons affaire à la nature psychique inférieure, terme appliqué, en occultisme, [14] aux processus mentaux inférieurs aussi bien qu'aux réactions astrales ou émotives. Toute activité de la nature inférieure est le résultat de kama-manas, ou du mental teinté de sensation, de l'élément désir-volonté de l'homme inférieur. Le système Raja Yoga a pour objectif de substituer à ces impulsions l'action intelligente et réfléchie de l'âme ou homme spirituel, dont la nature est amour, dont les actes sont sages (compris dans leur sens occulte) et dont le motif est le progrès de groupe. En conséquence, la réaction appelée douleur doit être dépassée, de même que celle qualifiée de plaisir, car l'une et l'autre dépendent de l'identification avec la forme. Le non-attachement doit s'y substituer.

Il est intéressant de noter que les modifications de l'organe interne, le mental, sont au nombre de cinq. Manas, ou mental, principe animateur de la chitta ou substance mentale, est le cinquième principe et se manifeste, comme toute autre chose dans la nature, en tant que dualité. Cette dualité est :

1. Le mental concret inférieur, se présentant comme l'activité du corps mental.

2. Le mental abstrait, se présentant comme l'aspect inférieur de l'égo. Dans le microcosme qu'est l'homme, cette dualité devient une triple modification sur le plan mental, triplicité qui nous offre un tableau en miniature de la manifestation macrocosmique et consiste en :

1. L'atome mental permanent, aspect inférieur de la Triade spirituelle ou âme.

2. Le corps égoïque, causal, ou karana sarira.

3. Le corps mental, le plus haut aspect du soi personnel [15] inférieur.

Le corps mental lui-même a cinq modifications ou activités ; il est donc le reflet, ou la correspondance du cinquième principe, tel qu'il se manifeste sur le cinquième plan, le mental. Les modifications constituent l'ombre inférieure de manas (ou mental en sa manifestation microcosmique), et ce mental est un reflet de mahat (le mental universel), ou mental se manifestant dans le microcosme. C'est là un grand mystère mais il se révèlera à l'homme qui, surmontant les cinq modifications du mental inférieur, s'identifie avec ce qui est supérieur et qui, grâce au non-attachement, ayant ainsi résolu le mystère du "Makara", suit la Voie des Kumaras. Une suggestion s'offre ici aux étudiants plus avancés dans cette science ; elle concerne le problème ésotérique du Makara, que fait entrevoir La Doctrine Secrète de H.P. Blavatsky.

6. Ces modifications (activités) sont la connaissance correcte, la connaissance incorrecte, la fantaisie, la passivité (sommeil) et la mémoire.

Il existe un vaste champ de savoir que le voyant doit connaître un jour ou l'autre. Les psychologues occultes admettent généralement trois modes de perception :

1. La connaissance directe par la voie des sens, chaque sens dont il fait usage mettant celui qui l'emploie en contact avec une gamme distincte de vibrations se présentant comme des manifestations de formes.

2. Déduction ou inférence. L'emploi, par le sujet connaissant, des capacités de raisonnement du mental en corrélation avec ce qui n'est pas directement perçu. Pour l'étudiant en [16] occultisme, c'est faire usage de la Loi des Correspondances ou d'Analogie.

3. La connaissance directe du Yogi ou voyant, centré sur la conscience du soi ou égo sur son propre plan. Cela s'accomplit par le bon usage du mental en tant qu'organe de vision et de transmission. Patanjali dit :

"Le voyant est pure connaissance (gnosis). Quoique pur, c'est par le  truchement du mental qu'il considère l'idée offerte." Livre II, Sutra 20.

La déduction n'est pas une méthode sûre pour parvenir à la connaissance, et les autres modifications se rapportent en premier lieu au mauvais usage de la faculté constructrice d'images (imagination), à la passivité – état de demi-transe – et au maintien des formes-pensées dans l'aura mentale par l'emploi de la mémoire. Chacun de ces sujets est traité par Patanjali dans un sutra distinct.

7. La base de la connaissance correcte est la perception correcte, la déduction correcte, et le témoignage correct (ou preuve certaine).

Une des notions les plus révolutionnaires dont l'étudiant en occultisme doit prendre conscience et à laquelle il doit s'adapter, est le fait que le mental constitue un moyen permettant d'acquérir la connaissance. En Occident, l'idée la plus courante a fait du mental l'élément qui, dans le mécanisme humain, utilise la connaissance. Le "processus consistant à tourner et retourner les choses dans l'esprit" et à lutter en un labeur mental ardu, afin de résoudre des problèmes, n'a en définitive rien à faire avec le développement de l'âme. Ce [17] n'est qu'un stage préliminaire auquel doit se substituer une méthode différente.

L'étudiant en Raja Yoga doit se rendre compte du fait que le mental est destiné à être un organe de perception. Il ne saurait autrement arriver à la juste compréhension de cette science. Le processus qui doit être suivi à l'égard du mental peut être décrit à peu près comme suit :

1. Maîtrise juste des modifications (ou activités) du principe pensant.

2. Stabilisation du mental et emploi subséquent de celui-ci par l'âme en tant qu'organe de vision, sixième sens et synthèse globale des cinq autres sens.

Résultat : Connaissance correcte.

3. Usage juste de la faculté de perception afin que le nouveau champ de connaissance, avec lequel le contact est maintenant établi, soit vu tel qu'il est.

4. Ce qui est perçu est interprété avec justesse par l'acquiescement ultérieur de l'intuition et de la raison.

5. La transmission juste au cerveau physique de ce qui a été perçu ; le témoignage du sixième sens est correctement interprété, et la preuve en est transmise dans son sens occultement exact.

Résultat : Réaction correcte à la connaissance transmise, de la part du cerveau physique.

Quand ce processus est étudié et pratiqué, l'homme sur le plan physique devient de plus en plus averti des choses de l'âme et des mystères du domaine de l'âme, ou "Royaume de Dieu". Tout ce qui concerne le groupe et la nature de la conscience de groupe lui est révélé. Il aura pris note du fait [18] que ces règles sont, actuellement déjà dans les affaires du monde, considérées comme les prémisses essentielles à tout témoignage probant. Quand ces mêmes règles seront mises en application dans le domaine du travail psychique (à la fois inférieur et supérieur), il en résultera une simplification de la confusion actuelle. Dans un livre ancien écrit à l'intention des disciples d'un certain degré se trouvent les paroles suivantes, valables pour tous les disciples, novices ou acceptés. La traduction en donne le sens et n'est pas littérale :

"Que celui qui regarde au dehors prenne garde que la fenêtre à travers laquelle il voit transmette la lumière du soleil. S'il le fait à la pointe de l'aube (de son entreprise, A.A.B.), il doit se souvenir que le globe solaire n'a pas encore paru. Les lignes nettement dessinées ne peuvent être perçues ; des phantasmes et des ombres, des espaces sombres et des zones obscures brouillent encore sa vision."

À la fin de cette phrase se trouve un curieux symbole qui suscite dans l'esprit du disciple la pensée suivante :

"Garde le silence et réserve ton opinion."

8. La connaissance incorrecte est basée sur la perception de la forme et non sur l'état de l'être.

Ce sutra est quelque peu difficile à paraphraser. Sa signification consiste en ceci : la connaissance, la déduction, une décision basée sur les apparences ainsi que sur la forme par laquelle toute vie s'exprime dans chaque règne de la nature, constituent (pour l'occultiste) une connaissance fausse et [19] mensongère. À ce stade du processus évolutif, aucune forme d'aucune sorte n'est à la mesure de la vie qui y réside, ni ne peut en être une expression adéquate. Nul véritable adepte ne juge une expression quelconque de la divinité d'après son troisième aspect. Le Raja Yoga dresse l'homme à fonctionner dans son second aspect et à se mettre, grâce à ce second aspect, en rapport avec la "vraie nature" latente en toute forme. C'est l' "être" qui est la réalité essentielle et tous les êtres luttent pour exprimer la vérité de leur être. En conséquence, toute connaissance acquise par l'entremise des facultés inférieures et basée sur l'aspect forme, est une connaissance incorrecte.

L'âme seule perçoit correctement ; l'âme seule a le pouvoir de prendre contact avec le germe ou principe de Buddhi (dans la phraséologie chrétienne le Principe christique) qu'on trouve au cœur de tout atome, qu'il s'agisse de l'atome de la matière qui fait l'objet des études de laboratoire du savant, de l'atome humain au creuset de l'expérience quotidienne, de l'atome planétaire dans lequel se trouve le cercle infranchissable de tous les règnes de notre nature, ou de l'atome solaire qui est Dieu en manifestation par l'intermédiaire d'un système solaire. Le Christ "savait ce qui était en l'homme" et pouvait en conséquence être un Sauveur.

9. La fantaisie repose sur des images qui n'ont pas d'existence réelle.

C'est-à-dire que ces images n'ont pas d'existence réelle pour autant qu'elles sont forgées par les hommes eux-mêmes, construites dans leurs propres auras mentales, stimulées par leur [20] volonté ou leur désir, et par conséquent dissipées quand l'attention se dirige ailleurs.

"L'énergie suit la pensée" est un dogme fondamental du système Raja Yoga et reste véridique même quand il se rapporte à ces fantasmagories. Ces images fallacieuses forment en tout premier lieu trois groupes, que l'étudiant fera bien de considérer.

1. Les formes-pensées qu'il construit lui-même, qui ont une vie évanescente et dépendent de la qualité de ses désirs ; n'étant donc ni bonnes ni mauvaises, ni basses ni nobles, elles peuvent être vitalisées par des tendances inférieures ou des aspirations idéalistes, avec tous les stades intermédiaires qui peuvent se trouver entre ces extrêmes. L'aspirant doit veiller à ne pas prendre ces images pour des réalités. On peut illustrer ce fait en évoquant ici la facilité avec laquelle les gens estiment qu'ils ont vu l'un des Frères (ou Maîtres de la Sagesse), alors qu'ils n'ont perçu qu'une forme-pensée de l'un d'Eux ; le désir étant le générateur de la pensée, ces gens sont victimes de la forme de perception erronée que Patanjali appelle fantaisie.

2. Les formes-pensées créées par la race, la nation, le groupe ou une organisation. Les formes-pensées d'un groupe de n'importe quel genre (allant de la forme planétaire à la forme construite par quelque association de penseurs) constituent la somme de la "grande illusion". Il y a ici une suggestion pour l'aspirant sérieux.

3. La forme-pensée nommée le "Gardien du Seuil" créée par un homme dès sa première apparition sous une forme [21] physique. Étant créée par le soi personnel inférieur et non par l'âme, elle n'est pas durable et n'assure sa cohésion que par l'énergie inférieure de l'homme. Quand l'homme commence à fonctionner en tant qu'âme, cette "image" qu'il a créée par sa "fantaisie" ou sa réaction à l'illusion, est dissipée en un suprême effort. Elle n'a pas d'existence réelle lorsqu'il n'y a chez l'aspirant plus rien pour la nourrir ; s'en rendant compte, il devient capable de s'affranchir de son emprise.

Ce sutra, bien qu'apparemment court et simple, est l'un des plus profondément significatifs. Il est un objet d'étude pour de hauts initiés qui s'instruisent sur la nature du processus créateur de la planète et se préoccupent de la dissolution de la maya planétaire.

10. La passivité (sommeil) est basée sur l'état de quiétude des vrittis (ou sur la non-perception des sens).

Il peut être nécessaire de donner ici quelques éclaircissements sur la nature des vrittis. Les vrittis sont les activités du mental qui aboutissent à un rapport conscient entre le sens mis en jeu et ce qui est senti. À part une certaine modification du processus mental ou une prise de conscience de "je-suis-moi", les sens peuvent être actifs sans toutefois que l'homme en soit conscient. L'homme est conscient de ce qu'il voit, goûte ou entend ; il dit : "Je vois, je goûte, j'entends", et c'est l'activité des vrittis (de ces perceptions mentales qui sont en relation avec les cinq sens) qui le rend apte à reconnaître ce fait. En se dégageant de la perception sensorielle [22] active, en cessant d'utiliser la conscience "extravertie" et en détournant cette conscience de la périphérie vers le centre, il peut provoquer une condition de passivité, une absence d'éveil mental, qui n'est ni le samadhi du Yogi, ni la réalisation de l'objectif unique auquel aspire l'étudiant en yoga, mais une forme de transe. Cette tranquillisation auto-imposée est non seulement nuisible à l'accomplissement du plus haut Yoga, mais elle est dans bien des cas extrêmement dangereuse.

Les étudiants feront bien de se rappeler que c'est le mental et son emploi correct qui sont le but du Yoga, et que l'état nommé "vide mental" ou condition de réceptivité passive, comportant la rupture ou l'atrophie des rapports sensoriels, ne fait pas partie du processus. Le sommeil dont il est question ici n'est pas le passage du corps à un état d'assoupissement, mais la mise en sommeil des vrittis. C'est la négation des contacts des sens, sans que le sixième sens – le mental – suppléé à leurs activités. Dans ces conditions de sommeil, un homme est exposé à l'hallucination, aux illusions, aux fausses impressions et aux hantises.

Il y a plusieurs sortes de sommeils et il n'est pas possible, dans un commentaire tel que celui-ci, d'en donner plus qu'une courte liste :

1. Le sommeil ordinaire du corps physique, dans lequel le cerveau ne répond à aucun contact sensoriel.

2. Le sommeil des vrittis, ou des modifications des processus mentaux qui relient l'homme à son entourage au moyen des sens et de la faculté mentale.

3. Le sommeil de l'âme qui, occultement parlant, couvre [23] la période de l'expérience humaine allant de la première incarnation humaine de l'homme jusqu'au moment où il "s'éveille" à une connaissance du plan, et tente d'inciter l'homme inférieur à s'aligner sur la nature et la volonté de l'homme intérieur spirituel.

4. Le sommeil du médium ordinaire, où le corps éthérique est partiellement expulsé du corps physique et séparé également du corps astral, créant ainsi une condition de très réel danger.

5. Samadhi ou le sommeil du Yogi, résultant du retrait conscient et scientifique de l'homme réel hors de sa triple enveloppe inférieure, en vue d'un travail sur des niveaux élevés, préparatoire d'un service actif aux niveaux inférieurs.

6. Le sommeil des Nirmankayas, qui est une condition de concentration spirituelle dont le foyer se trouve dans le corps spirituel ou atmique ; concentration si intense que la conscience extravertie se retire non seulement des trois plans de l'activité humaine, mais encore des deux expressions inférieures de la Triade spirituelle. Aux fins de ce travail, le Nirmankaya est "endormi" à l'égard de tous les états, sauf celui du troisième, ou plan atmique.

11. La mémoire est le maintien de ce qui a été connu.

Cette mémoire concerne plusieurs groupes de réalisations, actives ou latentes ; elle traite de certains ensembles de facteurs connus, lesquels peuvent être énumérés comme suit :

1. Les images-pensées de ce qui est tangible, objectif et [24] ayant été connu par le penseur sur le plan physique.

2. Les images kama-manasiques (ou désir-mental inférieur) de désirs passés et de leur assouvissement. Cette "faculté de forger des images" que possède l'homme moyen est basée sur ses désirs (désirs nobles ou bas, idéalistes ou dégradants, dans le sens d'un abaissement) et leur satisfaction envisagée. Cela est aussi vrai de la mémoire d'un glouton par exemple, et de l'image latente qu'il se fait d'un bon dîner, que de la mémoire du saint orthodoxe se basant sur l'image qu'il se fait des joies célestes.

3. L'activité de la mémoire qui résulte de l'entraînement mental, de l'accumulation de faits acquis, de la conséquence de lectures ou d'enseignements reçus, et ne se base pas uniquement sur le désir mais sur l'intérêt intellectuel.

4. Tous les contacts divers que la mémoire retient et reconnaît comme émanant des perceptions des cinq sens inférieurs.

5. Les images mentales latentes dans la faculté génératrice du souvenir.

Elles constituent la somme de la connaissance acquise et des prises de conscience suscitées par l'emploi correct du mental en tant que sixième sens.

Toutes ces formes de la mémoire doivent être abandonnées sans rémission ; elles doivent être tenues pour des modifications du mental, du principe pensant, et font partie en conséquence de cette nature psychique versatile qui doit être dominée avant que le Yogi puisse espérer se libérer des limitations et de toute activité inférieure. C'est là le but. [25]

6. Enfin (car il est inutile d'énumérer des subdivisions plus complexes), la mémoire comprend aussi les expériences accumulées acquises par l'âme au cours de ses multiples incarnations, et emmagasinées dans la véritable conscience de l'âme.

12. La maîtrise de ces modifications de l'organe interne, le mental, doit être réalisée par une tentative inlassable et le non-attachement.

Un sutra aussi facile à saisir que celui-là ne demande que quelques brèves explications : intellectuellement, son sens est clair ; il est cependant difficile de le mettre en pratique.

1. L'organe interne est évidemment le mental. Les penseurs occidentaux feront bien de se souvenir que l'occultiste oriental n'estime pas que les "organes" soient des organes physiques ; il se base en cela sur le fait que le corps physique, en sa forme dense ou concrète, n'est pas considéré comme un principe, mais simplement comme le produit tangible de l'activité des principes réels. Les organes, occultement parlant, sont des centres d'activité tels que le mental, les divers atomes permanents et les centres de force dans les diverses enveloppes. Tous ont leurs "ombres", ou résultats objectifs, et les émanations ainsi produites constituent les organes physiques externes. Le cerveau, par exemple, est l' "ombre" ou organe externe du mental, et l'investigateur découvrira que le contenu de la cavité encéphalique correspond aux aspects du mécanisme humain qu'on trouve sur le plan mental. Il faut mettre l'accent sur [26] cette dernière phrase ; elle apporte une suggestion à ceux qui sont capables d'en tirer profit.

2. La tentative inlassable signifie littéralement l'exercice constant, la répétition incessante et un effort réitéré en vue de substituer le nouveau rythme à l'ancien et d'effacer, en imprimant la marque de l'âme, les habitudes et modifications profondément enracinées. Le Yogi, ou Maître, est l'aboutissement d'une patiente endurance ; son œuvre est le fruit d'un effort soutenu, basé non sur un enthousiasme spasmodique, mais sur l'appréciation intelligente du travail à accomplir et du but à atteindre.

3. Le non-attachement est par excellence ce qui en définitive incite toutes les perceptions des sens à accomplir leurs fonctions légitimes. Par le non-attachement aux formes de connaissance avec lesquelles les sens mettent l'homme en contact, leur emprise sur lui se relâche de plus en plus et le temps vient enfin où l'homme, libéré, devient le maître de ses sens et de tous les contacts sensoriels. Cela n'implique nullement un état dans lequel ils seraient atrophiés ou inutiles, mais une situation qui permet au Yogi de les utiliser, au gré de son choix et pour autant qu'il le juge bon, pour accroître son efficacité dans le service et les entreprises de groupe.

13. La tentative inlassable est l'effort constant en vue de réfréner les modifications du mental.

Ce sutra est l'un des plus difficiles à traduire de façon à en donner le véritable sens. L'idée qu'il contient est celle d'un effort constant fourni par l'homme spirituel, en vue de réfréner les modifications ou fluctuations du mental et d'exercer [27] un contrôle sur la nature inférieure psychique versatile, afin d'exprimer pleinement sa propre nature spirituelle. C'est ainsi et seulement ainsi que l'homme spirituel peut, sur le plan physique, vivre jour après jour la vie de l'âme. Dans sa traduction, Charles Johnston cherche à dégager cette signification par la phrase suivante : "L'emploi correct de la volonté est l'effort continu pour se maintenir en un état d'être spirituel."

L'idée impliquée est l'application au mental (considéré comme un sixième sens) de la même répression à laquelle sont soumis les cinq sens inférieurs ; leurs activités en direction de l'extérieur sont interrompues et ils sont empêchés de réagir à l'impulsion ou à l'attrait de leur champ de connaissance spécifique.

14. Quand la valeur de l'objectif visé est estimée assez haut, et que les efforts pour l'atteindre sont soutenus avec persistance et sans relâche, la stabilité mentale (maîtrise des vrittis) est assurée.

Tous les fidèles du Raja Yoga doivent être en premier lieu des dévots. Seul, un intense amour pour l'âme et pour toute la connaissance que l'âme comporte, conduira l'aspirant assez sûrement vers son but. L'objectif en vue – l'union avec l'âme et en conséquence avec l'Âme suprême et toutes les âmes – doit être estimé avec justesse. Les raisons en faveur de sa réalisation étant correctement évaluées et les résultats attendus étant au préalable désirés (ou aimés) avec le plus grand sérieux, l'aspirant fournira un effort assez intense pour lui permettre d'obtenir la maîtrise des modifications du mental et, en conséquence, de sa nature inférieure tout entière. [28] Quand cette évaluation est assez juste et quand l'aptitude à aller de l'avant dans le travail de sujétion et de maîtrise s'accomplit sans relâche, un temps viendra alors où l'étudiant prendra conscience de ce que signifie la répression des modifications et le comprendra de plus en plus.

15. Le non-attachement est la libération de toute convoitise pour tous les objets du désir, qu'ils soient de nature terrestre ou traditionnelle, d'ici-bas ou de l'au-delà.

Le non-attachement peut aussi être décrit comme étant absence de soif. C'est le terme occulte le plus correct puisqu'il implique à la fois l'idée de l'eau, symbole de l'existence matérielle, et du désir, qualité distinctive du plan astral, dont le symbole est également l'eau. La notion de l'homme en tant que "poisson" est ici curieusement exacte. Ce symbole (comme c'est le cas de tous les symboles) a sept significations, dont deux trouvent ici leur place :

1. Le poisson est le symbole de l'aspect Vishnou, le principe christique, l'aspect second de la divinité, le Christ en incarnation, qu'il s'agisse du Christ cosmique (S'exprimant à travers un système solaire) ou du Christ individuel, sauveur en puissance dans chaque être humain. C'est là le "Christ en vous, l'espérance de la gloire." (Col. 1 : 27) Si l'étudiant veut bien entreprendre aussi l'étude de l'Avatar de Vishnou en tant que poisson, il en apprendra encore davantage.

2. Le poisson nageant dans les eaux de la matière, extension de la même idée, mais rabaissée à son expression actuelle la plus manifeste : l'homme en tant que personnalité. [29] Là où n'existe aucune convoitise pour quelque objet que ce soit, où ne se trouve pas le désir de renaître (toujours consécutif à l'ardent désir de l' "expression formelle" ou manifestation matérielle), le véritable état d'absence de soif est atteint ; l'homme libéré se détourne de toutes les formes des trois mondes inférieurs et devient un véritable sauveur.

Dans la "Bhagavad Gita" se trouvent ces paroles illuminées :

"Car ceux qui possèdent la sagesse, unis dans la vision de l'âme, renonçant au fruit des œuvres, libérés de la servitude des renaissances, atteignent le havre où nulle affliction ne demeure."

"Quand ton âme passera au-delà de la forêt de l'illusion, tu ne feras plus de cas de ce qui fut enseigné ou sera enseigné."

"Quand, s'étant soustraite à l'enseignement traditionnel, ton âme se dressera, stable et ferme en sa vision d'âme, ton gain sera alors l'union avec l'Âme." (Gîta II, 52 et 53)

J.H. Woods rend ce texte clair dans sa traduction du commentaire de Veda Vyasa reproduit ci-dessous :

"L'absence de passion est la conscience d'être un Maître, que possède celui qui s'est libéré de l'avidité pour les objets, qu'ils soient vus ou révélés."

"Si la substance mentale (chitta) s'est libérée de l'avidité pour les objets vus, tels que les femmes, la nourriture, la boisson ou le pouvoir ; si elle s'est libérée de l'objet révélé (dans les Védas), tels que l'accès au Ciel, à l'état désincarné ou à la dissolution en la matière originelle ; si même étant en contact avec des objets supernormaux ou non, elle est, par la vertu de sa grandeur, consciente de l'imperfection des objets – elle aura conscience d'être un Maître..."