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CHAPITRE VI - Partie 1

CHAPITRE VI

L'année 1930 fut la dernière de ce que j'appelle ma vie normale. Dès lors, je fus absorbée par mon travail, à la fois en Europe et en Grande- Bretagne, autant qu'aux États-Unis et, en plus, par les fiançailles et les mariages de mes filles qui, assez curieusement, me touchèrent beaucoup émotionnellement. Le rythme à peu près normal de ma vie, entre 1924 et 1930, fut nettement rompu en 1931.

Ces six années avaient été, de bien des façons, des années au rythme monotone : se lever le matin, travailler pour le Tibétain, voir si mes filles étaient debout et prêtes pour l'école, le petit déjeuner, commander l'épicerie, prendre le train pour New York afin d'être au bureau à 10 heures et, là, les rendez-vous qui se succédaient, le dépouillement du courrier, les lettres à dicter, les décisions à prendre pour le travail de l'École, la discussion des problèmes avec Foster et le déjeuner. Souvent, tard dans l'après-midi, il y avait des classes et je me remémore le temps où j'enseignais les fondements de la Doctrine Secrète, comme l'un des plus profitables et des plus satisfaisants de ma vie.

Sous bien des aspects, le livre de H.P.B., La Doctrine Secrète, n'est plus d'actualité aujourd'hui et son approche de la Sagesse Éternelle a peu ou pas d'impact sur la génération moderne. Mais ceux d'entre nous qui l'étudièrent réellement, et parvinrent à une certaine compréhension de sa signification intérieure, ont une appréciation essentielle de la vérité qu'aucun autre livre ne semble donner. H.P.B. disait que la prochaine interprétation de la Sagesse Éternelle se ferait par une approche psychologique, et le Traité sur le Feu Cosmique que je publiai en 1925, est la clé psychologique de La Doctrine Secrète. Aucun de mes livres n'aurait été possible si je n'avais fait, à un certain [215] moment, une étude très serrée de La Doctrine Secrète.

En considérant les années de ma propre enfance et celles de mes filles, je sais à présent quelle époque difficile est l'adolescence. J'ai passé des moments beaucoup plus mauvais que mes filles, parce que personne ne me disait rien. Elles eurent des temps assez difficiles, mais Dieu sait que j'en ai eu de pires. Je devais me tenir là, les voir poursuivies, espérant qu'elles ne seraient pas dupes ; quelques fois, elles le furent. J'eus à souffrir, passagèrement, d'être tenue par elles pour une mère démodée. J'eus à me soumettre au fait que mes vues étaient considérées comme dépassées et j'eus à essayer de me souvenir de mes propres jours de révolte. J'avais tellement vu et tellement appris quant au mal dans le monde, que je m'angoissais à leur sujet, angoisses qui se révélèrent toutes totalement inutiles, mais qui étaient assez pénibles sur le moment. J'eus à me soumettre à leur croyance juvénile selon laquelle je ne savais rien sur le sexe, je ne savais pas comment manier un homme, personne n'avait jamais été amoureux de moi, excepté les deux hommes que j'avais épousés. Mon expérience, naturellement, était celle de tous les parents qui ont à lancer des jeunes dans le monde, surtout s'il s'agit de filles. Les fils se libèrent eux-mêmes plus tôt et se taisent ; en général les mères ne savent rien de leurs affaires. Les sept ou huit années suivantes furent donc difficiles pour moi et je ne suis pas du tout sûre de les avoir assumées sagement. De toute façon et selon toute apparence, je n'ai pas causé grand dommage ; je m'en tiens là.

À la fin de 1930, il était évident que le travail de l'École s'étendait en Europe et en Grande-Bretagne. Mes livres faisaient leur chemin autour du monde et, à travers eux, nous entrions en contact avec des gens de tous les pays. Beaucoup voulaient se joindre à l'École Arcane et, en majorité, ils parlaient anglais. À cette époque, nos travaux n'existaient pas en langues étrangères [216] et nous n'avions pas de secrétaires parlant ces langues. La connaissance de ce que nous faisions et réalisions se répandait dans le monde surtout par les livres et par les gens qui nous écrivaient au sujet de la méditation ou d'un problème ou d'un autre.

Les membres de la Société théosophique, que l'étroitesse de la présentation mécontentait, prenaient aussi contact avec nous et beaucoup d'entre eux rejoignirent l'École Arcane. Quand ils demandaient à y entrer, je soulignais toujours que, personnellement, je n'avais pas d'objections à leur affiliation, mais que les dirigeants de la section ésotérique de cette Société en avaient une. À tort ou à raison, j'ai toujours souligné que leur âme leur appartenait et qu'ils n'avaient à accepter l'autorité de personne, pas plus de moi que des dirigeants de la S.E. Le résultat a été que nous avons, aujourd'hui, à l'École Arcane beaucoup des membres les plus anciens et les meilleurs de la section ésotérique, qui ne trouvent rien de contradictoire entre les deux voies d'approche.

La théorie ridicule, répandue par la S.E., selon laquelle il est dangereux de suivre deux lignes de méditation à la fois, ne m'a pas seulement divertie, mais s'est toujours révélée fausse. D'une part, la même

 qualité et les mêmes vibrations passent à travers les deux approches et, d'autre part, le travail de méditation indiqué par la S.E. est si élémentaire qu'il a peu ou pas d'effet sur les centres. Il est néanmoins très bon pour ceux qui sont sur le Sentier de Probation.

L'École Arcane suivait donc une croissance constante, mais restait encore relativement petite. Nous avions déménagé plusieurs fois suivant les vicissitudes des loyers à New York et ce fut en avril 1928 que nous nous installâmes dans notre actuel Siège central, 11 West 42ème rue. Nous fûmes parmi les premiers qui s'installèrent dans ce nouveau bâtiment et qui occupèrent le dernier étage, le 32ème. Aujourd'hui, nous occupons aussi le 31ème, [217] mais nos bureaux sont trop petits et nous devrons nous agrandir, d'une manière ou d'une autre, avant qu'il soit longtemps.

Nous avions été en correspondance, depuis peu, avec une dame suisse, qui avait une très grande connaissance et qui était très intéressée par ce que nous enseignions et par ce que nous faisions pour mettre le monde en contact avec la Sagesse Éternelle. Elle avait une belle maison sur le Lac Majeur, en Suisse, dans laquelle elle avait construit une salle de conférence et constitué une très bonne bibliothèque. Un jour, vers l'automne de 1930, elle arriva tard dans la nuit dans notre maison de Stamford, Connecticut, et passa quelque temps avec nous, parlant de beaucoup de choses, exposant ses diverses idées devant nous, découvrant ce qu'était notre point de vue et s'offrant elle-même à collaborer avec nous. Elle suggéra l'idée qu'avec notre aide elle pourrait ouvrir un centre spirituel à Ascona, près de Locarno, sur le Lac Majeur, et qu'il pourrait être sans dénomination, non sectaire, et ouvert aux ésotéristes et aux étudiants de l'occultisme de tous les groupes d'Europe et d'ailleurs. Elle avait cette belle maison, cette salle de conférence et ces belles terres qui seraient sa contribution. Foster et moi irions chez elle et mettrions en route le projet, ferions des conférences et enseignerions. Elle nous offrait l'hospitalité très largement et voulait que nos trois filles nous accompagnent si nous venions à Ascona ; elle offrait pension et logement pour nous tous, mais n'assumait pas les frais du voyage.

Naturellement, nous ne prîmes pas de décision immédiate, mais lui promîmes de réfléchir à la chose très soigneusement et de lui donner réponse au début de 1931.

Plusieurs problèmes étaient impliqués. Les frais de voyage pour cinq personnes n'étaient pas légers et, de plus, nous n'étions pas sûrs du tout de vouloir nous lancer dans une telle entreprise dans ces conditions. J'étais restée vingt ans en Amérique, sans retourner en Europe. Je ne pouvais pas aller en [218] Europe sans me rendre dans mon propre pays et il fallait examiner beaucoup de choses avant de savoir ce qui était bien.

Mon amie, Alice Ortiz, vint me voir à ce moment-là avec une proposition qui pouvait influencer toute la situation. Sans rien savoir de la proposition d'Olga Frôbe, elle me dit un jour : "Que préférez-vous pour vos filles : que je les envoie au collège pour plusieurs années ou aimez- vous mieux qu'elles voyagent à l'étranger ? Je me chargerai de l'une ou l'autre de ces dépenses, mais vous devez réfléchir à ce qui est le mieux pour vos filles." J'en discutai très minutieusement avec Foster et nous décidâmes que les voyages à l'étranger seraient beaucoup plus utiles à nos filles que n'importe quel diplôme. Tout le monde peut obtenir un diplôme, mais peu de gens peuvent faire de grands voyages. Je suppose que j'étais influencée dans cette décision par le fait que j'ai tellement voyagé moi- même et que je n'ai pas non plus obtenu de diplômes.

Je ne regrettai que deux fois de ne pas avoir de diplômes. Ces diplômes sont terriblement surestimés dans ce pays ; je sais que, tout en n'ayant pas de diplômes, je suis aussi bien instruite que ceux qui en ont. Il y a peu d'années, on me demanda de donner une série de conférences au "Postgraduate College" de Washington. Je devais parler de l'intellect et de l'intuition. Les invitations étaient imprimées et envoyées par le collège, mais, quand on découvrit que je n'avais pas de titre à la suite de mon nom, on annula les conférences. Je reçus plus tard une lettre du directeur du collège, disant que la Faculté pensait avoir commis une erreur, mais qu'il était trop tard pour y remédier. Peu après, je fus demandée par l'Université de Cornell pour rencontrer des étudiants et leur parler de l'approche spirituelle moderne de la vérité et pour avoir des entretiens avec de petits groupes d'étudiants. Cela aussi fut annulé parce que je n'avais pas de diplômes.

Néanmoins, mon attitude à l'égard de ce problème fut que mes filles apprendraient à être des êtres humains plus utiles si [219] elles en savaient davantage sur les gens des autres continents, non pas en visitant les monuments et les galeries, mais en ayant une connaissance des peuples eux-mêmes ; donc nous abandonnâmes toute idée d'entraînement dans les collèges académiques pour nos filles et nous les lançâmes dans l'école de la vie.

En reconsidérant notre décision, je n'ai jamais regretté que mes filles ne soient pas allées à l'Université. Elles apprirent à connaître les êtres humains et à réaliser que les États-Unis ne sont pas le seul et unique pays au monde. Elles découvrirent qu'il y a tout autant de gens bien, autant de gens intelligents, autant de mauvaises gens, autant de bonnes gens en Grande Bretagne, en Suisse, en France, etc., qu'il y en a aux États Unis.

Il nous faut développer dans le monde d'aujourd'hui la citoyenneté mondiale et en finir avec le nationalisme qui a été la source de tant de haines. Je ne connais rien de plus pernicieux que le slogan "L'Amérique aux Américains", ou l'habitude qu'ont les Anglais de considérer tous les autres comme des étrangers, ou la croyance qu'ont les Français selon laquelle ils sont en tête de tous les mouvements civilisés. Toutes ces choses doivent disparaître. J'ai rencontré les mêmes gens dans les nombreux pays où j'ai vécu. Certains pays peuvent offrir plus de confort physique que d'autres, mais l'humanité est la même.

Je crois qu'à mesure que j'ai vu ville après ville, aux États Unis, en Grande-Bretagne et sur le continent, que j'ai entendu ce que les gens disent les uns des autres et de quelle manière ils se désignent, se moquent les uns des autres et se méprisent, j'ai désiré que mes filles acquièrent le sens de l'unité. Je crois qu'elles ont un point de vue plus large que les personnes ordinaires qu'elles rencontrent, et elles le doivent à la manière dont elles ont voyagé ; je dois le mien aussi à la manière dont j'ai voyagé, non seulement "horizontalement" à travers les pays, mais aussi "verticalement", du haut en bas de l'échelle sociale. [220] C'est très éducatif d'aimer les gens et je suis née aimant les gens. L'un des hommes les meilleurs que je connus et considérai comme un ami, était fils d'empereur. La première et la plus chère des amies que j'ai eues, il y a trente-cinq ans en arrivant aux U.S.A., était une femme noire, et, dans ma conscience, l'un et l'autre gardent une importance égale et je pense à eux avec une égale affection.

Une chose que je constatais, c'est que mes filles étaient capables d'être elles-mêmes en toute circonstance ou toute situation, bien qu'elles ne soient que le produit de l'école publique américaine. À côté des possibilités qu'a un foyer dans lequel les choses intéressantes sont appréciées et où l'on insiste sur les valeurs humaines, je ne connais pas de meilleur terrain d'entraînement pour la jeunesse du monde entier que l'école publique, selon la conception des États-Unis.

Au printemps 1931, nous fîmes nos plans pour accepter les propositions d'Olga Frôbe et pour nous rendre à sa maison, sur les lacs italiens, passer quelques mois. Vous pouvez imaginer l'excitation des projets, des achats de valises, des arrangements de vêtements et les spéculations de nos filles à tout propos. Jamais de leur vie elles n'avaient été nulle part, en dehors des États-Unis, à l'exception de ma fille aînée, Dorothée, qui avait été à Hawaii. Alice Ortiz intervint, avec son habituelle générosité, et veilla à ce que nous ayons tous les vêtements convenables, payant, en plus, toutes les dépenses du voyage.

Nous choisîmes l'un des plus petits bateaux qui allaient directement de New York à Anvers, en Belgique, et je crois admettre que la vie à bord avec trois filles pleines de vie et d'énergie était un peu épuisante. Les surveiller tout le temps n'était pas gai. Ce n'est pas amusant pour une jeune fille, en train de danser très joyeusement avec un officier, de voir l'un de ses parents au bord de la piste et de savoir parfaitement que c'est alors l'heure de se retirer. Elles étaient très gentilles, mais très excitées, très populaires à bord, connaissant le nom de chacun et d'où il venait. [221]

Il y a quelques années, je tombai sur un énorme baluchon qui, une fois déroulé, se trouva être fait de trois adorables robes de bal que j'avais faites pour mes filles, à bord du bateau. L'idée en était peu originale, car ces robes représentaient le drapeau américain : les jupes bleu foncé rayé de blanc et les corsages blancs parsemés d'étoiles rouges à cinq pointes. J'avais refusé de mettre quarante-huit étoiles sur chaque corsage, car cela m'aurait obligée à trop de couture, mais l'effet général était patriotique et gai.

Je n'oublierai jamais le jour où nous remontâmes la rivière Scheldt et abordâmes à Anvers. Nos filles, évidemment, n'avaient jamais vu de ville étrangère. Tout semblait nouveau et étrange pour elles, du fiacre qui nous mena à l'hôtel, aux édredons sur les lits. Nous descendîmes à l'Hôtel des Flandres et eûmes de bons moments pendant les quelques jours passés à Anvers. Les nappes à carreaux du "Van Viordinaire", la cuisine étrangère et le café au lait, tout était très excitant pour elles, et plein de réminiscences pour moi.

Une amie avait fait la traversée avec nous afin d'être avec nous à Ascona, mais elle nous quitta après quelques jours à Anvers, car elle voulait descendre le Rhin avec sa fille. Sa conception de la manière d'apprécier un pays était très différente de celle de Foster et de la mienne. Elle descendait, dès le matin, avec sa fille à un bras et un Baedeker sous l'autre bras. "Alice, me disait-elle, qu'allez-vous voir ce matin ? Il y a une statue avec trois étoiles dans le guide, les Rubens à voir dans la cathédrale et une foule d'autres choses. Que projetez-vous de voir d'abord ?" À son grand étonnement, je lui dis que nous n'allions rien faire de tout cela, car nous ne nous intéressions pas aux statues de militaires morts depuis longtemps, ni à toutes les églises qu'on pouvait visiter.

Je lui dis que mon principal but était que nos filles s'imprègnent de l'atmosphère du pays où elles étaient, voient un peu ce peuple et observent comment il vit et comment la vie se [222] déroule aux différentes heures de la journée. Donc, nous allions flâner et nous asseoir dans les petits cafés, sous les auvents, boire du café et rester simplement là à observer les gens, à écouter et à parler. C'est ainsi que nous fîmes, tandis qu'elle se promenait dans toutes les directions. Jamais je n'emmenai mes filles visiter les galeries pour admirer des statues, discuter sur des églises, ni faire les choses que le touriste moyen fait tous les jours. Nous errions à travers les rues. Nous regardions les jardins, faisions un tour dans les faubourgs. Au bout de quelques jours, nos filles avaient absorbé une grande quantité de connaissances sur la ville et ses faubourgs, ses occupants et son histoire. Nous n'avons jamais acheté de souvenirs, mais nous avons pris des photographies, acheté des cartes postales et constaté que les gens, à l'étranger, étaient semblables à nous.

D'Anvers, nous allâmes à Locarno, en Suisse, l'endroit le plus loin que nous pouvions atteindre par le train et, là, Olga Frôbe nous accueillit et nous emmena dans sa ravissante villa, où nous restâmes plusieurs semaines. Ce voyage en train fut une chose merveilleuse pour nos filles, mais un déplacement exténuant pour moi. Nous primes le "train bleu", par le Simplon et la vallée des Centovalli.

Il est vain d'essayer de décrire la beauté des lacs italiens. À mes yeux, le Lac Majeur, au bord duquel était construite la villa d'Olga, est l'un des plus beaux et des plus grands d'Italie. Une partie du lac est sur le territoire suisse, dans le canton du Tessin, mais la plus grande partie est en Italie. Le lac est si beau, les petits villages, au flanc des collines et qui descendent jusqu'à l'eau, sont si pittoresques ! Je ne connais rien de plus [223] beau que la vue que l'on a de Ronco, d'où l'on découvre tout le lac. Il est inutile pour moi de tenter de le décrire, car je ne trouverai pas les mots, mais aucun de nous n'oubliera jamais sa beauté. Elle est comme ces choses qu'on se représente à soi-même dans les moments de fatigue et de désillusion, et pourtant derrière toute cette beauté, il y avait la corruption et un mal très ancien.

Le secteur avait été, un temps, le centre des Messes Noires en Europe centrale, et des traces pouvaient s'apercevoir le long des routes du pays. Les petits villages des alentours avaient été désertés par leurs habitants, à cause des conditions économiques et parce qu'ils avaient été vidés, en masse, par l'Allemagne et la France dont les visées et les idées n'étaient pas du tout claires ou bonnes. Les quelques années qui avaient précédé la guerre, avaient été particulièrement vilaines, surtout en Allemagne. Toutes sortes de vices et de maux furent cultivés et beaucoup de ceux qui pratiquaient ces modes de vie indésirables, séjournèrent au bord des lacs italiens durant l'été. Un jour, l'endroit sera nettoyé et un réel travail spirituel opérera. Une des choses que nous eûmes à affronter fut l'esprit du mal qui imprégnait l'endroit et les gens particulièrement décadents et déplaisants qui vivaient sur les rives du lac.

Aussitôt que j'eus découvert quel genre de lieu c'était, et qu'en dépit de toute la beauté, là, gisait beaucoup de mal, je m'assis simplement et j'en parlai à mes filles. J'étais déterminée à ce qu'elles ne soient pas innocentes au point de tomber dans le danger et je leur désignai, au cours des promenades, le genre de gens qui étaient de la sorte indésirable. Je dis crûment et directement de quoi il était question au juste, y compris la dégénérescence et l'homosexualité, si bien qu'elles passèrent, sans dommage, à travers un grand nombre de choses qui auraient pu les abîmer. Voyez, il n'y eut pas de secret, il n'y eut pas de péché particulier ni d'action ignoble dont je ne leur aie appris l'existence. Je leur désignais les personnes qui se livraient à ce genre de choses et qui étaient d'une vulgarité si frappante que mes filles ne pouvaient avoir aucun doute. Je n'ai jamais été d'avis de tenir les jeunes en dehors de la connaissance de ce qui est indésirable.

Je leur ai permis de lire ce qu'elles voulaient, pourvu que [224] je puisse leur demander pourquoi elles désiraient lire tel livre. Ceci, s'il s'agissait d'un livre que je ne trouvais pas "propre". L'expérience m'apprit que, si j'étais parfaitement franche, et cependant parfaitement désireuse de laisser lire même ce que je jugeais mauvais, leur propreté naturelle et leur délicatesse naturelle les protégeaient complètement. Nous n'avons pas connu les lectures sous les draps de lit, autant que je sache, parce qu'elles savaient qu'elles pouvaient lire ce qu'elles voulaient et que, moi-même, je m'exprimais librement. Quoi qu'il en soit, nos filles passèrent trois étés à Ascona et surent tout ce qui s'y passait, sans en subir aucun mal.

Le premier été à Ascona, nous logions chez Olga, dans sa maison, mais ensuite nous occupions un petit cottage en surplomb sur le lac qu'elle avait construit dans sa propriété. Près de notre maison, elle avait bâti une très belle salle de conférence, où des réunions se tenaient matin et soir ; le parc était très beau. C'était l'idéal pour nager et faire du bateau et la situation, telle qu'elle se présentait au début, nous parut le paradis et la promesse d'une vaste opportunité d'expansion future. La première année, le groupe était un peu restreint, mais les deux années suivantes il grandit constamment et je pense qu'on peut dire que le travail fut un grand succès. Les gens de toutes les nationalités se rencontraient là ; nous vivions ensemble pendant des semaines et nous arrivions à nous connaître très bien les uns les autres. Les barrières nationales paraissaient ne plus exister et nous parlions tous le même langage spirituel.

C'est là que nous avons rencontré pour la première fois le docteur Roberto Assagioli qui a été notre représentant en Italie pendant plusieurs années ; notre contact avec lui, les nombreuses années de travail avec lui constituent l'un des facteurs très heureux de notre vie. Quand nous l'avons rencontré pour la première fois, il était un grand spécialiste du cerveau à Rome et il était considéré comme un psychologue de réputation européenne. C'est un homme d'une rare beauté de caractère. Il ne peut pas entrer dans une pièce sans que ses qualités spirituelles [225] essentielles fassent connaître sa présence. Frank D. Vanderlip, dans son livre What next in Europe ("Quel est l'avenir de l'Europe"), fait un commentaire saisissant à son sujet. Il l'appelle le saint François d'Assise moderne et dit que la matinée, qu'il passa avec lui, fut l'un des points culminants de son voyage en Europe. Le docteur Assagioli est juif. À l'époque où nous l'avons rencontré à Ascona et quand, plus tard, nous lui avons rendu visite en Italie, les Juifs étaient bien traités dans ce pays. Les 30 000 Juifs environ qu'il y avait en Italie étaient estimés tout autant que les citoyens italiens et n'étaient l'objet d'aucune persécution, ni d'aucune restriction.

Les allocutions du docteur Assagioli étaient les meilleurs moments des conférences d'Ascona. Il pouvait s'entretenir en français, en italien et en anglais, et le pouvoir spirituel qui jaillissait de lui, a stimulé, chez beaucoup de gens, le désir de renouveler la consécration de leur vie.

Pendant les deux premières années, nous assumâmes l'ensemble du travail des conférences bien qu'il y eut d'autres conférenciers capables et intéressants. La dernière année, il y avait surtout là des professeurs allemands et le ton général et la qualité étaient altérés. Certains d'entre eux étaient indésirables et l'enseignement donné avait glissé d'un plan relativement élevé spirituellement à celui d'une philosophie académique et d'un faux ésotérisme. 1933 fut la dernière année où nous allâmes à Ascona.

La deuxième année à Ascona fut d'un très réel intérêt. Le grand-duc Alexandre s'était joint à nous et il tint quelques entretiens très intéressants ; pourtant plus importante encore pour moi fut l'arrivée de Violette Tweedale. Ce jour fut pour moi à marquer d'une pierre blanche, et je la revois encore, descendant la colline avec son mari et, immédiatement, par le pouvoir de sa personnalité spirituelle, dominant tout le centre. Elle était si belle, si gracieuse et si noble ! Son arrivée marqua le début d'une très réelle amitié entre son mari, elle-même, Foster et moi. Plus tard, nous fîmes de fréquents séjours dans leur belle maison de Torquay, South Devon, et, quand je me sentais [226] fatiguée ou soucieuse, j'allais chez Violette pour parler avec elle. C'était un écrivain fécond. Elle écrivit de nombreuses nouvelles populaires et ses livres sur le psychisme, à partir de sa propre expérience, sont profonds et donnent à penser ; l'un des derniers, Le Christ Cosmique, a connu une très vaste et très utile diffusion. Elle était une des rares psychiques en qui il était absolument possible de croire, hautement intelligente, avec un solide sens de l'humour et un esprit d'investigation bien développé. Elle était une étudiante sérieuse des livres du Tibétain et je lui communiquais tout ce qu'il écrivait à mesure qu'il l'écrivait. Elle était l'amie des grands et des petits et, quand elle mourut, il y a peu de temps, il y eut des centaines de gens, en plus de mon mari et de moi-même, qui eurent l'impression d'une très grande perte. La broche qu'elle portait constamment, me fut donnée par son mari et je la porte tout le temps ; je pense toujours à elle, avec l'affection et l'amour les plus profonds.

Chaque année, après notre voyage, nous revenions aux États-Unis pour quelques mois, laissant généralement nos filles en Angleterre où nous louions une maison, si c'était nécessaire ; une maison à Ospringe Place à Kent fut aimablement mise à notre disposition pour deux ans par un ami, étudiant de l'École Arcane.

C'est au cours de ces années que mes trois filles se marièrent. Comme je l'ai raconté, Dorothée épousa le capitaine Morton, de six mois son aîné et qui lui convenait admirablement. C'est l'un de ces mariages qui font plaisir à voir. Je crois qu'ils sont tous deux heureux. Je sais que Terence est pour Dorothée l'unique, tranquille, intelligent, ferme quand il le faut, et que Dorothée est spirituelle, brillante, très réfléchie, bonne psychologue, de bonne humeur, très artiste et dévouée à son mari. Plus tard, Ellison épousa un officier, camarade de Terence, Arthur Leahy. Arthur et Terence étaient tous deux, à l'époque, colonels en service actif à l'étranger. [227]

Une année, ma seconde fille, Mildred, revint avec nous aux États-Unis et s'y maria avec Meredith Pugh ; ce fut un mariage très malheureux, quoique les indications eussent pu faire penser qu'il n'aurait pas dû l'être. Les circonstances se déroulèrent si brutalement qu'en quatre mois Mildred fut fiancée, mariée et divorcée avec un petit garçon en route. Ce même petit garçon fut pour elle plus qu'une compensation, quand elle se sépara. Il n'y a pas de raison pour que je donne plus de détails sur cette affaire. En fin de compte, Mildred assuma une situation très difficile avec équilibre, sérénité et sagesse. Quand elle me revint en Angleterre, je fus étonnée de son absence de rancœur, d'esprit de vengeance ou de revanche, mais je fus aussi étonnée que quelqu'un qui paraissait aussi désespérément malade, puisse continuer à vivre.

Pendant les années où mon mari et moi étions cinq mois en Grande- Bretagne et en Europe, et sept mois aux États-Unis, le travail de l'École continuait à se développer régulièrement. Le travail accompli à Ascona pendant trois ans avait amené à l'École un grand nombre de personnes de nationalités différentes, et, avec ceux qui avaient déjà rejoint l'École, grâce à la lecture des livres, ils avaient constitué un noyau dans plusieurs pays d'Europe, à partir duquel nous pouvions construire le travail futur. Le travail en Espagne, conduit par Francisco Brualla, avançait très bien et nous avions déjà plusieurs centaines d'étudiants espagnols, des hommes pour la plupart. De petits groupes, éparpillés à travers le monde, commençaient à se joindre à l'École, en tant que groupe.

Un de ces groupes, en Inde, m'intéressait beaucoup. C'était une organisation indienne appelée Suddha Dharma Mandala. Elle avait été fondée par Sir Subra Maniyer. C'était un ordre occulte, apparemment d'une sorte avancée. J'avais eu entre les [228] mains un de leurs livres et j'avais découvert que plusieurs des dirigeants de la Société théosophique travaillaient dans cet ordre, ayant laissé tomber la section ésotérique. Je ne suis pas très douée pour me joindre à des organisations, mais j'écrivis au dirigeant de cet ordre pour lui demander la permission de me joindre à ses membres ; je ne reçus pas de réponse. L'année suivante, comme je n'avais pas de nouvelles, j'écrivis de nouveau et commandai quelques-uns des livres, en joignant un chèque pour le règlement. Je ne reçus pas de réponse et aucun livre ne me fut envoyé bien que le chèque ait été touché. Quelques mois plus tard, j'envoyai une copie de ma précédente lettre au dirigeant de l'ordre, mais je ne reçus toujours aucune réponse. J'abandonnai la tentative et décidai que c'était une des ces organisations spéciales, truquées, qui escroquaient l'Occidental crédule.

Trois ans plus tard, j'allai à Washington pour donner un cours de conférences à l'hôtel New Willard. À la fin d'un cours, un homme vint à moi, une petite valise à la main, et dit : "J'ai reçu l'ordre de Suddha Dharma Mandala de vous remettre ces livres." Il y avait là tous les livres que j'avais commandés, aussi je retrouvai ma foi dans la rectitude de l'organisation. Je n'eus plus d'autres nouvelles pendant un certain temps, puis je reçus une lettre de l'un des membres du groupe, disant que Sir Subra Maniyer était mort, que mon livre, le Traité sur le Feu Cosmique, l'avait accompagné constamment et que, sur son lit de mort, il avait prié les sept membres les plus avancés de son organisation de se joindre à l'École Arcane et de suivre mon enseignement. C'est ce qu'ils firent et, pendant des années, ce groupe très intéressant de vieux étudiants hindous a travaillé avec nous. Tous ces hommes sont morts peu à peu ; aujourd'hui, il ne me semble plus être en contact avec eux. Ils avaient un grand respect pour H.P. Blavatsky et je trouvais mon contact avec eux très intéressant.

Un autre lien avec H.P.B. se forma quand un petit groupe de personnes de Sinnett s'affilia à l'École Arcane, la première [229] personne étant mon amie Lena Rowan-Hamilton ; elles apportèrent à la vie de l'École un peu de la vieille tradition et du sens solide de la relation à la Source de la Sagesse Éternelle dont le courant lumineux traversa l'Occident au XIXème siècle.

L'un des développements intéressants de l'École a été l'exigence croissante en face des demandes d'affiliation. De plus en plus, nous nous trouvions obligés de renvoyer des étudiants qui étaient uniquement sur le niveau émotionnel, et d'insister sur la nécessité d'une certaine focalisation et du développement mental si l'entraînement plus avancé de nos degrés supérieurs devait être donné. À mesure que les années passent et que le besoin du monde devient plus pressant, la nécessité d'avoir des disciples entraînés devient aussi d'une évidence croissante. Le monde devra être sauvé par ceux qui ont à la fois l'intelligence et l'amour ; l'aspiration et les bonnes intentions ne sont pas suffisantes.

Durant ces années de voyages, nous avons rencontré bien des types d'occultisme dans les différents pays d'Europe. Partout, on pouvait prendre contact avec de petits groupes qui mettaient l'accent sur quelque aspect de la Sagesse Éternelle et sur une présentation de la vérité ésotérique. Les premières indications de l'apparition d'un courant spirituel se remarquaient partout, aussi bien en Pologne et en Roumanie qu'en Grande Bretagne et en Amérique. C'était presque comme si la porte d'une nouvelle vie spirituelle s'était ouverte pour l'humanité et cela évoquait une apparition correspondante des forces du mal qui culminèrent dans la Guerre Mondiale. Que ce courant ascendant ait été interrompu par la guerre, je ne le crois pas. Je crois avec confiance qu'il a mené à une intensification du besoin spirituel et que ceux d'entre nous qui travaillent dans les vignes des Maîtres, auront beaucoup à faire dans les années futures pour organiser, encourager, instruire ceux qui sont éveillés spirituellement.

Une des raisons qui m'ont encouragée à écrire cette autobiographie a été que moi, et le groupe qui nous est associé, [230] nous avons été en mesure d'observer et de reconnaître certains développements qui, sous la direction et l'influence de la Hiérarchie, se sont révélés sur terre. Nous avons été appelés pour commencer une partie du travail qui inaugurera le nouvel âge et la future civilisation, particulièrement du point de vue spirituel. En regardant en arrière, vers ces années-là, nous voyons clairement ce que la Hiérarchie a accompli à travers nous, en tant qu'instruments.

Quand je dis cela, ce n'est pas pour nous vanter ou nous délivrer un certificat d'autosatisfaction. Nous sommes seulement l'un des nombreux groupes au moyen desquels les Maîtres de la Sagesse travaillent, et tout groupe qui l'oublie, risque de devenir un isolationniste satisfait ; dès lors, il est en grand danger de disparaître. Il nous a été permis de faire certaines choses. D'autres disciples et d'autres groupes ont été responsables du lancement d'autres projets, sous la conduite de leur propre Maître. Tous ces projets, s'ils sont exécutés sous l'inspiration hiérarchique et dans un esprit de réelle humilité et de compréhension, sont des facteurs de contribution à la grande entreprise spirituelle que la Hiérarchie mit en route en 1925. C'est de l'une de ces expressions dramatiques du dessein de la Hiérarchie que je veux parler à présent.

En 1932, alors que nous étions à Ascona, je reçus une communication du Tibétain qui fut publiée à l'automne dans une brochure intitulée : Le Nouveau Groupe des Serviteurs du Monde. Elle marqua une date par sa signification, bien que peu de gens, alors, aient été à même de réaliser son véritable contenu.

La position prise par la Hiérarchie spirituelle, sur notre planète, fut qu'un groupe était en processus de formation ; il inclurait le noyau de la civilisation mondiale future et se caractériserait par la qualité distinctive de cette civilisation durant les 2 500 années suivantes. Ces qualités sont avant tout l'esprit inclusif, le désir puissant et non égoïste de servir ses compagnons, [231] et le sens précis de direction spirituelle émanant du côté intérieur de la vie. Ce nouveau groupe de serviteurs du monde comprend deux secteurs. Le premier a une relation étroite avec la Hiérarchie spirituelle. Il est composé d'aspirants qui travaillent en vue du discipulat, sous la conduite de certains des disciples du Maître, lesquels sont à leur tour dirigés et guidés par quelque disciple du monde dont le travail est sur une échelle si vaste qu'il est de portée internationale. Ce groupe œuvre en tant qu'intermédiaire entre la Hiérarchie spirituelle et l'ensemble des hommes. À travers eux, les Maîtres de la Sagesse, sous la direction du Christ, mettent en œuvre un gigantesque plan pour le salut du monde.

Cette tentative pour conduire l'humanité en avant le long de lignes nouvelles et plus précises, sur une beaucoup plus vaste échelle que par le passé, est rendue possible par l'arrivée de l'ère du Verseau. Cette ère est de portée à la fois astronomique et astrologique.

Il y a un très fort préjugé dans le monde d'aujourd'hui contre l'astrologie et c'est compréhensible ; il protège les crédules et les sots. La prédiction astrologique est, de mon point de vue personnel, à la fois une menace et un handicap. Si une personne est hautement développée, elle commencera à dominer ses étoiles. Elle accomplira l'imprévisible et son horoscope se révélera inexact et dépourvu de signification. Si une personne est peu développée, alors il est probable que ses étoiles la conditionnent complètement et son horoscope sera donc exact sous l'angle de la prédiction. Quand il en est ainsi et que la personne accepte les prédictions de son horoscope, son libre arbitre est complètement annulé ; elle vivra dans les limites de son horoscope et ne fera donc plus aucun effort personnel pour se libérer des éventuels facteurs déterminants.

J'ai souvent souri en moi-même quand des gens se vantaient [232] que leur horoscope était exact et que tout arrivait dans leur vie comme l'horoscope l'indiquait. Ce qu'ils disaient, revenait, en réalité, à énoncer : "Je suis médiocre ; je n'ai pas mon libre-arbitre ; je suis entièrement conditionné par mes étoiles et, donc, je n'ai pas la moindre intention de faire le plus petit progrès dans cette vie." Ce type d'horoscope est un de ceux que les meilleurs astrologues évitent. Les meilleurs, dans ce domaine, sont avant tout intéressés par la description du caractère, ce qui est beaucoup plus utile, et par des tentatives en vue de découvrir de quelle manière l'horoscope de l'âme peut être établi, afin que le but de la vie de l'individu en incarnation puisse être précisé et que, par conséquent, une nette distinction puisse être faite entre les tendances de la personnalité, constituée par de multiples incarnations, et le dessein émergeant et la volonté de l'âme.

Quand, cependant, on en vient à la considération des implications astrologiques des événements astronomiques, c'est une toute autre histoire. On entend déclarer que nous sommes en train de passer actuellement dans le signe du Verseau, ce qui signifie que, sous l'angle du zodiaque, qui est le passage imaginaire du soleil dans le ciel, le soleil apparaît comme entrant dans la constellation du Verseau. C'est un fait astronomique en ce moment, et cela n'a pas affaire avec l'astrologie. Cependant l'influence du signe, à travers lequel le soleil passe à chaque période mondiale, est indéniable et je peux vous le prouver ici et tout de suite.

Antérieurement à la dispensation juive, quand Moïse conduisit les enfants d'Israël hors de l'Égypte, le soleil était dans le signe du Taureau. Nous avions alors, sur la terre, les formes des Mystères de Mithra qui se déroulaient autour du sacrifice du taureau sacré. Le péché des enfants d'Israël dans le désert, qui suscita si fortement la colère de Moïse quand il redescendit [233] de la montagne du Seigneur et les trouva se prosternant devant le Veau d'or, fut qu'ils avaient régressé vers une antique et désuète religion qu'ils auraient dû avoir abandonnée. La dispensation juive en elle-même était régie par le signe du Bélier à travers lequel le soleil allait passer pendant 2 000 ans. Alors, nous avons l'image du bouc émissaire dans l'histoire juive. Nous avons le récit biblique du bélier dans le buisson ; tout cela a été dû au passage du soleil à travers le signe du Taureau et le signe du Bélier.

Mises à part les découvertes de l'astrologie académique, qui même à présent ne peuvent concerner que très peu de gens, quelque chose produisit ces réactions naturelles. Une certaine influence émanant du signe du Taureau et du signe du Bélier produisit le symbolisme qui conditionna la vie religieuse des peuples de cette ère. Cela devint encore plus évident quand le soleil passa par la constellation suivante, les Poissons. Alors, nous avons l'image du Christ et le symbolisme du poisson si caractéristique tout au long des Évangiles. Les disciples du Christ étaient, pour la plupart, des pêcheurs. Le Christ accomplit le miracle des poissons et envoya ses apôtres après sa mort, prêcher sous la conduite de saint Pierre, avec l'injonction d'être des pêcheurs d'hommes. C'est pour cette raison que la mitre du Pape représente la bouche d'un poisson.

Maintenant, selon l'astronomie, nous entrons dans l'ère du Verseau, le signe du porteur d'eau, le signe de l'universalité, car l'eau est un symbole universel. Avant sa mort, le Christ envoya ses disciples à la recherche du "porteur d'eau" qui les conduisit à une chambre haute prête pour le service de la Communion. Tout cela était l'indice de la reconnaissance, par le Christ, de la nouvelle ère qui succéderait à la sienne et à laquelle nous arrivons en ce moment. La grande peinture de Léonard de Vinci [234] qui représente la Communion dans la chambre haute, est le grand symbole de l'ère du Verseau, car nous nous assiérons tous ensemble, sous la direction aimante du Christ, quand la fraternité sera établie et que les hommes seront unis par les liens de la relation divine. Les vieilles barrières entre homme et homme, entre nation et nation, vont, au cours des 2 000 prochaines années, lentement disparaître.

C'était pour instaurer ce travail que la Hiérarchie annonça l'émergence sur la terre du nouveau groupe des serviteurs du monde, conduit et guidé par des disciples et des aspirants spirituels qui ne connaissent pas le sens de la séparativité, qui voient tous les hommes semblables, sans souci de couleur ou de foi, et qui ont fait vœu de travailler sans relâche à promouvoir la compréhension universelle, le partage économique et l'unité religieuse.

Le deuxième secteur, dans l'organisation du nouveau groupe des serviteurs du monde, est composé d'hommes et de femmes de bonne volonté. Ce ne sont pas, à proprement parler, des aspirants spirituels. Ils ne sont pas particulièrement intéressés par le Plan et n'ont que peu, ou pas du tout, de connaissance de la Hiérarchie planétaire. Cependant, ils veulent voir s'établir de justes relations entre les hommes. Ils veulent voir la justice et la bonté prévaloir sur la terre. Sous la direction des disciples du monde, et les aidant, ces gens peuvent être entraînés à exprimer la bonne volonté d'une manière pratique et effective. Ainsi ils peuvent faire un travail de base, en préparant le monde à une plus complète expression du dessein spirituel. Ils peuvent familiariser l'humanité avec la nécessité de justes relations humaines, dans toutes les communautés, toutes les nations, et, finalement, à l'échelle internationale.

La cessation de l'actuelle guerre mondiale a en effet éclairci la situation. Le mal des mauvaises relations humaines, la perversion de l'agression et la discrimination raciale sont devenus si apparents que seuls les sots pourraient ne pas voir la nécessité [235] d'une bonne volonté active. Trop de gens, pleins de bonnes intentions, acceptent théoriquement le fait que Dieu est amour et ils espèrent, béatement, qu'Il rendra l'amour évident dans l'humanité.

Ainsi le nouveau groupe des serviteurs du monde fut lancé dans la conscience de l'humanité moderne. La brochure traçant cet idéal connut une large diffusion et fut suivie d'autres brochures sur le même sujet, écrites par le Tibétain et s'étendant sur le thème de base du dessein spirituel et de la bonne volonté. Le Tibétain, dans ces brochures, traçait une ligne précise que nous pouvons suivre. Il préconisait l'établissement d'une liste de correspondants, hommes et femmes de bonne volonté, dans les divers pays du monde entier. Il suggérait que nous organisions ce qu'Il appelait les Unités de Service dans le plus de pays possible. Il traçait, pour nous, la nature de l'enseignement à dispenser et nous procédâmes immédiatement à la mise en œuvre de ces suggestions et de ces injonctions.

De 1933 à 1939, nous fûmes occupés à répandre la doctrine de la bonne volonté, en organisant les Unités de Service dans dix-neuf pays différents et en trouvant les hommes et les femmes qui correspondaient à la vision du Tibétain, et qui étaient désireux de faire ce qu'ils pourraient pour établir de justes relations humaines et répandre l'idée de la bonne volonté parmi les hommes.

Foster et moi avons toujours été mécontents de l'accent mis sur la paix. Depuis des années, les groupes pacifistes du monde ont été occupés à répandre l'idée de la paix, dressant les listes de ceux qui soutenaient l'idée de la paix et de ceux qui ne la soutenaient pas, et ils ont adressé partout des appels pour que la paix devienne quelque chose d'obligatoire. Nous avons ressenti fortement que c'était mettre la charrue avant les bœufs.

Dans ces jours de violente propagande pour la paix, entre la première guerre mondiale et la deuxième guerre mondiale, [236] l'idée de paix a fait de grands progrès. Des millions de noms apparurent sur les listes demandant la paix. Les nations de l'Axe accueillirent favorablement la propagande pour la paix, car elle constituait un excellent soporifique qui empêchait qu'une action ne soit entreprise pour armer les nations contre d'éventuels agresseurs. Le fait que la guerre fut l'effet de mauvaises conditions économiques, n'entraînait pas la moindre activité en vue de rendre ces conditions justes. Les gens continuaient à être affamés ; beaucoup continuaient à être mal rétribués dans toutes les parties du monde. Le travail des enfants n'était pas aboli partout quoique l'on ait fait de grands progrès dans ce sens. La surpopulation augmentait régulièrement les difficultés. Toutes les conditions qui pouvaient inciter à la guerre étaient présentes partout, même si s'élevait le cri : "Règne la paix sur la terre !"

Quand des anges chantaient à Bethléem, ils disaient : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux", but final. Alors, "Paix sur la terre", où l'humanité en tant que tout est concernée, et, comme pas initial et absolument nécessaire : "Bonne volonté parmi les hommes." La bonne volonté doit venir avant, si jamais la paix peut s'établir, et elle a été oubliée. On a tenté d'introduire une période de paix avant qu'il n'y ait eu la démonstration de bonne volonté. Il ne peut pas y avoir de paix tant que la bonne volonté ne sera pas un facteur qui conditionne toutes les relations humaines.

Une autre chose révolutionnaire que fit le Tibétain fut de dicter le contenu du Traité sur le Feu Cosmique. Dans ce livre, Il donna ce que H.P.B. avait prophétisé qu'Il donnerait, à savoir la clé psychologique de la création cosmique. H.P.B. avait affirmé qu'au XXème siècle un disciple viendrait qui donnerait des informations concernant les trois feux dont traite la Doctrine Secrète : le feu électrique, le feu solaire et le feu par friction. Cette prédiction fut réalisée quand le Traité sur le Feu Cosmique fut donné au public. Ce livre concerne le feu du pur [237] esprit ou de la vie, le feu du mental qui vitalise chaque atome du système solaire et crée le moyen à travers lequel les Fils de Dieu se développent. Il concerne aussi le feu de la matière qui produit l'attraction et la répulsion, qui sont les lois de base de l'évolution et qui tiennent les formes assemblées afin de fournir des véhicules à la vie qui évolue et, plus tard, quand elles ont servi ses desseins, repoussent ces formes afin que la vie puisse poursuivre sa voie vers une plus haute évolution. La vraie signification de ce livre ne sera appréciée que vers la fin de ce siècle. Il est d'une profondeur et d'une vigueur de connaissance technique qui dépassent la compréhension du lecteur ordinaire. C'est aussi un livre qui sert de pont, car il prend certaines idées de base orientales et les amène à l'étudiant occidental, tandis que, dans le même temps, il rend pratiques les concepts métaphysiques, parfois un peu vagues, de l'Orient.

Une troisième chose exceptionnelle que le Tibétain a accomplie, ces derniers mois, a été de présenter un tableau et certaines indications au sujet du rituel sur lequel peut être fondée la nouvelle religion mondiale.

Le besoin s'est longtemps fait sentir de certains points de contact entre les religions exotériques de l'Ouest et la foi ésotérique de l'Est. Au niveau de l'approche ésotérique ou spirituelle du divin, il y a toujours eu une uniformité entre l'Est et l'Ouest. Les techniques pratiquées par les chercheurs mystiques de Dieu en Occident sont identiques à celles des chercheurs de l'Orient. À un certain point du Sentier du retour à Dieu, toutes les voies se rencontrent et, alors, le procédé est unique pour tous les degrés d'approche qui suivent. Les démarches dans la méditation sont identiques, ce qui est évident pour quiconque étudie les textes de Maître Eckhart et les Yoga Sutras de Patanjali. Toutes les grandes expansions de conscience sont décrites dans la philosophie hindoue et les cinq grandes expansions [238] représentées par les cinq grandes crises de la vie du Christ, que rapporte le Nouveau Testament, sont encore les mêmes. Quand l'homme commence, consciemment, à chercher Dieu et à se prendre en main pour obtenir discipline et endurance, il se trouve lui-même en conformité avec les chercheurs de l'Est et de l'Ouest, avec ceux qui

 vivaient avant la venue du Christ et avec ceux qui cherchent aujourd'hui.

Ce fut par un effort pour rendre claire la relation entre l'Orient et l'Occident que j'ai écrit le livre La Lumière de l'Âme. C'est un commentaire sur les Yoga Sutras de Patanjali, qui vécut et enseigna probablement 9000 ans avant le Christ. Le Tibétain me donna la paraphrase des anciennes phrases sanscrites, car je ne connais pas le sanscrit, mais j'écrivis moi- même le commentaire ; j'étais soucieuse de présenter une interprétation des Sutras qui soit plus adaptée au type de pensée et à la conscience de l'Occidental que la présentation orientale habituelle. J'écrivis aussi De Bethléem au Calvaire, afin de tracer la signification des cinq épisodes majeurs de la vie du Christ – naissance, baptême, transfiguration, crucifixion et résurrection – et de leur relation aux cinq initiations telles qu'elles sont définies pour le disciple oriental. Ces livres ont, l'un et l'autre, une portée précise sur la nouvelle religion mondiale.

Le temps doit venir où le travail du grand Maître oriental, Bouddha, qui vint sur terre, atteignit l'illumination, devint le guide et l'instructeur de millions d'Orientaux, et le travail du Christ, qui vint comme l'instructeur et le sauveur reconnu d'abord par l'Occident, fusionneront. Il n'y a pas de divergence ni de conflit entre leurs enseignements. Il n'y a pas de compétition entre eux. Ils s'imposent comme les deux plus grands instructeurs et sauveurs mondiaux. L'un a guidé l'Orient, l'autre a guidé l'Occident, plus près de Dieu.

C'est le thème que le Tibétain a exposé dans sa brochure [239] La Nouvelle Religion Mondiale. Il indique que le travail du Bouddha a préparé les gens au Sentier du Disciple, tandis que le travail du Christ a préparé les gens à l'Initiation. Il indique le rituel selon lequel le grand jour du Bouddha, la fête de Wesak (à la pleine lune de mai) et le dimanche de Pâques (déterminé par la pleine lune d'avril) sont les signes du Bouddha illuminé et du Christ naissant, tandis que la pleine lune de juin est la fête de l'humanité accomplissant son approche annuelle majeure vers Dieu, sous la conduite du Christ. Les autres pleines lunes, chaque mois, sont des fêtes mineures au cours desquelles certaines qualités spirituelles, nécessaires à l'expression du discipulat et à l'initiation, sont mises en évidence.

Une autre activité révolutionnaire, portée à l'attention de l'humanité par le Tibétain, indique les premiers pas nécessaires à la Hiérarchie pour approcher de plus près l'humanité, afin de restaurer les anciens Mystères et extérioriser, rendre possible la manifestation sur le plan physique des Maîtres et de leurs groupes de disciples réunis, appelés techniquement des ashrams.

Il est implicite que dans cet effort se tient la signification du deuxième avènement du Christ. Il viendra amenant avec lui ses disciples. Les Maîtres seront de nouveau présents sur la terre ainsi qu'Ils le furent il y a quelques millions d'années, pendant l'enfance de l'humanité. Ils nous laissèrent alors momentanément et disparurent derrière le voile qui sépare le visible de l'invisible. Ils agirent ainsi pour donner à l'homme le temps de développer le libre arbitre, de devenir un adulte qui utilise son mental, prend ses propres décisions et s'oriente finalement vers le royaume de Dieu, entreprenant consciemment l'effort de fouler le chemin du Retour. Cela sur une si large échelle qu'il est à présent possible que, dans le cours du prochain siècle, les Maîtres [240] puissent sortir de leur silence et être de nouveau connus des hommes. À cette fin, le Tibétain a travaillé et beaucoup d'entre nous ont collaboré avec lui.

Il institua aussi les nouvelles règles pour les disciples, règles qui leur laissent une beaucoup plus grande liberté que ne le faisaient celles, si bien connues, du passé. Aucune obéissance n'est exigée aujourd'hui. Le disciple est considéré comme un être intelligent et il est laissé libre de répondre au mieux aux nécessités. Aucun secret n'est demandé, car aucun disciple n'est admis dans un ashram ou dans un lieu d'initiation tant qu'il y a le plus petit risque qu'il parle. Les disciples sont à présent entraînés télépathiquement et la présence physique du Maître n'est plus nécessaire. L'ancien développement personnel n'est plus de rigueur. Le besoin de l'humanité est présenté comme le stimulant majeur pour le développement spirituel. Aujourd'hui il est enseigné aux disciples à travailler ensemble, en groupe, avec la possibilité de l'initiation de groupe ouverte devant eux ; idée et vision entièrement neuves. Les disciplines physiques ne sont plus obligatoires. Le disciple moderne, intelligent, aimant et servant, est considéré comme n'en ayant plus besoin. Il doit aussi avoir dépassé ses appétits physiques et être libre, maintenant, de servir. Beaucoup de cet enseignement est donné dans un livre nouvellement publié, L'État de Disciple dans le Nouvel Âge, qui contient les instructions que le Tibétain donna à un groupe de ses disciples du monde ; j'en connaissais quelques- uns. C'est la première fois, dans l'histoire de la Hiérarchie, pour autant qu'on le sache, que des instructions détaillées, données par un Maître à son groupe de disciples, sont publiées et donc mises entre les mains du grand public.