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CONFERENCE III

TROISIEME CONFERENCE

L'EVOLUTION DE LA FORME, OU DU GROUPE

Je désire insister, ce soir, sur l'idée fondamentale de l'unité de la conscience, ou de l'intelligence, telle que je l'ai développée au cours de notre dernier entretien, et élargir ensuite ce concept. On a dit que l'évolution allait de l'homogène à l'hétérogène, pour revenir ensuite à l'homogène, et on a remarqué que :

"L'évolution est la marche constamment accélérée de toutes les particules de l'univers ; marche qui les mène toutes ensemble, par un chemin semé de destructions, mais sans interruption ni coupure, de l'atome matériel à cette conscience universelle au sein de laquelle résident l'omnipotence et l'omniscience ; en un mot, à la réalisation complète de l'Absolu de Dieu."

Ce processus part de ces particules infiniment petites que nous appelons les molécules et les atomes, traverse les formes qu'elles constituent en s'agrégeant les unes aux autres, et se poursuit par l'édification de formes toujours plus grandes, jusqu'à la totalité du système solaire. Tout ceci s'effectue selon une loi, et cette même loi fondamentale régit à la fois l'évolution de [54] l'atome et celle du système solaire. Le macrocosme se répète dans l'homme, qui est le microcosme, et le microcosme se reflète à son tour dans tous les atomes inférieurs.

Ces remarques, ainsi que celles que nous avons faites au cours de nos entretiens précédents, concernent avant tout la manifestation matérielle du système solaire, mais ce que je veux mettre en valeur dans nos entretiens futurs, c'est ce que nous pourrions appeler l'évolution psychique, ou démonstration graduelle et déploiement évolutionnaire de cette intelligence subjective, ou conscience, qui se tient à l'arrière-plan de la manifestation objective.

Comme d'habitude, cette conférence se divisera en quatre parties : d'abord nous examinerons le processus évolutionnaire lui-même qui est, dans ce cas particulier, l'évolution de la forme, ou du groupe ; puis la méthode suivant laquelle le groupe se développe ; ensuite nous verrons les stades que traversent ces formes au cours de leur évolution, et nous terminerons par une conclusion pratique, en cherchant à en dégager quelques vérités applicables à notre vie quotidienne.

La première question qui se pose à nous est la suivante : qu'est exactement la forme ? Si nous consultons un dictionnaire nous trouverons ce mot défini de la façon suivante : "La forme est la configuration extérieure d'un corps. "Dans cette définition, l'accent est mis sur le côté extérieur, [55] tangible et exotérique de la manifestation. Cette même pensée apparaît si nous étudions attentivement l'étymologie du mot "manifestation". Celui-ci provient de deux mots latins qui signifient "toucher de la main" (manus, main, et fendere, toucher), et l'idée qui surgit alors à notre esprit est triple : ce qui est "manifesté" est ce qui peut être senti, touché et appréhendé. Cependant, dans chacune de ces interprétations, on a perdu de vue la partie essentielle du concept, et il nous faut chercher ailleurs une meilleure définition. À mon avis, Plutarque nous rend l'idée de la manifestation du subjectif par le moyen de la forme objective, d'une façon beaucoup plus lumineuse que le dictionnaire. Il dit :

"Une idée est un être incorporel qui n'a aucune existence en lui-même, mais qui donne figure et forme à la matière amorphe, et devient la cause de la manifestation".

Vous avez ici une phrase des plus intéressantes, une phrase douée d'un véritable sens occulte. Elle mérite d'être soigneusement examinée, car elle contient un concept qui n'est pas seulement valable pour cette petite manifestation qu'est l'atome du chimiste ou du physicien, mais pour toutes les formes constituées par les atomes, y compris la manifestation de l'être humain et celle de la Déité d'un système solaire, cette grande Vie, ou esprit universel qui embrasse [56] tout, ce centre vibrant d'énergie et cette grande conscience déployée que nous appelons Dieu, ou Force, ou Logos : L'Existence Qui S'exprime par le moyen du système solaire.

Dans la Bible chrétienne, la même pensée se trouve exprimée par saint Paul. Celui-ci dit, en parlant de Dieu, dans la deuxième épître aux Éphésiens : "Nous sommes Son œuvre". La traduction littérale du grec serait : "Nous sommes Son poème, ou Son idée" et l'apôtre pense que, par le moyen de chaque vie humaine ou par celui de l'agrégat de vies qui compose le système solaire, Dieu est en train de réaliser une idée, un concept spécifique, ou un poème détaillé. Un homme est une pensée incarnée et c'est ce concept que nous retrouvons à l'état latent dans la définition de Plutarque. Vous y trouvez d'abord l'idée d'une entité consciente, puis la pensée ou le dessein que s'efforce d'exprimer cette entité et finalement le corps ou forme qui en est la résultante.

Le terme Logos, que l`on traduit par le "Verbe", est fréquemment employé dans le Nouveau Testament pour désigner la Déité. Le passage le plus marquant où ce mot est cité est le premier chapitre de l'Évangile selon saint Jean, où on lit : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec [57] Dieu, et le Verbe était Dieu". Arrêtons-nous un instant à cette formule. Sa traduction littérale est "le Verbe", et l'on a défini celui-ci comme étant "le fait de rendre une pensée cachée par une expression objective". Si vous prenez un substantif quelconque, et si vous étudiez son sens objectif, vous verrez qu'il a pour objet de transmettre à votre esprit une pensée précise, incluant un dessein, une intention, et peut-être un concept abstrait. Si nous pouvons étendre cette même méthode à l'idée de la Déité, ou du Logos, nous pourrons projeter beaucoup de clarté sur le problème difficile de la manifestation de Dieu, cette Intelligence centrale, par le moyen de la forme matérielle, soit que nous le voyions manifesté à travers la forme minuscule de l'atome chimique soit à travers ce corps physique gigantesque que nous appelons un système solaire.

Nous avons vu, au cours de notre dernière conférence, que les savants commençaient à reconnaître une faculté caractéristique à tous les atomes. Ils nous ont montré que les atomes sont doués de tous les indices de la pensée et d'une forme d'intelligence rudimentaire. L'atome témoigne d'une faculté de discrimination ou pouvoir sélectif, et de la capacité d'attirer et de repousser. Il peut sembler étrange d'appliquer à l'atome le mot intelligence, mais le sens étymologique du mot incarne parfaitement cette idée. [58] Celui-ci provient de deux mots latins : inter, entre, et legere, choisir. L'intelligence, donc, est la faculté de penser ou de choisir, de sélectionner et de discriminer. Elle est, en réalité, ce je ne sais quoi d'abstrait qui se trouve derrière la grande loi de l'attraction et de la répulsion, qui est une des lois fondamentales de la manifestation. Cette faculté fondamentale d'intelligence caractérise toute la matière atomique, et régit également la construction des formes, ou agrégats d'atomes.

Nous avons étudié plus haut l'atome en lui-même, mais nous n'avons pas encore envisagé sa façon de créer des formes, ou cette totalité de formes que nous appelons un règne de la nature. Nous avons examiné, en quelque sorte, l'essence de l'atome, et sa caractéristique primordiale, l'intelligence, en soulignant ce dont sont faites toutes ces formes – celle du règne minéral, du règne animal, et du règne humain. La somme de toutes ces formes constitue la totalité de la nature, telle qu'on l'entend généralement.

Étendons à présent notre pensée au-delà des formes individuelles qui constituent chacun de ces quatre règnes de la nature et considérons-les comme fournissant cette forme plus vaste que nous appellerons le Règne lui-même. Ceci nous permettra de voir, en lui, une unité consciente, formant un tout homogène, de sorte que chaque règne de la nature peut être considéré [59] comme une forme à travers laquelle se manifeste une conscience, de quelque espèce ou de quelque degré qu'elle soit. De même, l'agrégat des formes animales compose cette forme plus grande que nous appelons le Règne lui-même, et ce règne animal, à son tour, possède sa place dans un corps plus grand que lui. Et, de même qu'une vie consciente peut chercher à s'exprimer à travers ce règne, une Vie subjective plus vaste encore peut s'efforcer de se manifester à travers l'agrégat des règnes.

Dans tous ces règnes – minéral, végétal, animal et humain – nous nous trouvons une fois de plus en présence de trois facteurs, en admettant, naturellement, que la base de notre raisonnement soit exacte : d'abord, que l'atome originel est lui-même une vie ; deuxièmement que toutes les formes sont faites d'une multitude de vies, constituant ainsi un tout cohérent à travers lequel une entité subjective est en train d'accomplir un dessein ; troisièmement, que la vie centrale incluse dans la forme est son impulsion directrice, la source de son énergie, l'origine de son activité, et la force qui assure l'unité permanente de cette forme.

Cette pensée peut être facilement appliquée à l'homme. Nous pouvons définir l'homme comme une énergie centrale, une vie, ou une intelligence, opérant à travers une manifestation matérielle, ou forme, cette forme étant constituée par des myriades de vies plus petites. À ce propos, un phénomène très curieux a été souvent [60] remarqué au moment de la mort ; il m'a été signalé tout particulièrement, il y a quelques années, par une des meilleures infirmières de chirurgie travaillant aux Indes. Elle avait été athée pendant très longtemps, mais avait commencé à s'interroger sur les raisons de son incroyance, après avoir constaté, à plusieurs reprises le phénomène suivant : elle me déclara qu'au moment de la mort elle avait vu, dans plusieurs cas, un jet de lumière jaillir du sommet de la tête du mourant et, dans un cas particulier (celui d'une jeune fille sans doute très développée au point de vue spirituel et qui avait mené une vie d'une pureté et d'une piété exemplaires), la pièce avait semblé soudain éclairée à l'électricité. D'autre part, il n'y a pas longtemps, le corps médical d'une ville importante du Middle West, a reçu une lettre d'une personne intéressée par ces questions, demandant si ces médecins avaient remarqué quelque phénomène particulier au moment de la mort. Plusieurs d'entre eux répondirent qu'ils avaient aperçu une lumière bleuâtre jaillissant du sommet du crâne, et un ou deux ajoutèrent qu'ils avaient entendu un léger craquement dans cette région de la tête. Cette dernière déclaration corrobore le passage de l'Ecclésiaste, où se trouve mentionné le relâchement de la "corde d'argent", c'est-à-dire la rupture de ce lien magnétique qui unit l'entité immanente, ou penseur, à son véhicule d'expression. Dans les deux cas cités ci- dessus on peut voir, apparemment, le retrait [61] de la lumière centrale, ou vie, la désintégration de la forme qui en est le corollaire, et la dispersion des myriades de vies plus petites qui la composent.

Il peut donc sembler, à beaucoup d'entre-nous, que c'est une hypothèse logique de considérer que, si l'atome du chimiste est une sphère minuscule, ou forme, douée d'un noyau positif, maintenant dans son orbite les électrons négatifs qui gravitent autour de lui, de même, toutes les formes de tous les règnes de la nature sont doués d'une structure identique et ne diffèrent que par leur degré de conscience ou d'intelligence. Nous pouvons donc considérer les règnes eux-mêmes comme l'expression physique de quelque grande vie subjective et nous pouvons reconnaître, par un raisonnement logique, que chaque unité de la famille humaine est un atome dans le corps de cette unité plus grande que certains passages des Écritures nomment "l'homme céleste".

Nous arrivons ainsi, pour finir, à l'idée que le système solaire n'est qu'un agrégat de tous les règnes et de toutes les formes, et le corps d'un Être s'exprimant à travers lui et l'utilisant pour accomplir un dessein particulier et une idée centrale. Dans toutes les extensions de notre hypothèse primitive nous retrouvons la même trinité : une vie informante, ou Entité, se manifestant à travers une forme ou une multiplicité de formes, et faisant preuve d'intelligence discriminative.

Il n'est pas possible de parler de la méthode par laquelle les formes se construisent, ni d'analyser en détail le processus évolutif grâce auquel les atomes [62] se combinent en formes, et les formes elles-mêmes se réunissent en cette plus grande unité que nous appelons un règne de la nature. Mais nous pouvons résumer cette méthode en trois mots : l'involution ou intégration de la vie subjective dans la matière, c'est-à-dire la méthode par laquelle l'Entité immanente s'adjoint son véhicule d'expression ; l'évolution ou utilisation de cette forme par la vie subjective, son perfectionnement progressif, et la libération finale de la vie emprisonnée ; enfin, la loi d'attraction et de répulsion par laquelle la matière et l'esprit se coordonnent, par laquelle la vie centrale acquiert l'expérience, accroît sa conscience et atteint la connaissance et le contrôle d'elle-même à travers cette forme particulière. Tout s'effectue suivant cette loi fondamentale. Dans chaque forme, vous avez une vie centrale ou idée, en train de se manifester, s'intégrant de plus en plus à la substance, se revêtant d'une forme adaptée à ses besoins, utilisant cette forme comme un moyen d'expression, et puis – avec le temps – se libérant de la forme qui l'entoure pour en acquérir une nouvelle, mieux adaptée à ses besoins nouveaux. Ainsi, l'esprit, ou vie, progresse à travers toutes les formes, jusqu'à ce qu'il ait parcouru, en entier, le chemin du retour et soit revenu à son point d'origine. Ceci est le sens de l'évolution et ici réside le secret de la réincarnation cosmique. Pour finir, l'esprit se libère de la forme et atteint la liberté, en même temps [63] qu'une qualité psychique accrue et une conscience plus vaste.

Arrêtons-nous à ces différents stades et étudions-les très brièvement. Nous avons tout d'abord le processus d'involution. Cette période est celle où a lieu la limitation de la vie à l'intérieur de la forme, ou enveloppe, et c'est un processus long et lent qui s'étend sur des millions d'années. Chaque type de vie participe à ce grand cycle. Il se décèle dans la vie du Logos solaire. Il constitue une partie du cycle vital de l'Esprit planétaire se manifestant à travers une sphère comme notre terre ; il comprend cette vie que nous nommons humaine et entraîne dans son sillage cette vie minuscule qui fonctionne à travers l'atome chimique. C'est le grand processus du devenir, celui qui rend possible l'existence et l'être. Cette période de limitation et d'emprisonnement croissant est caractérisée par une descente toujours plus profonde au sein de la matière ; elle est suivie par une période d'adaptation, dans laquelle la vie et la forme deviennent intimement reliées l'une à l'autre et, à la suite de cette période, il en vient une autre pendant laquelle cette relation intérieure devient parfaite. La forme est alors adaptée aux besoins de la vie et peut être utilisée. Puis, au fur et à mesure que la vie interne croît et grandit, survient une cristallisation parallèle de la forme, laquelle devient insuffisante en tant que moyen d'expression. Succédant à la cristallisation, nous [64] arrivons alors à une période de désintégration. Limitation, adaptation, utilisation, cristallisation et désintégration – tels sont les stades que traverse la vie de toute entité, ou idée incarnée, de quelque degré qu'elle soit, cherchant à s'exprimer à travers la matière.

Développons à présent cette idée en l'appliquant à l'être humain. Le processus de limitation correspond à la prise de possession d'une forme physique et à cette période initiale et rebelle où l'homme est plein de désirs, d'aspirations de vœux et d'idéaux qu'il semble incapable d'exprimer ou d'assouvir. Puis vient la période d'adaptation, dans laquelle l'homme commence à utiliser ce qu'il possède et à s'exprimer le mieux qu'il peut par le moyen de ces myriades de vies et d'intelligences plus petites constituant ses corps physique, émotionnel et mental. Il infuse son énergie à sa triple forme, la forçant à exécuter ses volontés et à accomplir ses desseins, réalisant ainsi son plan, qu'il soit bon ou mauvais. Cette période est suivie par un stade au cours duquel l'homme utilise sa forme, selon la mesure de ses capacités, et parvient à ce que nous appelons la maturité. Finalement nous voyons, dans le dernier stade de la vie, une cristallisation de la forme et l'homme prend conscience de sa désadaptation progressive. Alors vient cette libération heureuse que nous appelons la mort, ce grand moment dans lequel "l'esprit captif" s'évade d'entre les murs de la forme physique qui l'enserre. Nos idées sur la mort [65] sont toutes erronées. Nous l'avons considérée jusqu'ici comme la grande terreur ultime, alors qu'elle est en réalité la grande évasion, l'accès à une mesure d'activité plus pleine, et la libération de la vie hors du véhicule cristallisé et de la forme inadéquate.

On peut appliquer des pensées similaires à toutes les formes et pas seulement à celles ayant trait au corps physique de l'être humain. On peut les appliquer à des formes de gouvernement, à des formes religieuses, et aux formes de la pensée scientifique et philosophique. L'époque à laquelle nous vivons nous en offre certains exemples particulièrement intéressants. Tout est brassé ; le vieil ordre change et une période de transition s'ouvre devant nous ; dans tous les domaines de la pensée, les vieilles formes sont en train de se désagréger, mais seulement afin que la vie qui leur a donné l'existence puisse s'évader pour s'en construire d'autres plus satisfaisantes et plus adéquates. Prenez, par exemple, la vieille forme religieuse de la foi chrétienne. Ici je vous prie instamment de ne pas vous méprendre sur le sens de mes paroles. Je ne cherche pas à prouver que l'esprit du christianisme est inadéquat, je ne m'efforce pas de démontrer que ses vérités bien fondées et bien vérifiées sont erronées. Je cherche seulement à vous montrer que la forme à travers laquelle cet esprit cherche à s'exprimer est déjà un peu usée et témoigne d'une certaine limitation. [66] Ces mêmes grandes vérités et ces mêmes idées fondamentales ont besoin, à présent, d'un véhicule plus adéquat pour accomplir leur mission. Les penseurs chrétiens ont grand besoin, à notre époque, de dissocier soigneusement les vérités vitales du Christianisme, de la forme cristallisée de la théologie. L'impulsion vitale a été donnée par le Christ. Il a énoncé ces grandes vérités éternelles et les a envoyées dans le monde souffrant pour qu'elles y prennent corps et le soulagent. Elles furent limitées par la forme, et il vint alors une longue période au cours de laquelle ces formes (dogmes religieux et doctrines) grandirent peu à peu et se stabilisèrent. Des siècles suivirent durant lesquels la forme et la vie semblaient parfaitement adaptées, et les idéaux chrétiens s'exprimèrent par le moyen de cette forme. Maintenant la période de cristallisation a commencé et la conscience chrétienne, qui cherche à croître encore, éprouve un sentiment de restriction et de gêne à se sentir enfermée dans les limitations imposées par les théologiens. Le grand édifice de dogmes et de doctrines construit par les hommes d'Église et les théologiens du passé doit se désagréger inévitablement, mais seulement afin que la vie s'en évade, pour pouvoir se construire des moyens d'expression plus adéquats, et redevienne à la hauteur de la mission dont elle a été chargée.

Nous assistons partout au même phénomène, dans toutes les écoles de pensée. Toutes expriment une idée par le moyen d'une forme [67] particulière et il est indispensable, pour nous, de nous souvenir que la triple vie se trouvant derrière chaque forme est néanmoins une, bien que les véhicules d'expression soient différents et se révèlent toujours plus inadéquats au fur et à mesure que le temps passe.

Quel est, alors, le dessein situé derrière ce processus infini de la construction des formes et cette combinaison de formes inférieures ? Quelle est la raison de tout ceci et quel doit en être le but final ? C'est sûrement le développement de la qualité, l'expansion de la conscience, le développement de la faculté de comprendre, la production des pouvoirs de la psyché, ou de l'âme, l'évolution de l'intelligence. C'est sûrement la démonstration graduelle de l'idée fondamentale ou du dessein que cette grande Entité que nous appelons le Logos, ou Dieu, est en train de réaliser, par le moyen du système solaire. C'est la démonstration de sa vertu psychique, car Dieu est l'Amour intelligent ; c'est l'accomplissement de Son dessein déterminé, car Dieu est la Volonté intelligente et aimante.

Un but et un dessein précis sont également assignés à tous les différents degrés et aux différents types d'atomes. Il y a un but pour l'atome de la chimie ; il y a un point de perfection pour l'atome humain, l'homme ; un jour viendra où l'atome planétaire nous livrera, lui aussi, son dessein fondamental, et la grande Idée qui se trouve derrière le système solaire nous sera révélée. Est-il possible, pour nous, d'acquérir en quelques brefs instants d'étude une conception saine de ce [68] dessein ? Peut-être pourrons-nous nous en faire une idée d'ensemble si nous nous approchons du sujet avec un respect suffisant et une perception très vive, en nous rappelant toujours que seul l'ignorant émet des affirmations dogmatiques, et que seul l'homme dénué de sagesse veut scruter dans leurs moindres détails des problèmes aussi gigantesques.

Nous avons vu que l'atome du chimiste, par exemple, fait preuve d'intelligence ; il manifeste des indices de l'esprit discriminatif et des rudiments de faculté sélective. De ce fait, la vie minuscule qui anime la forme atomique témoigne de sa qualité psychique. L'atome est ensuite amalgamé à d'autres atomes pour constituer des formes diverses, à des moments et à des stades différents et, chaque fois, il gagne quelque chose suivant la force et la vie de l'entité qui anime cette forme et préserve son homogénéité. Prenez, par exemple, l'atome entrant dans la composition d'une forme du règne minéral ; il fait preuve, non seulement de pensée discriminative et sélective, mais aussi d'élasticité. Ces deux qualités apparaissent ensuite dans le règne végétal, et il vient alors s'y adjoindre une troisième qualité que vous pourriez appeler une sorte de sensation rudimentaire. L'intelligence initiale de l'atome a acquis sans cesse des qualités nouvelles en progressant de forme en forme et de règne en règne. Sa faculté de répondre aux contacts et sa connaissance se sont accrues. Nous reviendrons plus en détail sur ce point lorsque nous étudierons l'évolution de la conscience. [69] Je me bornerai, ce soir, à vous montrer que, dans le règne végétal, les formes composées d'atomes ne font pas seulement preuve d'intelligence discriminative et d'élasticité, mais sont aussi douées de sensation ou du moins de ce qui correspond, dans le règne végétal, à la sensation et à l'émotion, cette dernière n'étant en somme qu'un amour rudimentaire. Nous arrivons ensuite au règne animal, dans lequel les formes ne font pas seulement preuve de toutes les qualités énumérées ci-dessus, mais possèdent, en outre, l'instinct, ou ce qui s'épanouira un jour sous forme de pensée. Pour finir, nous arrivons à l'être humain qui possède toutes ces qualités à un degré beaucoup plus élevé, car le quatrième règne n'est que le macrocosme des trois règnes inférieurs. L'homme fait preuve d'activité intelligente, il est capable d'émotion ou d'amour, et y a ajouté encore un facteur supplémentaire : la volonté intelligente. Il est la déité de son propre petit système ; il n'a pas seulement conscience du monde extérieur, il est conscient de lui-même. Il construit son propre corps de manifestation, tout comme le Logos, mais sur une échelle minuscule ; il contrôle son petit système par la grande loi de l'attraction et de la répulsion, de même que le Logos ; il lui infuse son énergie et synthétise sa nature triple en une unité cohérente. Il est trois en un et un en trois, tout comme le Logos.

Il y a un avenir pour chaque atome dans le système solaire. Devant chaque atome, fût-ce le plus infime de tous, se dresse un but immense et, au fur et à mesure que les éons se succèdent, la [70] vie qui anime cet atome traversera tous les règnes de la nature jusqu'à ce qu'il trouve sa consommation dans le règne humain.

Nous pouvons, à présent, étendre cette idée, en considérant cette grande Entité Qui est la vie informante de la planète, maintenant tous les règnes de la nature dans le champ de Sa conscience. N'est-il pas possible que Son intelligence, qui informe la totalité des groupes et des règnes, soit le but de l'homme, de l'atome humain ? Avec le temps, peut-être la dimension de Sa réalisation actuelle deviendra-t-elle la nôtre et, pour Elle comme pour toutes ces grandes Vies qui informent les planètes du système solaire, le but peut consister à atteindre cette formidable étendue de conscience caractérisant cette grande Existence Qui est la Vie animatrice du système solaire. N'est-il pas vrai que, dans les différents degrés de conscience s'étendant, par exemple, de l'atome du chimiste et du physicien jusqu'au Logos du système solaire, il n'y a ni solution de continuité, ni transitions abruptes, mais une expansion progressive et une évolution graduelle d'une forme d'intelligence à une autre, la vie incluse dans la forme progressant sans cesse en qualité, par le moyen de l'expérience ?

Quand nous avons façonné cette idée dans notre conscience, quand nous avons compris qu'il y a un dessein et une direction sous-jacents à toutes choses [71], quand nous avons vu que rien n'arrive qui ne soit le résultat de la volonté consciente de quelque entité, et quand nous savons que tout ce qui arrive à un but défini, alors nous avons un indice qui nous permet de nous comprendre nous-mêmes, ainsi que tout ce qui arrive dans le monde. Si nous nous rendons compte, par exemple, que nous construisons nos corps physiques, que nous contrôlons notre nature émotionnelle, et que nous sommes responsables du développement de notre mental ; si nous concevons clairement que nous sommes les facteurs infusant l'énergie à nos corps, et que, lorsque nous nous en retirons, ces corps se désagrègent et se démembrent, alors, peut-être, pouvons-nous deviner ce que fait la Vie informante de la planète lorsqu'elle travaille, sur cette terre, à travers toutes les formes existantes, les continents, les civilisations, les religions et les organisations ; nous comprenons ce qui s'est passé sur la lune, qui est une forme en voie de désagrégation ; ce qui se passe dans le système solaire, et ce qui lui arrivera lorsque le Logos se retirera de ce qui n'est pour Lui qu'une manifestation temporaire.

Cherchons, maintenant, une application pratique de ces pensées. Nous vivons à une époque où toutes les formes de la pensée semblent en train de se briser, où la vie religieuse des peuples n'est plus ce qu'elle était jadis, où tous les dogmes et les doctrines sont soumis à une critique sévère. De même, beaucoup [72] d'anciennes formes de la pensée scientifique sont en train de se désagréger, et les vieilles philosophies semblent ébranlées jusque dans leurs fondements. Notre sort est de vivre dans une des périodes les plus difficiles de l'histoire universelle, une période caractérisée par la destruction des nations, l'anéantissement des anciens liens et des anciennes relations, et le démembrement imminent, en apparence, de la civilisation. Il faut reprendre courage en pensant que tous ces phénomènes sont dus au fait que la vie incluse à l'intérieur de ces formes est en train de devenir si forte que ces formes lui paraissent une prison et une limitation ; et nous devons nous dire que cette période de transition contient les plus grandes promesses que le monde ait jamais connues. Il n'y a pas de place pour le pessimisme et le désespoir, mais seulement pour l'optimisme le plus profond. Aujourd'hui, beaucoup d'entre nous sont bouleversés et angoissés parce que les fondements sont ébranlés, parce que les structures chéries et tendrement protégées de la pensée et de la croyance religieuse semblent sur le point de s'écrouler, mais notre angoisse provient simplement de ce que nous accordons une importance beaucoup trop grande à la forme, que nous sommes préoccupés avant tout de notre prison et, si celle-ci se désagrège, c'est uniquement pour que la vie puisse se construire de nouvelles formes, afin de progresser dans son évolution. Le travail du destructeur est autant le travail de Dieu que le travail du constructeur, et le grand Dieu de la destruction doit briser et broyer les formes désuètes pour que le travail du constructeur [73] soit possible, et que l'esprit soit mis à même de s'exprimer d'une façon plus adéquate.

Pour beaucoup d'entre nous, ces idées peuvent sembler hardies, fantastiques, voire insoutenables. Mais même si ce ne sont que des hypothèses, elles sont peut-être intéressantes et nous fournissent peut-être l'une des clés du mystère. Nous voyons s'effondrer les civilisations et vaciller les systèmes religieux, nous voyons les philosophies attaquées avec succès et les fondements matériels de la science être ébranlés. Et cependant, que sont, après tout, les civilisations ? Que sont les religions ? Que sont les grandes races ? Simplement les formes à travers lesquelles cherche à s'exprimer la Vie triple et centrale qui informe notre planète. De même que nous nous exprimons par le moyen de notre nature physique, émotionnelle et mentale, de même Elle s'exprime à travers la totalité des règnes de la nature et à travers les nations, les races, les religions, les sciences et les philosophies. Comme cette Vie palpite à travers tous les domaines de Son être, nous, qui sommes les cellules et les atomes à l'intérieur de cette plus grande manifestation, suivons chaque mouvement et sommes irrésistiblement entraînés d'un stade à un autre. Au fur et à mesure que le temps avancera et que notre conscience s'accroîtra, nous pénétrerons de plus en plus dans la connaissance de Son plan, tel qu'Elle est en train de le réaliser, et parviendrons, à la fin, par occuper une position qui nous permettra de collaborer avec Elle, et de prendre une part active à Son dessein essentiel. [74]

Pour résumer la pensée centrale de cette conférence : efforçons-nous de comprendre que la matière inorganique n'existe pas, mais que chaque atome est une vie. Efforçons-nous de voir que toutes les formes sont des formes vivantes et que chacune d'elles n'est que le véhicule d'expression de quelque entité immanente. Cherchons à percevoir que cette affirmation est vraie, également, en ce qui concerne tous les agrégats de formes. Nous aurons ainsi la clé de notre propre mystère, et peut-être aussi la clé de celui du système solaire. [77]