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CONFERENCE V

CINQUIEME CONFERENCE

L'EVOLUTION DE LA CONSCIENCE

La semaine dernière nous avons étudié, d'une façon sommaire, l'évolution de l'homme, le penseur, c'est-à-dire l'habitant des corps qui les utilise durant le cycle de l'évolution. Nous avons vu qu'il était l'aboutissement des évolutions qui l'avaient précédé. Nous étions parvenus à l'étude de cette évolution à la suite des deux conférences précédentes, dans lesquelles nous avions examinées tout d'abord la substance, ou matière atomique, antérieurement à sa construction en une forme, ou l'atome minuscule avant qu'il ne se soit incorporé à un véhicule d'aucune sorte. Puis nous avons étudié la construction des formes par le moyen de la grande loi d'attraction qui rassemble les atomes, les incitant à s'unir et à vibrer à l'unisson, et produisant ainsi une forme ou agrégat d'atomes. Nous constatâmes alors que nous avions, dans la substance atomique, un aspect de la Déité et de la force centrale ou énergie du système solaire se manifestant sous l'aspect de l'intelligence, et nous vîmes se manifester dans les formes de la nature une autre qualité de la Déité, celle de l'amour ou attraction, la force cohésive qui assure [98] l'unification de la forme. Puis nous avons étudié l'être humain, ou homme, et avons remarqué que ces trois aspects divins se rencontraient en lui. Nous vîmes en l'homme une volonté centrale, se manifestant à travers une forme composée d'atomes et douée des trois qualités de Dieu : l'intelligence, l'amour sagesse, et la volonté, ou pouvoir.

Aujourd'hui, nous quitterons l'aspect matériel de ces manifestations auquel nous avons consacré nos précédents entretiens, pour aborder la conscience résidant à l'intérieur de la forme. Nous avons vu que l'atome peut être considéré comme la vie centrale se manifestant à travers une forme sphérique et douée des facultés de la pensée ; mais l'atome humain peut, lui aussi, être considéré comme une vie centrale positive utilisant une forme et douée des différentes qualités que nous avons énumérées plus haut ; puis nous avons dit que si notre hypothèse concernant l'atome était juste, et si nous avions raison de considérer l'être humain comme un atome, nous pourrions étendre cette conception à la planète et dire qu'il y a, dans l'atome planétaire, une grande Vie se manifestant par l'entremise d'une forme douée de qualités spécifiques, grâce auxquelles elle tend à réaliser un dessein précis ; et nous devrons étendre, enfin, ce même concept à la grande sphère du système solaire et à la Déité qui l'habite.

Examinons à présent la question de la conscience elle-même et étudions un peu le problème que posent [99] les réactions de la vie à l'intérieur des formes. Si nous pouvons en extraire quelques idées générales conformes à ce qui a été dit plus haut, je pourrai poser une nouvelle pierre à l'édifice que je m'efforce de construire devant vous.

Le mot conscience vient de deux mots latins : con, avec, scio, savoir, et signifie littéralement "Ce avec quoi nous savons". Si vous prenez un dictionnaire et que vous cherchiez ce mot, vous le trouverez défini à peu près de la manière suivante : "L'état de perception, ou la capacité de répondre à des stimulations, la faculté de ressentir les contacts, et le pouvoir de synchroniser les vibrations. Toutes ces phrases pourraient faire partie de n'importe quelle définition de la conscience mais celle que je désire mettre en évidence, ce soir, est celle que nous donne le Standard Dictionary et que j'ai citée plus haut. Le penseur qui feuillette la majorité des manuels traitant de cette question les trouvera sans doute très troublants, car ils divisent la conscience et l'état de perception en d'innombrables divisions et subdivisions, qui laissent le lecteur dans une confusion absolue. Ce soir, nous n'aborderons que trois types de conscience que nous pourrions appeler : la conscience absolue, la conscience universelle et la conscience individuelle. De ces trois formes de conscience on ne peut en définir clairement que deux. [100]

Le penseur ne peut se faire pratiquement aucune idée de la conscience absolue. On l'a définie, dans un livre, comme étant : "cette conscience en laquelle tout est inclus, à la fois l'actuel et le possible" ; elle se rapporte à tout ce qui est imaginable, c'est-à-dire à tout ce qui est, à tout ce qui sera et à tout ce qui pourrait être. Ceci est, probablement, la conscience absolue, et, du point de vue de l'être humain, c'est la conscience de Dieu Qui embrasse et contient, à la fois, le passé, le présent et le futur. Qu'est alors la conscience universelle ? On pourrait la définir comme étant la conscience pensant dans le temps et dans l'espace, et contenant en elle l'idée de situation et de succession. Cette conscience est, en réalité, celle du groupe, le groupe lui-même formant une unité plus ou moins grande. Enfin, la conscience individuelle peut être définie comme étant la quantité de conscience universelle qu'une unité séparée est capable de percevoir et d'appréhender par elle-même.

Pour comprendre ces expressions un peu vagues – la conscience absolue, universelle et individuelle – il pourrait être utile de chercher à les illustrer par des exemples. On pourrait s'y prendre de la façon suivante : nous avons vu, au cours de nos précédentes conférences, qu'il faut considérer l'atome du corps humain comme une petite entité, une vie minuscule mais intelligente, et une sphère microscopique et active. Si nous prenons cette petite cellule comme point de départ, nous pourrons acquérir une notion de ce que sont ces trois types de conscience [101] en les considérant du point de vue de l'atome et de l'homme. Pour un des atomes minuscules qui constituent le corps humain, la conscience individuelle serait sa propre vie vibratoire, sa propre activité interne et tout ce qui la concerne spécifiquement. Pour cette même petite cellule, la conscience universelle serait la conscience du corps physique tout entier, en considérant ce dernier comme l'unité en laquelle est incorporé l'atome. La conscience absolue pourrait être envisagée, toujours par l'atome, comme la conscience de l'homme, doué de pensée, infusant son énergie au corps. Cette dernière forme de conscience serait, pour l'atome, quelque chose de si éloigné de sa propre vie interne qu'elle lui serait pratiquement inconcevable et inconnue, bien qu'elle régisse par l'action de sa volonté, non seulement la forme et l'atome inclus dans cette forme, mais encore tout ce qui les concerne. Il suffirait d'appliquer cette même idée à l'homme, considéré comme un atome ou une cellule faisant partie du corps d'une grande Entité, pour retrouver, sur ce plan nouveau, une conception similaire de la triple conscience. Mais, parvenus à ce point, il serait plus sage pour nous de redescendre de la conscience absolue à des spéculations d'un caractère plus pratique.

La science occulte arrive, peu à peu, aux conclusions énoncées par la philosophie ésotérique de l'Orient, à savoir que l'on ne doit pas seulement considérer la conscience comme un privilège exclusif de l'animal et de l'être humain, mais qu'il faut l'étendre au règne végétal, et même jusqu'au règne minéral et que la conscience de soi-même doit être considérée comme le couronnement [102] de la croissance évolutionnaire de la conscience à travers les trois règnes inférieurs. Il m'est impossible, étant donné le peu de temps dont je dispose, d'entrer dans l'étude prodigieusement attrayante du développement de la conscience dans le règne animal, dans le règne végétal et son apparition dans le règne minéral. Si nous pouvions le faire, nous verrions que même les minéraux manifestent des indices de conscience et réagissent aux stimulants, qu'ils manifestent des signes de fatigue, et qu'il est possible d'empoisonner un minéral et de l'assassiner comme on assassine un être humain. On admet plus volontiers que les fleurs sont douées de conscience et on a publié, sur la sensibilité des plantes, des articles d'un vif intérêt ouvrant des perspectives très vastes à notre pensée. Nous avons vu que la seule chose que nous puissions affirmer avec certitude, au sujet de la matière atomique, c'est qu'elle fait preuve d'intelligence, c'est-à-dire qu'elle est douée du pouvoir de sélectionner et de discriminer. C'est là le trait prédominant de la conscience, telle qu'elle se manifeste à travers l'ensemble du règne minéral. Une nouvelle qualité apparaît dans le règne végétal : celle de la sensation, quoiqu'elle ne dépasse pas un stade rudimentaire. Les végétaux "répondent" aux influences extérieures d'une autre façon que les minéraux. Une troisième réaction apparaît dans le royaume animal ; l'animal ne donne pas seulement des signes de sensation, d'une façon infiniment plus grande que le végétal, il fait preuve également de facultés intelligentes et est doué d'un embryon de pensée. L'instinct est une faculté dont sont douées toutes les unités animales, et [103] ce mot a la même racine que le verbe latin "instigare". Quand la faculté d'instigation s'ébauche chez l'animal, c'est le signe qu'un embryon de pensée commence à se manifester. Dans tous ces règnes, vous avez différents degrés et différents types de conscience mais, dans l'homme, vous trouvez enfin les premières manifestations de la conscience de soi-même, ou la faculté par laquelle il se sent être une entité séparée ; par elle, il s'aperçoit peu à peu qu'il est l'impulsion vivante au sein du corps, et qu'il est en train d'accroître sa conscience par le moyen de ce corps. Ces choses ont été enseignées depuis longtemps en Orient, et la philosophie ésotérique nous apprend "que tout vit et est doué de conscience, mais que toute vie et toute conscience ne sont pas semblables à celles de l'homme". Elle met aussi en lumière le fait que "de vastes intervalles existent entre la conscience de l'atome et celle de la fleur, entre celle de la fleur et celle de l'homme, entre celle de l'homme et celle de Dieu. Comme l'a dit Browning :"Dans l'homme commence une tendance nouvelle vers Dieu". Il n'est pas encore un Dieu, mais un Dieu en formation ; il est en train de façonner l'image de Dieu, et il la produira un jour d'une façon parfaite. Il est celui qui s'efforce de démontrer la vie subjective divine et triple, par l'entremise de l'univers objectif.

La méthode du développement évolutionnaire de la conscience n'est, dans l'être humain, qu'une répétition, à un tournant plus élevé de la spirale, des deux stades que nous avons déjà signalés dans l'évolution de [104] l'atome : celui de l'énergie atomique et celui de la cohérence du groupe.

Un fait qui apparaît clairement à tous ceux d'entre nous qui s'intéressent aux problèmes de la conscience, et qui ont l'habitude de noter ce qui se passe autour d'eux, est la différence de degré que nous rencontrons partout entre les diverses mentalités et les différents types de conscience existant simultanément parmi les hommes. Nous rencontrons des gens qui sont alertes, vifs, qui répondent aux divers courants de pensée animant les affaires humaines, et conscients des contacts de toutes sortes ; puis, nous rencontrons des gens qui semblent endormis ; il y a si peu de choses, croirait-on, qui les intéresse. Ils paraissent totalement indifférents aux contacts ; ils sont encore plongés dans un stade d'inertie et ne semblent guère en mesure de réagir devant les stimulants extérieurs ; ils ne sont pas vivants au point de vue mental. On remarque la même chose chez les enfants. Les uns répondent vite, tandis que les autres nous paraissent stupides. Ce n'est pas que les uns soient, au fond, plus stupides que les autres ; leur différence est simplement due au stade interne auquel l'enfant est parvenu, et à ses plus fréquentes réincarnations c'est-à-dire au temps plus long qu'il a mis à devenir conscient.

Prenons à présent les deux stades : le stade atomique et celui de la forme, et voyons comment se développe la conscience humaine, en nous rappelant toujours que [105] l'atome humain a accumulé en lui tout ce qui a été acquis dans les trois règnes inférieurs de la nature.

L'homme bénéficie de l'immense processus évolutionnaire s'étendant derrière lui. Il part avec, à l'état latent, tout ce qui y a été acquis. Il a conscience de lui-même et voit un but défini devant lui, qui est l'accession à la conscience du groupe. Le but de l'atome de la substance avait consisté à atteindre la conscience de soi-même. Le but de l'être humain consiste à atteindre une Conscience plus grande, un plus vaste horizon de perception.

Le stade atomique, que nous examinons en ce moment, est particulièrement intéressant pour nous parce que c'est celui où se trouve la plus grande partie de la famille humaine. Au cours de ce stade, nous passons à travers la période (extrêmement nécessaire) de l'égocentrisme, ce cycle dans lequel l'homme est préoccupé principalement de ses propres affaires, de ce qui l'intéresse directement, et où il vit intensément sa propre vie interne et vibratoire. Pendant la longue période qui a précédé la nôtre, et peut-être au stade actuel (car je ne pense pas que beaucoup d'entre nous se sentent offensés si on les considère comme n'ayant pas encore atteint la perfection, ni touché au but), la majorité d'entre nous est intensément égoïste et ne s'intéresse que mentalement à tout ce qui se passe dans le monde – et peut-être seulement parce que nos cœurs sont touchés et que nous n'aimons pas être gênés dans nos habitudes ; ou bien nous sommes intéressés parce que c'est la mode de l'être ; et cependant, [106] malgré cette attitude mentale, toute notre attention est concentrée sur les choses qui concernent notre vie individuelle. Nous sommes dans le stade atomique et dépensons une énergie intense dès que nos problèmes personnels sont en cause. Regardez les foules circulant dans les rues de n'importe quelle grande ville et vous verrez partout des gens qui se trouvent dans le stade atomique, entièrement centrés sur eux-mêmes, uniquement absorbés par leurs propres affaires, poursuivant leur plaisir personnel, désireux de s'amuser et ne s'intéressant qu'incidemment aux problèmes du groupe. Ce stade est nécessaire. Il agit comme une protection et est d'une valeur essentielle pour chaque unité de la famille humaine. Le fait de comprendre ce fait nous rendra sûrement plus patients à l'égard de ceux d'entre nos frères et sœurs qui nous irritent si souvent.

Quels sont les deux facteurs grâce auxquels nous entrons et sortons du stade atomique ? En Orient, on a considéré pendant longtemps la méthode de l'évolution comme étant double. On a appris à l'homme qu'il évolue et devient conscient d'abord par le moyen de ses cinq sens, et ensuite par le développement de la faculté de discrimination joint à l'impassibilité. Ici, en Occident, nous avons mis principalement l'accent sur les cinq sens, et l'on ne nous a rien appris concernant la discrimination pourtant essentielle. Si vous observez le développement d'un nourrisson, vous verrez qu'un bébé développe habituellement ses cinq sens suivant un [107] ordre régulier. Le premier sens qu'il développe est l'ouïe : il bougera la tête en entendant un son. Le second sens qui apparaît est celui du toucher, et il commence à sentir avec ses petites mains. Le troisième sens qui s'éveille est la vue. Je ne veux pas dire par là que le bébé ne peut pas voir, ni qu'il naît aveugle comme les petits chats, mais il faut souvent plusieurs semaines avant qu'un bébé puisse voir consciemment et reconnaître ce qu'il voit. La faculté a toujours été présente mais il ne s'en est pas rendu compte. Il en va de même en ce qui concerne l'expansion de la conscience chez l'homme et les buts qui se trouvent aujourd'hui devant lui. Dans ces trois sens majeurs, l'ouïe, le toucher et la vue, vous pouvez déceler une très curieuse analogie avec la triple manifestation de la Déité, le moi, le non-moi, et la relation qui les unit. Le moi, d'une façon occulte, entend et répond à la vibration, prenant ainsi conscience de lui-même. Par le toucher, il devient sensible au non-moi et à sa tangibilité, mais c'est seulement quand apparaît la vue, la reconnaissance consciente des choses, que la relation s'établit entre le moi et le non-moi. Deux autres sens sont encore utilisés par le moi pour renforcer ses contacts avec le monde : le goût et l'odorat ; mais ils jouent, dans l'éveil de l'intelligence un rôle moins grand que les trois autres. À travers ces cinq sens, il nous est loisible d'établir tous les contacts possibles sur le plan physique ; par eux, nous apprenons, nous croissons, nous devenons conscients, nous nous développons ; [108] ce sont les grands sens protecteurs, qui nous permettent, non seulement d'entrer en contact avec notre milieu, mais aussi de nous en protéger.

Ayant donc appris à devenir des unités intelligentes, par le moyen de ces cinq sens et ayant, grâce à eux, agrandi notre conscience, nous arrivons à une période de crise où il nous faut avoir recours à un nouveau facteur : la discrimination intelligente. Ici, je fais allusion à ce choix conscient que nous exerçons, vous et moi, et que nous serons forcés d'utiliser de plus en plus, au fur et à mesure que l'évolution nous mènera vers ce point où nous apprendrons à distinguer entre le moi et le non-moi, entre le réel et l'irréel, entre la vie immanente à la forme, et la forme dont se sert la vie, entre celui qui pense et ce qui est pensé. Ici, nous voyons le dessein complet de l'évolution, l'accession à la conscience du moi véritable par le moyen du non-moi.

Nous traversons une longue période, ou cycle de vies successives, au cours de laquelle nous nous identifions toujours plus étroitement à la forme, et devenons si unis au non-moi que nous ne distinguons plus entre les deux, entièrement préoccupés que nous sommes par les choses éphémères et transitoires. C'est cette identification au non-moi qui est la cause de toute la douleur, du mécontentement et de la détresse qui existent dans le monde, mais nous devons cependant nous rappeler que c'est par [109] cette réaction du moi à l'égard du non-moi que nous acquerrons inévitablement la connaissance et que nous nous arracherons, pour finir, à l'emprise de ce qui est éphémère et irréel. Ce cycle de l'identification à l'irréel s'effectue parallèlement au stade de la conscience individuelle. De même que l'atome de la substance doit trouver sa place au sein de quelque forme, pour ajouter son potentiel d'activité à l'unité plus grande, de même, par le moyen du développement de la conscience, l'atome humain doit atteindre un point où il reconnaîtra la place qui lui est assignée dans un plus grand Tout, et assumera sa part de responsabilité dans l'activité du groupe. Ceci est le stade dont s'approche actuellement un grand nombre de membres de la famille humaine. Les hommes commencent à distinguer, plus vivement qu'ils ne l'ont jamais fait auparavant, le réel de l'irréel, le permanent de l'éphémère ; par la souffrance et la douleur, ils commencent à entrevoir que le non-moi ne suffit pas, et ils cherchent autour d'eux, et en eux-mêmes, ce qui est plus exactement adapté à leurs besoins. Les hommes s'efforcent de comprendre, de trouver en eux le royaume de Dieu et, grâce à la science mentale, à la Pensée nouvelle, et à l'étude de la psychologie, ils parviendront à certaines connaissances qui seront d'un intérêt incalculable pour la race humaine. Ceci nous indique que le stade de la forme approche à grands pas et que les hommes sont en train de quitter le stade atomique pour un autre stade infiniment plus grand et meilleur. L'homme commence [110] à percevoir la vibration de cette plus grande Vie dans le corps de laquelle il n'est qu'un atome, et il commence, petit à petit, à répondre consciemment à cet appel plus vaste, et à trouver les chenaux qui lui permettent de comprendre cette plus grande Vie qu'il pressent confusément mais ne connaît pas encore. S'il persiste dans cette voie il trouvera, enfin, le groupe auquel il appartient et changera alors son centre. Il ne sera plus limité par son petit mur atomique, mais passera outre, et deviendra à son tour une partie consciente, active et intelligente, d'un plus grand Tout.

Comment ce changement peut-il s'opérer ? Le stade atomique s'est développé par le moyen des cinq sens et par l'emploi de la faculté de discrimination. Deux moyens permettent d'accéder au stade dans lequel l'homme s'éveille à l'idée du groupe et participe consciemment à ses activités : la méditation et une série d'initiations. Mais quand j'emploie le mot de "méditation", je ne veux pas dire ce que l'on entend généralement par ce terme, c'est-à-dire un état d'esprit négatif réceptif, ou un état de transe. Il y a beaucoup de malentendus, de nos jours, en ce qui concerne la méditation, et il y a beaucoup de soi-disant méditations dont la description a été fort exactement donnée récemment par une personne qui disait, en parlant de cet état : "Je ferme les yeux, j'ouvre la bouche, et j'attends que quelque chose arrive". La vraie méditation [111] exige l'application la plus intense du mental, le contrôle suprême de la pensée, et une attitude qui n'est ni négative ni positive mais un équilibre parfait entre les deux. Dans les Écrits orientaux, l'homme qui médite est décrit comme suit – et l'examen attentif de ces mots peut nous éclairer grandement sur le sens de la chose – : "Le Maha Yogi est le grand ascète en qui est centrée la plus haute perfection de la pénitence et de la méditation abstraite, par laquelle les pouvoirs illimités sont atteints, les merveilles et les miracles accomplis, le suprême savoir spirituel acquis, et où se réalise enfin l'union avec le grand Esprit de l'univers". Ici l'union avec la vie du groupe se trouve clairement soulignée comme étant le fruit de la méditation et il n'y a aucun autre moyen de l'atteindre.

La véritable méditation (dont les stades préliminaires sont la concentration intense sur une ligne de pensée quelconque) diffère suivant les individus et les types. L'homme religieux, le mystique, concentrera son attention sur la vie immanente à la forme, sur Dieu, sur le Christ, ou sur ce qui incarne son idéal. L'homme d'affaires qui, durant ses heures de travail, est concentré uniquement sur la question qui le préoccupe, et qui garde son attention fixée sur le problème [112] qu'il doit résoudre, apprend lui aussi à méditer. Plus tard, quand il parviendra à une conception plus spirituelle de la méditation, il s'apercevra qu'il a déjà accompli la partie la plus dure de la route. La personne qui lit un livre difficile, et le lit en y mettant toute la puissance de son cerveau, parvenant ainsi au sens se trouvant derrière les lignes écrites, peut être en train de méditer autant qu'il lui est possible, Je dis ceci pour vous encourager parce que nous vivons dans un cycle ou l'on écrit beaucoup de livres sur la méditation et où l'on trouve beaucoup d'écoles de méditation. Tous incarnent un aspect de la vérité et beaucoup font énormément de bien, mais peut-être n'incarnent-ils pas toujours ce qu'il y a de meilleur pour tel ou tel individu, pris en particulier. Il nous faut trouver notre manière personnelle de nous concentrer et notre propre méthode pour nous approcher de ce qui est à l'intérieur des choses ; il nous faut étudier individuellement, et chacun pour nous, la question de la méditation.

Je voudrais, ici, vous donner un avertissement. Évitez ces écoles et ces méthodes qui combinent les exercices respiratoires avec la méditation, qui vous enseignent que la méditation dépend de certains gestes et de certaines attitudes physiques, et qui apprennent à leurs élèves à concentrer leur attention sur certains organes corporels, ou centres. Ceux qui suivent ces méthodes vont droit au désastre et, sans parler des dangers physiques, des risques de déséquilibre mental et des désordres nerveux qu'ils comportent, ils se préoccupent uniquement de la forme, qui est une limitation et non de l'esprit, qui est la vie. Le but recherché ne peut être atteint par cette voie. [113] Pour la plupart d'entre nous, la concentration intellectuelle qui découle du contrôle du mental et la capacité de penser clairement et de ne penser que ce que nous voulons penser doivent précéder la vraie méditation, qui est une chose que peu de gens connaissent. La véritable méditation, sur laquelle il m'est impossible de m'étendre ici, aura pour résultat un changement défini de polarisation, ouvrira à l'homme un champ d'expériences inimaginable, lui révélera des contacts dont il n'a encore aucune notion, et lui permettra de trouver sa place au sein du groupe. Il ne sera plus confiné dans les murs de sa vie personnelle, mais commencera à se fondre dans le plus grand Tout. Il ne sera plus absorbé par ses intérêts égoïstes, mais consacrera toute son attention aux problèmes du groupe. Il ne passera plus son temps à cultiver sa propre identité, mais s'efforcera de comprendre cette plus grande Identité dont il fait partie. C'est là, en fait, ce que tous les hommes avancés sont en train de faire. Quoique l'homme moyen ne s'en rende guère compte, c'est grâce à la méditation que les grands penseurs, comme Edison et les autres, parviennent à la solution de leurs problèmes. Par une concentration prolongée, par une récapitulation constante, par une application ardue à la ligne de pensée particulière qui les intéresse, ils captent les réservoirs intérieurs de l'inspiration et, ayant atteint [114] les hauteurs du plan mental, ils en font découler des résultats dont bénéficie le groupe. Quand nous aurons accompli nous-mêmes un certain travail dans cette ligne, lorsque nous cultiverons les intérêts du groupe et non nos intérêts particuliers, quand nous aurons développé des corps physiques forts et sains, et des corps émotionnels bien contrôlés et non plus entraînés dans le tourbillon des désirs, quand nous aurons des corps mentaux qui seront nos instruments et non nos maîtres, alors nous saurons ce qu'est la vraie méditation.

Quand, par le moyen de la méditation, un homme est entré en contact avec le groupe auquel il appartient, quand il est devenu, par conséquent, toujours plus conscient du groupe, il est alors en mesure de traverser ce que l'on appelle une série d'initiations. Ces initiations sont simplement des expansions de la conscience, accomplies avec l'aide de Ceux ayant déjà atteint le but, s'étant déjà identifiés au groupe, et Qui sont une partie consciente de l'Homme céleste. Grâce à leur assistance, l'homme accédera peu à peu au degré de connaissance qui est le Leur.

De nos jours, on s'intéresse beaucoup à l'initiation. Mais on a trop insisté sur son caractère rituel. Il nous faut nous souvenir que tout déploiement de la conscience est une initiation. Tout pas en avant, accompli sur le chemin de la connaissance, est une initiation. [115] Quand l'atome de la substance fut incorporé à une forme ce fut, pour cet atome, une initiation. Il est devenu conscient d'un nouveau type de force et le registre de ses contacts s'est élargi.

Lorsque la conscience des règnes minéral et végétal fusionnèrent, et que la vie passa du règne inférieur au règne plus élevé, ce fut aussi une initiation. Quand la conscience de l'animal grandit et devint celle de l'être humain, ce fut encore une autre grande initiation. Quand la conscience fit son entrée dans chacun des quatre règnes de la nature, ce fut par un processus d'expansion, ou d'initiation. À l'horizon de la famille humaine se trouve, à présent, un cinquième règne : le règne spirituel ; et l'on y entre également par le moyen d'une certaine initiation, comme le savent ceux qui ont lu avec attention le Nouveau Testament. Dans chacun de ces cas, l'initiation n'a été accomplie qu'avec l'aide de Ceux qui savent déjà. De sorte qu'à l'intérieur du plan de l'évolution nous n'avons pas de grands abîmes vides entre les règnes, entre un état de perception et un autre, mais un développement graduel et continu de la conscience, dans lequel – tous autant que nous sommes – nous avons déjà eu et nous aurons notre part.

Si nous nous rappelons cette universalité de l'initiation, nous nous en ferons une image beaucoup plus correcte et harmonieuse. Chaque fois que nous prenons plus clairement conscience de notre milieu, nous traversons une initiation, quoique sur une toute petite échelle. Chaque fois [116] que notre horizon s'élargit et que nous voyons et pensons d'une façon moins étroite, c'est une initiation, et c'est en cela que réside, pour nous, la valeur de la vie et la grandeur des chances qui nous ont été données.

Je tiens, avant de finir, à souligner un point : c'est que chaque initiation doit être une auto-initiation. Ce stade final, où une aide précise nous est apportée par des agents extérieurs, n'est pas atteint parce qu'il existe des grands Êtres, désireux de nous aider, venant à notre secours et cherchant à nous élever. Il vient lorsque nous avons accompli le travail nécessaire et rien, alors, ne peut l'empêcher de venir, car nous y avons pleinement droit. Ceux qui ont atteint un stade plus élevé peuvent et veulent nous aider, et ils nous aideront effectivement, mais Leurs mains sont liées, jusqu'à ce que nous ayons accompli notre part de l'œuvre commune. Rien, en conséquence, de ce que nous faisons pour accroître notre utilité dans le monde, aucun effort accompli pour construire des corps plus vigoureux, pour nous contrôler nous-mêmes et pour équiper notre corps mental, n'est jamais perdu. Tout cela vient s'ajouter au total qui s'accumule en nous, et nous apportera un jour la grande révélation. Chaque jour d'effort grossit le flux d'énergie qui nous entraînera comme une marée jusqu'aux portes de l'initiation. Le sens du mot "initiation" est "entrer dans". Il signifie simplement qu'un initié est celui qui a accompli ses premiers pas dans le royaume spirituel et a eu ses premières révélations spirituelles, dont chacune est la clé d'une révélation plus grande. [119]