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CHAPITRE II LA PREMIERE INITIATION LA NAISSANCE A BETHLEEM - Partie 3

La grandeur de Sa mission apparut graduellement à Son jeune esprit, et Il commença, comme tous les Fils de Dieu vraiment initiés, à agir comme le messager de Dieu sitôt qu'Il reconnut la vision, et à l'endroit même où Il se trouvait. Ayant indiqué par-là qu'Il saisissait Son œuvre future, nous lisons :

"Qu'il s'en alla ensuite avec eux (ses parents) et descendit à Nazareth (le lieu de la consécration renouvelée) et Il leur était soumis ( ) Et Jésus croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes." [1][77]

Nous trouvons fréquemment le mot "descendre" dans le récit de l'Évangile. Le Christ "descendit en Égypte" avec Sa mère ; Il "descendit" à Nazareth ; sans cesse nous Le voyons descendre du sommet d'une montagne ou d'un lieu de solitude, pour accomplir Son devoir parmi les hommes. Après l'expérience cachée en Égypte (sur laquelle la Bible ne nous fournit aucune indication), après la révélation dans le Temple et l'acceptation de la tâche à accomplir, le Christ retourne à l'endroit où Il doit accomplir Son devoir. Après l'initiation de la naissance, on nous dit qu'Il vécut pendant trente ans comme un homme ordinaire, participant à la vie quotidienne de la boutique de charpentier de Son père, et S'associant à la vie familiale de Ses parents. Cette vie familiale représenta pour Lui une épreuve, et l'on ne doit pas sous-estimer son importance. Cela semblera-t-il blasphématoire de dire que si Jésus avait failli dans Sa tâche quotidienne, le reste de Son œuvre aurait été voué à l'échec ? S'Il n'avait pas réussi à démontrer Sa divinité dans le cercle de Sa famille et dans la petite ville où le sort L'avait placé, n'est-il pas possible qu'Il eût échoué dans Sa tâche de Sauveur du monde ? Il vint pour nous révéler notre humanité, telle qu'elle sera lorsque nous aurons tous accompli le long voyage à Bethléem. C'est en cela que réside le caractère unique de Sa mission.

Le Christ vécut paisiblement dans Sa maison, aux côtés de ses parents, subissant cette expérience extrêmement difficile qu'est la vie de famille, avec sa monotonie et sa banalité, avec sa subordination nécessaire à la volonté et aux besoins du groupe, avec ses leçons de sacrifice, de compréhension et de service. Ceci reste à jamais la première leçon que doit apprendre le disciple. Jusqu'à ce qu'il l'ait apprise, il ne peut faire aucun progrès. Jusqu'à ce que la divinité ait été exprimée dans notre maison, et au milieu de ceux qui nous connaissent intimement et sont nos amis familiers, on ne peut attendre d'elle qu'elle s'exprime ailleurs. Nous devons vivre comme le fit le Fils de Dieu dans le cadre – inintéressant, gris et parfois sordide – où la destinée nous a placés ; rien d'autre n'est possible, tant qu'on en est à ce stade. La place où nous sommes est l'endroit où commence notre voyage, non l'endroit d'où nous devons nous évader. Si nous ne [78] pouvons réussir, en tant que disciples, là où nous sommes, et à l'endroit où nous nous trouvons, aucune autre chance ne nous sera offerte jusqu'à ce que nous y soyons parvenus. C'est en ceci que réside notre épreuve, et le champ d'action de notre service. Beaucoup d'aspirants sérieux et sincères pensent qu'ils pourraient faire une meilleure impression sur leur entourage, et manifester la divinité, s'ils avaient un autre foyer, un milieu différent et un cadre plus avenant. S'ils étaient mariés différemment ou s'ils disposaient de plus d'argent ou de loisirs, ils pourraient provoquer plus de sympathie de la part de leurs amis, et s'ils avaient une meilleure santé, il n'y aurait plus aucune limite à ce qu'ils pourraient accomplir. Une épreuve est une chose qui "éprouve" notre force, pour voir de quelle espèce elle est ; elle met en jeu le summum de ce qui est en nous, elle nous révèle nos points faibles et ce en quoi nous manquons à notre tâche. Le monde a besoin aujourd'hui de disciples sur lesquels il puisse compter, et qui ont été trempés par l'adversité, de sorte qu'ils ne se briseront pas lorsqu'ils rencontreront les zones sombres de la vie. Il faut que nous arrivions à comprendre que la vie nous fournit exactement les circonstances et l'entourage qui sont le mieux fait pour nous apprendre cette grande leçon qui consiste à obéir à ce qu'il y a de plus haut en nous. Nous avons exactement le type de corps et la constitution physique à travers lesquels la divinité peut le mieux s'exprimer en nous. Nous avons les contacts avec le monde et le genre de travail requis pour nous permettre d'accomplir le prochain pas en avant sur le sentier des disciples, le prochain pas vers Dieu. Jusqu'à ce que les aspirants aient compris ce fait essentiel et se soumettent avec joie à une vie d'amour généreux et de service accompli dans leurs propres foyers, ils ne pourront faire aucun progrès. Jusqu'à ce que le sentier de la vie soit foulé dans le cercle de famille, joyeusement, silencieusement et sans s'apitoyer sur soi-même, aucune autre leçon, ni aucune chance ne nous seront données. Beaucoup d'aspirants très bien intentionnés doivent également comprendre qu'ils sont eux-mêmes responsables des difficultés qu'ils rencontrent. Déconcertés par l'antagonisme qu'ils provoquent chez ceux qui les entourent, ils se plaignent de ne recueillir aucune sympathie en réponse à leurs efforts, alors qu'ils font de leur mieux pour mener une vie spirituelle, par l'étude, la lecture et la méditation. Leur égoïsme spirituel en est en général la cause. Ils parlent trop d'eux-mêmes et de leurs aspirations. Parce qu'ils échouent dans ce qui est leur premier devoir envers leur groupe, ils ne trouvent aucune réaction compréhensive [79] lorsqu'Ils exigent du temps pour méditer. Ils veulent que l'on sache qu'ils méditent. La maison doit être silencieuse ; il ne faut pas les déranger ; personne ne doit entrer brusquement chez eux. Aucune de ces difficultés ne surviendrait si ces aspirants se souvenaient de deux choses : d'abord, que la méditation est un processus qui se poursuit secrètement, silencieusement et régulièrement dans le temple secret de son propre esprit. Deuxièmement, que bien des choses pourraient se faire, si les gens ne parlaient pas tant de ce qu'ils font. Il nous faut marcher silencieusement avec Dieu, et nous mettre nous-mêmes à l'arrière-plan, il nous faut organiser nos vies de telle sorte que nous puissions vivre comme des âmes, c'est-à-dire en consacrant tout le temps nécessaire à la culture de nos âmes, mais en conservant néanmoins le sens des proportions, en sachant retenir l'affection de ceux qui nous entourent, et en remplissant parfaitement nos obligations et nos responsabilités. La pitié envers soi-même et l'excès de paroles sont les écueils sur lesquels plus d'un aspirant fait naufrage.

C'est par l'amour et la mise en pratique de la bonté, que nous prouvons que nous sommes initiés aux mystères. Nés au monde de l'amour à Bethléem, la clé de notre vie, à partir de ce moment, doit être l'obéissance envers ce qu'il y a de plus élevé en nous, L'amour envers toutes les créatures, et une confiance absolue dans le pouvoir que possède le Christ intérieur de démontrer la vie de l'amour (à travers la forme extérieure de nos personnalités). La vie du Christ est celle que nous devons vivre dès aujourd'hui, et elle sera vécue finalement par tous. C'est une vie de joie et de bonheur, d'épreuves et de difficultés, mais son essence et sa méthode sont l'amour.

Le Christ nous a légué Son exemple ; il nous faut suivre Ses pas et poursuivre l'œuvre commencée par Lui.

En voyageant avec le Christ, de Bethléem jusqu'au moment où s'approche la seconde initiation, quelle leçon avons-nous apprise ? Comment résumer la signification de cet épisode, en termes qui soient applicables, d'une façon pratique, à l'individu ? Cet épisode a-t-il une signification personnelle ? Quelles sont les exigences et les possibilités devant lesquelles nous nous trouvons ? Si l'étude des cinq développements dans la vie du Christ ne nous est d'aucune utilité, si elle n'a trait qu'à des déploiements qui ne sont susceptibles d'aucune interprétation humaine, alors tout ce qui a été écrit et enseigné, à travers les [80] siècles, est futile et sans intérêt. Les explications théologiques courantes n'adressent plus aucun appel direct à l'intelligence développée de l'homme. Mais le Christ Lui-même est toujours capable d'éveiller l'intérêt humain et d'attirer à Lui tous ceux qui sont capables d'avoir une vision de vérité et de comprendre le message de l'Évangile sous l'angle particulier qu'exige chaque âge nouveau. C'est perdre son temps que de s'obstiner à étudier cette antique histoire du Christ vivant, si elle ne nous apporte aucun message spécifique, si tout ce que l'on nous demande c'est d'adopter à son égard l'attitude passive du spectateur ou l'adhésion de l'homme qui dit simplement : "C'est ainsi." Cette attitude dévote, mais négative, a duré trop longtemps. A force de regarder le Christ de trop loin, nous avons été si exclusivement préoccupés par le désir de comprendre Sa perfection, que nous avons finalement oublié la part individuelle que nous devons y prendre. Nous Lui avons laissé le soin d'accomplir tout le travail. Nous avons essayé de la copier mais Il ne désire pas être copié. Il cherche à nous faire prouver, à Lui comme à nous-mêmes et au monde, que la divinité qui est en Lui est aussi en nous. Nous devons découvrir que nous pouvons être comme Lui, parce que nous L'avons vu. Il a mis une confiance illimitée en nous et dans le fait que "nous sommes tous des enfants de Dieu", parce que "Notre Père est un", et Il nous invite à fouler le sentier de la sainteté, et à atteindre cette perfection à laquelle Sa Vie nous convie et à laquelle Il nous dit Lui-même de collaborer.

On se demande parfois s'il a été bon pour les hommes d'accepter la traduction des idées de saint Paul, telles qu'elles nous ont été données à travers les siècles. Le Christ s'est très peu appesanti sur l'idée de péché. C'est saint Paul, surtout, qui a souligné cette idée, et l’importance particulière qu'il a donnée, de ce fait, au christianisme est peut-être la cause du complexe d'infériorité qui hante le chrétien moyen – une infériorité dont le Christ n'a jamais fait mention. Il nous a conviés à la sainteté de la vie et nous a exhortés à suivre Ses pas ; Il ne nous a pas prescrit de suivre les interprétations qu'en donnerait aucun de ses disciples, quels que soient leur valeur ou le respect dont on les entoure.

Quelle est la sainteté à laquelle Il nous convie, lorsque nous faisons

[81] le premier pas vers la nouvelle naissance ? Qu'est-ce qu'un saint ?

La totalité, l'unité, l'union, la plénitude, – tels sont les caractères distinctifs de l'homme saint. Une fois que nous avons vu et contemplé, les yeux ouverts, la vision de la divinité, que pouvons-nous faire ? Cette question résume tout notre problème. Quel est le pas suivant, le devoir immédiat de l'homme qui sait que la nouvelle naissance n'a pas encore eu lieu en lui-même, mais qui se sent prêt, néanmoins, à monter de Galilée à Bethléem en passant par Nazareth ?

Ce pas consiste tout d'abord à faire un effort. Il représente une initiative, une dépense d'énergie, une victoire sur l'inertie et la volonté d'agir en sorte que le voyage initial puisse s'accomplir. L'homme doit tendre son oreille intérieure pour percevoir la demande insistante de l'âme qui veut se rapprocher de Dieu pour atteindre à une expression plus pleine de la divinité ; il doit ensuite obéir à cet appel ; et cependant "chaque individu est déchiré, à un moment donné, entre cette impulsion splendide, qui le pousse à aller de l'avant vers la compréhension, et le désir de retourner en arrière vers la sécurité." [2]

Car la route qui mène au Centre est semée d'embûches et de dangers. Bien des obstacles doivent être affrontés et surmontés. La nature inférieure (l'aspect de Marie) recule devant la décision ; elle préfère l'inertie et la stabilité aux incertitudes de l'activité.

La nouvelle naissance n'est pas un rêve mystique ; elle n'est pas non plus la vision merveilleuse d'une chose possible mais improbable ; elle n'est pas simplement une expression symbolique de quelque but ultime – relégué au fond d'un avenir obscur ou dans une autre existence, ou dans quelque ciel que nous ne pouvons atteindre, en fin de compte, qu'en retombant dans une foi passive et en acceptant aveuglément tout ce que nous dit la théologie. La majorité des gens, adoptant la ligne de moindre résistance, diront que la nouvelle naissance est une chose relativement facile à croire. Pourtant, il est difficile de se frayer, de haute lutte, un chemin vers ce stade où le programme d'action, assigné par Dieu à l'homme, lui devient clairement visible, et où les possibilités dramatiquement exprimées par le Christ ne nous laissent aucun répit jusqu'à ce que nous les ayons intégrées à notre expérience personnelle en subissant l'épreuve de l'initiation. La naissance nouvelle est un évènement naturel, au même titre que le résultat du processus évolutionnaire et que la naissance de l'enfant au monde de la vie [82] physique. A travers les âges, les hommes ont éternellement accompli et continueront à accomplir ce grand passage, prouvant ainsi la réalité de cette expérience. Nous devrons tous l'affronter tôt ou tard.

Deux certitudes doivent dominer la pensée de l'aspirant d'aujourd'hui. D'abord, la présence de l'âme, cette entité vivante qui peut et doit être connue, en la faisant naître sur le plan de la vie quotidienne ; deuxièmement, la volonté de réorienter la nature entière de façon à permettre, avec cette âme, une identification toujours plus étroite allant jusqu'à l'unité parfaite. Nous commençons à entrevoir ce qui doit être fait, nous commençons à adopter l'attitude correcte, qui rendra cette identification possible. Les deux moitiés de notre dualité essentielle – l'âme et le corps, le Christ et Marie, adombrés par le Saint-Esprit, l'élément maternel et spirituel – se font face et se rapprochent de plus en plus, jusqu'au moment où l'union complète est atteinte et où le Christ vient au monde, par l'entremise de Sa Mère. Nos premiers pas doivent consister à accepter cette idée divine et à orienter notre vie de telle sorte que nous transformions cette idée en un fait.

C'est ce que le Christ a enseigné et c'est pourquoi il adressa la prière suivante à Son Père :

"Or, je ne prie pas seulement pour eux (Ses disciples), mais aussi pour tous ceux qui croiront en Moi, par leur parole ; Afin que tous ne soient qu'un, comme Toi, ô Mon Père ! Tu es en Moi et Moi en Toi ; qu'eux aussi soient un en nous et que le monde croie que c'est Toi qui M'as envoyé ( ) Je suis en eux et Tu es en Moi, afin qu'ils soient parfaitement un." [3]

Ceci est la doctrine de l'unification : Dieu immanent à l'univers – le Christ cosmique. Dieu immanent à l'humanité – révélé par le Christ historique. Dieu immanent à l'individu – le Christ intérieur ou âme.

Comment cette vérité de l'âme et de la nouvelle naissance peut-elle être ressentie et exprimée d'une façon suffisamment simple et pratique, pour que son sens nous apparaisse clairement et nous permette de faire ce qui est nécessaire ? Peut-être grâce aux déclarations suivantes : [83]

1. "La Parole incarnée", le Fils de Dieu fait chair, réside cachée, au fond de chaque être humain. Elle est "Le Christ en nous, l'espérance de la gloire", mais elle n'est encore qu'une espérance pour la grande masse des hommes. Le Christ n'est pas encore rendu manifeste. Il est caché et voilé par la forme. Nous voyons Marie, mais pas encore le Christ.

2. Au fur et à mesure que la Roue de la Vie (l'expérience de Galilée) nous entraîne d'une leçon à une autre, nous nous rapprochons de plus en plus de la réalité immanente et de la divinité cachée. Mais le Christ- enfant est toujours caché dans la matrice de la forme.

3. Avec le temps, la personnalité – physique, émotionnelle et mentale – fusionne en un tout vivant. La Vierge Marie est prête à donner naissance à son Fils.

4. Le long voyage touche à sa fin, et le Christ-enfant naît à la première initiation.

C'est à cette vérité que fait allusion le Dr Inge, lorsqu'il écrit ces mots : "Macarius, après Méthodius, enseigne que l'idée même de l'Incarnation implique l'union du Logos avec les âmes pieuses au sein desquelles Il est bienheureux. Un Christ naît alors en chacune d'elles. Ainsi, à côté des idées du "Rachat" et du "Sacrifice" opérés par le Christ en notre faveur, ces théologiens plaçaient l'idée de la sanctification et de la transformation intérieure du Christ en nous. En outre, ils considéraient que ces dernières constituaient une partie aussi réelle et aussi intégrante de notre salut que les premières. Mais la doctrine de l'Immanence Divine ne devint la vérité centrale de la théologie qu'à l'époque des mystiques médiévaux C'est Eckhart qui a dit : "Le Père prononce la parole dans l'âme, et quand le Fils est né, chaque âme devient Marie." [4]

Nous sommes convoqués à la naissance nouvelle. Nos personnalités sont, à présent, chargées de puissance. L'heure est venue.

L'âme humaine doit entendre l'appel de l'âme-Christ ; elle doit comprendre que "Marie est bénie, non parce qu'elle a enfanté le Christ corporellement, mais parce qu'elle l'a enfanté spirituellement, et qu'en cela chacun de nous peut devenir comme elle (Eckhart)."

[85]

 

[1].Saint Luc, II, 51, 52.

[2] Psychology and the Promethean Will, par W.H. Sheldon, p. 47.

[3] Saint Jean, XVII, 20-23.

[4] The Paddock Lectures, par W.R. Juge, p. 66.