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CHAPITRE V - Partie 1

CHAPITRE V

Ce chapitre marque une complète ligne de démarcation entre le monde auquel j'avais eu affaire et celui auquel j'ai affaire maintenant (1947). Un cycle entièrement nouveau s'instaura. Jusque-là, j'avais été Alice Bailey, mère, assistante sociale, aide de paroisse ; mon temps m'appartenait ; j'étais en mesure d'organiser mes journées à ma convenance, n'était ce qui concernait les enfants. Personne ne me réclamait de rendez-vous ; il n'y avait pas d'épreuves à corriger ; pas de conférences publiques à tenir ; et, par-dessus tout, pas de correspondance interminable, ni de lettres à écrire réclamant toute mon attention. Je me demande si le grand public a la plus faible idée du nombre littéralement effrayant de lettres que j'ai pu dicter et recevoir. Je n'exagère pas en disant que, certaines années, j'ai dicté plus de dix mille lettres ; une fois, j'ai minuté ma correspondance quotidienne : il m'a fallu quarante-huit minutes uniquement pour ouvrir les enveloppes avant d'en retirer les lettres. Quand je dois alors y ajouter des milliers de lettres de formalités à signer, et les lettres à l'ensemble des groupes nationaux (sur lesquelles je n'ai pas à apposer ma signature), vous comprendrez que j'aie dit un jour à mon mari qu'il faudrait graver ces mots sur ma pierre tombale : "Elle mourut, étouffée sous les papiers." Aujourd'hui, mon record est d'environ 6 000 lettres par an, car je laisse, à présent, beaucoup de ma correspondance à des hommes et des femmes qui peuvent donner plus de pensée, de temps et de considération à répondre que moi. Quelquefois, je signe ces lettres. J'aimerais offrir mes remerciements [176] reconnaissants, sur ce point particulier, à M. Victor Fox et à une ou deux autres personnes qui ont écrit parfaitement à ma place de merveilleuses lettres à mes correspondants (lettres qui ont valu des remerciements reconnaissants) et qui n'en ont retiré aucun honneur. Voilà ce que j'appelle un service désintéressé : écrire une lettre que l'on ne signe pas et pour laquelle quelqu'un d'autre reçoit les remerciements.

Toute cette partie de ma vie, 1921-1931, est en apparence relativement terne. Je trouve difficilement à y mettre quelque chose d'amusant ou quelque chose qui puisse servir à relever la monotonie du train-train dans lequel j'entrais pendant ces années-là. Ni Foster, ni moi n'avions projeté une telle vie et nous nous sommes souvent dit que, si nous avions su ce que le futur contenait, nous n'aurions jamais mis en train les choses que nous entreprîmes. C'est un exemple éclatant de la vérité du proverbe : "Le bonheur est dans l'ignorance."

Après cette assemblée complètement traumatisante de la S.T. à Chicago, Foster et moi retournâmes à Krotona très déçus, profondément convaincus que la S.T. était conduite selon des lignes strictement personnelles, avec l'insistance mise sur les positions personnelles, la dévotion à des personnalités, les sympathies ou les antipathies personnelles et l'imposition de décisions personnelles à une masse de partisans. Nous ne savions tout simplement plus que faire, ni selon quelle ligne travailler. M. Warrington n'était plus président de la Société et M. Rogers lui avait succédé. Mon mari était toujours secrétaire national et j'étais toujours rédactrice en chef du magazine national et présidente du comité de Krotona.

Je n'oublierai jamais le matin où, à la suite de sa nomination, M. Rogers prit possession de son poste, et où nous allâmes à son bureau pour lui exposer notre désir de continuer à servir la S.T. M. Rogers nous regarda et posa la question : "Vous est-il possible de penser de telle manière que vous soyez à même de me rendre service ?" Nous étions là, donc, sans travail, [177] sans argent, sans avenir, avec trois enfants, très incertains quant à ce que nous voulions faire. Un mouvement s'amorça pour nous expulser des terres de Krotona, mais Foster câbla à Mme Besant et elle le stoppa immédiatement. C'était un peu trop brutal.

Ce fut un temps très difficile. Nous n'étions pas mariés. Foster vivait sous une tente sur les terres de Krotona. Étant une Anglaise très circonspecte, j'avais une femme qui vivait avec moi pour me servir de chaperon et prévenir les commérages. Une des choses que j'ai tenté de faire, et avec succès je crois, c'est de sauver l'occultisme de la diffamation. J'ai essayé de rendre respectable la vocation des occultistes et j'y ai étonnamment bien réussi. Tant que je n'étais pas remariée et que les enfants étaient petites, j'ai toujours eu une amie plus âgée avec moi. Après le mariage, mon mari et les enfants constituèrent une protection adéquate. D'une part je n'ai jamais été intéressée par aucun homme, sauf par mon mari, Foster Bailey ; d'autre part aucune femme décente et ayant le respect d'elle-même ne voudrait vivre de telle sorte que ses enfants, en grandissant, puissent la critiquer. Ce fut très bon pour le mouvement occulte, car aujourd'hui le mot occultisme a obtenu le respect et beaucoup de gens de valeur sont parfaitement désireux d'être reconnus par le reste du monde comme étudiants de l'occultisme. Je sens que c'est une des choses qu'il était dans mon destin d'aider à établir et je ne crois pas que le domaine de la pensée occulte tombe de nouveau dans le même discrédit qui l'entourait depuis 1850.

On écrit encore des livres pour diffamer H.P.B. et Mme Besant ; on se demande ce que veulent prouver leurs auteurs. Pour autant que je puisse l'affirmer, la génération moderne des étudiants chercheurs n'est pas le moins du monde intéressée par les aspects, bons ou mauvais, de leurs caractères. Il ne lui importe pas du tout que tel ou tel approuve ou désapprouve [178] l'une ou l'autre de ces personnes. Ce qui l'intéresse, c'est l'enseignement et la vérité. Ceci est clair et juste. J'espère que les écrivains modernes, qui perdent des mois à remuer la boue et s'efforcent de prouver combien quelqu'un est vil, réaliseront la stupidité de leur activité. Ils ne sont pas dans le vrai ; ils ne détourneront pas la fidélité de ceux qui savent ; ils ne dévieront pas la tendance vers la réalisation de l'occultisme et ils ne blessent personne qu'eux-mêmes.

La vie, dans ce monde d'après-guerre, est trop importante pour tout homme et toute femme pour qu'on s'occupe de dénigrer des gens qui sont morts depuis des décennies. Il y a du travail à faire dans le monde d'aujourd'hui ; il y a des vérités à reconnaître, à proclamer et il n'y a pas de place pour la fange et les calomnies de ceux qui veulent tirer quelques centaines de dollars des ennemis d'un enseignement. C'est la raison pour laquelle j'écris cette autobiographie. Les faits sont là.

Dans ces premiers jours, personne n'aurait pu croire que le temps viendrait où l'enseignement que je commençais à donner et le travail auquel Foster et moi nous nous dédiions, prendraient de telles proportions, que ces diverses branches seraient, à présent, mondialement reconnues et que l'enseignement aiderait des milliers de gens. Nous étions seuls, avec peut-être quelques adeptes inconnus, contre l'un des plus puissants des corps constitués, prétendus occultes. Nous n'avions pas d'argent et nous ne voyions pas d'avenir devant nous. Nos finances réunies, le jour où nous nous assîmes pour examiner la situation et faire des plans pour l'avenir, se montaient exactement à 1,85 dollar. C'était la fin du mois, on devait le loyer ; la note de l'épicier pour le mois écoulé n'était pas payée, ni la note du gaz, ni celle de l'électricité, ni le lait. Comme nous n'étions pas mariés, rien de tout cela n'incombait à Foster mais, même [179] ainsi, il prit sa part de tout. Nous ne retirions aucun salaire de la S.T. et mes petites rentes n'étaient pas disponibles. Il me semblait qu'il n'y avait rien à faire.

Bien qu'étant reconnue dans le monde entier comme enseignante de méditation, personnellement j'ai toujours conservé en même temps mon habitude de la prière. Je crois que, pour le véritable occultiste, la prière et la méditation sont interchangeables selon le besoin et que les deux sont également importantes pour la vie spirituelle. L'erreur, dans la prière, est que les êtres humains en général en font quelque chose d'égoïste et un moyen d'acquérir des choses pour le soi séparé. La vraie prière ne demande rien pour le soi séparé, mais elle peut toujours être utilisée par ceux qui cherchent à aider les autres. Beaucoup de gens sont trop supérieurs pour prier et considèrent la méditation comme étant de loin plus exaltante et mieux ajustée à leur haut niveau de développement. Pour moi, il m'a toujours paru bien suffisant que le Christ non seulement ait prié, mais qu'Il nous ait appris le Notre Père. Pour moi, également, la méditation est un processus mental par lequel on peut acquérir une claire connaissance de la divinité et l'éveil au royaume des âmes ou au royaume de Dieu. C'est le mode de la tête et du mental et il est nécessaire aux gens qui ne réfléchissent pas. La prière est de nature émotionnelle ; elle vient du cœur et elle est universellement utilisée pour la satisfaction du désir. Les deux peuvent être utilisées par les aspirants disciples. Plus loin, je parlerai de l'Invocation qui est une synthèse des deux.

Quoi qu'il en soit, en ces temps de pauvreté matérielle, je restai fidèle à la prière, selon mon habitude, et cette nuit-là je priai. Le matin suivant, quand j'allai sous le porche j'y trouvai le numéraire nécessaire et, au bout de deux jours, Foster reçut une lettre de M. Ernest Suffern, qui lui offrait une situation à New York en rapport avec la Société théosophique de cette ville, avec un salaire de 300 dollars par mois. Il proposait également d'acquérir une maison pour nous, dans une petite ville de banlieue, sur l'Hudson. Foster accepta l'offre et partit pour New York, tandis que je restais là en attendant de voir comment [180] les choses se présenteraient là-bas et pour m'occuper des enfants.

Augusta Craig, familièrement surnommée "Craigie" par tous ceux qui la connaissaient et l'aimaient, vivait alors avec moi. Elle vécut avec nous périodiquement pendant plusieurs années et elle était très aimée de moi et des enfants. C'était une personne exceptionnelle, pleine d'esprit et d'intelligence. Elle n'abordait jamais un problème de la manière ordinaire. Peut-être cela était-il dû à ce qu'elle avait été mariée quatre fois et qu'elle avait une grande expérience des hommes et des choses. Elle était une des rares personnes à qui je pouvais demander conseil, car nous nous comprenions parfaitement. Elle avait une langue assez caustique, mais elle était pourtant si attirante que, où que nous soyons, le postier, le laitier, le pâtissier-glacier, s'ils étaient célibataires, tous essayaient de la séduire et de me l'enlever. Mais elle ne voulait aucun d'eux. Elle estimait que sa vie avec moi était assez intéressante et elle me fut fidèle le plus longtemps possible, jusqu'aux dernières années avant sa mort, années qu'elle passa dans une maison pour dames âgées, en Californie. Elle disait qu'elle n'avait rien à faire avec des vieilles dames. Cependant, quand elle fut une vieille dame de plus de soixante-dix ans, elle me laissa, disant que les autres vieilles dames pourraient profiter de quelques-unes de ses expériences. Je ne pense pas qu'elle ait été enchantée par elles, mais elle se sentait là très utile, et je peux garantir qu'elle le fut. Elle fut toujours très bonne pour moi.

Vint le moment où, vers la fin de 1920, Foster m'écrivit de le rejoindre à New York et je laissai les enfants aux soins de Craigie, la sachant sûre et aimée. Je fis le voyage de New York où Foster me retrouva et me conduisit à un appartement dans Yonkers, non loin de son logement. Nous nous mariâmes peu après, en allant à City Hall un matin pour nous procurer une licence, demander à l'employé du bureau de nous indiquer un [181] clergyman pour la cérémonie du mariage et nous faire bénir sur le champ. Nous retournâmes immédiatement après au bureau assurer le travail de l'après-midi et, depuis, nous avons continué jusqu'à ce jour, ensemble pendant vingt-six ans.

Le pas que nous avions à faire ensuite consistait à meubler la maison que M. Suffern avait achetée pour nous dans Ridgfield Park, N.J. ; puis Foster partit pour l'Ouest chercher les enfants. Je restai pour que tout soit prêt, pour faire les rideaux, pourvoir la maison du nécessaire (M. Suffern me le procura en grande partie) et j'attendis anxieusement le retour de mon mari et des trois enfants. Craigie ne vint pas avec eux ; elle suivit plus tard.

Jamais je n'oublierai leur arrivée au Grand Terminus Central. Jamais je n'avais vu un homme aussi fatigué, épuisé que Foster. Ils apparurent tous quatre en haut de la rampe, Foster avec Ellison dans les bras, Dorothée et Mildred suspendues à ses basques ; combien nous fûmes heureux de nous installer dans la nouvelle maison ! C'était la première fois que les enfants venaient dans l'Est. Elles n'avaient jamais vu la neige et rarement porté des chaussures et c'était pour elles l'expérience d'une civilisation nouvelle. Comment Foster s'y prit, je ne sais, mais je pense qu'il y a lieu de souligner ici quel beau-père merveilleux il fut pour les enfants. Tant qu'elles furent enfants, il ne leur donna jamais l'occasion de réaliser qu'elles n'étaient pas les siennes, et leur dette vis-à-vis de lui est très grande. Je pense qu'elles ont une dévotion pour lui et elles ont raison.

Ce cycle de vie tout nouveau signifiait pour nous un ajustement à divers changements. Pour la première fois, il y avait non seulement l'intense pression du travail à accomplir pour les autres et pour les Maîtres, mais il fallait le combiner avec les soins familiaux, la tenue de la maison, l'éducation des enfants et – ce que je trouvais le plus difficile – une renommée grandissante. Je n'ai jamais été éprise de renommée. Je n'ai jamais [182] aimé la curiosité indiscrète du grand public, ni le sentiment que, puisque vous écrivez des livres ou tenez des conférences publiques, vous ne devez plus avoir de vie privée. Le grand public semble croire que tout ce que vous faites le regarde et qu'il vous faut dire ce qu'il veut que vous disiez et lui donner de vous-même une image telle qu'il pense qu'elle doit être.

Je n'oublierai jamais avoir dit un jour, à un auditoire de près de huit cents personnes à New York, que tous, tels qu'ils étaient, pouvaient atteindre un certain degré de réalisation spirituelle, mais que cela entraînerait le sacrifice, comme cela avait été le cas dans ma propre vie. Je leur racontai que j'avais appris à repasser les vêtements des enfants, etc. tout en lisant un livre sur des sujets spirituels ou occultes et sans que je brûle les vêtements. Je leur dis qu'ils pouvaient diriger leur pensée et apprendre la concentration mentale et l'orientation spirituelle tout en pelant les pommes de terre et en écossant les pois, car c'était ce que j'avais été obligée de faire, puisque je n'avais pas cru devoir sacrifier la famille et son bien-être à ma propre impulsion spirituelle. À la fin de la conférence, une femme vint devant l'auditoire et me réprimanda pour m'être laissé aller devant tant de gens à parler de choses aussi insignifiantes. Je lui répondis que je ne croyais pas que le confort de sa propre famille soit un sujet sans importance et que j'avais toujours présent à l'esprit le travail d'une certaine femme, institutrice et conférencière bien connue, mais que ses six enfants ne voyaient jamais et étaient laissés sous la responsabilité de n'importe quelle personne qui puisse en prendre soin.

Personnellement, je n'apprécie pas du tout les gens qui poursuivent leur réalisation spirituelle aux dépens de leur famille ou de leurs amis. Ils sont beaucoup trop nombreux dans les différents groupes d'occultistes. Quand des personnes viennent me dire que leur famille n'a pas de sympathie pour leur aspiration spirituelle, je leur pose la question suivante : "Laissez-vous vos livres d'occultisme étalés partout au grand [183] déplaisir de tous ? Demandez-vous le silence complet dans la maison pendant votre méditation du matin ? Laissez-vous les membres de votre famille faire eux-mêmes leur dîner pendant que vous assistez à une réunion ?" C'est ainsi que les étudiants de l'occultisme se comportent comme des idiots et font peser un discrédit sur toute la question de l'occultisme. La vie spirituelle ne doit pas être vécue aux dépens des autres et si des gens souffrent parce que vous voulez aller au paradis, c'est très mal. S'il est au monde quelqu'un qui me rende triste, lasse et malade, c'est bien cet occultiste compassé et technicien. Le second type qui me fatigue, c'est celui du farfelu, qui pense qu'il est en contact avec les Maîtres et qui parle mystérieusement des communications qu'il a reçues des Maîtres. Mon attitude, en face de toutes ces communications est : "Je crois que c'est ce que le Maître a dit ; je crois que c'est cela, l'enseignement ; mais utilisez votre intuition ; peut-être que ce n'est pas cela." Je peux être considérée, par certains, comme aussi fuyante qu'une anguille, mais je laisse les gens libres.

Ce fut ce contact avec le grand public qui commença lentement à s'établir en 1921 et inaugura une période très difficile de ma vie. J'avais toujours senti que, du point de vue astrologique, je devais avoir le Cancer à l'ascendant, car j'aime à me cacher, à ne pas être vue et le verset de la Bible qui m'a toujours paru si important se réfère à "l'ombre d'un grand rocher sur une terre assoiffée."

Bien des grands astrologues se sont amusés à tenter d'établir mon horoscope. La plupart d'entre eux me donnaient le Lion pour ascendant, car ils me considéraient comme très individualiste. Un seul me donna le Cancer et, comme il avait de mon problème avec la publicité une vision intime et de la sympathie, je pense que c'est ce qui l'inclinait à penser que j'avais le Cancer comme signe ascendant. Cependant, je crois que mon signe ascendant est les Poissons. J'ai un mari dans les Poissons, une fille de même, et le signe des Poissons est celui [184] du médium ou du médiateur. Je ne suis pas médium, mais j'ai été une sorte "d'intermédiaire humain" entre la Hiérarchie et le grand public. Je voudrais que vous ayez noté que je dis le grand public, et non les groupes d'occultistes. Je sais et je crois que le grand public est plus prêt pour une saine connaissance des Maîtres et plus préparé à une interprétation normale et sensible de la vérité occulte que ne le sont en général les membres des groupes d'occultistes.

Les enfants atteignaient alors l'âge où les soins physiques normaux qui retiennent l'attention d'une mère moyenne se transforment en demande émotionnelle. Ce cycle, qui dure jusqu'à ce qu'ils soient adolescents, est très difficile, difficile pour les enfants et terriblement difficile pour les mères. Je ne suis pas du tout sûre d'avoir bien réagi, ni d'avoir agi sagement et c'est peut-être simplement grâce à ma chance que mes filles, aujourd'hui, semblent m'aimer. Le temps de leur éducation a été beaucoup plus normal pour elles trois, qu'il ne l'avait été pour moi, laissée à des étrangères, gouvernantes et institutrices et cela a peut-être rendu plus difficile, pour moi, de les comprendre. J'avais une idée très exaltée de ce que devait être la relation entre une mère et ses enfants. Elles, elles n'avaient pas une idée aussi exaltée. J'étais une personne dont elles pouvaient attendre qu'elle prenne soin d'elles, mais dont elle pouvait aussi attendre qu'elle refrène leurs désirs. J'appris beaucoup pendant ce cycle de quelques années et j'en compris mieux la valeur quand je me suis trouvée dans la situation d'aider d'autres mères à résoudre leurs problèmes. En regardant en arrière, honnêtement, je ne pense pas que mes enfants aient eu beaucoup de raison de désagréments avec moi, car j'essayais, sincèrement, d'être compréhensive. Toutefois je suis quelque peu déçue par des parents de ce pays et de Grande-Bretagne.

Ici, aux États-Unis, nous sommes si faibles et si indulgents avec nos enfants qu'ils n'ont que très peu le sens de la responsabilité ou de l'autodiscipline, tandis qu'en Grande-Bretagne, [185] la discipline, les exigences des parents et le contrôle sont suffisants pour faire, de n'importe quel enfant, un révolté. Dans les deux pays, le résultat est le même – la révolte. Aujourd'hui, la jeune génération britannique me semble, autant que j'en puisse juger, dans un état de totale confusion quant à ce qu'elle veut faire, et la conduite des soldats américains en Europe ou ailleurs a été tellement choquante qu'elle a sérieusement nui au prestige des États-Unis dans le monde. Je ne blâme pas les soldats américains, je blâme leurs mères, leurs pères, leurs maîtres d'école et leurs officiers, qui ne leur ont pas donné le sens de la responsabilité, ni d'aucune valeur de vie. Ce n'est certes pas entièrement la faute des soldats si tant d'eux ont perdu leur bon sens pendant la guerre et pendant qu'ils étaient outre-mer.

Quand j'étais en Europe et en Grande-Bretagne, pendant l'été 1946, j'ai reçu, de première main, des informations de plusieurs pays sur leur comportement : dizaines de milliers d'enfants illégitimes qu'ils ont laissés derrière eux, abandonnés et non reconnus, et centaines de jeunes filles qu'ils épousèrent et laissèrent ensuite. Une des choses les plus intéressantes que je découvris fut la grande estime dans laquelle étaient tenues les troupes noires, due à leur courtoisie et à leur politesse envers les jeunes filles et à ce qu'ils ne tiraient pas avantage d'elles, à moins qu'elles-mêmes ne le veuillent. Tout en faisant cette critique aux soldats américains, et elle est assez vraie aussi pour les troupes plus disciplinées des Britanniques, je reconnais, comme je l'ai souvent dit en Angleterre à ceux qui critiquaient les soldats américains : "Tout cela est très bien, je suis tout à fait prête à croire qu'ils sont ce que vous dites, mais que penser des vilaines petites Anglaises, Françaises, Hollandaises, car il faut être deux pour jouer à ce jeu." S'il est vrai que nos soldats [186] aient eu trop d'argent et que leurs officiers leur aient dit d'en "profiter au maximum", pendant qu'ils étaient en service actif, les femmes des pays étrangers doivent aussi être tenues pour responsables. C'est assez compréhensible que ces jeunes filles affamées, sous-alimentées aient préféré aller avec les soldats américains, puisque cela signifiait du poulet et du pain pour leur famille. Je ne dis pas cela pour les excuser, mais je dois le dire parce que c'est un fait pleinement reconnu.

Le problème du sexe et de la relation entre les sexes est peut-être l'un des problèmes mondiaux qu'il faudra résoudre au cours du prochain siècle. Comment on le résoudra, il ne m'appartient pas de le dire. Je suppose qu'il s'agit surtout d'éducation corrective, et d'inculquer aux jeunes, pendant les dernières années de l'adolescence, que le salaire du péché est la mort. L'un des hommes les plus propres moralement que j'aie jamais connus, qui jamais de sa vie ne s'était mal conduit, comme disent les puritains, me dit que la raison en était que, lorsqu'il eut ses dix-neuf ans, son père l'avait conduit dans un musée de médecine et lui avait montré les résultats de l'inconduite. Je ne suis pas de ceux qui croient à l'utilisation de la crainte comme correctif de la conduite et de la faiblesse, mais il est possible que l'évidence d'une mauvaise conduite ait sa valeur.

Je n'ai pas l'intention de m'étendre longuement sur ce sujet, mais il eut sa portée sur le problème auquel je fus confrontée, quand nous nous installâmes dans la maison de Ridgefield Park. Je devais envoyer mes enfants à l'école publique de New Jersey. Je m'étais accoutumée à l'idée de l'éducation mixte, mais seulement dans un milieu fait exclusivement d'enfants au-dessous de dix ans. Moi-même, je n'étais pas un produit du système d'éducation mixte et je n'étais pas du tout sûre que je l'aimais pour mes enfants qui approchaient de l'adolescence, mais je n'avais pas de solution de remplacement et il me fallait envisager les résultats.

Si le foyer est de la bonne sorte, si les parents ont une bonne influence, je ne connais pas de meilleur système que celui [187] de l'éducation mixte. L'étonnement de mes filles, quand elles arrivèrent pour la première fois en Angleterre et virent comment les jeunes Anglaises considéraient les jeunes Anglais, était presque comique. Elles trouvèrent les jeunes Anglaises surestimant les jeunes Anglais, pleines de l'idée du mystère sexuel et ne sachant pas du tout comment traiter les garçons ; tandis que la jeune fille américaine, élevée quotidiennement avec des garçons, assise en classe près d'eux, partageant les repas avec eux, entrant et sortant de l'école avec eux, jouant avec eux sur le terrain de sport, avait une attitude plus saine et plus naturelle. J'espère qu'avant peu nous verrons ce système d'éducation mixte dans tous les pays. Mais, derrière ce système, doit se maintenir le foyer, pour compléter et compenser les manques du système scolaire. Apprendre aux garçons et aux filles de justes relations et leur responsabilité envers les autres, leur donner beaucoup de liberté, à l'intérieur des limites d'une compréhension certaine et mutuelle – liberté basée sur la confiance – est l'essentiel.

Mes trois filles allèrent à l'école publique. Je ne peux pas dire qu’elles ne se soient jamais distinguées. Chaque année, elles passaient leurs examens, mais je ne me souviens pas qu’elles n’aient jamais été en tête de classe. Je ne considère pas cela comme une réflexion désobligeante pour elles. Elles avaient une bonne intelligence et elles se sont montrées des citoyennes très intelligentes ; mais, simplement, elles n'étaient pas particulièrement intéressées. Je me souviens que Dorothée m'apporta un éditorial du New York Times, quand elle allait à l'école secondaire. Cet éditorial traitait du système d'éducation moderne et soulignait son utilité pour les masses. Il soulignait que le système faisait faillite quand il s'agissait de l'enfant doué, créateur et hautement intelligent. "Et ça, dit ma fille, c'est nous, et c'est pourquoi nous ne faisons pas plus d'étincelles à l'école." Elle avait probablement raison, mais je pris soin de ne pas le lui laisser voir. L'ennui, avec l'éducation mixte, est que les professeurs ont de trop grandes classes et qu'aucun enfant ne peut recevoir l'attention voulue. Je me souviens d'avoir demandé, un jour, à Milfred pourquoi elle ne faisait pas ses devoirs à la [188] maison. "Eh ! bien, maman" dit-elle, "j'ai calculé que, comme il y a 60 enfants dans ma classe, il se passera trois semaines avant que le professeur arrive à moi et je n'ai pas besoin de faire quelque chose en ce moment. Quoi qu'il en soit, elles progressèrent à l'école, franchirent toutes les étapes, eurent leurs diplômes normalement et cela suffit. Elles étaient, il est vrai, de grandes lectrices. Elles rencontraient constamment des gens intéressants, écoutaient des conversations intéressantes et étaient en contact, par Foster et par moi, avec des gens du monde entier ; leur éducation fut, par conséquent, réellement très large.

Pendant tout ce temps, Foster travaillait comme secrétaire de l'Association théosophique de New York – organisation indépendante, non officialisée – et moi je cuisinais, je raccommodais, je tenais la maison et j'écrivais des livres chez moi. Tous les dimanches matin, Foster et moi, nous nous levions à 5 heures et nous faisions la lessive de la semaine, y compris les draps, car il rentrait peu d'argent et c'est seulement au cours de la dernière année que je me suis trouvée libérée de certaines de mes tâches ménagères.

Foster, à cette époque, organisa le Comité des 1400 – comité chargé de reconduire la Société théosophique à ses principes d'origine. Ce comité était, en miniature, une réplique du clivage mondial majeur qui atteignit son apogée en 1939 dans la Guerre mondiale. C'était essentiellement une lutte entre les forces réactionnaires conservatrices de la Société et les nouvelles forces libérales qui travaillaient à restaurer les principes d'origine de la société. C'était une lutte entre un groupe sélectif, isolationniste, supérieur, qui se considérait lui-même comme plus sage et plus spiritualisé que l'ensemble des autres membres, et ceux qui aimaient leurs compagnons, qui croyaient au progrès et à l'universalité de la vérité. C'était une lutte entre une fraction exclusive et un groupe inclusif. Ce n'était pas une lutte de doctrine ; c'était une lutte de principes et Foster passa beaucoup de temps à organiser la lutte. [189]

B.P. Wadia revint des Indes et nous eûmes tout d'abord l'espoir qu'il donnerait de la force à ce que nous étions en train d'essayer de faire. Nous nous aperçûmes cependant qu'il projetait d'obtenir, si possible, la présidence de la S.T. dans le pays, et comptait sur l'aide de Foster et du Comité des 1400. Foster, pourtant, n'avait pas mis sur pied cette organisation dans le but de mettre au pouvoir un homme qui représenterait le Comité. Le Comité était organisé pour présenter les décisions pendantes et les principes en jeu aux membres de la Société théosophique. Quand Wadia découvrit que c'était cela, il menaça de porter son intérêt et son poids du côté de la Loge unie des théosophes, organisation rivale et très sectaire. Ces théosophes représentaient l'attitude fondamentaliste dans la S.T. avec, en plus, un ou deux groupes qui représentaient le point de vue de la théosophie orthodoxe, soutenant que le dernier mot avait été dit par H.P.B. ; il n'y avait donc rien de plus à ajouter et, à moins d'accepter leur interprétation de ce que H.P.B. avait dit et avait voulu signifier, on ne pouvait être un bon théosophe. C'est peut-être pour cette raison que tous ces groupes fondamentalistes sont restés très petits.

Le Comité des 1400 continua son travail. On procéda à une élection, les membres firent leur choix (ou plutôt la S.E. dicta leur choix) et le travail du Comité fut donc terminé. Wadia donna son appui, comme il avait dit qu'il le ferait, à la Loge unie des théosophes et, finalement, retourna aux Indes où il fonda l'un des meilleurs magazines traitant d'occultisme qui s'éditent aujourd'hui. Il est intitulé "Le Sentier Aryen" et il est très beau. Le mot aryen, ici, n'a rien à voir avec l'usage qu'en fit Hitler. Il a trait à la méthode aryenne d'évaluation spirituelle et à la manière dont ceux qui appartiennent à la cinquième race-racine opèrent leur approche de la réalité.

Moi, pendant ce temps, j'avais commencé un cours sur la Doctrine Secrète et j'avais loué une salle à Madison Avenue, où [190] nous pouvions tenir des classes et recevoir les gens sur rendez-vous. Ce cours sur la Doctrine Secrète commença en 1921 et fut très bien suivi. Des gens de diverses sociétés théosophiques et de groupes d'occultisme venaient régulièrement. M. Richard Prater, vieil associé de W.Q. Judge et élève de H.P. Blavatsky, vint un jour à mon cours et la semaine suivante, il m'amena tous les étudiants de son cours sur la Doctrine Secrète.

Je mentionne ceci à l'intention de la Loge unie des théosophes et pour ceux qui prétendent que la véritable filiation théosophique descend de H.P.B. via W.Q. Judge. Tout ce que sais de théosophie m'a été appris par des amis et des élèves personnels de H.P.B. et cela, M. Prater le reconnut. Plus tard, il me donna des instructions sur les sections ésotériques, telles que H.P.B. les lui avait transmises. Elles sont identiques à ce que j'avais vu quand j'étais dans la section ésotérique, et elles m'étaient données sans aucune restriction. J'avais donc la liberté de les utiliser à n'importe quel moment, ce que je fis. Quand il mourut, il y a bien des années, sa bibliothèque théosophique fut remise entre nos mains, avec tous les vieux "Lucifers", toutes les anciennes éditions du magazine théosophique, et encore des écrits sur l'ésotérisme qu'il avait reçus de H.P.B.

Parmi ces écrits, il y en avait un dans lequel H.P.B. exprimait son désir que la section ésotérique soit appelée École Arcane. Cela n'avait jamais été fait et je me mis en tête que la vieille dame serait exaucée ; c'est ainsi que l'École reçut ce nom. J'ai considéré comme un grand privilège et un grand honneur le fait de connaître M. Prater.

Une autre vieille élève de Mme Blavatsky et du Colonel Olcott, Miss Sarah Jacobs, me remit les clichés des portraits des Maîtres que le Colonel Olcott lui avait donnés, si bien que j'eus plus que l'heureuse impression de recevoir l'approbation des élèves et des amis personnels de H.P. Blavatsky pour ce que j'étais en train d'essayer de faire. J'eus leur acquiescement et [191] leur aide jusqu'à ce qu'ils passent de l'autre côté. Ils étaient déjà tous âgés quand je les rencontrai la première fois. L'attitude des chefs théosophes actuels et des adhérents m'a toujours amusée. Ils n'ont jamais approuvé ce que j'enseignais et, cependant, ce que j'enseignais venait directement des élèves entraînés personnellement par H.P.B. et était, apparemment, plus correct que ce qui est venu par ceux qui ne l'ont jamais connue. Je le mentionne parce que, à cause du travail, je voudrais voir ces sources reconnues.

À partir de cette classe sur la Doctrine Secrète, se formèrent des groupes d'étudiants, partout dans le pays ; ils recevaient les grandes lignes des leçons que je donnais à la classe de Madison Avenue. Ces classes grandirent et prospérèrent, au point qu'elles suscitèrent un véritable antagonisme de la part des théosophes, et je fus avertie, par le Dr Jacob Bonggren, que les classes étaient sur le point d'être attaquées. Il est un ancien élève de H.P.B. et on peut lire ses écrits dans les premières revues ; je suis très fière qu'il m'ait soutenue pendant ces premières années.

En 1921, nous formâmes un petit groupe de méditation de cinq hommes, plus mon mari et moi-même, et nous avions l'habitude de nous retrouver, tous les mardis après-midi après les heures de travail, pour parler de choses importantes, discuter du Plan des Maîtres de la Sagesse et méditer sur la part que nous pouvions y prendre. Ce groupe se tint régulièrement de l'été 1922 à l'été 1923. En même temps, je continuais à écrire pour le Tibétain et Initiation Humaine et Solaire, Lettres sur la Méditation Occulte, et La Conscience de l'Atome avaient été édités.

Les gens sont prêts à croire que si l'on écrit un livre sur la méditation, c'est que l'on sait tout sur le sujet. Je commençais à recevoir des lettres du monde entier, de gens qui me demandaient de leur apprendre à méditer ou de les mettre en contact avec les Maîtres de la Sagesse. Ces dernières requêtes m'ont toujours amusée. Je ne suis pas un de ces instructeurs en occultisme [192] qui prétendent savoir exactement ce que les Maîtres veulent qu'on fasse, ou être en droit d'introduire des curieux et des sots auprès des Maîtres. Les Maîtres ne peuvent pas être contactés ainsi. Ils ne sont pas des proies pour les chercheurs de curiosité, les dupes ou les débiles intellectuels. Ils ne peuvent être trouvés que par le serviteur de la race humaine dépourvu d'égoïsme, par l'interprète intelligent de la vérité et par personne d'autre.

J'ai donné l'enseignement tel qu'il m'a été donné par le Tibétain, et c'est sa responsabilité. En tant que Maître de la Sagesse, il sait ce que j'ignore et il a accès à des archives et à des vérités qui sont scellées pour moi. Présumer que je connais tout ce qui est donné dans ses livres est erroné. En tant que disciple entraîné, je peux savoir plus qu'un lecteur moyen, mais je n'ai pas une connaissance comme celle du Tibétain. Il a une vaste connaissance et j'ai souvent ri sous cape en m'entendant décrire, par quelque théosophe antagoniste (je pourrais citer des noms, mais je ne le ferai pas), comme "une dame spéciale qui a l'oreille collée au trou de la serrure de Shamballa". Il s'écoulera longtemps avant que j'aie le droit "d'entrer là où la volonté de Dieu est connue" et quand je l'aurai, je n'aurai pas besoin du trou de la serrure.

Dans l'été de 1922, je partis avec ma famille, pour trois mois, à Amagansett, Long Island, et je m'imposai d'écrire une lettre, une fois par semaine, au groupe d'étudiants pour qu'ils étudient et lisent pendant notre absence. Souvent, cette lettre semblait propre à être envoyée à ceux qui s'informaient sur la méditation ou sur le chemin vers Dieu, sur le plan spirituel prévu pour l'humanité ; donc nous faisions des copies de ces lettres. En septembre 1922, au moment où nous devions retourner à New-York, il était nécessaire d'examiner comment organiser la correspondance qui s'accumulait, résultat de l'accroissement de la vente des livres, comment répondre à la demande de cours sur la Doctrine Secrète et comment faire face à tous les [193] appels à l'aide selon la voie spirituelle, auxquels nous étions confrontés. En conséquence, en avril

1923, nous organisâmes l'École Arcane.

Les quatre ou cinq personnes associées à mon mari et à moi-même pour la classe du mardi après-midi s'assemblèrent autour de nous. Deux d'entre elles travaillent toujours avec nous depuis vingt-quatre ans et deux autres sont passées de l'autre côté. Nous n'avions pas la moindre idée de la façon d'aborder un tel travail. Aucun de nous – à une exception près – n'avait jamais appartenu à une école par correspondance et ne savait rien sur la manière de toucher les gens par cette voie. Nous avions, en tout et pour tout, de bonnes intentions, un désir ardent d'aider et trois livres sur des sujets occultes. Depuis cette époque, 30 000 personnes sont passées par l'École. Plusieurs centaines, qui se joignirent à l'École, il y a dix, douze ou dix-huit ans, sont toujours avec nous et le travail de l'École Arcane est connu et apprécié dans presque tous les pays, excepté la Russie et environ quatre autres pays.

Si nous avions eu la moindre indication sur le travail immense et absorbant qui s'étendait devant nous, je me demande si, vraiment, nous aurions eu le courage de le tenter. Si j'avais pu évaluer les migraines et l'anxiété qu'il entraînerait et les responsabilités que toute école ésotérique doit supporter, je sais que je n'aurais pas commencé ce travail ; mais les innocents se précipitent là où même les anges craignent de mettre un pied et je me précipitai.

Je n'aurais rien pu faire sans le soutien et la sagesse de mon mari. Je frissonne en pensant aux fautes que j'aurais commises, aux erreurs de jugement dont j'aurais été capable et aux complications légales dans lesquelles je me serais trouvée embarquée. Sa clarté d'esprit sur la légalité, son impersonnalité et son constant refus de s'exciter alors que je trouvais qu'il aurait dû le faire m'ont sans cesse sauvée de moi-même.

Ce n'est pas chose aisée que de soutenir une école ésotérique. [194] Il est même loin d'être facile de prendre la responsabilité d'enseigner aux gens la vraie méditation. C'est difficile de fouler le sentier étroit comme le fil du rasoir, qui va du psychisme supérieur, ou perception

 spirituelle, au psychisme inférieur que beaucoup de gens partagent avec les chiens et les chats. Ce n'est pas facile de discerner entre une perception psychique et une perception intuitive et donc de soutenir la vie spirituelle des gens, quand ils se mettent eux-mêmes, volontairement, entre vos mains, pour que vous les entraîniez et leur donniez le nécessaire. Rien de tout cela n'aurait été possible pour moi à cette échelle s'il n'y avait eu l'aide merveilleuse apportée par ceux qui travaillaient au Siège central et par les secrétaires pour les étudiants. Nous avons commencé par une seule salle. Nous avons à présent (1947) deux étages au 11 West 42ème rue, avec beaucoup de personnes qui y travaillent, des sièges en Angleterre également, en Hollande, en Suisse et en Italie. Aujourd'hui, mis à part le personnel des sièges, nous avons un groupe de 140 secrétaires, étudiants avancés qui aident à instruire d'autres étudiants. Ces secrétaires se trouvent partout et c'est grâce à l'aide désintéressée et volontaire qu'ils donnent constamment, au long des années, que nous sommes en mesure de faire avancer le travail.

Quand le travail débuta, il y avait certains principes de base que nous étions déterminés à faire appliquer dans toutes les activités de ce groupe. Je suis désireuse de les mettre en évidence parce que je pense qu'ils sont fondamentaux et devraient gouverner toutes les écoles ésotériques, et parce qu’après ma mort, je veux sentir que ces principes continueront à déterminer les modes d'action. L'entraînement de base donné à l'École Arcane est celui qui a été donné aux disciples à travers les âges. L'École Arcane, si elle réussit, n'aura donc pas, du moins dans ce siècle, un très grand nombre de membres. Ceux qui sont prêts à être entraînés selon les lois spirituelles qui gouvernent tous les disciples sont rares, quoique nous constations un accroissement de leur nombre. L'École Arcane n'est pas une [195] école pour les disciples en probation. Elle est prévue pour être l'école de ceux qui peuvent être entraînés à agir directement et consciemment sous la conduite des Maîtres de la Sagesse. Il y a, aujourd'hui, beaucoup d'écoles pour les disciples en probation et elles font un grand, noble et nécessaire travail.

Pendant longtemps, j'ai été très troublée lorsque je me demandais pourquoi la S.T. et particulièrement les membres de la S.E. étaient si fortement opposés au travail que j'essayais de faire. Je savais que ce n'était pas dû à nos premières activités dans la Société et que c'était fondé sur quelque chose d'autre ; cela me troublait. Il me semblait et il me semble toujours qu'il y a de la place dans le monde d'aujourd'hui pour des centaines de vraies écoles ésotériques et qu'elles devraient être toutes capables de collaborer les unes avec les autres, complémentaires les unes des autres, et s'aidant les unes les autres.

Je me cassai la tête là-dessus pendant longtemps et, lors d'un voyage à Paris, au début des années 30, je demandai à M. Marcault, alors dirigeant de la S.T. en France, ce qu'il en était. Il me regarda avec un complet étonnement et me dit qu'on me reprochait, naturellement, de ne pas amener les gens à la S. E. au lieu de les garder dans mon propre groupe. Je le regardai avec un égal étonnement et lui dis qu'à l'École Arcane, nous avions quatre sortes de théosophes, quatre sortes de rosicruciens et que, pas un seul d'entre eux ne voulait rejoindre la S.T. de laquelle nous étions membres, lui et moi. Je lui rappelai que personne n'était admis dans la S.E. à moins d'avoir été, pendant deux ans, membre de la S.T. et je lui demandai pourquoi des gens, qui sont prêts pour l'entraînement ésotérique, devraient rester en attente pendant deux ans, dans un groupe purement exotérique. Il n'avait rien à répondre à cela et j'ajoutai à son embarras en soulignant (ce qui, je le vois à présent, manquait un peu de tact de ma part) qu'il était bien dommage que l'École Arcane et la Section Ésotérique ne travaillent pas ensemble harmonieusement. Je soulignai que la S.E. était la meilleure école du monde pour ceux qui sont en probation, car elle entretenait le feu de l'aspiration et nourrissait la dévotion de ses membres, mais que, nous, nous étions une école pour [196] entraîner les gens à être des "disciples acceptés", c'est-à-dire ceux qui sont au dernier stade du sentier de probation, et que nous mettions l'accent sur l'impersonnalité et le développement mental. J'ajoutai que nous avions délibérément rendu notre travail éliminatoire, ne gardant que ceux qui, vraiment, travailleraient dur et offriraient les signes d'une réelle culture mentale. Je lui dis que nous laissions tomber des centaines de gens du type émotionnel et dévotionnel et que, si nous avions pu travailler ensemble, j'aurais passé beaucoup de ces gens à la S.E. Il ne fut ni impressionné, ni satisfait et je ne peux pas dire que je l'en blâme. Je n'avais pas l'intention d'être critique, car, dans mon esprit, les deux groupes étaient également utiles ; les deux pouvaient servir un but spirituel et, que l'on soit en probation ou disciple, on n'en est pas moins un être humain orienté spirituellement et qui demande un entraînement et une discipline.

Cette idée de grades et de place a toujours été la malédiction de la S.T.

 et de beaucoup de groupes d'occultistes. Que de fois n'ai-je dit aux secrétaires de l'École que le fait d'être des aînés dans l'École Arcane n'indiquait pas nécessairement un développement spirituel et qu'ils pouvaient avoir, dans leur groupe d'étudiants, un débutant qui soit plus avancé qu'eux sur le Sentier du Disciple. Croire qu'une personne émotionnelle, très sensible, sentimentale est moins importante qu'une autre de type mental, voilà encore une chose qui me sidérait. Personne ne peut vivre sans son cœur ou sa tête et le véritable étudiant en occultisme réunit les deux. Aucun membre de l'École Arcane n'est autorisé, par les dirigeants de la S.T., à appartenir à la S.E., à moins de rompre son affiliation avec nous. Ceci est erroné et procède de la grande hérésie de la séparativité.

Nous ne requerrons pas de telles séparations et nous disons aux étudiants que, s'ils réussissent à approfondir leur vie spirituelle, en élargissant leur horizon et en accroissant leur perception mentale, il leur appartient de travailler en dehors, dans [197] l'Église, la société, le foyer ou la communauté à laquelle leur sort est lié. Nous avons donc des étudiants actifs qui sont membres de diverses organisations théosophiques, chacune d'elles se considérant comme détentrice de l'unique vérité. Nous avons des étudiants qui appartiennent à quatre groupes différents de rosicruciens. Nous avons des membres de l'Église, catholiques et protestants, des gens de la Science Chrétienne, de l' "Unité" et des membres de presque toutes les organisations ayant une base spirituelle ou religieuse. Nous prenons des gens qui sont sans croyance, mais qui sont prêts à accepter une hypothèse et à essayer d'en éprouver la valeur. Donc, l'École Arcane est éclectique, apolitique et de pensée profondément internationale. Le service est sa note-clé. Ses membres peuvent travailler dans n'importe quelle secte ou parti politique, pourvu qu'ils se souviennent que tous les Sentiers mènent à Dieu et que le bien de l'humanité gouverne toutes leur pensées. Par-dessus tout autre chose, c'est une école où l'on enseigne à l'étudiant que l'âme des hommes est une.

J'aimerais ajouter aussi que c'est une école où la foi dans la Hiérarchie spirituelle de notre planète est enseignée scientifiquement, non en tant que doctrine, mais en tant que règne de la nature qui peut être prouvé. Il y a eu beaucoup d'enseignements donnés par les Églises sur le royaume de Dieu et sur celui des âmes. Ce ne sont que diverses expressions de la phrase ci- dessus, expression de la Hiérarchie spirituelle de notre Planète.

C'est une école où l'obéissance vraie, occulte, est développée. Cette obéissance occulte n'implique aucune obéissance à moi, ni à aucun autre dirigeant de l'École, ni à aucun autre être humain. Aucun serment de fidélité ni aucun gage personnel n'est requis vis-à-vis de qui que ce soit, ni exigé des étudiants de l'École Arcane. Il est enseigné à ces étudiants une prompte obéissance aux demandes de leur propre âme. À mesure que la voix de cette âme devient plus familière, elle peut finalement faire d'eux des membres du royaume de Dieu et les conduire face à face avec le Christ.

Ainsi, en 1923, nous commençâmes une école qui n'était ni [198] doctrinale, ni sectaire, mais fondée sur la Sagesse Éternelle qui nous est parvenue de la nuit des temps. Nous commençâmes une école qui avait un but défini et un objectif spécifique, une école qui était inclusive et non exclusive et qui orientait ses étudiants vers une vie de service, en tant que voie d'approche vers la Hiérarchie et non en tant que voie vers une culture spirituelle égoïste. Nous déterminâmes que le travail serait pénible et difficile afin que les gens dépourvus d'intelligence soient éliminés. Une des choses du monde les plus faciles à faire est d'ouvrir une école d'occultisme d'intérêt personnel et on en crée tout le temps, mais nous ne voulions rien de semblable.

Peu à peu, nous apprîmes comment organiser le travail, comment former le personnel, comment systématiser les dossiers et adapter des méthodes du monde des affaires qui assureraient aux étudiants un prompt service. Nous avons conservé l'École sur la base d'un financement volontaire et nous ne demandons pas de rétribution. De cette façon, nous n'avons pas d'obligations, financièrement, envers les étudiants et je me sens libre de laisser tomber un étudiant à n'importe quel moment s'il ne profite pas de ce que nous faisons. Nous n'avons pas d' "ange" philanthrope derrière nous, ni aucune sorte de généreux donateur. Le travail est supporté par de petites mais nombreuses souscriptions, ce qui est beaucoup plus sain et plus sûr.

Je crois que c'est tout ce que j'ai à dire sur le début de l'École et sur son fonctionnement. C'est le noyau même de tout ce que nous faisons. À présent, nous avons une section en Angleterre, une section en Hollande, une section en Italie, une section en Suisse, une section en Amérique du Sud, avec un travail organisé en Turquie et en Afrique de l'Ouest et des membres dans beaucoup d'autres pays. Les papiers de l'École circulent en plusieurs langues et les étudiants de ces pays sont en relation avec des secrétaires qui parlent leur langue. Les activités de service s'étendent sur un champ toujours plus vaste et je n'essaierais pas d'en faire le compte.

Les six années suivantes, de 1924 à 1930, sont quelque peu monotones. Quand je les considère, je suis profondément [199] consciente d'un cycle dans lequel, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, je fis la même chose, tandis que je continuais à développer l'École Arcane. J'étais continuellement en train d'écrire des papiers et des articles pour l'École. J'étais éternellement en train de recevoir des gens sur rendez-vous ; en 1928, j'ai souvent reçu des gens toutes les vingt minutes, toute la journée. Je ne me suis jamais imaginé que c'était ainsi parce que je suis une personne tellement remarquable. C'était ainsi parce que je ne demandais pas de rétribution.

Ces années furent celles où toutes sortes de psychologues donnèrent des conférences dans tout le pays. Tous les types possibles de psychanalystes donnaient des rendez-vous, demandant de gros honoraires ; je n'en demandais jamais et mes journées étaient bien remplies ; il y avait toujours des gens qui avaient quelque problème et espéraient que je pourrais le résoudre. Il y eut, à New York, à l'époque, une femme qui prenait 500 dollars pour un rendez-vous d'une demi-heure et elle avait une liste d'attente. Je vous garantis qu'elle ne donna jamais de conseils aussi utiles que ceux que je donnais pour rien.

L'un des mystères de la nature humaine apparut dans ma conscience à cette époque. Je découvris que les gens sont désireux de parler des affaires les plus intimes de leur vie quotidienne, révélant leurs relations sexuelles avec leur mari ou leur femme, à moi, une parfaite inconnue. Je suppose que ma réaction contre cela était fondée sur mon éducation britannique, car, nous ici, en Amérique, nous avons toujours parlé plus librement à des étrangers que cela n'a jamais été l'habitude pour l'autre moitié de la race anglo-saxonne. Franchement, je n'ai jamais aimé cela. Il y a une certaine réticence utile et juste et j'ai toujours constaté que, quand on a été trop franc avec quelqu'un, ou qu'on s'est laissé aller à une conversation intime, cela finit généralement par de la haine – une sorte de haine qui n'est jamais légitime, ni méritée pour la personne à laquelle on s'est confié. Je n'ai jamais été intéressée par les relations sexuelles des gens, mais je réalise que c'est un facteur majeur d'harmonie de l'individu. [200]

Toute cette question du sexe est aujourd'hui flottante. Je suis moi-même une Britannique conservatrice qui a horreur du divorce, qui déteste les discussions sur le sexe, mais je sais cependant que la jeune génération n'a pas entièrement tort. Je sais que l'attitude victorienne était pernicieuse. Les secrets et les mystères dont elle entourait le problème du sexe étaient dangereux pour les jeunes encore innocents qui ont une vie naturelle et créatrice. Les murmures, les secrets, les communications derrière les portes fermées, provoquaient des questions chez les jeunes et avaient pour résultat des choses sales dans leur pensée ; c'est quelque chose de difficile à pardonner aux parents de l'époque victorienne. Aujourd'hui, nous souffrons de la réaction à cette attitude. Il est possible que les jeunes en sachent presque trop mais, personnellement, je crois que c'est une condition beaucoup plus saine que celle dans laquelle j'ai été élevée.

Ce qu'est au juste la solution au problème du sexe, je ne le sais pas. Je sais que, dans des pays étrangers, selon la loi britannique, sans doute selon la loi hollandaise et selon quelques autres lois, un mahométan peut avoir plusieurs femmes. Les hommes de toutes les nations, Américains, Britanniques ou autres, ont toujours eu des relations amoureuses multiples. Au-delà de toute cette promiscuité, au-delà de toute recherche d'une réponse, une solution vraie finira par émerger. Les Français ne l'ont pas trouvée, car la nation française démontre que "le mental est le meurtrier du réel". Ils sont si réalistes que ce qui est subjectif, beau, spirituel est souvent oublié. Cela indique un grand défaut dans les caractéristiques des Français. Leur Sénat s'assemble sans reconnaître aucunement la divinité ; leurs ordres maçonniques sont mis hors la loi par la Grande Loge des autres pays parce qu'ils ne reconnaissent pas le Grand Architecte de l'Univers et leur plan pour les relations sexuelles est [201] fondé sur un concept purement utilitaire, qui est essentiellement sain pourvu qu'il n'y ait rien sur terre que la vie matérielle.

Aujourd'hui, en 1947, le monde est fou sexuellement. La Grande- Bretagne, les États-Unis et tous les autres pays sont débordés par les procédures de divorce ; les jeunes se marient sur la base que, si l'union n'est pas heureuse, elle peut être dissoute ; qui peut dire qu'ils ont tort ? Les enfants illégitimes issus de la psychose de guerre, dans tous les pays, sont presque la norme et non plus l'exception. Partout où les armées en marche avancent, des milliers d'enfants illégitimes en sont le résultat. L'Église fulmine contre la vision moderne du mariage et ses désillusions, mais n'offre pas de solution et les Églises catholiques et épiscopales des États-Unis et de Grande-Bretagne soutiennent l'idée que, dès que le divorce est obtenu, tout mariage postérieur est adultère.