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CHAPITRE I REFLEXIONS INTRODUCTIVES SUR L’INITIATION - Partie 1

CHAPITRE I

REFLEXIONS INTRODUCTIVES SUR L'INITIATION

PENSEE-CLE :

"Il y a un désir humain de Dieu ; mais il y a aussi un désir divin de l'homme. Dieu est l'idée suprême, la préoccupation suprême et le désir suprême de l'homme. L'homme est l'idée suprême, la préoccupation suprême et le désir suprême de Dieu. Le problème de Dieu est un problème humain. Le problème de l'homme est un problème divin ( ) L'homme est la contrepartie de Dieu et Son bien-aimé, dont Dieu attend d'être aimé en retour. L'homme est l'autre personne du mystère divin.

Dieu a besoin de l'homme. Dieu, dans sa volonté, n'a pas voulu exister Seul ; il a voulu que l'homme existe aussi, l'amant et l'aimé."

Wrestlers with Christ, par Karl Pfleger, p. 236.

PREMIERE PARTIE

Nous sommes en train de passer d'un âge religieux à un autre. Les tendances spirituelles de notre époque se définissent d'une façon de plus en plus claire. Le cœur des hommes n'a jamais été plus sensible aux influences spirituelles et la porte qui conduit au centre même de la réalité est largement ouverte. Cependant, parallèlement à ce développement significatif, on remarque également une tendance en sens contraire, c'est-à-dire que les philosophies matérialistes et les doctrines de négation prennent une importance accrue. Pour beaucoup, la validité même de la religion chrétienne reste encore à prouver. On proclame que le christianisme a fait faillite, que l'homme n'a pas besoin de l'Évangile, avec son implication de la divinité et ses encouragements au service et au sacrifice.

L'Évangile est-il vrai au point de vue historique ? N'est-ce pas plutôt une légende mystique d'une grande beauté et d'une valeur éducative incontestable, mais qui n'apporte cependant rien de vital aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui, si fiers de leur faculté de raisonnement et de leur indépendance à l'égard des anciennes entraves mentales et des traditions périmées ? On remarquera que le caractère même du Christ, dont l'Évangile nous apporte une description d'une perfection inégalée, n'est nullement mis en cause. Les ennemis du christianisme admettent eux-mêmes le caractère unique du Christ, sa profondeur insondable et sa compréhension des cœurs humains. Ils reconnaissent que ses idées sont suprêmement intelligentes et les incorporent à leur propre philosophie. Les développements que le Charpentier de Nazareth apporta à la contexture de la vie humaine, ses idéaux sociaux et économiques, et la beauté de la [4] civilisation que l'on pourrait édifier sur les préceptes moraux du sermon sur la montagne, sont souvent mis en lumière par beaucoup d'entre ceux qui refusent de voir dans Sa mission une expression de la divinité. Au point de vue rationnel, la question de l'exactitude historique de Sa vie reste en suspens, bien que Son enseignement concernant la paternité de Dieu et la fraternité de l'homme soit adopté par les esprits les plus éminents. Ceux qui savent se mouvoir dans le monde des idées, de la foi et de l'expérience vivante, attestent Sa divinité et affirment qu'on peut L'approcher.

Mais les témoignages de ce genre sont souvent traités avec scepticisme, comme étant entachés de mysticisme, de futilité et comme manquant de preuves. La croyance individuelle, en somme, n'a de valeur que pour le croyant lui-même, à moins qu'elle n'étende son témoignage à des cercles de plus en plus vastes, jusqu'à ce que le total de ceux qui la partagent devienne si grand qu'il finisse lui-même par être une preuve. Le fait de suivre le "chemin de la croyance" peut être le fruit d'une expérience vivante, mais il peut être aussi une forme d'autosuggestion et un "chemin de fuite" devant les difficultés et les problèmes de la vie quotidienne. L'effort nécessaire pour comprendre et pour expérimenter, pour ressentir et pour exprimer ce qui est connu et cru, est souvent trop grand pour la majorité des gens ; ceux-ci retombent alors dans une croyance basée sur le témoignage des autorités ecclésiastiques, ce qui est la façon la plus commode d'éluder la difficulté. Le problème de la religion et celui du christianisme orthodoxe ne sont pas identiques.

La plus grande partie de l'incroyance et du scepticisme contemporain, et la négation de nos soi-disant "vérités", proviennent de ce que la religion a été généralement dominée par les dogmes et que l'étude de la doctrine s'est substituée à l'expérience vivante. C'est cette expérience vivante qui est le thème, la clé du présent ouvrage.

Peut-être y a-t-il une seconde raison pour laquelle l'humanité actuelle a si peu de foi ou met si malencontreusement en discussion tout ce qui est cru : c'est que les théologiens ont essayé de détacher le christianisme de la place qui lui revient dans le plan des choses, et ont méconnu sa position dans la grande continuité de la révélation divine. Ils se sont efforcés de souligner son caractère exceptionnel et l'ont considéré comme une expression isolée, totalement distincte [5] de l'ensemble de la religion spirituelle.

Ce faisant, ils ont détruit son arrière-plan, ont déplacé ses fondations et ont rendu difficile à l'esprit, toujours plus développé de l'homme, d'accepter sa présentation doctrinale. Pourtant, saint Augustin nous dit que "ce que l'on appelle la religion chrétienne existait déjà chez les Anciens et n'a jamais cessé d'exister depuis les origines de l'humanité jusqu'à l'incarnation du Christ, moment où la vraie religion, qui existait déjà, commença à s'appeler Christianisme"[1]. La sagesse qui exprime nos rapports avec Dieu, les règles de la Route qui ramènent nos pas vers la maison du Père et l'enseignement qui nous apporte la révélation ont toujours été identiques à travers les âges et sont conformes à tout ce que le Christ a enseigné. Ce corps de vérités intérieures et cette plénitude de connaissances divines ont existé depuis des temps immémoriaux. C'est cette vérité que le Christ nous a révélée. Mais Il fit plus encore. Il révéla en lui-même, par l'exemple de Sa vie, ce que cette connaissance et cette sagesse pouvaient faire pour l'homme. Il démontra en lui- même la pleine expression de la divinité, et enjoignit ensuite à Ses disciples d'aller dans le monde et d'en faire de même.

Au sein de la continuité de la révélation, le christianisme est entré dans son cycle d'expression sous la loi divine qui gouverne toute manifestation – La Loi de l'Apparence cyclique. Cette révélation traverse les phases communes à toutes les manifestations de la forme ou apparences ; elle passe par les stades successifs de la croissance et de la maturation, pour aboutir (lorsque le cycle touche à sa fin) à la cristallisation, caractérisée par la suprématie croissante accordée à la forme et à la lettre, jusqu'à ce que la mort de cette forme devienne une chose inévitable et sage. Mais l'esprit continue de vivre et s'adjoint sans cesse de nouvelles formes. L'esprit du Christ est immortel et, de même qu'il vit éternellement, tout ce qu'il a démontré en s'incarnant doit vivre aussi. La cellule initiale, dans le corps de la femme, la période de la petite enfance suivie par le développement de l'adolescent en homme – tout cela, le Christ l'a traversé, car ces processus sont la destinée commune de tous les fils de Dieu. Grâce à Sa soumission, et parce qu'il "apprit l'obéissance par les souffrances qu'il endura"[2], il lui fut accordé de révéler Dieu à l'homme, et aussi – (faut-il le dire ?) – le divin [6] en l'homme, à Dieu. Car les Évangiles mous montrent le Christ demandant constamment cette reconnaissance au Père.

La grande continuité de la révélation est notre trésor le plus précieux ; la religion du Christ doit s'y insérer, et elle s'y insère parfaitement. Dieu ne S'est jamais laissé sans témoin, et ne le fera jamais. On oublie souvent la place qui revient au christianisme en tant qu'accomplissement du passé et préparation de l'avenir. C'est peut-être pourquoi les gens parlent d'un déclin du christianisme et tournent leurs regards vers cette révélation spirituelle dont ils ont si cruellement besoin. Si l'on ne met pas cette continuité en lumière, et si l'on passe sous silence la place éminente qui revient à la foi chrétienne, nous risquons fort de passer à côté de la révélation, sans l'apercevoir.

"Il existait", nous dit-on, "dans chaque contrée ancienne ayant des prétentions à la civilisation, une doctrine ésotérique, c'est- à-dire un système désigné sous le nom de SAGESSE et ceux qui se consacraient à sa poursuite furent d'abord dénommés Sages ( ) Pythagore a appelé ce système la Gnose ou connaissance des choses qui sont sous la noble désignation de Sagesse, les anciens maîtres, les Sages de l'Inde, les mages de la Perse et de Babylone ; les voyants et les prophètes d'Israël, les hiérophantes d'Égypte et d'Arabie, ainsi que les philosophes de la Grèce et de l'Occident rassemblaient toutes les connaissances qu'ils considéraient comme essentiellement divines. Dans cette somme de connaissances, ils faisaient deux parts : l'une qu'ils considéraient comme étant "ésotérique", et l'autre comme étant extérieure"[3].

Nous sommes très bien renseignés sur la partie exotérique de cette doctrine. Le christianisme orthodoxe et théologique est fondé sur elle, comme le sont toutes les formules orthodoxes des grandes religions. Cependant, quand on oublie la sagesse intérieure et que l'on écarte le côté ésotérique de la révélation, alors l'esprit et l'expérience vivante s'évanouissent. Nous nous sommes surtout préoccupés des détails de la forme extérieure de la foi, et nous avons cruellement oublié le sens intérieur qui apporte la vie et le salut, non seulement à l'individu, mais à l'humanité tout entière. Nous avons passé notre temps à lutter sur les détails secondaires de l'interprétation traditionnelle et nous avons omis d'enseigner le secret et la technique de la vie chrétienne. Nous [7] avons surestimé les aspects doctrinaux et dogmatiques et nous avons déifié la lettre ; et, pendant tout ce temps, L'âme de l'homme réclamait l'esprit de vie que voilait la lettre. Nous nous sommes torturés le cerveau pour expliquer certains aspects historiques du récit évangélique l'importance des facteurs temporels et l'exactitude terminologique de certaines traductions, sans apercevoir la magnificence de l'accomplissement du Christ, ni l'enseignement profond qu'il contient, pour l'individu et pour la race humaine. On a perdu de vue le drame de Sa vie et son application pratique aux vies de ses disciples, par suite de l'importance exagérée accordée à certaines paroles qu'Il est supposé avoir dit, tandis que ce qu'Il exprima par Sa vie, et les relations qu'Il mit en lumière et qu'Il considéra comme constituant l'essentiel de Sa révélation, ont été totalement ignorées.

Nous nous sommes battus au sujet du Christ historique et, au cours de cette lutte, nous avons perdu de vue Son message d'amour à tous les êtres humains. Les fanatiques se sont disputés autour de chacun de ses mots et ont oublié de se souvenir qu'Il était "Le Verbe fait chair". Nous ratiocinons sur l'Immaculée Conception et nous oublions la vérité centrale que l'Incarnation a pour objet de nous apprendre. Dans son remarquable livre intitulé "Mysticisme", Evelyn Underhill remarque que "l'incarnation qui, pour le christianisme, est synonyme de la naissance historique et de la vie terrestre du Christ, ne représente pas seulement cela pour le mystique, mais signifie un processus cosmique perpétuel".

Certains érudits ont passé leur vie à prouver que l'histoire de Jésus n'est qu'un mythe. Il importe, cependant, de remarquer qu'un mythe est la somme des croyances et des connaissances du passé, telle qu'elle nous est transmise pour nous servir de guide ; elle constitue les fondements d'une révélation nouvelle et nous prépare à recevoir une vérité imminente. Un mythe est une vérité authentique et confirmée, un pont dont les arches enjambent, L'une après l'autre, L'abîme qui existe entre les connaissances acquises du passé, la vérité présente, et les possibilités infinies et divines de l'avenir. Les mythes antiques et les anciens mystères nous offrent une présentation successive du message divin, tel qu'il fut énoncé par Dieu à travers les âges, en réponse aux besoins de l'homme. La vérité d'un âge devient le mythe de l'âge suivant, mais sa signification et sa réalité restent intactes et ne demandent qu'à être réinterprétées en termes actuels. [8]

Nous sommes libres de choisir et de rejeter ; Mais ayons soin de choisir avec les yeux ouverts par cette perspicacité et cette sagesse qui sont le signe distinctif de ceux qui ont déjà accompli un long trajet sur le chemin du retour. Il y a de la vie, de la vérité et de la vitalité dans le récit de l'Évangile. Il y a du dynamisme et de la divinité dans le message de Jésus.

Pour nous, aujourd'hui, le christianisme est une religion culminante. C'est la plus grande des récentes révélations divines. Ayant été conçu il y a deux mille ans, bien des choses en elles ont fini par prendre l'aspect de mythes et les contours du récit, jadis très clairs, ont fini par s'estomper peu à peu et ont commencé à être considérés sous un angle purement symbolique. Cependant, il existe une vérité derrière le symbole et le mythe, une vérité essentielle, dramatique et pratique.

Notre attention a été absorbée par le symbole et la forme extérieure, tandis que le sens est resté obscur et ne réussit pas à inspirer suffisamment nos vies. Au cours de notre étude pointilleuse de la lettre, nous avons perdu le sens du Verbe lui-même. Il nous faut parvenir derrière le symbole en lequel il s'incarne et transférer notre attention du monde des formes extérieures, à celui des réalités intérieures. Keyserling exprime ce fait de la façon suivante :

"Dans le domaine des attitudes spirituelles, le processus qui consiste à quitter le niveau de la lettre pour celui du sens intérieur peut se définir clairement par une seule proposition. Il consiste à voir à travers les phénomènes. Tout phénomène vivant est, en somme, un symbole ; car l'essence de la vie est son sens. Mais tout symbole, qui est l'expression ultime d'un certain état de conscience, devient transparent lorsque l'on atteint un état plus profond, et ainsi de suite jusqu'à l'infini. Car, toutes choses, si on les considère sous l'angle de leur sens, sont reliées intérieurement les unes aux autres, et leurs profondeurs ultimes ont leurs racines en Dieu."

"En conséquence, aucune forme spirituelle ne peut jamais être une expression ultime, chaque sens, lorsqu'on l'a pénétré, devient automatiquement la lettre d'un sens plus profond, de sorte que l'ancien phénomène acquiert un sens nouveau. Ainsi, le catholicisme, le protestantisme, L'orthodoxie grecque, L'islamisme et la religiosité bouddhique peuvent continuer à être, sur le plan de cette vie, ce qu'ils étaient autrefois, tout en signifiant pour nous quelque chose d'entièrement nouveau" [4] [9]

La seule raison d'être du présent ouvrage est qu'il marque un effort pour pénétrer ce sens plus profond, sous-jacent aux grands évènements de la vie du Christ, et d'infuser une vigueur nouvelle et un intérêt renouvelé à l'aspiration défaillante du Chrétien. Si ce livre arrive à démontrer que l'histoire contenue dans les Évangiles ne s'applique pas uniquement à cette divine Figure qui vécut un temps parmi les hommes, mais qu'elle a aussi une signification pratique et un sens pour l'homme d'aujourd'hui, alors il aura atteint son objet, en offrant une aide et en rendant service. Aujourd'hui, grâce à notre degré d'évolution plus avancé et à notre capacité d'exprimer nos états de conscience à l'aide de nuances plus finement différenciées, il est possible que nous puissions assimiler l'enseignement de l'Évangile avec une vision plus claire, et que nous fassions une application plus sage de la leçon qu'il nous fournit. Ce grand Mythe nous appartient – ayons le courage d'employer ce mot dans son sens véritable et sa signification exacte. Un mythe est susceptible de devenir un fait dans l'expérience d'un individu, car un mythe est un fait qui peut être prouvé. C'est sur les mythes que nous nous basons, mais il faut chercher à les réinterpréter à la lumière du présent. Nous pouvons prouver leur validité en les ressentant à la faveur d'une auto-initiation ; nous pouvons les expérimenter, en nous-mêmes, comme les forces dominantes qui régissent notre vie ; et en les exprimant à notre tour, nous pouvons démontrer aux autres qu'ils sont vrais. Tel est le thème de ce livre, qui traite des faits relatés par l'Évangile, ce quintuple mythe composé de paliers successifs, qui nous apporte la révélation de la divinité en la Personne de Jésus-Christ, et qui demeure éternellement vrai, dans le sens cosmique et dans le sens historique, non moins que dans ses applications pratiques à chaque individu. Ce mythe se subdivise en cinq épisodes :

1. La Naissance à Bethléem ;

2. Le Baptême dans le Jourdain ;

3. La Transfiguration sur le Mont Carmel ;

4. La Crucifixion sur la colline de Golgotha ;

5. La Résurrection et l'Ascension.

Notre tâche consiste à dégager le sens de ces cinq épisodes, et à les réinterpréter en termes actuels. [10]

L'histoire humaine a atteint un point culminant et l'homme le doit à l'influence du christianisme. En tant que membre de la famille humaine, il a atteint un niveau d'intégration inconnu dans le passé sauf d'une poignée d'êtres élus dans chaque nation. L'homme est comme l'ont montré les psychologues, une somme d'organismes physiques, de forces vitales, d'états psychiques ou de conditions émotives et de réactions mentales ou intellectuelles. Il est maintenant prêt à recevoir l'indication de sa prochaine transition, qui est, en même temps un développement ou un déploiement. L'homme attend cette métamorphose et il est prêt à saisir l'occasion lorsqu'elle se présentera à lui. La porte donnant accès à un monde d'existence et de conscience plus élevée est grande ouverte ; la voie qui mène au royaume de Dieu est clairement tracée. Beaucoup d'hommes, dans le passé, ont pénétré dans ce royaume et s'y sont éveillés à un monde d'existence et de compréhension qui reste un mystère impénétrable pour la multitude. La gloire du moment présent réside dans le fait que des milliers d'hommes sont maintenant prêts à en faire autant et pourraient être initiés aux mystères de Dieu, pour peu qu'on leur donne l'instruction nécessaire. Un nouveau déploiement de la conscience est possible aujourd'hui. Un nouveau but est apparu à nos regards, et il gouverne déjà les intentions d'un grand nombre d'entre nous. Nous sommes, en tant que race, sur le chemin d'une connaissance nouvelle, d'une compréhension neuve et d'un monde de valeurs plus profond. Ce qui arrive sur le plan de l'expérience extérieure n'est que le reflet d'un évènement intérieur, s'accomplissant parallèlement dans un monde plus subtil. Il importe de nous y préparer.

Nous avons vu que la révélation chrétienne a synthétisé en elle tous les enseignements du passé. Le Christ Lui-même l'a souligné, lorsqu'Il a dit : "Ne croyez pas que Je suis venu pour détruire la Loi ou les Prophètes : Je ne suis pas venu les détruire, mais les accomplir" [5] Il incarnait tout le passé et révéla à l'homme sa plus haute possibilité. C'est ce qu'éclairent ces mots du Dr Berdyaev, dans "La Liberté et l'Esprit" :

"La révélation chrétienne est universelle, et tout ce que l'on rencontre d'analogue dans les autres religions est simplement une partie de cette révélation. Le christianisme n'est pas une religion du même ordre que les autres ; c'est, comme l'a dit Schleiermacher, la religion des religions. [11]

Qu'importe s'il n'y a, à l'intérieur du christianisme, que l'on suppose si différent des autres croyances, absolument rien d'original, si ce n'est la venue du Christ et Sa personnalité. N'est ce pas en ceci, précisément, que l'espérance des autres religions s'est trouvée consommée ?"[6].

Chaque grande période du temps, et chaque cycle de l'univers auront – par l'amour de Dieu – leur religion des religions, synthétisant toutes les révélations antérieures et indiquant l'espérance future. L'attente du monde actuel nous prouve que nous sommes sur le seuil d'une nouvelle révélation. Une révélation qui ne reniera aucunement notre divin héritage spirituel, mais ajoutera aux prodiges du passé une vision claire de l'avenir. Elle exprimera ce qui est divin, mais n'a pas été révélé jusqu'ici. En conséquence, il est possible que la compréhension de quelques-uns des sens les plus profonds de l'Évangile permette au chercheur moderne de saisir la synthèse plus vaste qui se prépare.

Quelques-unes de ces significations plus profondes ont été abordées dans un livre, dû à la plume de ce vétéran du christianisme qu'est le Dr Campbell Morgan, publié il y a déjà bien des années et intitulé "Les Crises du Christ". Prenant les cinq épisodes principaux de la vie du rédempteur, autour desquels s'édifie tout le récit de l'Évangile, il leur donna une application vaste et générale, laissant au lecteur la certitude que le Christ n'avait pas seulement traversé ces expériences dramatiques en fait et en vérité, mais qu'Il nous avait aussi légué l'injonction formelle de "suivre Ses pas"[7]. N'est-il pas possible que ces grands faits qui couronnent l'expérience du Christ, ces cinq aspects personnalisés du mythe universel, aient pour nous, en tant qu'individus, plus qu'un intérêt historique et personnel ? N'est-il pas possible qu'ils se réfèrent à quelque expérience et à quelque entreprise inspirée à travers lesquelles bien des chrétiens sont invités à passer, à présent, pour obéir à Son injonction d'entrer dans une nouvelle vie ? Ne faut-il pas que nous renaissions tous, que nous soyons tous baptisés par l'Esprit, et transfigurés sur la cime de l'expérience vivante ? Ce qui attend beaucoup d'entre nous, n'est ce pas le crucifiement, menant à la résurrection et à l'ascension ? N'avons-nous pas pris ces mots dans un sens trop [12] étroit, et ne leur avons-nous pas accordé une signification trop sentimentale et trop vulgaire, alors qu'ils peuvent indiquer à ceux qui sont prêts, une voie spéciale et une manière plus rapide de suivre les pas du Fils de Dieu ? C'est là un point qui nous concerne d'une façon toute particulière, et que ce livre s'efforcera d'étudier. Si nous pouvons découvrir cette signification plus intense et si le drame des Évangiles peut devenir, de façon ou d'autre, le drame des "âmes qui sont prêtes" alors nous verrons renaître les caractères essentiels du christianisme et nous verrons revivre la forme qui est en train de se cristalliser si rapidement.

DEUXIEME PARTIE

Il n'est pas sans intérêt de rappeler que d'autres doctrines, en dehors du christianisme, ont souligné elles aussi ces cinq grandes crises qui surviennent, s'ils le désirent, dans la vie des êtres humains qui s'appuient sur leur divinité essentielle. La doctrine hindoue, comme la foi bouddhique, les ont mises toutes deux en lumière, comme étant des crises évolutionnaires auxquelles, en fin de compte, nous n'échapperons peut-être pas. Une compréhension plus exacte de ces grandes religions mondiales peut naître d'une connaissance plus approfondie des liens qui les unissent. La religion de Bouddha, bien qu'antérieure à celle du Christ, exprime les mêmes vérités fondamentales que l'Évangile. Le fait qu'elle les formule d'une façon différente ne nous empêche nullement d'en tirer une interprétation plus large du christianisme.

"Le Bouddhisme et le Christianisme ont leur origine respective dans deux moments inspirés de l'histoire : la vie du Bouddha et la vie du Christ. Le Bouddha nous donna sa doctrine pour éclairer le monde ; le Christ nous donna Sa vie. C'est aux chrétiens de discerner la doctrine. Peut-être la partie la plus précieuse de la doctrine du Bouddha est-elle, en dernier ressort, l'interprétation qu'elle nous fournit de Sa vie."[8]

La doctrine de Lao-Tseu peut aussi servir au même but. La religion, en définitive, est toujours complexe ; elle jaillit de beaucoup de sources et se compose de beaucoup de vérités. Cependant, il est légitime de [13] sentir que, si l'on avait à choisir aujourd'hui une foi, on choisirait le christianisme, et ce, pour la raison suivante : c'est que le problème central de la vie est d'étreindre notre divinité et de la rendre manifeste. Or, nous avons, dans la vie du Christ, la démonstration la plus complète et l'exemple le plus parfait de la divinité vécue victorieusement sur terre, et vécue comme beaucoup d'entre nous doivent vivre, – non point dans l'isolement et dans la retraite, mais au milieu d'un océan de tempêtes et de difficultés.

Les porte-parole de toutes les confessions religieuses se réunissent aujourd'hui pour discuter la possibilité de trouver une plate-forme assez universelle et assez vraie pour que tous les hommes puissent s'accorder sur elle, et pour qu'elle puisse servir de base à la religion universelle de l'avenir. Cette base peut être trouvée dans une interprétation et une compréhension plus claire des cinq épisodes principaux de la vie du Christ, et dans leur application pratique et unique, non seulement à l'individu mais à l'humanité tout entière. Cette compréhension nouvelle nous reliera plus étroitement au passé, car elle nous ancrera solidement dans la vérité qui fût ; elle nous indiquera notre but immédiat et notre devoir, nous permettant ainsi de vivre d'une façon plus divine, de servir d'une façon plus adéquate, et permettra à la volonté de Dieu de s'épanouir sur terre. Ce qui importe, c'est le sens intérieur de ces épisodes et nos relations individuelles avec chacun d'eux.

Le fait de comprendre l'unité et même, à certains moments, l'uniformité de la doctrine telle qu'on la prêche en Orient et en Occident, ne sauraient être pour nous qu'un gain précieux, un enrichissement pour notre conscience. Par exemple, la quatrième crise dans la vie du Christ, la crucifixion, correspond à la quatrième initiation de la doctrine orientale que Bon appelle le Grand Renoncement. Il existe une initiation appelée, dans la terminologie bouddhique, "l'entrée dans le courant", et il y a dans la vie de Jésus, un épisode que nous appelons [14] "le baptême dans le Jourdain". L'histoire de la naissance du Christ à Bethléem se retrouve, avec presque tous ses détails, dans la vie de tous les messagers de Dieu antérieurs à Jésus. Ces faits, surabondamment prouvés, devraient assurément provoquer en nous la pensée que, s'il y a beaucoup de messagers, il n'y a qu'un seul Message ; mais cette reconnaissance ne diminue en rien la tâche unique du Christ, ni l'œuvre unique qu'Il vint accomplir.

Il est également intéressant de se rappeler que ces deux individualités, le Bouddha et le Christ, ont marqué de leur empreinte les deux hémisphères – le Bouddha étant le maître de l'Orient, et le Christ, le Sauveur de l'Occident. Quelles que puissent être nos conclusions personnelles concernant leurs rapports mutuels et leurs relations avec le Père qui est aux Cieux, il y a un fait qui échappe à toute controverse: c'est qu'ils ont apporté la révélation de la divinité à Leurs civilisations respectives et qu'ils travaillèrent, l'un et l'autre, d'une façon significative, pour le bien final de la race. Leurs deux systèmes sont interdépendants, et Bouddha a préparé le monde à recevoir le message du Christ et à comprendre Sa mission.

Tous deux incarnèrent certains principes cosmiques ; par Leur travail et Leur sacrifice, certaines forces divines s'épanchèrent sur l'humanité et se propagèrent à travers elle. Le travail accompli par Bouddha et le message qu'Il proclama stimulèrent l'intelligence humaine et lui infusèrent la sagesse. La sagesse est un principe cosmique et une puissance d'ordre divin. C'est elle qu'incarnait Bouddha.

Mais l'amour fut révélé au monde par le Christ et, par Son travail, Il transmua l'émotion en amour. Puisque "Dieu est amour", le fait qu'Il révéla l'amour de Dieu nous permet de mesurer la grandeur de Sa tâche – une tâche qui excédait de loin les forces de tous les Maîtres ou Messagers qui L'avaient précédé. Quand il eut atteint l'Illumination, Bouddha répandit un flot de lumière sur la vie et les problèmes du monde, et il tenta, dans les Quatre Nobles Vérités, de nous faire comprendre les causes du désarroi humain. Ces Quatre Vérités sont, comme le savent la plupart d'entre nous :

1 Que l'existence dans l'univers phénoménal est inséparable de la souffrance et de la douleur ;

2. Que la cause de la souffrance est le désir d'exister dans le monde des phénomènes ;

3. Que la cessation de la souffrance est obtenue en supprimant tout

[15] désir d'exister dans le monde des phénomènes ;

4. Que pour cesser de souffrir, il faut s'engager dans le Noble Sentier Octuple, dont les principes sont la vraie croyance, la vraie intention, la vraie parole, la vraie action, la vraie conduite, le vrai effort, la vraie pensée et la vraie concentration.

Le Bouddha nous fournit ainsi une structure de la vérité, du dogme et de la doctrine qui a permis à des milliers d'hommes à travers les âges d'apercevoir la lumière. Aujourd'hui, le Christ et Ses disciples se sont consacrés (comme ils l'ont fait depuis deux mille ans) à la tâche d'apporter la lumière et la rédemption aux hommes ; l'illusion du monde est battue en brèche et les meilleurs esprits de l'humanité sont en train d'accéder en masse à une clarté de pensée croissante. Donc, grâce au message de Bouddha, l'homme put connaître, pour la première fois, la cause de son mécontentement et de son dégoût, de son insatisfaction constante et de sa nostalgie infinie. Par Bouddha, il apprit que la manière de s'en affranchir consistait dans le détachement, l'absence de toute passion et la discrimination. Ce sont les premiers pas sur la route qui mène au Christ.

Grâce au message du Christ, trois concepts généraux émergèrent dans la conscience de la race :

D'abord que l'individu possède une valeur intrinsèque. C'est là une vérité que la doctrine générale de l'Orient relative à la réincarnation a eu tendance à minimiser. Le temps est long, se sont dits les sages de l'Orient ; les possibilités réapparaîtront indéfiniment ; le processus de l'évolution fera son œuvre. Laissons donc l'humanité flotter, portée par la marée montante, et tout ira pour le mieux. De ce fait, l'attitude générale de l'Orient peut se caractériser par une indifférence marquée à l'égard de la valeur suprême de chaque individu. Mais le Christ vint, et il exalta l'œuvre de l'individu en disant : "Que votre lumière soit mise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." [9]

Deuxièmement, la possibilité fut offerte à la race tout entière d'accomplir un immense pas en avant, de subir la "nouvelle naissance", c'est-à-dire d'acquérir la première initiation. Ce sera le sujet de notre prochain chapitre. [16]

Le troisième concept enseigné par le Christ fut celui qui incarnait la technique de l'âge nouveau, cet âge qui viendra lorsque le salut individuel et la naissance nouvelle auront été pleinement compris. Ce message est contenu tout entier dans le commandement d'aimer notre prochain "comme nous-mêmes"[10]. L'effort individuel, la possibilité du groupe, et l'identification à autrui – tel fut le message du Christ.

Nous trouvons, dans l'enseignement du Bouddha, les trois moyens par lesquels l'homme peut transformer la nature inférieure et la préparer à devenir une expression consciente de la divinité. Par le détachement, l'homme apprend à "détacher" son intérêt et sa conscience des objets des sens, et à rester sourd aux appels de la nature inférieure. Le détachement impose un nouveau rythme à l'homme. En apprenant à se dépouiller de toute passion, il s'immunise contre la souffrance de la nature inférieure, car il détache son intérêt des choses secondaires et non essentielles, pour le concentrer sur des réalités plus hautes. Par l'usage de la discrimination, l'esprit apprend à choisir le bien, le beau et le vrai. Ces trois principes, sincèrement appliqués, provoqueront un changement d'attitude à l'égard de la vie et de la réalité ; ils apporteront le règne de la sagesse, s'ils sont correctement compris, et prépareront le disciple à mener la vie du Christ.

Après cet enseignement racial, vient le travail opéré par le Christ sur l'humanité, caractérisé par une compréhension profonde de la valeur de l'individu et de ses efforts auto-initiés, ayant pour objectifs suprêmes l'amour et le bien du groupe. Nous apprenons à nous perfectionner nous-mêmes, conformément à l'injonction du Christ : "Soyez donc parfaits" [11] afin d'apporter notre contribution au bien du groupe, et afin de servir parfaitement le Christ. Ainsi est rendue vivante en l'homme et peut se manifester pleinement cette réalité spirituelle dont parle saint Paul lorsqu'il dit : "Que le Christ soit en vous l'espérance de la gloire"[12]. Lorsqu'un nombre suffisant de gens aura saisie cet idéal [17] la famille humaine tout entière pourra se tenir devant la porte qui mène au Sentier de lumière, et la vie du Christ fleurira dans le royaume humain. Alors, la personnalité s'estompera, effacée par la gloire de l'âme qui, telle le soleil levant, dispersera les ténèbres, révèlera la situation de la vie, et irradiera la nature supérieure. Ceci mènera à l'activité du groupe, et le "moi", tel que nous l'entendons habituellement, disparaîtra. Ceci est déjà en train de s'accomplir. Le résultat final de l'œuvre du Christ se trouve admirablement dépeint dans le chapitre 17 de l'Évangile selon saint Jean, que nous aurions tous le plus grand intérêt à lire.

Individualité, Initiation, Identification – tels sont les trois termes qui peuvent servir à résumer le message du Christ. Lorsqu'Il était sur terre, Il les concrétisa dans cette formule : "Mon Père et Moi, ne sommes qu'un." [13]Cette prodigieuse Individualité, le Christ, nous a fourni par ses cinq grandes initiations, une image des étapes et de la méthode par lesquelles ont peut parvenir à s'identifier avec Dieu. Cette phrase nous livre la clé de tout l'Évangile et constitue le thème du présent ouvrage.

La corrélation qui existe entre le travail du passé et celui du présent, tels qu'ils nous sont montrés par le grand Maître de l'Orient et le Sauveur de l'Occident, peut être schématisée de la façon suivante:

 

Le Bouddha

 

La méthode 

Détachement

Absence de Passion

Discrimination

 

Le Christ

 

Le résultat

Individualisme

Initiation

Identification

Le Christ passa sa vie dans cette étroite bande de terre qu'on appelle la Palestine ou Terre Sainte. Il vint pour nous prouver la possibilité, pour l'individu, d'atteindre la perfection. Il parut à l'Orient (comme ce fut le cas de tous les Maîtres à travers les âges) et accomplit son œuvre dans ce pays qui ressemble à un pont lancé entre l'Orient et l'Occident, reliant deux civilisations différentes. Les penseurs modernes feraient bien de se souvenir que le christianisme est une religion [18] qui sert de pont. C'est en cela que réside son importance primordiale. Le christianisme, en tant que religion, correspond à cette période de transition qui relie l'ère de l'existence individualiste et consciente à celle d'un monde futur, unifié dans la conscience du groupe. Le christianisme est, essentiellement, une religion de clivage ; il démontre à l'homme sa dualité et pose ainsi les fondations de l'effort qu'il doit accomplir pour atteindre l'unité et l'unification. La conscience de cette dualité est un stade indispensable dans le développement de l'homme, et le but du christianisme est de le lui révéler ; son but est également de souligner la lutte qui met aux prises l'homme inférieur et l'homme supérieur, l'homme charnel et l'homme spirituel, au sein d'une même personne, et de proclamer la nécessité, pour l'homme inférieur, d'être sauvé par l'homme supérieur. C'est ce que nous dit saint Paul, dans ces mots qui nous sont familiers à tous : "( ) afin que des deux il formât en lui-même un seul homme nouveau, après avoir fait la paix ; et qu'il les réconciliât tous deux avec Dieu, en un seul corps, ayant détruit l'inimitié en lui- même." [14]

Telle fut la mission divine du Christ et la leçon qui se dégage du récit évangélique.

En conséquence, le Christ n'unifia pas seulement en lui la loi et les prophètes du passé ; Il apporta également cette présentation nouvelle de la vérité qui seule pouvait combler l'abîme existant entre la croyance et la philosophie orientale, d'une part, et, d'autre part, notre matérialisme et nos acquisitions scientifiques occidentales, qui sont l'un et l'autre des expressions divines de la réalité. En même temps, il démontra aux êtres humains la perfection de la tâche que chaque homme peut accomplir en lui-même, en harmonisant la dualité qui constitue le fond même de sa nature, et en réalisant cette union entre l'humain et le divin qui est le but de toutes les religions. Chacun de nous doit faire "de deux, un seul homme nouveau, ayant fait la paix", car la paix est l'unité et la synthèse.

Mais la leçon et le message que le Christ apporta à l'individu, Il l'apporta aussi aux nations, et fit resplendir devant elles l'espoir de l'unité future du monde et de la paix universelle. Le Christ vint au début de cet âge astronomique que nous appelons "l'âge des Poissons", parce que durant cette période d'environ deux mille ans, le soleil traversa le signe du Zodiaque que nous appelons les Poissons. De là l'allusion fréquente faite, dans l'Évangile, à des poissons, et l'apparition du [19] poisson en tant que symbole dans la littérature chrétienne et dans le Nouveau Testament. Cet âge des poissons se situe entre la dispensation des Juifs, correspondant aux deux mille ans que le soleil mit à traverser le signe du Bélier et l'âge aquarien du Verseau, où le soleil est en train de pénétrer à présent. Ce sont là des faits astronomiques, car je n'ai pas la place d'examiner ici toutes les conséquences qui en découlent au point de vue astrologique. Durant la période où le soleil se trouvait dans le signe du Bélier, nous voyons le bélier ou le bouc émissaire, apparaître fréquemment dans l'Ancien Testament, ainsi que l'observance de la fête de la Pâque. Dans l'âge chrétien, par contre, nous rencontrons partout le symbolisme des Poissons, allant jusqu'à manger du poisson le jour du vendredi saint. Le symbole de l'âge aquarien, tel qu'il est figuré sur toutes les anciennes images du Zodiaque, est un homme portant une jarre pleine d'eau Le message de cet âge est un message d'unité, de communion et de fraternité, car nous sommes tous enfants d'un même Père. C'est à cet âge que le Christ a fait allusion dans ses instructions à ses disciples, lorsqu'il leur enjoignit d'aller dans la ville et leur dit : "Lorsque vous entrerez dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau, suivez-le dans la maison où il entrera." [15]Les disciples lui obéirent et c'est dans cette maison que fut célébrée, peu après, la grande et sainte cérémonie de la communion. Cette référence a indiscutablement trait à l'âge futur, où nous entrerons dans cette Maison du Zodiaque que l'on nomme le "porteur d'eau" (Aquarius), où nous serons tous assis à la même table et communierons les uns avec les autres. Le christianisme vint entre ces deux cycles de l'évolution universelle, et, de même que le Christ consomma en Lui- même le message du passé et énonça ses enseignements pour le présent, Il désigna aussi cet avenir d'unité et de compréhension qui est notre but inéluctable. Nous sommes arrivés aujourd'hui au terme de l'âge des Poissons et entrons, comme on l'a prédit, dans l'ère de l'unité aquarienne. La "chambre d'en haut" est le symbole de ce point de perfection élevé vers lequel la race humaine se dirige rapidement. Un jour viendra où l'on célèbrera la grande cérémonie de la communion universelle, dont chaque communion individuelle n'est que la préfiguration. Nous entrons peu à peu dans ce nouveau signe. [20] Pendant plus de deux mille ans, ses forces et ses potentialités agiront sur la race humaine ; elles créeront de nouveaux types humains, favoriseront de nouvelles expansions de la conscience, et mèneront l'homme vers une réalisation pratique de la fraternité.

Il n'est pas sans intérêt de noter que les énergies qui agissaient sur notre planète lorsqu'elle se trouvait dans le signe du Bélier provoquèrent, dans la symbolique religieuse une exaltation de la chèvre et du bélier, et que, dans notre âge actuel du poisson, ces influences ont coloré notre symbolique chrétienne au point de faire prédominer le poisson dans le Nouveau Testament et dans notre symbolique eschatologique. Ces nouveaux rayons, ces énergies et ces influences sont sûrement destinés à produire les mêmes effets dans le domaine des phénomènes physiques, que dans le monde des valeurs spirituelles. Les atomes du cerveau humain sont en train d'être "éveillés" comme jamais ils ne l'ont été auparavant, et ces millions de cellules dont on nous dit qu'elles sont restées jusqu'ici endormies et inactives dans le cerveau humain, seront sans doute amenées à fonctionner d'une façon active, suscitant une connaissance intuitive qui leur permettra de percevoir la révélation spirituelle qui approche.

Aujourd'hui, le monde est en train de se réorienter en fonction de ces nouvelles influences, et, durant ce processus de réajustement, il est inévitable que nous traversions une période de chaos. Le christianisme ne sera pas supplanté par autre chose : il sera transcendé, une fois son travail de préparation victorieusement accompli, et le Christ nous donnera la prochaine révélation de la divinité. Si tout ce que nous savons actuellement de Dieu était tout ce que nous puissions en savoir, alors la divinité de Dieu ne serait qu'une substance limitée. Qui peut prédire ce que sera la nouvelle formule de la Vérité ? La lumière est en train de pénétrer lentement dans le cœur et dans l'esprit des hommes ; à la clarté de cette radiation, ceux-ci acquerront la vision de nouvelles vérités et parviendront à traduire l'ancienne sagesse par des formules neuves. A travers la lentille de l'esprit illuminé, L'homme ne tardera pas à apercevoir des aspects de la divinité, ignorés jusqu'ici. Ne peut-il exister des qualités et des caractéristiques de la nature divine qui nous soient encore totalement inconnues ? Ne peut-il y avoir des révélations de Dieu encore totalement inexprimées, et pour lesquelles nous ne possédons ni les mots qui conviennent, ni aucun moyen d'expression adéquat ? Les anciens mystères, qui doivent être incessamment restaurés, demandent à être réinterprétés à la lumière du christianisme, [21] et réadaptés aux besoins modernes, car c'est en tant qu'hommes et femmes intelligents que nous pouvons entrer à présent dans le Sanctuaire, et non plus comme des enfants auxquels on raconte des histoires dramatiques et des évènements prodigieux auxquels ils ne prennent aucune part en tant qu'individus conscients. Le Christ a joué devant nous le drame des cinq initiations et nous a enjoints de suivre Ses pas. L'ère qui vient de s'écouler nous y a préparés, et maintenant, nous pouvons entrer intelligemment dans le royaume de Dieu, par le moyen de l'initiation. Le fait que le Christ historique ait existé et ait foulé cette terre est pour nous la garantie de notre divinité et de notre accomplissement final. Le fait que le Christ mythique soit apparu maintes fois à travers les âges prouve que Dieu ne s'est jamais laissé sans témoin, et qu'il a toujours existé des êtres qui ont atteint la perfection. Le fait que le Christ cosmique se manifeste sous la forme d'une poussée vers la perfection à travers tous les règnes de la nature nous prouve l'existence de Dieu et nous apporte une espérance éternelle. L'humanité se tient aujourd'hui au seuil de la porte de l'Initiation.

TROISIEME PARTIE

Il a existé de tout temps des temples, des mystères et des sanctuaires sacrés, où l'aspirant véritable pouvait trouver non seulement ce qu'il cherchait, mais encore les préceptes nécessaires concernant la voie qu'il devait suivre pour arriver à la perfection. Le prophète des temps anciens disait :

"Il y aura une route et un chemin qui s'appellera le chemin de la Sainteté. Celui qui est souillé n'y passera point, car Il sera avec eux ; ceux qui marcheront dans le chemin, même les insensés, ne s'égareront point." [16]

Cette route mène de ce qui gît à l'extérieur vers ce qui gît à l'intérieur. Elle révèle, pas à pas, la vie cachée que voile et dissimule chaque forme symbolique. Elle assigne certaines tâches précises à l'aspirant, qui mènent à la compréhension des mystères et provoquent en lui une intégration et une sagesse qui satisfont les besoins dont il a le sentiment profond. Il passe du plan de la quête et de la recherche à ce que les [22] Tibétains appellent "le droit de savoir". Sur ce chemin, la vision et l'espérance font place à la connaissance. Il traverse une initiation après l'autre, et chacune d'elles le rapproche de son but, qui est l'unité complète. Ceux qui, dans le passé, ont travaillé, souffert et triomphé de la sorte forment une longue chaîne qui plonge dans le lointain le plus profond et se prolonge jusqu'à nos jours, car les initiés sont toujours avec nous et la porte est toujours grande ouverte. Par une série d'élévations progressives, les hommes gravissent, échelon par échelon l'immense échelle qui relie la terre au ciel, jusqu'au moment final où ils se tiendront devant l'Initiateur et découvriront que Celui qui les accueille est le Christ Lui-même – l'Ami intime – qui, les ayant préparés par le précepte et par l'exemple, les introduit enfin dans la présence de Dieu. Telle a été à travers les âges l'expérience constante de tous les chercheurs. Les hommes se sont révoltés, en Orient, contre la roue de la réincarnation, avec ses souffrances et ses peines perpétuellement renouvelées ; ils se sont révoltés en Occident contre l'injustice en apparence monstrueuse de cette vie de douleurs que s'inflige le chrétien, et se sont tournés vers l'intérieur d'eux-mêmes, pour y trouver la lumière, la paix et la libération si ardemment désirées.

Le Christ nous a donné une image précise du processus entier, par Sa propre vie, édifiée autour de ces initiations majeures qui sont notre héritage universel et représentent (pour beaucoup d'entre nous) une possibilité glorieuse et immédiate. Ces initiations sont :

1. La naissance à Bethléem, à laquelle le Christ convia Nicodème, en lui disant : "Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu" [17] ;

2. Le baptême dans le Jourdain. Ceci est le baptême auquel fit allusion saint Jean-Baptiste, lorsqu'il nous dit que le baptême de l'Esprit Saint et du Feu doit nous être administré par Jésus Christ [18] ;

3. La transfiguration. Là, la perfection nous est démontrée pour la première fois, et sa possibilité est prouvée aux disciples. Le [23] commandement nous est alors adressé : "Soyez donc parfaits, comme est parfait votre Père qui est dans les Cieux" [19] ;

4. La Crucifixion. Ceci est appelé, en Orient, le Grand Renoncement, avec sa leçon de sacrifice et sa condamnation de la nature inférieure. Telle est la leçon que connaissait saint Paul et le but qu'il s'efforçait d'atteindre. "Je meurs tous les jours", disait-il, "car la mort finale ne peut être affrontée et endurée que par la pratique de la mort journalière" [20] ;

5. La résurrection et l'ascension, le triomphe final qui permet à l'initié de chanter ces mots et de connaître leur sens : "O mort où est ton aiguillon ? O sépulcre, où est ta  victoire ?"[21].

Tels sont les cinq grands évènements dramatiques des mystères. Telles sont les initiations que tous les hommes devront traverser un jour. L'humanité se tient aujourd'hui sur le chemin de Probation et nous sommes en train de nous purger du mal et du matérialisme. Lorsque ce processus sera accompli, beaucoup d'entre nous se trouverons prêts à recevoir la première initiation et à subir la naissance nouvelle. Les disciples du monde se préparent déjà à recevoir la seconde initiation, le Baptême, qui exige la purification de la nature émotionnelle du désir, et sa consécration à la vie de l'âme. Les initiés du monde affrontent l'initiation de la Transfiguration. Ils doivent contrôler leur mental et l'orienter correctement vers l'âme ; ce processus s'accompagne d'une transmutation complète de la personnalité intégrée.

On dit beaucoup de sottises de nos jours, au sujet de l'initiation et le monde est plein de gens qui vont clamant partout qu'ils sont des initiés. Ils oublient qu'aucun initié n'affirme quoi que ce soit en ce qui le concerne et ne parle jamais de lui-même. Ceux qui proclament qu'ils sont initiés prouvent par-là même qu'ils ne le sont pas. On apprend aux disciples et aux initiés à tout inclure dans leurs pensées et à ne pas [24] chercher à se distinguer des autres par leur attitude ou leurs paroles. Ils ne se placent jamais en marge de l'humanité, en affirmant leur supériorité et en se mettant sur un piédestal. En outre, les qualités requises par l'initiation, telles qu'on les décrit dans beaucoup de livres ésotériques, ne sont pas aussi simples qu'elles le paraissent de prime abord. En lisant certains ouvrages, on pourrait croire que lorsque l'aspirant à atteint un certain degré de tolérance, de bonté, de dévotion, de sympathie, d'idéalisme, de patience et de persévérance, il a rempli les conditions principales de l'initiation. Ces qualités sont, en effet, essentielles. Mais leur acquisition ne représente qu'une étape préliminaire. Il faut encore y ajouter une compréhension intelligente et un développement mental qui conduiront à une coopération saine et raisonnée avec les Plans de Dieu concernant l'humanité. Ce qui est requis, c'est un équilibre de la tête et du cœur, et l'intellect doit trouver sa contrepartie et son expression dans et par l'amour. Voilà ce qu'il importe de proclamer avec force. On confond souvent l'amour, le sentiment et la dévotion. L'amour pur est un attribut de l'âme et inclut tout en lui ; c'est en lui également que sont enracinés nos rapports avec Dieu et avec nos semblables. "Car l'amour de Dieu est plus large que la mesure de l'esprit de l'homme et le cœur de l'Éternel est merveilleusement bon" – comme le proclame un hymne antique, et ainsi se trouve exprimé cet amour qui est non seulement l'attribut de la Déité, mais aussi l'attribut caché de chaque fils de Dieu. Le sentiment est émotionnel et instable ; la dévotion peut-être fanatique et cruelle ; Mais l'amour fond et unit, comprend, interprète et synthétise toutes les formes et toutes les expressions, toutes les causes et toutes les races, dans un seul cœur brûlant, et ne connaît ni séparation, ni division, ni discordance. Réaliser cette expression divine dans nos vies quotidiennes présuppose le développement suprême de tout ce qui est en nous. Être un initié requiert toute la puissance de chaque aspect de notre nature. Ce n'est pas une tâche facile. Il faut un courage rare pour surmonter les épreuves inévitables qui assaillent tous ceux qui suivent le chemin du Christ. Il faut appeler à l'activité, non seulement l'amour le plus profond de notre cœur, mais aussi les décisions les plus hardies de notre mental, afin de collaborer sagement et sainement avec le Plan de Dieu, et fondre notre volonté dans la Volonté divine. [25]

 

[1] Cité par W. Kingsland dans Religion in the light of Theosophy.

[2] Hébreux, V, 8.

[3] La Doctrine Secrète, par H.P. Blavatsky, Vol. 3, p. 55.

[4] The recovery of Truth, par Hermarm Keyserling, pp. 91. 92.

[5] Saint Mathieu, V, 17.

[6] Freedom and the Spirit, par Nicholas Berdyaer, pp. 88. 89.

[7] Pierre, 2, 21.

[8] Religion in the Making, par A.N. Whitehead, p. 55

 

[9] Saint Mathieu. V, 16.

[10] Saint Mathieu XIX, 19.

[11] Saint Mathieu, V, 48.

[12] Col, 1, 27.

[13] Saint Jean, X, 30.

[14] Eph. II, l5, 16

[15] Saint Luc, XXII, 7, 10.

[16] Isaie, XXXV, 8.

[17] Saint Jean, III, 3.

[18] Saint Mathieu, III, 11.

[19] Saint Mathieu, V, 48.

[20] Cor, XV, 31.

[21] Cor, XV, 35.